Il a plu cette nuit, à torrent. La neige a fondu sous les larmes des amants maudits et encore ce matin l'eau vous serait arrivé au genou. Mais l'eau coule comme le temps et sous les pas léger de Marie, elle défie la gravité et flotte en gouttelettes argentées. Dans sa tête il y a un air d'opéra de Scarlatti. A regarder cet immense terrain vague, la scène est magnifique. Contre le ciel noir, Marie a l'air d'une apparition, un ange descendu du ciel dans une pluie d'argent et de diamants. Qui se méfierait de cette magnifique créature? Ses cheveux châtains luisants de santé ondoient autour d'elle et les rubans de ses ballerines semblent n'avoir plus de fin.
Avec son teint de rose-thé, frais et poudré, elle a l'air d'une enfant. Un peu triste peut-être, mais ses yeux transpercent la matière, la chair et même les âmes.

Cette nuit il fait doux, presque chaud pour une fois. La mort n'a pas encore jeté son manteau d'horreur autour de Marie. Mais doucement, une vibration métallique sourd dans l'obscurité. Marie ferme les yeux. Dans quelques instants les graviers se mettront à trembler puis s'arracheront à la loi de la gravité, les carcasses de voiture se découvriront des ailes, puis ce sera le béton armé qui commencera à craquer sous la pression, jusqu'à éclater. Puis peu à peu, se sera toute la ville qui se soulèvera de ses fondations et la belle Londres ne sera plus. Qu'importe les cris, les hurlements les pleurs, elle est en colère Marie. Elle aurait préféré faire valser Paris mais une force étrange l'a ramenée ici, en Angleterre. Alors si c'est ainsi, ce sera Londres qui dansera. Londres voltigera et si certains hurlent de peur alors ils comprendront ce que c'est que l'injustice et de l'autre côté du voile, ils verront qu'ils n'y a pas de chemin de pierres blanches mais que tout le long les ronces vous rendent la marche impossible. Ces gens là sauront que les bons comme les mauvais finissent tous au même endroit, dans le magma ou sur des terres stériles et gelées. Peu importe, ce qu'ils trouveront ensuite, ce sera l'Enfer.

Elemiah était assis au bord de cette endroit de paradis qu'on appelle le Jardin, quoique les notions d'état et de lieu se chevauchassent dans le monde d'en dessus. Il voyait la pluie remonter vers lui en un fin crachin pour presque toucher ses pieds, mais la brume terrestre s'arrêtait bien avant lui. En dessous. Il ferma les yeux un instant et bascula, tête la première comme il l'avait souvent fait par jeu. Ses six ailes déployées faisaient une grande ombre sur l'ombre qui drapait les Eaux du Milieu comme les appelaient les anges. Puis dans un nouveau froissement de plume, le séraphim ralentit sa chute, posant le pied sur terre. Keith dormait, lové innocemment dans son lit. Ce soir c'était son soir de congés. C'était ce qu'il dirait en sentant une main posée sur son épaule pour le tirer des bras de Morphée, quoique l'ange ne partageait guère la croyance selon laquelle le Dieu païen recueillait dans ses bras les corps endormis des enfants de Dieu.

« C'est mon... »
« Tant mieux, tu auras besoin de tout ce temps pour ce que vous avez à faire ce soir... », répondit l'ange, anticipant sur la complainte de son protégé. Sa voix était douce, et il ne semblait pas vraiment comprendre le mal qu'il pouvait y avoir à tirer quelqu'un de son seul jour de congé de la semaine qui se trouvait ne pas être un dimanche d'ailleurs.

Elemiah sourit. Keith fronça les sourcils, nez à nez avec ce double angélique qu'il n'avait plus vu depuis des mois.

« Qu'est-ce qui se passe Elemiah? Où étais-tu tout ce temps? »
« Habille-toi vite, il faut que tu me suives jusqu'à l'endroit où tu rencontres ton destin. »

Keith fronça les sourcils. Généralement quand il entendait Elemiah ou Mika'il faire cet usage curieux du présent, ça ne présageait rien de bon. En général cela signifiait qu'ils connaissaient déjà l'issu de ce qui allait se passer, et entendre le Séraphin parler de destin n'encourageait guère le jeune exorciste. Il s'habillait pourtant gardant à l'esprit que...

