L'appartement était calme ce matin là. Généralement, il l'était. Mais ce silence là était différent. Allongé sur le canapé, Matthias écoutait ce silence en fixant le plafond. Keith dormait sans doute encore, car le plancher n'avait pas encore craqué sous son poids... pas d'ange non plus. Cela faisait maintenant trois mois. Il ne désespérait pas. Tous les matins, Matthias se réveillait avec une seule envie : voir une plume, quelque part, mais pitié, une plume. Et ce matin là, quand il s'était réveillé, rien n'avait changé. Le monde allait de travers. Les démons... les filles... les anges.. et eux, aussi. Dans ce tout petit appartement, les deux rejetés du Vatican vivaient paisiblement une vie qu'ils auraient sans doute aimé un petit peu différente. Matthias ne regrettait en rien d'habiter avec Keith. Bien sûr, il aurait aimé la chose différente, il aurait aimé appartenir à cette famille qu'il avait toujours connu et qu'il avait apprécié, qu'il avait admiré quand il était tout petit, et quelque part, ça le dérangeait. Maintenant, ils n'étaient plus que tous les deux, sans avenir. Des exorcistes excommuniés.. quoi de plus risible, n'est-ce pas? Matthias se tourna dans le canapé. Devant ses yeux, les images. Famine, guerre, déclin. Le monde entier était ravagé par les démons, qui allaient et venaient sans cesse. À l'écran, il revoyait sans cesse la visage de cet enfant du diable, et à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qui s'était passé, là bas, dans la ruelle. Après ça, Mika'il avait chuté en enfer. Keith avait dit que Elemiah irait le chercher. Matthias ressentait une colère incontrôlable quand ils en parlaient. Il voulait crier, il voulait pleurer : pourquoi Elemiah n'était il pas revenu? Mais il ne pouvait pas. D'une, car ce n'était pas la faute de Elemiah, et de deux, car Keith souffrait également de la disparition de son ange. Une idée était alors venue : sans doute les deux avaient ils fini en enfer. Mais cette idée était plus insurmontable que l'excommunication. De loin. Alors dans ces cas là, Matthias zappait, pour ne pas y penser, pour oublier. Il sortait fumer une cigarette. À côté de chez eux, il y avait la vieille église de Saint Luc, mais même dans celle-la, il n'avait pas le droit de mettre les pieds. Et comme si elle le narguait, l'Eglise était bien souvent bondée, et on riait de ce petit homme de dix sept ans, blond aux yeux de vipère, qui passait tous les jours devant sans jamais y rentrer. GOD BLESS THE QUEEN. Il en riait. Jaune.

L'appartement était calme ce matin là. Et Matthias aussi. Il avait une cigarette entre les lèvres, et il regardait d'un air las la télé, remontrait en boucle les mêmes images, les mêmes scènes d'horreur. Dans un avenir sombre, que peut-on espérer? Il regardait, les yeux cernés de noir, comme il était fatigué de ne plus dormir, de toujours s'inquiéter. En l'espace de quatre mois, le petit ange blond, innocent comme une fleur de lys, avait chuté lui aussi dans la réalité de la vie. Dans la belle enceinte du Vatican, il avait été préservé des tentations et du mal. Et quand il s'était retrouvé en face de lui, dans sa personnification la plus extravagante, il n'avait pas résisté. Matthias. Don de dieu. Matthias... Il eut un rire en repensant à l'histoire de son nom. Comment pouvait-on nommer son fils ainsi? Matthias était représenté par Saint Mathieu, qui fut nommé apôtre afin de remplacer Judas l'Iscariote. Judas le traître. L'insensé... Le blondin se releva, calme. Son regard fixait encore la télé, les images, le visage des démons, en gros plan. La nuit avait recouvert tout Londres. La neige avait recouvert le désert du Sahara... Les gens mourraient de peur en Amérique latine. C'était le chaos sur terre. C'était l'Ascension. Matthias prit son visage entre ses mains, et son dos se courba, comme accablé d'un poids. Ces derniers mois avaient été vraiment dur. Il avait été excommunié, son ange avait eut les ailes noircies, il avait même disparu, ainsi que Elemiah, et Keith était devenu aveugle... Quelle était cette vie qui s'amusait à le battre quand il n'avait déjà plus la force de rester debout? N'avait-il pas assez prier et pleurer dans le silence des églises pour se faire montrer du doigt par ceux là même qui lui avait enseigné le pardon et la compassion? N'avait-il pas montrer sa rigueur pour avoir fermer les yeux et oublier son coeur quand il pleurait à grosses larmes? Il était exemplaire. Nul n'avait le droit de lui reprocher ses fautes et ses erreurs. Il était faillible, et cela, on ne pouvait lui reprocher. Il attrapa finalement la télécommande et éteignit la télé.

