Domaine Rocstone

[DOMAINE ROCSTONE]

Les limites du domaine Rocstone englobe un vaste territoire… Un territoire qui cache dans ses replis un territoire féérique… L’ambassadeur Walter Rocstone, assisté de sa noble épouse, est le maître du portail entre les mondes humain et féérique. Tout au long de sa courte vie humaine, il n’a eu que de rare occasion d’user de sa diplomatie… Le peuple fé est en paix…

Jusqu’à ce que je roi Corbeau décide que l'heure est venue pour lui de prendre son destin en main et de réclamer ses terres…

Ce matin-là ne différait pas des autres au Domaine Rocstone… Rien de perceptible aux sens humains… Et pourtant l’atmosphère vibre de magie libre… Comme si un courant d’air magique avait été amorcé par l’ouverture d’une porte. Une porte d’un genre bien particulier.

Surgissant du couvert des fougères, se frayant un chemin entre les troncs d’une boulaie, une nuée de corbeau silencieux passa alors que John Uskglass prenait pied dans ce monde-ci pour la première fois depuis des siècles. Blême, hirsute, tout habillé de noir, le mage avait l’air funeste… Il fit lentement un tour sur lui-même, analysant son environnement. Les sentiers de jadis s’étaient étiolés. L’air était plus léger, moins consistant… Il fit un premier pas…

Un message urgent se propagea dans le bruissement des feuilles au dehors, dans les vibrations du sol, aussi rapide qu’un battement de cœur. Une vibration fit tinter les verres de cristal de la table du déjeuner de Walter Roctone.

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Un jour incertain, pluvieux et brumeux se faisait sur le parc : 10h du matin dans le paisible Manoir Rocstone… Paisible? Pas tout à fait…

CRACK!

Samuelle souleva son menton de l’épaule de Lukas et jeta un regard à la ronde… Elle retira ses mains de son dos endoloris et les posa sur ses épaules pour le repousser et timidement s’écarter de lui… Se blottir dans ses bras? Allons, elle n’aurait jamais profité d’un moment pareil pour… « On est chez les Rocstones là? » s’étonna-t-elle. L’or de ses yeux plongea dans l’azur : « Comment t’as su que j’habitais ici?? » fit-elle suspicieusement...

On pouvait normalement transplanner au Domaine, soit au delà de la grille, soit dans le salon sans porte... Ou ailleurs si on en avait l'autorisation. Étant donné la nature urgente de la manoeuvre, ils s'étaient matérialisé sur le porche. Fidèle à elle-même, Berthe les accueillit avant qu'ils n'aient touché à la porte. Elle les scruta de pied en cas avec cette supériorité qui lui était propre et proposa: « Bonjour Mademoiselle Samuelle... Monsieur Lukas... Dois-je vous faire apporter des serviettes et une trousse de premier soin? »

Ses pieds vrillèrent sur le sol humide du porche des Rocstone. Le Chercheur de Sorts avait toujours un pincement au cœur lorsqu’il quittait sa ville natale – d’autant plus qu’il détestait l’Angleterre, mais cette fois il devait bien avouer qu’il faisait bon de changer de pays. La métisse était toujours dans le creux de ses bras puis s’en détacha. Leur regards restèrent néanmoins en contact pendant un moment.
L’azur vacilla. Lukas ouvrit la bouche une première fois mais aucun son n’en sortit. Sam habitait chez les Rocstone ? Comment était-ce possible. Il fallait dire que le Domaine était tellement grand qu’ils auraient bien pu ne jamais se croiser tout en y habitant tout les deux. Et puis Lukas avait passé tellement de temps au Ministère et à Ealdwic ces dernières semaines qu’il ne rentrait chez les Rocstone que pour retrouver le lit soigneusement préparé par la gouvernante.
- Non, je… J’habite chez les Rocstone… dit-il interloqué.
Berthe, la gouvernante justement, déjà sur le pas de la porte, les attendait.
- Non, ça ira, merci Berthe. reprit Lukas. Ces blessures nécessiteront des soins plus avancés ; et elles peuvent attendre.
Lukas fit une pause, déglutit difficilement puis reporta son regard sur la vieille femme.
- Berthe, y aurait-il une chance que Balto…
Il ne put terminer sa phrase. Sa gorge se serra bien que son visage restât impassible. Il savait, mais seulement en partie ; il espérait, néanmoins.

Dans le Bureau de Walter Rocstone

Bien calé dans le profond fauteuil, Walter Rocstone, les coudes posés sur les accoudoirs, les mains tenant un dossier, a l'air de celui qui est bien embêté par la situation mais qui ne pourra rien envisager de faire avant lundi dans trois semaines.

- J'ai pourtant une lettre officielle, Monsieur Daee, de votre Ministère de la Magie qui stipule que Mademoiselle Daee a un contrat avec le Ministère de la Magie de Londres. Et bien que sois responsable de Mademoiselle Daee, je ne peux en aucun cas le briser. Il faudrait pour ça le bris officiel de l'accord canadien et britannique, explique calmement Sir Rocstone en feuilletant le dossier de la dite Mademoiselle Daee. Il est donc impossible pour Mademoiselle Daee de vous suivre sur le champs. Mais je vais tout de même soumettre votre demande au Ministère. Mais je ne vous cacherai pas que le changement de Ministre et le remaniement ministérielle relègue ce genre de situation assez loin dans les priorités.

À l'entrée

Berthe restait d'un marbre un peu pointu. La trousse de premier soin était rarement refusée. Surtout qu'en effet, il faudrait un peu plus que la trousse. Une intervention de Madame serait plus que bienvenue.

- À votre guise, dit-elle, bien qu'elle ait l'intention de la leur fournir aussitôt qu'ils seraient entrés et confortablement installés... loin du bureau. Elle voulut prendre les manteaux, mais se ravisa. Mieux valait qu'ils en disposent eux-même. Malheureusement, Monsieur Lukas, Balto ne vous a pas attendu pour déjeuner. Je crois qu'il est encore à la cuisine. L'air de rien, bien qu'elle se doute de quelque chose, parce que Berthe est de ces personnes qui se doutent toujours de quelque chose, elle leur indique ce qu'elle propose de faire. Je vais vous monter un goûter dans vos chambres, à moins, mademoiselle Daee, que vous préfériez manger à la table de Monsieur Rocstone. Monsieur Pierre Daee est en entrevue avec lui dans le Bureau pour le moment, mais ils ne vont pas tarder à passer à table.

Dans la Roseraie

Judith Rocstone lève soudainement la tête et jette un coup d'oeil autour d'elle. Une biche flairant le chasseur n'aurait pas plus fière allure.

Pierre Daee avait l’arrogance des aînés… Il n’avait aucun scrupule à échanger des propos malhonnête avec Walter Rocstone… À mot couvert, le message passait… La menace aussi… Parce que si Pierre Daee souhaitait avoir l’appui de Monsieur Rocstone pour convaincre sa cœur cadette de rentrer au canada, il n’avait pas besoin d’énoncer spécifiquement le déplaisir que concevrait George Jinx Daee en apprenant l’accueil bien froid que le diplomate avait réservé à son fils.