« Ce ne sera pas comme la dernière fois. »
« Et Matthi? »

Pas de réponse.


Ils arrivèrent sur un terrain vague, à l'extrême opposé de l'endroit où se trouver l'appartement que Matthias et Keith partageaient. Le trajet avait paru plus rapide qu'il n'aurait dû. Keith se demanda si Elemiah y était pour quelque chose mais il se rappelait également que la dernière fois qu'il avait demandé à l'ange pourquoi il ne le "téléportait pas" pour aller plus vite, celui-ci lui avait étonnamment répondu que c'était parce qu'il était trop lourd. Mais ça ne devait certainement pas avoir le sens commun du terme étant donné la lourdeur des armes que portaient les anges. Sans doute voulait-il dire que c'était son destin que de se déplacer avec toute la lenteur et la difficulté qui revenait aux fils d'Adam.
Quelque chose effleura la joue de Keith. Il se rendit compte que c'était un gravier. Il se retourna vers Elemiah mais il se retrouvait à nouveau seul alors il avança. Plus il se rapprochait du terrain vague, plus les objets autour de lui gravitaient et petit à petit lui même se sentait plus léger. Arrivé à un certain point, il ne pouvait guère plus contrôler le mouvement de ses jambes. Il regarda autour de lui. Où était Matthi? Elemiah avait dit qu'il serait là lui aussi...

Matthias ruminait. Encore une fois. Il était sur les marches, devant l'appartement, une clope au bec. Dans les mains, sa croix, son chapelet, les billes de bois qui formaient son rosaire. Trois marques de foi. Il regardait vaguement les alentours, pensait que c'était son jours de congés, mais la seule idée qui était dans son esprit, c'était Keith. Keith qui dormait, à un mur de lui. Keith qui était vulnérable. Keith et Mascha. C'était fou, quand même. On pense souvent qu'il n'y a que dans les films que l'on peut être obséder par quelque chose. C'est de la connerie. On peut tout à fait être obséder, comme quelque chose qui fait mal. C'est le crâne qui souffre. C'est le crâne qui lui rappelle que... qu'il est foutu. Ce monde n'est pas pour lui. Il se lève, avec sa cigarette, mais l'écrase. L'horizon est sombre, mais il a la lumière du coeur pour se diriger. Il avance sur le sentier. Il a peut être une chance de croiser un skinhead. Au retour seulement. À moins que ces punks ne soient tous morts d'une overdose. Il avance, encore, se rallume une clope. Tant qu'à mourir pour quelque chose, faut au moins que ça ait un peu de gueule, non? C'est pas assez « classe », mort par amour. C'est même ridicule. C'est fait pour les filles. Matthias renifle. Il a oublié son écharpe. Sûr qu'il va être malade. Et juste au moment où il pense ça, il sent de la chaleur dans son dos, et il a un sourire, jette sa cigarette, et se jette aussitôt sur la source de chaleur. Ses bras devenus forts enserrent Mika'il qui rit, et le sert aussi, doux comme un agneau. Les ailes de Mika'il l'entourent, et il se sent bien, dans les bras de l'archange. Il se sent atrocement bien. C'est la première fois depuis des mois.

« Que tu m'as manqué..! »
« Je sais, Matthias. Je sais. » La bouche de l'archange embrasse le front du blondinet. « Mais je ne suis pas là pour ça. »
« Il est arrivé quelque chose? » Un frisson d'horreur remonte son échine.
« Non, non. Rien encore. » Mika'il a un petit rire. « Mais bientôt. J'ai une mission pour toi, Matthias. Une mission avec Keith. »

Matthias le regarde, arque un sourcil. Mika'il a l'air si détendu, et pourtant ses ailes sont encore un peu tâchée de noir. Elles sont magnifiques pourtant, plus belles encore qu'avant, comme le noir s'efface et donne aux plumes de l'ange l'impression d'être bleu et d'être une constellation, où des centaines d'étoile brilleraient.