Tout cela n'était que connerie.

Il se leva, prit la cafetière entre les mains. Le plancher craqua, avertissant que Keith venait de quitter son lit. Matthias lui servit son petit déjeuner, et le salua d'un simple sourire, sans un mot. Matthias et Keith n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Ils avaient longtemps vécu ensemble – quasiment toute leur vie. Ils s'aimaient comme des frères – et plus pour Matthias. Les mots n'avaient de valeur que s'ils étaient importants. Là, les mots ne valaient rien, ou presque. Matthias tira le siège de Keith et le lui montra. Le brun était aveugle, et s'il s'était habitué à s'habiller et à se diriger dans la maison, le reste restait assez compliqué malgré tout. Une fois assis, Matthias pris sa main machinalement et la posa sur le côté du bol, le sachant tiède, puis s'assit à côté de Keith sans un mot. Quelque part, que Keith soit aveugle l'arrangeait. Il n'avait plus à rougir de l'observer du coin de l'oeil... Et puis, maintenant qu'il avait les cheveux plus longs et de la barbe, c'était bien moins dur de faire le mignon petit objet à placer dans un coin de la pièce. Matthias avait grandi. Beaucoup, grandi. Même si Keith ne le savait pas, il le dépassait maintenant de quelques centimètres. Il avait aussi pris en largeur, tellement que Matthias faisait homme. Reynar, à côté, était aussi viril que lui alors que l'estonien avait toujours été un pur homme. Nicolas, à côté de Matthias, ne ressemblait plus à un homme par contre, mais bien à une petite poupée. Le changement était radicale, et si Matthias s'était habitué à changer jusqu'à ses habits et ses habitudes, il n'était pas bien sûr que Keith voit tout ça d'un bon œil. Et peut être avait-il raison. Encore que...! Il n'était pas au courant que Matthias s'était également mis à fumer, pour se calmer. C'était très rare. Une cigarette toutes les deux semaines peut être, quand vraiment il avait envie de pleurer mais que ça ne venait pas. Mais ça arrivait, et c'était déjà sans doute de trop pour cette personne qui jadis avait été si droite et si sévère envers elle même. Maintenant? Un drôle d'homme, grand et large d'épaule, avec des cernes, un air las, et de la barbe. Des habits passe-partout, mais avec un style bien à lui, qui associer des couleurs sombres et grunge. Où était le petit ange? On se le demandait. Assis à table, il finissait son café. L'air de rien... De toute façon, Keith ne verrait rien. Il se leva pour faire une nouvelle cafetière, comme elle était vide. Il vira l'ancien filtre, le remplit à nouveau, puis remplit la machine d'eau... mais malaise. Quelque chose avait changé, sans qu'il ne sache vraiment quoi. Matthias arqua un sourcil et se retourna lentement, mais sursauta comme un dératé, renversant la cafetière et les bols qui étaient sur le plan de travail. Il y eut un rire, venant de derrière Keith.

« Vous voyez, je vous l'avais dit qu'ils auraient peur! »
« Il a tout renversé... »
« Ce n'est pas de sa faute. C'est que tu es impressionnant, mon bon Metatron! »

Dans le dos de Keith, trois anges. À droite, on trouvait des mèches blondes et bouclées, légères, ainsi que six longues ailes blanches, avec quelques plumes noires bleutées. L'Archange Mika'il, que Matthias aurait reconnu entre dix milles. À sa gauche, on trouvait le visage fin de Elemiah, derrière des mèches brunes de nuit. Le seul changement notable était qu'il avait désormais quatre ailes. Et enfin, au milieu, comme un géant par rapport aux deux autres anges, déployés six ailes blanches aux reflets bleutés, on avait le visage dur et carré de Metatron. Les trois regardaient Matthias. Keith, en face de Matthias, n'avait pas bougé d'un pouce, mais il avait sans doute reconnu la présence de Elemiah. Si seulement il avait pu voir les quatre ailes magnifiques que le séraphin avait maintenant...