« Allons, Monsieur Rocstone… Vous avez connu notre Samuelle dès son plus jeune âge! Elle est déraisonnable… Cet exil était une réaction exagérée! J’aimerais que vous m’aidiez à la convaincre de rentrer avec moi. » Il insistait comme un homme à qui on ne refuse rien. « Elle n’est pas d’ici… Tous les efforts que vous ferez pour l’aider à s’intégrer seront vain. L’Angleterre n’est pas son univers… C’est une Shaman… Pas une sorcière! » Il avait le calme et l’assurance d’un homme qui obtient ce qu’il désire. « Un contrat se rompt… Vous pouvez l’influencer… Vous êtes un grand homme, votre réputation n’est plus à faire… Vous avez de l’influence! » Une influence qui le laissait de marbre…

« Quelle coïncidence… Nous sommes tous deux des hôtes des Rocstones? » La métisse acheva de se séparer de l’étreinte de Lukas pour entrer dans le hall du manoir. La serviette sur la tête, s’essorant les cheveux énergiquement, Samuelle se figea. Elle fit volte-face, sa figure caramel étrangement pâle et alarmée : « Pierre? Pierre Daee? Mon frère est ici?? »

Elle n’attendit pas sa réponse. « Le salaud! » Devant l’évidence, elle jeta la serviette à la tête de la gouvernante qui l’attrapa d’un geste leste, et se dirigea droit vers le bureau de Monsieur Rocstone. Se cacher quelque part à l’étage? Pourquoi pas! Se serait effectivement plus sage pour Lucas…

Elle ouvrit la porte à la volée. Ce n’était pas vraiment nécessaire mais Samuelle, issue d’une très ancienne lignée de shaman, était une traditionnaliste. L’homme qui faisait face à Monsieur Rocstone ne broncha pas devant cette incursion. Parce que le lien qui unissent les cadets aux aînés leur permettent de se reconnaître. « Et justement, avec la situation politique actuelle, tout le monde comprendra qu’elle soit rentrée chez elle… Oh! Bonjour Samuelle! » fit-il avec une empathie particulière, comme s’il venait tout juste de réaliser qu’on lui masquait le soleil… Du coin de l’œil, il nota la présence de Lukas.

La métisse se fendit d’un sourire. Mue par une envie irrésistible d’en découdre, elle lui colla soudainement son poing sur la figure.

C’est un fait bien connu comme beaucoup d’autre fait bien connu qui prévalent sur le témoignage des sens; Samuelle était une jeune sorcière privée de ses pouvoirs. Paul l’avait dit. C’est pourquoi, le temps d’un battement de cils, le monde devient blanc comme au cœur d’une étoile. Tous les sens exacerbés de ceux qui furent témoin de l’altercation hurlèrent de concert… « ARGL! »

Un quart de seconde plus tard, Pierre Daee tenait sa sœur à la gorge, la soulevant presque du sol, fouillant les poches intérieures de sa veste de cuir, cherchant quelque chose. « J’avais dit que je ne te sacrifierais pas tout de suite, non? » siffla-t-il entre ses dents… D’un geste sec, il lui arracha quelque chose… Une pluie de petits cailloux dansèrent sur la riche moquette du bureau. « J’ai menti! »

Les menaces à peine voilées de Pierre Daee n'étaient pas ce qui plaisait le plus à Sir Rocstone. Il aimait bien les discussions animées, mais Pierre Daee avait effectivement raison. Ce n'était pas leur monde. Ici, Walter Rocstone était chez lui. C'était son monde. Et Samuelle Daee, bien qu'effectivement déraisonnable, était la bienvenue. Il n'y avait pas plus déraisonnable que les fées de toute façon. La diplomatie allait peut-être en prendre un coup, mais Walter était très raisonnable, lui.

Parce que suivre Samuelle était la meilleure chose à faire. C'est ce que se dit Berthe en grimpant l'escalier à la suite de Samuelle, tout en essayant de la rattraper. Elle aurait pu changer les murs de place, mais elle s'était dit que c'était pas la peine. Ça devait arriver un jour où l'autre.

Et le tout se déroula très rapidement, Walter n'eut pas le temps d'intervenir. De toute façon, il était trop vieux pour ces conneries et parce qu'il ne s'attendait pas vraiment à ce qui se produisit. Un flash blanc, aveuglant, et un étourdissement qui le fit chanceler tant qu'il dut s'appuyer contre son bureau pour reprendre un équilibre précaire.

Mais la menace d'un aîné envers sa cadette fut entendu. Assez près pour ressentir le choc sans en être assommé, mais assez loin pour que le teint de la cadette prenne une teinte légèrement violacée. Et puis il y eut un autre choc. Mais ce choc là n'avait rien de magique. C'était un choc de pure manifestation physique. Déraisonnable ? Oui, sans doute. Mais Harkaitz, s'il n'était pas vraiment raisonnable, avait au moins quelques principes. On n'étranglait pas une demoiselle. C'était quelque chose de si évident. On pouvait l'assommer si elle devenait dangereuse, mais on ne l'étranglait pas. Frère, père, oncle, ami, ennemi, voisin ou patron, on n'étranglait pas les demoiselles. Oui, bon, il y avait certains jeux qui... m'enfin, c'était pas bien. Non, pas bien. Autrement, Kaitz n'avait rien contre l'idée de foutre quelques coups à un crétin qui non seulement étranglait une demoiselle, mais en plus, c'était un étranger qui étranglait chez lui. Dans SA maison, SON Domaine, face à SON père. Samuelle Daee était une protégée de son père.

Une puissante onde de choc troubla l'atmosphère féérique...

Quelque part sur le territoire du Domaine Rocstone, le roi corbeau, perplexe de ne pas retrouver les sentiers féériques qui mènent à la porte de son royaume, tourna soudainement la tête dans la direction exacte du manoir.

Un choc magique d'une grande puissance avait détonné...

Il ferma les yeux et inspira lentement en pointant son visage dans cette direction. D'un même mouvement, il écarta les bras et sourit. Le monde avait changé... Mais il y a des parfums qui subsistent à travers le temps. L'air portait cet arrière-goût de métal en fusion propre au pouvoir...

Il fit un pas dans cette direction. Le premier qui le mènerait aux jardins du manoir... Là où il trouverait le maître des clefs qui ouvrirait la voie à ses armées.

Les oiseaux au noir plumage dans les arbres, silencieux, se laissèrent soudainement tomber de leurs branches et dans le fracas plumeux de milliers de battement d'ailes, percutèrent le manteau noir du roi pour y disparaitre.

Une chaleur revigorante parcourut Lukas lorsque Berthe lui signifia que Balto était déjà arrivé et se trouvait à présent dans la cuisine. Un sourire infaillible vint se greffer sur le visage du Chercheur de Sorts, se frayant un chemin entre les cicatrices. Un sourire qui subsista même lorsque Samuelle partit en trombe à la fois décidée et tourmentée. Lukas aurait bien voulu aller retrouver son chien dans la cuisine mais il avait un mal fou à se rappeler où celle-ci se trouvait. D’ordinaire c’était Balto lui-même qui lui indiquait le chemin dans le Domaine ; même lorsqu’il avait envie d’aller aux toilettes en pleine nuit.
Alors, après s’être appliquée à lancer lui aussi sa serviette à Berthe, il entreprit de suivre Samuelle tout en sifflant allègrement afin d’inciter Balto à le rejoindre. Il grimpa l’escalier quatre à quatre et trottina à la suite de Samuelle sans vraiment savoir où ni pourquoi il l’a suivait. Il entra finalement avec un air des plus guillerets à la suite de la métisse dans le bureau de Mr Rocstone qui était donc en entretien avec un certain Pierre Daee.
Sur le pas de la porte, Lukas fut rejoint par un Balto en pleine forme au port altier et à la queue démonstrative de sa joie de retrouver son maître. Lukas s’accroupit à la hauteur du beauceron pour le caresser sans modération. Balto, lui, se comportait tel un chien, un simple chien.
Lukas crut entendre une détonation à l’extérieur, mais son ouïe n’était pas aussi affûtée que celle de Balto qui, lui, arrêta immédiatement de bouger la queue et dressa ses oreilles sur sa tête. Lukas regarda le beauceron avec un air interrogateur avant de se retourner vers les autres protagonistes de la scène pour vérifier qu’ils avaient bien entendu l’explosion également. Le poing de Samuelle tombait sur la figure de son frère Pierre. Il y eut un flash étourdissant. Lukas, heureusement accroupi et déjà prêt du sol, chancela et porta son avant-bras devant ses yeux. Balto ne cilla pas.
Le Chercheur de Sorts se releva d’un bond lorsque Pierre agrippa Samuelle. Un grondement sommeillait dans le fond de la gorge de Balto. Harkaitz, sorti de nulle part, intervint. Le sourire du Chercheur de Sorts s’était définitivement évanoui ; son visage recouvrait l’air concentré qu’il avait coutume d’afficher. L’azur déferlait. Il n’avait pas porté sa main à sa baguette, en revanche elle était tendue devant lui, l’indexe pointé sur l’assaillant de Samuelle. Un snipper tenant en joue n’aurait adopté une pause différente. L’arme, elle, était inconnue. L’azur déferlait.