« Qu'est-ce? »

Mika'il glousse comme un enfant, avec un large sourire.

« Tu le sauras quand tu le verras. »

Matthias avait du prendre un vélo, et s'était maudit de ne pas avoir le permis de conduire. Il était tellement loin, et Mika'il qui voletait à sa droite, semblant plus s'amuser que peiner. Matthias pédalait comme un malade, trop anxieux à l'idée que la mission ne fasse du tord à Keith. Si ça avait été Mascha, sûr qu'il y aurait été en marchant, mais on ne s'attaque pas à Keith Whiteley, son meilleur ami, impunément. Le terrain était en vue. Keith aussi. Mika'il battit des ailes, et dans un petit rire, disparu.

Matthias pédala encore, mais les roues décollèrent bientôt du sol. Tout à gauche, Keith aussi avait quitté la terre ferme. Matthias cessa de pédaler. Son vélo volait. Il restait con. C'était normal?

« Euh... Keith... »

Au secours?

Keith eut une drôle d'impression de déjà vu. Sous son nez un vélo était en train de lui refaire la scène de E.T (qu'il avait vu un soir avec Matthias). A la lumière d'un lampadaire qui feignait une pleine lune un peu jaune, un flot de cheveux blonds familiers interpellèrent le préfet de Serpentard. Il fronça les sourcils, se demandant s'il était en train de rêver ou si...

« Euh... Keith... »
« Attrape! »

Le brun lança un sortilège de lianes sur le vélo de son meilleur ami pas vraiment sûr qu'un accio aurait été plus efficace. Les objets semblaient irrésistiblement attirés par la silhouette qui flottait au centre. Il avait déjà sa petite théorie là dessus mais la priorité était d'amarrer son meilleur ami à quelque chose et de lui permettre de remettre les pieds sur terre.

« Mika'il t'as dit quelque chose à toi? », sait-on jamais. Le Serpentard tendit la main vers Matthias, puis désignant la silhouette qui semblait perturber la gravité,« Comment on va faire pour aller jusque là bas si on peut pas contrôler nos mouvements... »

C'était plus une réflexion qu'il faisait à haute voix mais la question se posait vraiment. Il regarda alentour mais rien n'indiquait que quelqu'un d'autre se trouvait là. Pourtant à l'extrême opposé d'eux de l'autre côté du terrain, deux flash curieux attirèrent son attention. Il croyait reconnaître la manière d'apparaître des anges, mais avec le maître de la gravité qui tirait les ficelles, Keith préférait se méfier de ce qu'il voyait. Ils ne savaient pas encore de quoi ce démon était capable. Quelle porte représentait-il... et d'ailleurs:

« Au fait, tu t'es fait ton tatouage? »

Matthi ne lui avait jamais parlé de tatouage alors ça serait bien simple de voir si c'était vraiment lui ou non...

Ça existe pas les vélos qui volent. Enfin, pas dans sa conception de la gravité. Son esprit est clair. La petite chose au milieu du terrain, c'est le démon de la gravité. Il n'y a qu'elle pour faire ça, non? Il fronce les sourcils. Quel genre de mission cela va être encore?

« Euh... Keith... »
« Attrape! »
« Ooowh... »

C'est la réaction du blond quand la liane brunâtre entoura la roue de son vélo. Il quitta le siège confortable que ses fesses ne touchaient de toute façon plus que par sa propre volonté, et se hissa par la force de ses bras jusqu'à Keith. Matthias, qui était très terre à terre, n'aimait pas vraiment cette idée de n'avoir aucun contrôle sur son propre corps, et se demandait jusqu'à où irait le vélo. Enfin, ça lui apprendra à le voler en même temps. Il toucha enfin le sol, même si il sentait bien qu'il n'y resterait pas accroché très longtemps. On se serait cru sur la Lune, comme dans les films.