« Metatron, n'oublie pas! Tu m'as promis! » Le blond regardait le géant avec une moue boudeuse, comme un enfant ferait devant son père. Le géant roula des yeux.
« Que d'histoire. »

Il étendit ses deux mains devant lui, et avança dans le dos de Keith. Lentement il posa ses mains sur la tête du brun, et une lumière éclata, aveuglante, dans la cuisine, remplissant la salle entière. Matthias lui même du fermé les yeux, comme il craignait de les perdre lui aussi. Quand le blanc disparu, et que la lumière s'éteignit, ils étaient encore là, et Keith également. Mais visiblement, quelque chose avait changé.

Keith clignait des yeux, et le fixait, lui.

« Tu...? »

Merde. Il voyait? Matthias porta aussitôt sa main à sa barbe. Merde.

Dans le noir le temps semble ne plus existait. Et pourtant, il y avait toujours le rythme des autres pour tenir Keith de ses limbes nébuleuses. Il ne s'y était pas fait. Il y avait trois mois qu'il avait perdu la vue et ce n'était qu'en retrouvant sa soeur qu'il avait commencé à se faire à l'idée. Metatron l'avait puni pourtant Keith avait réussi à mettre de côté sa rancoeur. Quelque part, il avait autre chose à faire que s'apitoyer sur son sort et puis ce n'était pas comme s'il avait été le plus à plaindre. Il avait retrouvé Matthi, ça avait achevé de dissiper les nuages noirs qu'il avait dans le coeur. Bien sûr il avait été excommunié. Bien sûr il y avait perdu la vue. Tout simplement parce qu'il n'avait pas voulu se dresser contre son frère. Parfois Keith se demandait ce que Mika'il en dirait, lui qui avait été contraint de se dresser contre Lucifer. Lui, qui avait passé cette épreuve là. Serait-il condamnatoire comme les autres? Mais Mika'il et Elemiah avaient disparu. L'ange de Matthias déchu et le sien sans doute perdu à la recherche de son frère. Keith n'avait jamais été assidu dans la prière car il disait que rien ne servait de prier quand on avait pas de meilleur raison de le faire que l'heure ou la coutume. Mais aujourd'hui il priait, il priait en silence, dans sa chambre, sans rien dire à Matthi. Il ne priait pas pour eux non, quoiqu'il ressentit le mal-être de Matthi même du fond de son puits de ténèbres, il priait pour Elemiah. Ou plutôt il priait que ses prières touche l'ange et lui donne la force ou l'espoir dont il aurait besoin ou qu'il soit. Qu'importe ce qu'il faisait.

Cela faisait bien vingt minutes qu'il était réveillé sans avoir quitté le lit. Il entendait les cris de la télé diminués à leur plus bas volume. Ces derniers mois Keith avait pu remarqué à quel point Matthi pouvait être prévenant. La cécité de Keith l'avait rendu plus faible, un peu farouche parfois, et s'il gardait ce visage magnifique et ce corps plein de vie, il semblait comme... différent. Comme si le feu en lui couvait au lieu de flambait comme d'ordinaire. C'était qu'il avait du en faire des concessions. Au tout début, quand Elemiah l'avait laissé seul pour la première fois, avant que Matthias ne réapparaisse, Keith avait voulu se débrouiller seul. De retour à Poudlard il fuyait littéralement la compagnie des autres comme pour ne pas s'exposer à leurs regards intrigués. Puis très vite, il avait appris à voir autrement. Continuer d'épingler les petits fraudeurs qui sortaient en douce la nuit n'avait pas été un problème, mais en cours, que pouvait-il faire d'autre que d'écouter? C'était humiliant. C'était presque dégradant pour lui qui avait toujours brillé au dessus du lot. Certains jours, il n'était même pas sorti du tout, gêné par une barbe de trois ou quatre jours qu'il n'osait pas toucher de peur d'un mauvais coup de rasoir. Puis Matthi était revenu. Il n'avait rien dit. Pas un mot sur sa conversation avec le cardinal et le comment de son soudain handicap. Il avait juste plaider l'accident stupide. Ce n'était que mentir par omission mais pouvait-il vraiment lui dire la vérité? Pour l'achever un peu plus. Les choses étaient déjà bien assez difficile pour Matthi qui n'avait jamais conçu sa vie sans le Vatican. Maintenant ils n'avaient plus vraiment le choix ni l'un ni l'autre.