Pierre ne s’attendait certainement pas à ce que quelqu’un s’interpose…

Parce que le Domaine et le manoir sont par définition un territoire neutre, un refuge.

Il savait de quelle façon elle réagirait… Sa présence au domaine et surtout les propos qu’il tenait à Walter Rocstone. Nul besoin d’étudier sa réaction. Il était prêt! Il attendait juste qu’elle le frappe pour tout lui prendre, la voler, la délester de ce pouvoir qu’elle lui refusait. Il prit effectivement tout ce qu’il pouvait et le retourna contre elle. Parce que Pierre avait hérité du savoir-faire de son peuple; il ne lui manquait que le pouvoir. Samuelle avait frappé la première. Il avait le droit de riposter. C’était légitime. C’était lui l’aîné. Il avait le droit d’user de la force qu’il jugeait nécessaire pour la maîtriser. Parce qu’il connaissait sa force. Parce que même Walter Rocstone savait que tout ce qu’on racontait sur elle était bien en deçà de la réalité. Et parce que Pierre savait que Monsieur Rocstone était un homme raisonnable…

Mais les fées, elles, sont déraisonnables…

L’assaut d’Harkaitz était inattendu. Pierre lâcha sa petite sœur et projeta la fée sur sa cadette. Samuelle et Harkaitz s’écroulèrent au sol dans une joyeuse mêlée. La métisse en profita pour avaler une grande goulée l’air et redoubler d’agressivité. Pierre ne s’attendait pas à ce que quelqu’un s’interpose mais Samuelle non plus. Dans la confusion, cherchant à se défendre avec l’énergie du désespoir, Harkaitz reçu un coup sur le nez en diagonale qui lui meurtrit l’œil et l’envoya au tapis. Juste le temps nécessaire à Pierre pour brandir une pierre et s’élancer pour l’abattre sur le crâne de la métisse.

C’était une pierre sédimentaire. Un alluvion provenant du lit d’une rivière. Elle se logeait parfaitement dans sa main, avec juste la courbure nécessaire pour y accueillir chaque phalange… Ce n’était pas une pierre, c’était une arme meurtrière. L’ainé souleva Samuelle par le devant de sa veste de cuir et son bras décrivit un large arc de cercle pour s’immobiliser au point le plus élevé de sa courbe.

Parce que c’est à ce moment-là que Pierre remarqua l’attitude de Lukas. Il prit la menace suffisamment au sérieux pour hésiter. Son regard sombre, curieusement mordoré, alterna entre le sorcier et le chien. « J’en ai le droit! » se justifia-t-il. Parce que l’absence de baguette, chez un peuple de la magie sauvage, n’était pas synonyme de sans danger. Bien au contraire… « Selon nos rites, elle a trahit son clan! Je peux légitimement lui prendre ses pierres personnelles! » L’informa-t-il avec toute la conviction de son bon droit. Samuelle eut un rire sardonique. La situation l’amusait dans la mesure où c’était Lukas qui la protégeait… Les pierres de la loge ne lui avaient laissé que peu de doute sur la nature du sorcier. L’histoire prenait un court étonnant! « Je ne fais pas partie de ton clan! Je n’ai jamais terminé les rites de passages! » martela la métisse avec bravoure.

La vérité était une chose particulièrement déroutante au sortir de sa bouche. On n’avait pas l’habitude de l’entendre et pourtant on savait reconnaître l’absence de mensonge. Elle avait triché. Parce que Samuelle était une tricheuse. Une tricheuse honnête!

Lentement, Pierre Daee rangea son arme dans la poche de son manteau. Il laissa tomber Samuelle et se releva dignement. « Monsieur Rocstone, je transmettrai votre amitié à notre père… » Il rectifia sa mise comme s’il ne s’était rien passé. « Harkaitz? Heureux de te savoir en bonne santé… » commenta-t-il, sarcastique… « Et vous Monsieur? Monsieur qui? » fit-il comme s’efforçant de se souvenir alors qu’il n’avait jamais su. « Oh peu importe… » Il eut un geste négligent en passant près de lui pour gagner l’escalier. « Pas la peine de se présenter. Votre espérance de vie est part trop limité maintenant que vous avez pris le parti de mon adorable sœur… »

Samuelle attendit un moment, le temps que le son de ses pas se soit éloigné, puis roula sur le flanc au milieu de tous les petits cailloux et s’autorisa un gémissement de douleur. « Je crois que je me suis pétée la main! »

L’indexe de Lukas suivit Pierre alors que ce dernier quittait les lieux. Le Chercheur de Sorts se tenait droit avec l’aplomb de quelqu’un qui maîtrisait parfaitement la situation ou tout du mois qui serait amplement à même de la maîtriser eût-elle tourné au vinaigre.
*Maître Lukas n’a pas la moindre idée de ce qu’il aurait fait avec cet indexe pointé, n’est-ce pas ?* Un léger sourire en coin passa sur le visage du maître devant la perspicacité du chien. *Pas la moindre Balto.* *Maître Lukas a pourtant récupéré ses recherches.* *J’ai besoin que ce soit toi qui les portes Balto. Dans mon esprit, elles sont un danger. Je n’oserai en faire usage.*

- Il semblerait que beaucoup trop de monde ne porte un intérêt particulier à mon espérance de vie ces derniers temps, dit Lukas, railleur.

Autriche, Vienne, Collège des Magiciens, au même moment.

La Loge de Lukas avait été ouverte. Mr Ustaz fouillait de fond en comble la petite pièce qui sentait le renfermé. Il y avait une rapidité alarmante dans ses gestes. A intervalle régulier il jetait un coup d’œil du côté de la porte qu’il avait délibérément laissée ouverte ; par peur qu’il ne déclanche un autre enchantement de protection qui l’emmurait à jamais en ces lieux. Son bras droit était noirci, sa peau s’apparentant à du charbon, et il n’y avait plus un seul cheveu à l’horizon de son crâne.
- Karl… Karl… Karl… dit une voix derrière lui.
Le Patriarche se retourna d’un bond et fit face à ses trois collègues flanqués dans embrasure de la porte.
- Comme il est gentil de ta part de nous avoir donné accès à la loge de ton fils.
- Il semblerait néanmoins qu’il lui en ait coûté…
- Tu devrais te retirer Karl, tu as besoin de soins de toute urgence…
- Mais avant cela nous avons quelques questions…
Karl Ustaz se releva de tout son long. Même ravagé par de puissants sortilèges de protection il gardait une classe et un charisme indéniable.
- J’ai déjà répondu à toutes vos questions, répondit-il avec assurance. Je n’ai rien de plus à ajouter.
- Que fais-tu dans la Loge de ton fils Karl ?
- Essayerais-tu de te débarrasser de certaines preuves accablantes ?
Les trois Patriarches passèrent le pas de la porte et commencèrent à fouiller les lieux. BOUM ! Ils furent tous les trois éjectés hors de la pièce. Karl Ustaz tenait sa baguette pointée vers eux ; elle crépitait encore.
- Il est grand temps que les choses changent à Vienne. dit-il en laissant tomber sa baguette au sol.
Un des trois Patriarches, le visage emprunt d’une rage folle, ne prit même pas le temps de se relever pour pointer sa baguette sur Karl Ustaz.
- AVADA KEDAVRA ! s’écria-t-il.
- NOOON !! hurla un autre en tentant d’abaisser la baguette du précédent.
Le sort de mort frappa de plein fouet le vieil homme qui s’écroula avec un petit sourire agrémentant l'air satisfait de son visage. Son corps s’écroula sur le sol dans un bruit sourd. Pendant un moment il régna un silence pesant au cours du quel les Patriarches restèrent pantois.
- Pauvre fou ! Réalises-tu ce que tu viens de faire ?! dit le Patriarche qui avait crié son opposition quelques secondes plus tôt. Il alla aussitôt retrouver le corps d'Ustaz afin de constater sa mort.
- Tu viens de nommer Lukas Ustaz... Patriarche de Vienne… dit l’autre avec un air à la fois ébahi et terrifié.Suivant le principe d’hérédité… Lukas Ustaz est à présent… Grand Patriarche de Vienne…

Angleterre, Écosse, Domaine Rocstone, au même moment.