« Mika'il t'as dit quelque chose à toi? »
« Juste que c'était une mission et que j'devais venir ici... Sont très superficielles, les anges. » Matthias eut un rire, prit le bras et se hissa plus
« Comment on va faire pour aller jusque là bas si on peut pas contrôler nos mouvements... »
« Bah... » Matthias grimaça. « ...va bien falloir qu'on trouve un moyen de pouvoir les contrôler si on veut bouger. Nous, en tout cas. Nos Anges doivent pas être atteint par la gravité. »

Matthias se souvenait en effet de toutes ces fois où Mika'il avait survolé sans battre des ailes les étagères de la Bibliothèque du Vatican, passant même parfois à travers. Les Anges avaient un corps parfaitement immatériels quand ils le désiraient. Ça et le fait qu'ils pouvaient aussi se téléporter à volonté – sans jamais vouloir transporter un humain. Si Mika'il se trouvait de l'autre côté de ce terrain, Matthias ne pouvait se poser qu'une seule question : pourquoi ne s'étaient pas téléporter juste à côté d'eux? Matthias posa son regard sur la petite chose qui se tenait au milieu du terrain. C'était sans doute ce qui causait le chaos, mais... était-ce vraiment un démon? Le dernier démon que Matthias avait croisé lui avait carrément fichu la trouille. Sunshine avait même réussi à tâcher les ailes du beau Mika'il. Le blond baissa le regard. Ce n'étaient pas des souvenirs qu'il voulait se rappeler.

« Au fait, tu t'es fait ton tatouage? »

Matthias le regarde, arqua un sourcil.

« Quel tatouage? C'est pas vraiment le moment, Keith. »

Le blond secoua la tête. Il devait déjà trouver un moyen de rejoindre les anges. Son regard se fixait sur la petite chose qui semblait faire quelque chose. Elle mouvait, mais toujours sur place. Elle ne se déplaçait pas. Ou alors, si. Elle dansait. Était-ce possible? Elle dansait comme un cygne, avec grâce, élégance. Une gamine. C'était une gamine. La pupille de Matthias se rétracta. Une simple gamine, c'était ça, leur démon? Une gamine? Il ferma les yeux, essayant de se rappeler quelques versets, en espérant sincèrement que le fait que le démon portait un visage juvénile ne le dévierait pas de sa mission. Sa mission? … la dernière. En espérant qu'elle ne se finisse pas comme la dernière qu'on lui avait donné.

« Quel tatouage? C'est pas vraiment le moment, Keith. »

Keith ne répondit rien. Ce n'était effectivement pas le moment et il avait ce qu'il voulait. Une réponse, une sorte d'assurance. Ils progressèrent encore un peu, de presque rien, compte tenu de la gravité mais suffisamment pour mieux distinguer la silhouette au centre de cette scène digne d'un Chagall. Une petite fille voltigeant avec grâce. C'était ça leur démon. Une enfant. Keith stoppa net, se demandant l'espace d'une seconde s'il devait vraiment. Il y eut d'autres éclairs lumineux autour du terrain. Nicolas, Reynar et Katherina la petite soeur de Keith... c'était sans doute le meilleur moment pour mettre ses rancœurs de côté, mais avec sa petite soeur sur le terrain, le Serpentard n'était pas tout à fait sûr de pouvoir être aussi concentré qu'il l'aurait voulu... Il adressa un regard soucieux à Matthias. Tout se mettait en place dans son cerveau. D'un geste vif il attrapa son meilleur ami par le bras:

« Non attends. Regarde. Cinq exorcistes, quatre anges... », à la seconde où il disait cela, constatant l'absence de l'ange de Katherina, les anges avancèrent d'un bond, visiblement pas sensibles à la différence de gravité, le schéma se dessinait clairement pour Keith,« ... je l'ai lu dans les évangiles interdits. Chacun de nous est à sa place, à égale distance nous sommes les branches extérieures d'un pentagramme et nos anges, les recoupements intérieurs... nous représentons un microcosme. Une prison en somme. Il ne vaut pas bouger de nos places, retournons à l'endroit exacte où Elemiah et Mika'il nous ont laissé. »

Ce que disant, Keith retourna en arrière entraînant Matthi avec lui sur une courte distance. Quelque chose lui disait que c'était la chose à faire même si dans son schéma, il y avait une place manquante, celle de l'ange de Katherina. Comme il arrivait à l'endroit où Elemiah avait disparu, le sol se mit à trembler. Anticipant Keith jeta un sortilège derrière lui pour s'attacher à quelque chose, hors de la zone décrite par leur cercle...