Keith finit par se lever, adressant un sourire pas tout à fait dirigé vers son meilleur ami, mais l'intention y était. Il n'ajouta rien de plus. Qu'aurait-il dit d'ailleurs... Bien dormi? Avec les Révélations juste sous leur fenêtre? Certainement pas. Ils n'avaient pas besoin de mots futiles, ils se comprenaient quand même.
La main tendue devant lui, Keith avançait d'un pas presque sûr, cherchant le dos de la chaise qu'il avait entendu quand Matthi la lui avait tiré. Il ne dit rien, rougissant à peine quand Matthi lui prit la main pour la poser sur le bol. Il gardait quand même assez de dignité pour rougir de se sentir ainsi assisté mais il sourit en remerciement. Il passa son doigt à la surface du café juste pour se faire une idée du niveau, et ne pas renverser mais il attendait que Matthi revienne s'assoir à côté de lui. Quelque part il y avait des moments où ça l'ennuyait de se demander si Matthi l'observait ou s'il vaquait simplement à ses occupations. Le moment le plus gênant pour lui serait quand il l'appellerait après s'être habillé. Il fallait qu'il se rase. Keith n'avait supporté de laisser sa barbe pousser. D'ailleurs ça ne lui allait pas même si ce n'était plus un problème maintenant puisqu'il ne se voyait pas. Au début il n'avait rien dit, ne voulant pas demandé. Matthi avait compris seul. Et comme un jour sur deux depuis presque un mois, tout à l'heure il viendrait le rejoindre dans la salle de bain. Keith se retournerait au bruit de la porte mais son regard ne viserait pas juste et ce serait la main de Matthias lui prenant le visage pour le raser qui le surprendrait. Et il rougirait. Honteux d'être si dépendant de lui, mais pas seulement. La chose ne lui avait jamais parue aussi intime quand c'était lui qui se rasait seul. C'était un peu gênant.

Devant son bol de café, Keith releva légèrement le nez, un étrange frisson l'avait parcouru comme si...

« Mat... »

Mais le sursaut qu'eut le blond, le fracas du bol sur le plan de travail et la sensation d'une présence dans son dos, lui coupèrent la chique et il fit volte face, renversant la chaise. Il est toujours très dérangeant pour un aveugle d'être surpris.
Il reconnut immédiatement la voix de Metatron comme ça dernière rencontre avec lui l'avait pour le moins marqué. Le brun recula à l'aveuglette, mais la table lui barrait le passage.

« Elemiah? Archange Mika'il... vous... »
« ...nous sommes là aussi Keith.»
« Metatron, n'oublie pas! Tu m'as promis! »
« Que d'histoire. »

Sentant Metatron approché, Keith fut pris de panique. Il recula, renversant la table et tout ce qu'il y avait dessus. Pour sa défense, la scène, même sans les images, lui rappelait vaguement quelque chose et la douleur fantôme dans ses orbites était toujours bien présente. Dans son geste de recul, il se débâtit...

« Non! Matthi! Elemiah!... »

Mais le poids des mains posées sur sa tête était écrasant et inexorable surtout. Puis soudain une chaleur bienveillante l'envahit, le faisant douté un instant que c'était bien les mains de l'ange Metatron qui étaient posées sur sa tête. Il sentit la sainte crainte révérencielle faire couler les larmes sur son visage sans qu'il ne puisse rien y faire et quand l'ange le relâcha il fut... aveuglé. Keith se protégea les yeux de ses mains, terrorisé mais rien ne se passa. Une ombre s'étendit jusqu'à couvrir un peu la lumière de l'ampoule qui les éclairait, agressive pour des yeux aveugles depuis trois moi. C'était l'aile d'Elemiah. Keith cligna des yeux, contemplant la face des trois anges puis s'arrêtant sur celle du terrible Metatron...

« ... merci ... »

Elemiah était là avec son sourire bienveillant, Mika'il aussi. Keith se retourna d'instinct vers... Matthias!

« Tu...? »
« Oui... oui je te vois. », répondit-il visiblement heureux, Et toi... tu... enfin. Merde t'es plus grand que moi Matthi.