Lukas alla aider Samuelle à se relever.
- Et moi qui pensait que ma famille était bizarre… dit-il avec un air goguenard. Balto, heureux de retrouver Samuelle, alla se frotter allègrement à elle ; comme le ferait n'importe quel chien.
Puis le Chercheur de Sorts s’approcha d’Harkaitz dont le nez semblait particulièrement mal en point.
- Surtout ne la laisse pas te prodiguer des soins. lui murmura-t-il avec insistance.

Walter Rocstone reprit place dans son fauteuil, encore un peu étourdit. Étrangement ou peut-être parce qu'il était justement trop étourdit, il n'avait pas semblé avoir peur que le pire se produise. Walter Rocstone était raisonnable. C'était pourtant le gros bon sens. Le Domaine était un endroit d'une pure neutralité, un refuge. On n'assassinait personne chez lui. On ne tuait personne chez lui. On ne vengeait personne non plus chez lui. Et surtout, on ne sacrifiait personne au nom de coutumes, d'idéaux ou autre, chez lui. Il faudrait qu'il pense à le rappeler aux visiteurs... il le rappellerait peut-être aussi au bon souvenir de George Jinx Daee. Le père de Samuelle ayant lui-même profité de cette règle, pour lui-même ou pour d'autres, Walter se demanda si vraiment il avait oublié ou si son fils avait-il outrepassé ses limites par lui-même. Oui, peut-être Pierre Daee en avait-il le droit, mais pas au Domaine Rocstone.

Harkaitz n'avait pas laissé le coup le tenir longtemps à l'écart. Probablement l'adrénaline lui avait-il fournit un délais pour la monté douloureuse qu'il éprouvait maintenant une fois Pierre Daee sorti de la pièce.

- On ne peut mieux, avait-il répondu à Pierre Daee en s'essuyant le nez d'un geste parfaitement naturel, bien que naturellement, la bonne éducation d'Harkaitz l'aurait empêché de s'essuyer le nez du revers de la manche comme ça.

Mais maintenant que le métisse était sorti. Harkaitz s'était laissé choir sur le sol et se tenait le nez à deux mains, les yeux mi-clos, attendant que la douleur s'estompe un peu. Le commentaire de Lukas et la plainte de Samuelle le fit grimacer un sourire.

- En aucun cas. Ma mère a des doigts de fée, dit-t-il d'une voix caverneuse due à ses mains toujours sur son nez et sa bouche. Il se tourne vers Samuelle et la dévisage quelques secondes. Elle semble se désoler de l'état de sa main. Ok, Samuelle, c'est quoi la partie que t'as pas compris dans l'idée qu'on ne tape pas sur les secours ?

Oh, il ne lui en voulait pas, c'était juste une question pour éviter que ça se reproduise encore.

Samuelle se laissa débarbouiller par le chien sans essayer d’échapper à ses coups de langue… Elle avait eu si peur de lui au début… Au début… Quelques heures plus tôt… Autant ne pas trop s’attarder sur l’acertation que Balto était en vérité une partie de Lukas. Samuelle se laissa rassoir par le sorcier tout en se demandant ce qu’il penserait maintenant de ce ‘nous’ qu’il évoquait tout le temps. « Ravie que ta future belle famille te plaise, Lukas… »fit-elle, sarcastique. De son bras valide, elle entoura le cou de l’animal pour le retenir près d’elle. Elle semblait y trouver un certain réconfort, l’oreille collée contre le poitrail de Balto, la métisse tremblait de peur. « C’était mon frère aîné, celui ai a hérité de tous les dons de ma lignée… Sauf du pouvoir… Parce que c’est moi, la cadette, qui a le pouvoir… » Elle porta la main à son cou, déglutissant péniblement. « Sans moi, sans le pouvoir, il ne peut pas se servir de ses dons… » Une façon judicieuse d’équilibrer les choses… « Et si je meurs, c’est notre frère puîné qui deviendra sa source »

« Je crains, Walter, que vous n’en ayez pas fini avec lui… Pierre est mauvais perdant… Il croit toujours que la défaite est un inconvénient qui n’arrive qu’aux autres… Oh! » commenta-t-elle en apercevant Harkaitz. « Tu t’es fait mal? » La réaction de la métisse donnait une toute nouvelle dimension à l’adjectif ‘inconsciente’. Elle regarda autour d’elle d’un air désolée. Sur le tapis, sa vie s’étalait en une poignée de petits cailloux. Chacun d’eux avaient la taille d’une bille. Ils étaient de composition diverse… Multicolore Sédimentaire, igné, métamorphique… Ils avaient tous une forme arrondis ou sub-arrondis… Un peu comme le gravier grossier d’un esker. Et Samuelle les comptait et recomptait fébrilement. « Il m’en manque une… » s’étonna-t-elle soudain. « Il a prit l’une de mes pierres personnelles! »

Et d’un bon elle acheva de se relever pour se lancer à la poursuite du voleur…

Lorsqu’il eut croisé la grille, Pierre Daee s’arrêta sur le seuil du domaine Rocstone. Il eut un sourire fourbe, satisfait, tirant de sa poche, entre ses doigts, un caillou pas plus gros qu’un pois. Il le fit rouler entre son pouce et son index, l’élevant pour mieux l’admirer à la lumière du jour. CRACK!

John Uskglass franchit la limite des arbres et se dirigea directement sur le manoir… Sans une hésitation. Sans prendre la peine de saluer cette fée qui se trouvait dans la roseraie. Comme s’il était le maître des lieux. Il s’immobilisa néanmoins pour lui poser une question.

Parce que le roi corbeau était présent dans sa mémoire et dans son cœur. Parce que sa loi était la sienne, la leur…

« On a laissé les routes des fées à l’abandon, on a négligé les portes et les frontières se sont étiolées. Et pourtant quelqu’un a commandé la Pierre et ce n’était pas moi… Qui a osé? Qui est-ce?? »

Lukas manqua de s’étouffer avec sa propre salive. Il vrilla sur lui-même pour faire face à Samuelle qui venait de répondre à sa propre réflexion. Immédiatement, il rougit lorsqu’il se rendit compte qu’il était passé complètement à côté du sarcasme. Un sourire maladroitement affiché vint se glisser sur le visage de chérubin du Chercheur de Sorts. Encore troublé par sa méprise, il ne comprit pas un traître mot de l’histoire de Samuelle au sujet du pouvoir, de celui qui le détient et de celui qui a les dons mais qui n’a pas le pouvoir et du coup il y a la source du frère cadet… Pas un traître mot !
Lorsque Samuelle se mit à compter ses cailloux éparpillés sur le sol du bureau de Rocstone père, Lukas, lui, s’était approché du fils. Tandis que Balto sentait les cailloux tout en prenant bien soin de ne pas les effleurer du bout de sa truffe. Il finit par éternuer et s’en écarter avec un dégoût apparent, après avoir répandu sur les pierres une quantité non négligeable de mucus nasal.
Lukas eut à peine le temps de se retourner lorsque la métisse cria au vol et décampa aussi sec. Pendant un moment il resta immobile avant de croiser le regard de Balto qui le capta immédiatement et s’élança à la poursuite de la métisse.
- J’suis pas expert niveau cailloux, mais j’suppose que lui en trouver un autre, le laver un peu et le lui donner dans une jolie p’tite boite bien emballée fera pas l’affaire… dit Lukas en se plantant au-dessus du tas de pierres éparpillées.
Puis il chercha quelque chose autour de lui avant de poser les yeux sur un journal qui se trouvait sur le bureau de Monsieur Rocstone.
- Permettez Walter, j’vous emprunte ce journal ! dit-il en attrapant la Gazette du Sorcier.
Lukas ne comprenait rien à ces histoires de cailloux mais il n’était pas dénué de bon sens et le peu qu’il connaissait de Sam – si tant est que l’on puisse le caractériser de ‘peu’ – lui conseillait fortement de prendre ses précautions : il racla le sol avec le journal et enferma toutes les pierres dans celui-ci sans jamais les toucher.
- Allez Harkaitz, cours ! dit-il finalement en bondissant hors de la pièce.
Il rentra dans Berthe sans modération et répandit une nouvelle fois les cailloux sur le sol. Le seul domaine dans lequel Lukas n’était pas maladroit était l’exécution de sortilège ; fort heureusement Samuelle s’était occupée de cette dernière once de dextérité en annihilant la main de baguette du Chercheur de Sorts.
- Verdammte Scheiß e ! jura-t-il en ramassant les cailloux une seconde fois. Désolé Berthe ! Et si jamais j’en ai oublié un, je pense qu’il serait particulièrement inapproprié de le balancer où que ce soit… Surtout pas dans une allée de galets du Domaine ! Merci Berthe !
Il reprit sa course en portant les cailloux enveloppés dans le papier journal aussi loin possible devant lui, comme pour les éloigner de sa maladresse; ou comme s'il portait une bombe à retardement; ou quelque chose qui le dégoûtait plus que tout; ou un nouveau-né avec la gêne des hommes qui n'ont jamais eu affaire avec ce spécimen du genre humain.