Il le prit dans ses bras, pas encore aussi assuré que le Keith qu'on avait toujours connu, mais il le serrait fort, et semblait le plus heureux du monde. Elemiah glissa un petit signe de remerciement à Metatron, toujours très humble malgré tout. La transformation de Matthi était sidérante mais Keith était bien trop heureux de le voir à nouveau. Il aurait mille questions à poser quand ils seraient seuls à nouveau. Cet air fatigué sur le visage de son meilleur ami ne lui avait pas échappé. Ni le reste de sa transformation. Etait-il passé à côté de tant de choses?

Metatron relâcha lentement le crâne de l'enfant, et Mika'il, avec son air enfantin, se pencha vers lui. Il regardait l'adolescent avec des yeux heureux, remarquant alors le superbe travail de Metatron. Par là même, il remarquait combien un ange peut être bon, ou mauvais. Metatron avait retiré la vue de Keith pour bien peu de chose au final, et les lui avait rendu avec cette même légéreté dans l'esprit. Si l'archange de la milice n'en dirait mot, il notait dans un coin de son crâne que la bonté apportait sans doute plus de bonheur que la sévérité, et qu'un jour, il devrait bien parler avec Metatron de cette façon qu'il avait d'entreprendre des jugements trop lourds. L'ange blond posa sa main sur l'épaule de Metatron, quoi qu'il fut plus grand que lui, et le regarda avec un grand sourire, qui le rendait presque femme à cet instant, comme ses cheveux étaient détachés et longs sur ses épaules. Metatron, malgré le regard de Keith, ne cilla pas. Il n'avait même pas l'air spécialement heureux d'avoir fait ce qu'il venait de faire. Une obligation. Rien de plus. Mika'il, à côté, souriait davantage

« ... merci ... »

Aucune réponse en retour. La main de l'archange blond passa dans le dos de Metatron, douce et câline à la fois. Metatron le regarda, avec ce même regard dur et sévère à la fois. Ça ne faisait que depuis la veille que Mika'il avait regagné la surface, et pourtant il brillait toujours autant, de cette lumière chaude et bienveillante, lui qui était fatigué à l'intérieur, fatigué d'avoir subi ces quelques épreuves. De tout ça pourtant, il n'en retenait rien. Pas une seule rancune envers Metatron qui l'avait précipité, sans aucune bonté, sans aucun pardon, et même quand il le regardait, il le plaçait au même niveau que Elemiah dans son coeur, comme un frère. Un simple frère. Metatron jugea la scène, se pencha à l'oreille de Mika'il. L'archange de la milice hocha la tête, et les six ailes de Metatron s'enroba autour de lui, pour qu'il disparaisse finalement, laissant alors les deux exorcistes avec leurs deux anges gardiens. Le regard de Mika'il se posa par instinct sur son petit protégé, et il souriait intérieurement de ce soudain changement. De quelques mois. Mais tout de même soudain dans la tête de l'archange qui avait cru, un instant, qu'il finirait sa vie avec une discipline.

« Tu...? »
« Oui... oui je te vois. », répondit-il visiblement heureux, « Et toi... tu... enfin. Merde t'es plus grand que moi Matthi. » Le blond eut un petit rire, nerveux.
« J'ai fait comme les fougères, j'ai poussé au soleil... »

Depuis qu'il s'était fait excommunié, Matthias avait passé le plus clair de son temps à aider Keith. La nuit enfin, comme il ne dormait jamais, il sortait dehors, revisiter tout ce dont il avait oublié de regarder avant. Les monuments, païens ou non. Il lisait aussi. La journée, il ouvrait grand les carreaux. Il avait presque développé une petite tendance à la claustrophobie. Une petite tendance à ne pas aimer être dans le noir, non plus. Mika'il regarda les deux adolescents s'enlaçaient, comme des frères, et posa son regard sur Elemiah. Il s'en approcha, lui prit la main, et sans son accord, les fit disparaître ensemble. Ils reviendraient quand ces deux là auront fini de se parler.

Seuls à nouveau, Matthias regarda Keith, ses yeux. Il voyait, à nouveau. Il avait un sourire mitigé, entre le bonheur, et la peur. Allait-il reperdre la vue? Non. Pire que ça. Pourquoi Metatron? Pourquoi... tout ça? Matthias resta un instant silencieux, et finalement murmura du bout des lèvres la question qui le tracassait depuis des mois, et qu'il n'avait jamais posé, par simple pudeur quelque part.