Au même moment, dehors, Balto avait rejoint Samuelle qui courait comme si tous les démons de l’enfer étaient à ses trousses. Il commença par bondir derrière elle puis devant elle et enfin autour d’elle pour la couper dans son élan et ralentir sa course. Puis il se planta définitivement devant elle, prêt à l’empêcher par sa seule imposante carrure d’aller plus loin. Il ne pouvait pas parler, c’était la règle imposée par son maître : chez les Rocstone Balto était un chien, rien qu’un chien.

- Saaam ! s’écria Lukas qui les rejoignit sans tarder avec les pierres de la métisse enveloppées dans le papier journal.
Le sorcier viennois se planta également devant la sorcière.
- Je ne comprends pas tout ce qui se passe, mais je suppose que c’est ce qu’il veut, dit-il avant de préciser. ... que tu le suives.
Il tendit le paquet de pierres à Sam puis la regarda avec insistance. L'azur enveloppait l'or.
- Tu m’as aidé à récupérer ce dont j’avais besoin à Vienne, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour récupérer ton cailloux. On trouvera un moyen.

Balto se mit à grogner tout en cherchant des yeux vers où il devait diriger son grognement. Une chose était sûre, quelque chose dans le Domaine lui donnait raison de grogner. Alors il grognait.

C’était une pierre personnelle… Les pierres personnelles sont les plus puissantes. Ce sont celles qui sont imprégnées d’une petite part du pouvoir personnel de leur créateur… Ce n’était pas qu’un vol, c’était un viol, une agression, un outrage et une insulte… Pierre n’avait pas d’intérêt pour sa cadette. Il n’en avait jamais eu. Ce qu’il était venu chercher, c’était les pierres personnelles de Samuelle… Parce que posséder l’une, c’était asservir l’autre…

Samuelle s’immobilisa devant Balto. Elle n’avait pas l’air ouverte à la conversation, pas du tout. « Balto, enlève-toi de mon chemin! » Ordonna-t-elle d’un ton impérieux. Il allait faire quoi si elle poursuivait sa route, la mordre? « ARGL! » Il en était capable… Lukas en était capable et Balto c’était Lukas… Il l’avait poussée du haut de la voûte… Elle essaya de feinter l’animal mais ses réflexes étaient trop aiguisés pour elle, achevant de la frustrer. « Balto… » gronda-t-elle d’une voix menaçante au moment où son maître rappliquait juste à point pour la délivrer.

L’air farouche, elle empocha les cailloux et les glissa un à un dans les poches de son jeans de sa main valide. Elle le laissa parler, se murant dans un silence authentique tout en le toisant de son regard doré. Lorsqu’il eut fini sa déclaration, sans même lui répondre, elle lui tourna le dos pour rentrer au manoir…

Sa main l’élançait terriblement. Il était trop tard de toute façon…

Elle fit trois pas, s’arrêta, fit volte-face et revint vers lui un doigt vindicatif brandi entre eux. La colère flamboyait dans ses yeux d’or mais elle se retrancha malgré tout dans son mutisme. Non, elle allait regretter ce qu’elle allait dire. Trois pas supplémentaires vers le manoir. Elle avait choisi de le suivre à Vienne et elle savait qu’il avait déjà tué quelqu’un. « Non, pas ce genre d’élève…» avait-il assuré Margaret. Et la cicatrice qui lui balafrait la figure hérité d’un cobaye qui s’était rebellé. Elle refit volte-face et revint à sa rencontre se planter devant lui. Elle fit ostensiblement un tour d’horizon histoire de vérifier qu’ils étaient bien seuls, et lui résuma son état d’esprit :

« Tout ce qui est en ton pouvoir? » répéta-t-elle parce qu’une mise au point s’imposait. « Tout? » souleva-t-elle encore. Ses yeux d’or flamboyaient de révolte et de colère. « Ton père et ta grand-mère ont été désolé de me voir te suivre… » Mais ils ignoraient ce qu’elle lui avait fait… Elle ne parla pas de la mise en garde. « T’as tué des gens… Beaucoup de gens! Des enfants aussi! Pour tes travaux, pour tes recherches… Tu les as sacrifiés! Parce que tu vises à limiter la magie des autres… Les contrôler. Alors tu peux m’expliquer pourquoi tu veux m’aider à gagner mon indépendance de cette raclure! » vociféra-t-elle en crescendo et en pointant de la main la grille où avait transplanné Pierre Daee. « Tout ce qui est en ton pouvoir? Pourquoi? Pour m’asservir d’une autre façon? » Elle le lui avait dit, elle n’accepterait aucune entrave qu’elle n’a elle-même choisies. Pas même de la reconnaissance. Il ignorait ce qu’elle était mais elle était sauvage et il avait bien mal formulé ses vœux…

Soudainement elle tendit une main caramel vers sa nuque et l’attira à elle. Tergiverser? Naaaan pas son genre. Et ce baiser-là n’était pas du même genre que le premier. Indécent, incendiaire, un baiser plein de promesse du genre qui ne se fait pas en publique. « Ça c’est pour le ‘nous’ que t’arrêtes pas d’évoquer… » Et en guise de ponctuation, elle lui planta brutalement son poing dans l’estomac dans un puissant coup vicieux. « Et ça c’est pour le reste! J’mange pas de ce pain-là! » hurla-t-elle avec toute la puissance de sa déconvenue.

Ces choses étant dites, elle le planta là, tout à sa douleurs et reprit son chemin vers le manoir. Trois pas supplémentaires. Elle s’arrêta encore une dernière fois. « Et en plus, t’es un putain de premier de classe, un fils à papa et un aristo! Elles vont jusqu’où tes foutues illusions? » comme si de tous ses crimes, avoir été un Liseur du collège de Vienne eut été le pire. Encore deux pas : « Et ton pouvoir, j'te rappèle que c’est moi qui l’a! » Elle se retourna encore une fois dans une vrille et changea encore une fois d’idée. Elle revint sur ses pas de trois longues enjambées. « Et merci de l’avoir empêché de me tuer! » ajouta-t-elle avec une courbette ironique.

Lukas ne détourna pas son regard un seul instant de celui de la métisse. Elle plongeait sa main dans le papier journal qu’il tenait gauchement et y puisait ses cailloux avec la bougonnerie d’un enfant de dix ans récupérant ses billes après avoir perdu la partie. Lukas entrevoyait l’importance de ces pierres sans pour autant y prêter plus attention. Il supposait qu’elles avaient un rapport avec cette histoire de pouvoir familiale. Samuelle ne lui avait jamais proprement expliqué de quoi il en retournait ; et peut être ne le ferait elle jamais. Cependant le Chercheur de Sorts ne manquait pas de reconstituer petit à petit et en toute minutie le puzzle qu’était Samuelle Daee. Son pouvoir, ses cailloux, son histoire, ses forces et ses faiblesses. C’était un puzzle sacrément caractérisé par des trous béants mais le tout était de ne perdre aucune pièce ; de n’en laisser échapper aucune, à aucun moment, en aucune circonstance et, surtout, sous aucun prétexte.
Et puis la bougonnerie s’embrasa en une fureur flamboyante. D’abord sujette à une certaine indécision, Samuelle finit par se planter devant Lukas avec un aplomb des plus affirmés. Si l’aide apparente que le sorcier venait d’apporter à la métisse eut été une balle de base-ball, Samuelle venait de la taper hors du terrain de jeu. Les sourcils froncèrent et l’azur prit la teinte sombre d'un ciel annonciateur de tempête. Il resta silencieux. La cicatrice qui partait du haut de sa joue et descendait se perdre dans son cou semblait plus évidente que jamais, comme luisante de colère. Samuelle savait des choses mais se fourvoyait dans des conclusions qui n’avaient aucun sens pour Lukas. Dans sa quête ultime pour achever l’enchantement d’inhibition, il n’y avait pas la notion de « l’autre ». Lukas n’était pas mu par le pouvoir et cette volonté de contrôler les gens que Samuelle lui imputait était stérile dans le schéma de pensée du sorcier. Lukas voulait arriver à son but de la même manière qu’un peintre voudrait achever une toile. Ce que le monde ferait de cette toile, peu lui importait. Ce que lui en ferait ? Que fait un peintre une fois son œuvre achevée ?
Et puis elle l’embrassa. Il fronça les sourcils, sans plus. Et puis elle le frappa en plein ventre. Il fléchit des jambes, toussa à plusieurs reprises avant de se laisser tomber à genoux. Balto aboya un coup sec mais puissant qui résonna en écho dans tout le Domaine.
La métisse repartit vers le Manoir Rocstone mais se ravisa au dernier moment et reprit la parole par trois fois. A ce moment là Lukas, toujours genoux au sol, ne releva même pas son regard vers la sorcière. Il sourit intérieurement néanmoins. Trois faits énoncés, trois erreurs. Les illusions resplendissaient. Et pourtant Lukas l’avait averti. Il lui avait indiqué la sortie de secours. Il lui avait dit La seule personne en qui tu peux faire confiance Sam, c’est Balto.
- Pourquoi vouloir la protéger Maître ? Maître Lukas savait qu’elle refuserait, demanda Balto à voix basse en léchant l’oreille de son maître.
- Parce qu’elle est la clef, répondit Lukas dans un murmure presque inaudible, les dents serrées.
Balto parut effrayé, une frayeur humaine, pas celle d’un chien qui plaque sa queue entre ses jambes et se ratatine sur son arrière-train. Non, c’était la frayeur d’un homme réalisant une chose qu’il n’avait pas vu venir. Car Balto n’était pas qu’une simple partie de Lukas, il était celle qui détenait toute son humanité. Une partie que Lukas avait délibérément cédée. Car le jour où il se lança dans ses recherches, il sut immédiatement que de l’humanité, il ne pouvait pas se permettre d’en avoir. Et aujourd'hui, à ce moment même, cette partie - la bonne - se rendit compte que l’autre avait des projets bien plus sombres qu’elle n’aurait pu l’imaginer…

Lukas releva lentement la tête vers Samuelle. A peine eut-il terminé son geste qu’il se trouvait debout derrière la métisse comme s’il avait été porté par un courant d’air.
- La plus grosse erreur que tu pourrais faire Sam, commença-t-il avec un sourire compatissant. Ce serait de me considérer comme un tueur sanguinaire assoiffé de pouvoir. Je ne suis qu’un petit garnement hyper sérieux, affreusement gauche et tellement angoissé que je ne comprends pas comment les gens font pour rester dans la même pièce que moi. Moi, je sais que je ne pourrais pas me supporter. Si tu as peur de ce « nous » Sam, tu n’as qu’à dire un mot et je le romprai en un « toi et moi ».

Si tu as peur. Il jouait. Lorsque Samuelle lui fit de nouveau face, il rapprocha à son tour ses lèvres des siennes. Elle pouvait sentir son souffle chaud et entendre son cœur battre. Finalement ses lèvres ne touchèrent jamais celles de la métisse. Un autre courant d’air et Lukas se trouvait sur le perron ; un sourire franc en travers de sa tête de chérubin.
- A la douche Balto, dit-il simplement.

Le beauceron rejoint son maître sans croiser le regard de Samuelle. Puis ils montèrent dans leur chambre du manoir.

Il jouait à lui faire peur… Et ça marchait! Il y avait de quoi avoir peur! Elle ne le connaissait que depuis quelques heures. Elle ne pouvait pas comprendre ses motivations. Elle se perdait dans ses illusions. Samuelle le confrontait parce quelle voulait être rassuré... Parce qu’elle cherchait la vérité. Parce que ce que les pierres de la loge lui avait révélé était une bien plus néfaste que de la simple magie noire… Il y avait de la détermination. De l’ambition. Il avait tant sacrifié dans la poursuite de ses recherches. Il y avait du sang, beaucoup de sang... Lukas n’avait pas prit la peine de la détromper. Il ne lui apporta pas de réponse.

Tout lui hurlait de mettre le plus de distance possible entre eux et de ne jamais chercher à le revoir…

C’est pourquoi juste avant de refermer la porte derrière Balto, Lucas l’entendit répondre à son défi : « Même pas peur! Si tu crois m’impressionner avec tes déclarations théâtrales! »

Samuelle Daee, n’admettrait jamais une chose pareille… Et puis elle n’avait pas peur, elle était en colère… se persuada-t-elle. Oh l’odieux personnage! Il était d’ailleurs hors de question qu’elle emprunte la même porte! Ça aurait pu donner l’impression qu’elle voulait le rattraper. Il n’aurait pas cette satisfaction. Nous? Quel nous? Nous n’aurait jamais du exister. Nous n’existait pas.

Aussi Samuelle contourna-t-elle la maison pour passer par la porte des jardins…

Il avait prit le temps de remettre son père sur pied, parce que c'était la première chose à faire. Walter devait toujours être sur pied. C'est sur lui que reposait tout. Enfin, tout l'Univers d'Harkaitz. Il lui avait apporté un verre de lait et des biscuits et Walter avait décrété qu'Harkaitz devait quand même rattraper Mademoiselle Samuelle. Oui, Lukas s'était jeté à sa poursuite, mais Walter estimait qu'il avait des responsabilités et que comme il n'était pas en état de les prendre pour le moment, Harkaitz était tout à fait apte à le faire à sa place. Le fils Rocstone délaisse donc son père pour retrouver cette Samuelle Daee qui n'avait aucune notion de secours. Il arrivant à la porte principal quand il vit entrer Lukas et qu'il entendit une voit étouffé par les murs. Il ouvrit la porte, constata qu'elle prenait un autre chemin et fit demi tour. Il fallait bien qu'elle fasse quelque chose pour sa main. I l'attendit appuyé contre la porte, agitant un bandage. Quand elle posa les yeux sur lui, il changea son air patient en un sourire radieux, rendu un peu raide par son nez douloureux. Déjà sa pommette bleuissait, son nez était rouge, mais malgré le sang sur son t-shirt, il semblait en plutôt bon état.

- Si vous promettez de ne pas me taper dessus, je veux bien bander votre main. Il n'y avait rien de plus à ajouter. Ou presque. Je peux vous offrir des biscuits ?