« … Tu as retrouvé la vue, Keith. Mais... comment tu l'as perdu? »

Question fatidique. Pas de question sur le physique, ni même sur les sentiments. Tout ça ne comptait pas. Lui, il voulait la vérité. Tout simplement la vérité.

A côté de la froideur de Metatron, de la superbe de Mika'il, Elemiah se tenait tranquille, une jeune âme encore pleine de la fougue de son âge. Il était différent, difficile parfois, inconstant disait les plus sévères quoiqu'Elemiah fut tout sauf l'inconstance. De sa vie, s'il avait toujours était un ange aux amours légères et innocentes comme tous les séraphins, il avait toujours été loyal envers son père, toujours prompt à rendre service. Il n'avait désobéi en tout et pour tout qu'une seule fois. Une fois de trop direz vous. Ces amours dont on rirait ce n'était rien de plus que l'éclat de rire d'Elemiah quand un brin de vent lui chatouillait les plumes, ou quand il regardait le monde comme un minuscule grain de sable qui s'ignore. Et il aimait toutes ces choses. Il aimait son protégé tendrement, il aimait Metatron même quand il recommandait qu'on le précipite. Parce que c'était son frère tout simplement. Et il aimait également Mika'il, peut-être plus qu'il n'aimait rien au monde. Plus que ces autres frères. Mais en soi, ça ne constituait pas un mal, et le bel ange aux cheveux sombres aimait avec l'insouciance que les hommes ne connaissent pas.
Il jugea qu'il était temps de partir, juste comme Mika'il lui prenait la main pour disparaître. Keith lui sourit. Tout semblait avoir retrouvé un certain ordre. Presque naturel. Les deux jeunes hommes se retrouvaient à nouveau seuls. C'est ainsi que tout devait être.

Il y avait quelque chose d'étrange dans le regard que Matthias posait sur Keith. Et, même si la lumière de l'ampoule électrique l'indisposait encore, le préfet pouvait s'en rendre compte sans mal. Il devinait par avance ce qui tracassait le blondinet et peut-être que cette expression si étrange sur son visage, il la portait depuis trois mois, sans que Keith ait rien pu voir bien sûr.

« … Tu as retrouvé la vue, Keith. Mais... comment tu l'as perdu? »

Son visage se ferma un peu. Il se rappelait chaque mot, chaque geste. Comme s'il avait pu transplaner jusqu'à cette tranche de passé où tout était arrivé. Il ne voulait pas mentir à Matthias. Il ne voulait pas non plus le blesser mais en répondant trop franchement à sa question c'était ce qu'il ferait immanquablement.

« J'ai refusé d'offrir un holocauste à Dieu et Metatron m'a puni de mon insolence voilà tout. J'ai échoué l'épreuve que Dieu me réservait, n'en parlons plus maintenant. C'était il y a trois mois. Et je vois maintenant. Tout va bien. »

Il sourit, encore peu habituer à devoir relever le nez pour regarder son meilleur ami. Quelle blague. Il avait parlé tranquillement mais il était clair qu'il n'avait pas envie de pousser la conversation plus loin. Son regard fit le tour de la pièce puis:

«C'est drôle, je ne l'imaginai pas du tout comme ça, l'appartement. »

Matthias est tranquille, et si ses mains épousent le rebord de la planche de travail, afin de le maintenir, son visage garde cette beauté naturelle, cette beauté dure et froide des statues du vieux Vatican. Matthias, aux boucles lourdes d'un David blessé en voyant son amour trompé et bafoué, Matthias qui regardait Keith comme on regarde une idole, les yeux hésitants de celui qui craint sans savoir quoi exactement.

« … Tu as retrouvé la vue, Keith. Mais... comment tu l'as perdu? »

Question futile, n'est-ce pas? Il devrait se réjouir, hurler et le serrer dans ses bras, heureux de le revoir, mais quelque chose en Matthias ne va pas. Ça s'écoule mal dans ses veines, et ça fait s'empourprer ses joues rondes, quoi qu'il ait un peu maigri. Cinq, peut être six kilos, en trois mois. On pourrait dire que c'est sa taille, mais en plus de grandir, il a maigri. Pas minci : maigri. Il le fixe, attends la réponse fatidique. Il sait. Au plus profond de lui, il sait. Mais il veut l'entendre dire de sa bouche.