Un peu plus loin, dans le jardin, Judith faisait face au Roi Corbeau. Oh oui, elle l'avait vu approcher. Elle l'avait vu de loin. On n'oubliait pas quelqu'un comme le Roi Corbeau. Personne ne pouvait oublier non plus John Ugklass. Heureusement, nombre de gens qui avaient connu John Ugklass étaient mort maintenant. Il ne restait que de rares individus à l'avoir déjà vu. Tellement rare que plus personne ne prononçait son nom. Et ses récriminations étaient tout à fait vrai. Personne n,avait entretenu les sentiers. Du moins pas la plupart des sentiers. On n'avait barricadés certaines portes, on avaient cachées certaines clés et tout ça pour de très bonnes raisons.

- Vous n'avez ni raison, ni tort, dit librement Judith, parce que les fées parlent toujours librement. Rien n'a été abandonné. Rien n'a été négligé. Les frontières ne sont pas étiolées, elles sont protégées. Je ne sais pas qui a commandé la Pierre. Nous n'avons pas commandé la Pierre. Judith sourit, parce que c'est de convenance de sourire. Vous avez fait si long voyage pour si peu ?

Les Fées sont ce quelles sont.

Les Fées sont ce quelles sont.

Judith. Elle s’appelait Judith… Et L’ambassadeur lui avait donné son nom ridicule en l’épousant. Rocstone n’avait pourtant rien de remarquable… Mais les fées sont ce qu’elles sont… Il écouta d’une oreille distraite ses justifications mais son regard se porta largement au dessus de son épaule et un peu à droite.

Quelqu’un venait d’apparaître à la porte du manoir… Rapidement rejoint par une autre.

De ce point de vue, rien ne semblait avoir été négligé, effectivement. « Il n’est pas de ce monde-ci… » réfléchit-il à haute voix. Son regard tout noir se porta sur la fée. « Vous avez adopté leurs mœurs… » Rien n’avait été laissé au hasard… Il lui ressemblait en tout point. « Il est de votre sang… » Leur mœurs, leur insolence, leur mode de pensée tortueux et « Un fils? » Il rit. Elle avait été choisie pour protéger les intérêts du peuple fée de ce côté-ci de la frontière… Quelque part, le roi corbeau sentit qu’il avait été trompé. Peut-être pas trahit, mais le doute était permit… Et parce que les fées sont ce qu’elles sont… « Félicitation, Judith… Peut-être un peu en retard? Je n’ai pas été invité pour l’heureux événement? »

Le roi corbeau n’était pas reconnu pour sa tempérance. Il écarta brusquement les bras et la chape qu’il portait prit vie. Une nuée de millier d’oiseaux noirs les enveloppèrent en un instant, lui fouettant le visage de leurs ailles, et se dispersèrent, ne laissant que John Uskglass dans la roserais. Quelques volatils bondissaient encore de buisson en buisson avant de plonger sur le manteau du roi et de s’y fondre.

L’air affable, le petit homme s’approcha du couple formé par Harkaitz et Samuelle d’un pas conquérant. « La nouvelle génération! » Les bénit-il à sa manière, posant sur l’épaule de chacun d’eux une large main possessive. « Alors, dites-moi, qui a commandé la pierre? » demanda-t-il d’un air de connivence… Mais le ton de sa voix… Le ton de sa voix en était un de commandement.

Samuelle, toute à sa fureur, n’aperçu Harkaitz qu’au moment où il s’adressa à elle. Peut-on réellement résister à qqn qui vous offre des biscuits? Elle lui sourit et tendit sa main vers lui exactement comme si elle se proposait de conclure un pacte par une poignée de main. « Je ne frappe les gens que lors des deux premières rencontres… » fit-elle sarcastique. Oh des bandages n’allaient certainement pas la soulager… Mais un acte de bonne foi semblait nécessaire. Docilement, elle se laissa faire, les yeux fixés non pas sur sa main mais sur l’expression de son sauveur. Il rayonnait. Il rayonnait vraiment…

De l’index de sa main libre, elle lui fit redresser la tête d’une douce pression sous le menton. Samuelle examina Rocstone-fils. « Ça, c’est une splendeur… » ricana-t-elle. Elle se lécha les doigts, les frotta l’un contre l’autre, et humidifia délicatement l’œil au beurre-noir de son sauveur. Elle lui sourit et il eu l’impression de littéralement sentir l’hématome se résorber. « Bave de crapaud! » le mystifia-t-elle avec bonne humeur.

Parce qu’elle était aussi capable de prodige… « Le sang est minéral… » expliqua-t-elle parce que Harkaitz savaient tout de la magie Daee. Tout ce qui était officiel. « Enfin, chez certaines personnes plus que d’autres… Mais chez la plupart des gens y a des minéraux, des métaux… » Elle se tue. « Si je pouvais user de mon pouvoir, un os fracturé, calcaire, serait l’affaire de rien… » Si… On referait le monde avec des Si… Elle, elle le referait si elle en avait la possibilité. Parce qu’elle en avait le pouvoir.

Et John Uskglass vint s’interposer…

Samuelle le toisa comme le premier des indigents. Baissant la fournaise de ses yeux jaunes sur la main du roi féerique. Harkaitz la sentit se tendre. Elle allait lui foutre une raclée…

Judith posa les yeux sur son fils et, lorsqu'elle revint sur le Roi Corbeau, son regard avait changé. Elle était parfaitement féérique. Elle avait été désignée pour accomplir ce rôle d'épouse de l'Ambassadeur. Elle l'avait accepté et l'avait accueillit avec assurance et raison. Elle n'esquissa aucun geste pour se défendre. Elle ne risquait rien en fait. Rien de concret pour le moment. Elle lui devait tout de même allégeance. Mais elle fut tout de même piqué au vif. Le Roi Corbeau avait-il si mauvaise mémoire ?

- Vous avez été le seul à décliner l'invitation, sire, dit-elle avant que les volatiles la submergent.

Dans la manoir, derrière le rideau, Berthe observe la scène. Certaines règles, même les rois ne peuvent les défaire et surtout pas les outrepasser. Mais il ne fallait surtout pas les informer de ça.

Plus loin, sur le perron arrière, Harkaitz sourit, visiblement ravi de cette annonce. Comme si c'était effectivement une véritable bonne nouvelle. Difficile d'avoir l'air plus sincère. En plus, elle lui colle une main baveuse qui s,il reste surpris au départ, se monte d'autant plus agréablement ravi lorsqu'il sent la douleur lancinante le quitter, même lorsqu'il sourit. Ce dont il ne se prive pas. Elle lui explique l'idée de bave de crapaud et de composition sanguine. Kaitz est un chercheur de sorts, il a le fonctionnement de la magie comme un instinct. Il suffit d'y travailler et il le décortique. Mais c'était vachement dommage qu'elle ne puisse rien faire avec sa main. Mais quand même... peut-être qu'elle allait frapper moins fort si elle mentait.

- Ah, voilà chose faite alors. Donc, si je vous invite dans un endroit où il y a des gens en costumes et 8 services, j'aurai le plaisir de ne pas en revenir avec un bandage quelque part ? C'est merveilleux. Que diriez-vous de 19h, demain soir, je vous attendrai ici, et nous irons à Londres, propose-t-il, un sourire parfaitement assuré, avant qu'il ne se fige presque imperceptiblement.

Il n'avait jamais vu le Roi Corbeau. Il n'avait jamais vu John Uskglass. Pourtant, il le reconnut. Le Roi Corbeau coupa court la charmante invitation. Les révérences n,étaient pas très à la mode, sauf chez les fanatiques. Il se contenta donc d'incliner la tête, respectueusement, mais il fut étrangement surprit de la familiarité du Roi Corbeau. Il sut tout de suite que ce n'était pas une si bonne nouvelle de le voir ici.

- La pierre ? Personne n'a commandé la pierre. Êtes-vous certain qu'elle est bien ici, cette pierre ? demande-t-il avec un air sincèrement compréhensif.