« J'ai refusé d'offrir un holocauste à Dieu et Metatron m'a puni de mon insolence voilà tout. J'ai échoué l'épreuve que Dieu me réservait, n'en parlons plus maintenant. C'était il y a trois mois. Et je vois maintenant. Tout va bien. »

Le silence qui suivit exprima la pensée de Matthias. Un holocauste à Dieu? Un instant Matthias fronça les sourcils et sentit en son fort intérieur comme la révolte du monde entier sur ses épaules. De toutes les épreuves de Dieu, il avait toujours trouvé que le sacrifice d'Isaac était la pire des épreuves, mais également la plus injuste. Le Père Épiphane l'avait élevé dans une idée protestante de Dieu, aussi jamais il n'aurait oublié sa morale pour suivre la voix de Dieu. Mika'il lui avait dit que cette épreuve avait été mascarade, et que jamais Abraham n'aurait été le premier aimé de Dieu. Plus tard encore, Mika'il lui avoua que s'il était le premier de la milice, ce n'était pas car il faisait ce que Dieu voulait, mais ce dont Dieu avait besoin, ce qui marquait la différence entre Metatron et Mika'il, qui étaient presque des frères aux dires de l'archange blond. Oui. L'holocauste n'était pas une nécessité. Au plus un caprice. Matthias se calma finalement. La colère était péché, et il n'avait rien à dire à cela : Keith avait fait le bon choix – sûrement.

«C'est drôle, je ne l'imaginai pas du tout comme ça, l'appartement. » Matthias eut un petit rire, gêné sans doute.
« J'ai fait avec les moyens du bord, mais tu sais, moi et la décoration... J'ai pas vraiment eut d'exemple, et ce que les moldus mettent dans leur magasine, ça vraiment trop... euh, vaniteux, je crois. »

Dans les chambres blanches et vides du Vatican, Matthias ne se rappelait que de trois choses : le crucifix au dessus du lit, des lits aux draps blancs superposés, et des bureaux en pin. Alors forcément, quand on voyait la cuisine, en bois, très simple mais fonctionnelle au possible, on remarquait tout de même l'effort du jeune homme. La seule chose qui aurait pu choqué, c'était sans doute l'absence de croix dans toutes les pièces. Même dans sa chambre, aucun crucifix, aucune idole. Rien ici n'aurait pu renseigné sur la religion des deux. Matthias avait cru bon, avec son excommunication, de garder dans sa table de chevet sa bible et sa croix, son chapelet et son missel. Après tout, il n'y avait qu'eux ici, alors ça n'avait aucun intérêt d'étaler sa religion sur des murs. Matthias regarda autour de lui, puis toussa, gêné encore.

« Tu aimes? … La seule chose qui m'a coûté cher, c'est la télé moldue et le canapé. Père Épiphane a dit que c'était de l'argent gaspillé inutilement, mais j'ai cru bon d'avoir autre chose qu'une vieille radio et les chaises du presbytère. »

Il remit en place une mèche derrière son oreille. La télé moldue était en faite un écran plat, relativement grand c'était vrai, et le canapé était un magnifique sofa, vieux certes mais d'une élégance rare, avec un tissu de velours bordeaux, large et long. Posé par dessus, une couverture avertissait que Matthias y dormait relativement souvent. De la cuisine au salon, une grande voûte faisait en sorte de donner un accès direct à la pièce vaste qu'était le salon. Magnifique. Matthias regarda l'heure, et soupira.

« Aujourd'hui j'ouvre le magain, alors... mh. Je vais prendre une douche et je file. »

Pour payer le loyer, et car Matthias n'avait jamais connu que le père Épiphane, il avait trouvé un petit travail dans une librairie. Là bas il vendait de tout et de n'importe quoi à des gens fréquentables, ou pas. Il travaillait de huit à midi, et de quatorze à seize heures. Le soir il prenait son deuxième travail, qui était de faire de l'archivage, de vingt deux à une heure. Dormir? De toute façon Matthias n'y arrivait pas, et ça avait été toujours de son ressort ce genre de mission. Et ça, c'était juste pour les vacances. Quand Poudlard recommençait, il ne prenait plus que des jobs courts, de deux à trois, sur le Pré-au-Lard. Pour économiser. Pour ne pas tomber à sec, disons le. Qu'importe. Il regarda Keith, eut un sourire, et partit aussitôt à la douche.