Berthe sortit sur le perron, toussota et parce que de l'autre côté de ce monde, les créatures comme Berthe n'avaient pas une très bonne réputation. Au contraire. Elle ne dit rien, parce qu'il y avait des limites à ne pas atteindre. Mais Kaitz comprit l'enjeu. Il tira Samuelle un peu derrière lui, légèrement en retrait. Oui, parce que Samuelle rencontrait le Roi Corbeau pour la première fois. Mieux valait ne pas prendre de risque. Berthe ouvrit le passage pour l'intérieur de la maison et Kaitz en désigna le chemin.

- Puis-je vous offrir une tasse de thé ? Il sentit le regard de Berthe. Avec beaucoup de sucre et de miel ? ajoute-t-il, innocemment.

John accepta gracieusement l’invitation qui lui avait été faite et entra dans le manoir… Parce que les fées n’enfreignent jamais les lois de l’hospitalité… En théorie… Puisqu’ils sont partout chez elles… Rejoint par Walter Rocstone, ils s’installèrent au grand salon…

« Walter, » fit-il avec la même familiarité qu’il avait utilisé avec Harkaitz,« Vous vieillissez… » nota-il bien à propos. Il prit une gorgée de thé sucré. « Notre dernière entrevue date de votre mariage avec Judith? Je suis heureux qu’une nouvelle génération soit née… Bien qu’un peu déçu de ne pas avoir pu l’honnorer de mes vœux au jour de sa naissance… » Parce que John Uskglass n’avait pas foi en les objections de Judith. « Vous avez prospéré. C’est bien… Je suis venu réclamer les clefs dont vous êtes le gardien… J’envisage une grande offensive, je battrai le rappel de mes anciens alliés et nous restaurerons les anciennes routes magiques. » Ses intentions étaient limpides…

« Mais j’ai été étonné en prenant pied de ce côté-ci de la frontière… » L’air dédaigneux du roi s’était mué en quelque chose d’effrayant; l’intérêt. « Quelqu’un a commandé la pierre, et ce n’était pas moi… Quelqu’un de votre maisonnée… » Il n'en démordait pas... « Votre fils peut-être? » fit-il en se tournant vers Harkaitz. « Ne soyez pas timide! Épatez-moi! Je vous l'ordonne... »

Walter ne trouvait jamais de bonne augure lorsque le Roi Corbeau daignait traverser la frontière. Au contraire, c'était souvent mauvais signe. John n'avait aucune notion de modernité. Il fallait pourtant s'y mettre si on voulait survivre. Mais John ne s'y mettait jamais, sauf si c'était son idée et il risquait de ne pas la trouver plaisante en ce moment. Mais qu'il se montrer de ce côté-ci ne l'étonnait pas vraiment... c'était le genre de période sombre qu'affectionnait le Roi Corbeau. Il n'était pas le Roi Corbeau pour rien. Il y avait des cadavres partout.

- Oui, nous avions aussi été fort attristé d'apprendre que vous ne pouviez vous déplacer, John, remarqua Walter, avec la même familiarité que le roi. Il n'avait qu'à ne pas s'en prendre à Judith. Les Rocstone avaient de la suite dans les idées.

Kaitz ne prit pas vraiment part à la conversation. Il écoutait, mais il surveillait surtout Samuelle du coin de l'oeil. Étrangement, elle parlait si souvent de cailloux... et elle en avait plein les poches... difficile de se demander si...

- J'aurais adoré vous épater, John, mais je n'ai pas commandé la pierre.

De la pure sincérité. C'était vrai de toute façon.

- Je ne crois pas que ce soit le moment d'ouvrir les anciennes routes magiques. Il n'y a rien plus rien à offenser depuis quelques décennies. Mais vous n'aurez pas à chercher bien loin pour retrouver vos anciens alliés. Judith et moi sommes les derniers. Enfin, si mon épouse était présente, nous serions les deux derniers. Pour le moment, je suis votre seul ancien allié, dit-il tandis que Berthe quittait la pièce sans même avoir l'air de cacher ses intentions.

Samuelle suivit Harkaitz, Berte et leur invité, restant juste assez près pour ne pas se faire fermer la porte au nez, mais observant néanmoins à distance respectueuse. Commander la pierre… Samuelle entendait l’expression pour la première fois et elle en était terrifiée.

La magie des Daees s’apparentait à de l’alchimie, mais son héritage particulier était celui de son sang de djin terrestre… Ce n’était pas elle qui avait commandé. Elle savait cependant de qui il était question. Elle frissonna dans le fond de la pièce.

Samuelle savait reconnaître une menace. Si ce n’était pas Harkaitz, il en userait comme otage pour forcer Walter Rocstone à lui fournir les réponses qu’il voulait.

La métisse s’interposa entre les deux sorciers, faisant face à Harkaitz, si complètement hors de propos que John Uskglass s’immobilisa dans son assaut. « Demain soir? 19h? 8 services? » Elle secoua la tête en signe de dénégation. D’un geste brusque, elle l’empoigna par le devant de son t-shirt. « J’ai très très faim… Allons-y maintenant! » Elle eut un sourire. Un sourire de mauvaise augure... Et elle l’attira à elle, rapidement.

CLAC!

***

Ça ne se passait pas bien. Ce n’était certainement pas une question de détermination. Peut-être au niveau de la décision? De l’espace destinatoire à occuper? C’était pourtant une courte distance… Toujours est-il que d’un vague malaise dû au tourbillonnement et à la pression du néant, Harkaitz eu plutôt l’impression de se faire chiffonner et rouler en boule comme une feuille de papier. Ils transplannèrent de justesse, et évitèrent le désartibulement in extremis.

***

Et soudainement Lukas K. Ustaz ne fut plus seul dans sa douche…

Il y eut un CLAC! Suivit d’un « ARGL!!! » manifestement surpris, dans un slang canadien parfaitement reconnaissable…

Samuelle glissa sur la céramique en essayant d’échapper au jet, entrainant Harkaitz, elle buta contre l’utilisateur légitime des lieux…

CLAC!

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John marchait sur l’enfant de Judith avec toute la somme de ses caprices. Décidé à obtenir ce qu’on lui refusait. Le roi corbeau n’était pas particulièrement vindicatif, mais une puissante magie avait été mise en œuvre et il n’était pas habitué à voir sa curiosité frustrée.

Du coin de la pièce, une femme s’interposa. John s’immobilisa un instant, soupesant les degré relatifs d’admiration et de contrariété qu’il ressentait. Elle emmena le jeune homme dans un étrange claquement. John se retourna, embêté : « Qui était-ce? Une fée gardienne? » demanda-t-il en désignant le vide derrière lui, puis s’en désintéressa rapidement pour écouter les avis de Walter.

Son seul allié. Le roi corbeau regarda Berte quitter la pièce.

« C’est un avertissement intéressant. » nota l’homme en noir. « Le monde a-t-il tant changé? Les chemins féériques se seraient écartés des routes humaines? J’ai fait tourner la roue de la machine infernale. J’ai tué des dragons. J’ai été une lame. » lui confia le roi corbeau sur un ton de confidence. « J’ai été une étoile filante dans la nuit, j’ai été dans un autre univers où les heures étaient différentes, pas pareilles, sans résultats. Je sais, » poursuivit-il d’un ton solennel en rejoignant le vieux diplomate, « où s’en sont allées les années, qui, du diable, a fendu le pied, je peux te montrer, des sirènes, à ouïr le murmure ou comment, de l’envie, ignorer la morsure, car j’ai trouvé quel vent pousse un cœur honnête en avant… Je connais le savoir du ciel appris par les centaures, j’ai vu la lune dans les profondeurs de la mer et j’ai entendu hurler les loups garou la nuit dernière. Je connais la réponse à toutes les énigmes, sauf une, et dans votre monde, c’est un homme mort qui garde le passage en posant des questions… » Il fit une pause, brève. « J’ai noyé des armés, engloutis des cités, fait déferler les tempêtes et trembler la terre. J’ai scellé des serments absurdes, qui passent et j’ai l’éternité. Toi tu n’es qu’un homme. Tu es seul comme tous les hommes. Les hommes. Qu’auraient-ils à m’opposer? Qu’as-tu à m’opposer? »

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