Silence. Ce monde plein d'images était plein de silence aussi. Sorti de ses ténèbres, Keith se rendait maintenant compte que désormais il devrait voir les nuances de clair obscur encore mieux qu'autrefois. Les ombres sur le visage de son meilleur ami. Les silences qui planeraient sur ses lèvres. Keith pourtant s'abstint de soupirer. Si ce monde de lumière n'était pas parfait, il ferait au mieux pour que leur quotidien soit au moins agréable. Les examens approchaient à grand pas et le préfet ne doutait pas qu'ils réussiraient tous les deux et se retrouveraient ici finalement.

Chassant l'ombre de l'échec et de l'holocauste, Keith redécouvrait l'endroit où il avait vécu et où il avait fini par se sentir chez lui.

« J'ai fait avec les moyens du bord, mais tu sais, moi et la décoration... J'ai pas vraiment eut d'exemple, et ce que les moldus mettent dans leur magasine, ça vraiment trop... euh, vaniteux, je crois. »

Keith éclata de rire.

Keith - Ouais j'comprends. Je disais pas ça comme une critique, ça me plait.

Il n'aurait sans doute pas fait mieux. Il avait beau toujours crier haut et fort qu'il vomissait le Vatican par tous les pores de sa peau, il était marqué par l'éducation qu'il avait reçu là bas tout autant que Matthi. Il aimait les lignes de sobriété du plan de travail, la simplicité des choses, il n'y avait que l'énorme télé pour le surprendre. A la vérité, il remarquait aussi les fenêtres grandes ouvertes et ce qu'il se disait c'était que quand tout serait fini, cet endroit serait très lumineux.

« Tu aimes? … La seule chose qui m'a coûté cher, c'est la télé moldue et le canapé. Père Épiphane a dit que c'était de l'argent gaspillé inutilement, mais j'ai cru bon d'avoir autre chose qu'une vieille radio et les chaises du presbytère. »
Keith - C'est parfait t'inquiète pas. Et puis, quand on aura plus poudlard et qu'il nous restera que le boulot je suis sûr qu'on sera bien content de retrouver tout ça.

Les yeux clairs de Keith s'attardèrent sur le canapé où une couverture attendait. Il avait souvent entendu Matthias dormir là sans rien oser dire. Après tout, aveugle, il avait tellement été dépendant de son meilleur ami qu'il n'aurait jamais rien osé lui dire. Il ouvrit la bouche se retournant vers le blondinet qui déjà reprenait:

« Aujourd'hui j'ouvre le magain, alors... mh. Je vais prendre une douche et je file. »

Keith acquiesça et lui laissa le temps de disparaître dans la douche pour prendre le journal. Il ne fallait pas se leurrer, Keith avait horreur de rester oisif et maintenant qu'il pouvait repasser des entretiens sans être sûr de se faire refouler avant d'avoir passer la porte. Lui qui ne supportait pas l'échec avait du en essuyer plus que raisonnable en trois mois. Au final il avait du se contenter de "faire la lecture" aux enfants de l'église voisine. Il ne faisait bien sûr pas la lecture puisqu'il connaissait les textes par coeur à la ligne près. Il ne laisserait pas tomber cette activité mais il fallait qu'il se trouve un véritable travail, pas question de laisser Matthi assumer pour deux.
Il voulait faire quelque chose d'utile mais pas quelque chose de nuisible. Barman n'était donc pas envisageable. Il avait peur que l'éducation du Vatican ne le qualifie guère pour s'occuper d'enfants, ni d'animaux en cage d'ailleurs. En revanche, le British Museum cherchait un gardien. L'annonce paraissait dans la Gazette pour une seule et bonne raison, beaucoup de sorciers s'y rendaient incognito, et un sorcier était en outre beaucoup plus à même de passer les deux semaines d'essai que le musée demandait. Keith entoura donc cette annonce et celle de la bibliothèque. Une troisième annonce dans lequel on recherchait un cuisinier. Keith n'avait pas vraiment de talent en cuisine mais il entoura malgré tout. Il ne pouvait pas faire l'impasse sur quoique ce soit et puis, la cuisine ce ne devait pas être sorcier non?