Dieu avait toujours eu quelque chose contre Marie. Petite Marie. N'était-ce pas ironique de s'être mis Dieu à dos sans raison avec un nom pareil? Il aurait dû être clément. Il aurait dû tendre la main et la rattraper quand elle avait chuter et non la précipiter un peu plus. Toujours plus cruel. La pauvre petite n'avait jamais compris pourquoi, comment, elle avait pu atterrir en enfer.
Mais aujourd'hui elle en était sortie, et elle n'avait pas l'intention d'y retourner. Elle était pleine de haine Marie mais aussi pleine de ce besoin d'être regardée et admirée comme on admire seule les étoiles. Elle avait été une étoile en enfer, plus un simple petit rat. Et maintenant elle exécutait ses pas de danse sur terre, défiant la gravité et elle pouvait les faire danser, tous danser jusqu'à ce que leurs pieds tombent en cendres. Pourtant voilà que Dieu, toujours le même, se mettait en travers de son chemin. Il envoyait ses braves petits soldats de plumes et de plomb, croyant la duper. Mais elle n'était pas idiote. Elle reconnaissait les pièges à démons, les symboles et les vieux rituels. Elle les avait appris en Enfer. Pas question de les laisser l'enfermer si facilement.

Tout autour d'elle, le sol semblait vouloir s'arracher à lui même avec deux fois plus de violence. Les objets qui flottaient juste là gentiment se mirent à tournoyaient de plus en plus rapidement comme pris au piège d'un siphon invisible et si les anges ne bougeaient pas, on verrait s'il en allait de même de leur petits protégés. Et de toute manière, il manquait une pièce à leur puzzle. Ce serait la faille qu'elle exploiterait.

« ... je l'ai lu dans les évangiles interdits. Chacun de nous est à sa place, à égale distance nous sommes les branches extérieures d'un pentagramme et nos anges, les recoupements intérieurs... nous représentons un microcosme. Une prison en somme. Il ne faut pas bouger de nos places, retournons à l'endroit exacte où Elemiah et Mika'il nous ont laissé. »

Matthias grimaça, et finalement recula, ses pieds cherchant toujours à s’accrocher au sol sans vraiment y arriver. C’est en reculant que son corps comprit ce que pouvait être une différence de champ magnétique. Les écrits scientifiques du Vatican en parlaient, mais il n’avait jamais vraiment eut la possibilité d’apprendre, d’en voir un. La seule chose qu’il savait à propos de la gravité, c’est qu’elle était importante à tout être vivant, que les oiseaux comme la mer étaient régis par elle, et que les anges, eux, en tant qu’êtres immatériels ou tout du moins divins, n’y étaient aucunement sensible. En somme, rien qui ne puisse vraiment l’aider à ce moment là.

Le sol trembla sous lui, et il fut aussi prompt que Keith à jeter un sol, préférant cependant lié sa cheville à un morceau de tuyauterie qui dépassait du sol. Pas très intelligent, mais il aviserait en temps et en heure. Il n’avait pas vraiment la tête à réfléchir - hélas. Sa cheville bien attachée par un cordage, il regarda plus loin. Mika’il souriait, toujours très calme, et si derrière son armure d’argent et d’or il avait ce visage des guerriers célestes, il conservait toujours cette douceur naturelle, même en portant une lance.

La corde se tendit finalement, et Matthias se sentit happer, sans bouger. S’il flottait au bout de sa corde, baguette en main, c’était davantage les objets qui tournaient qui l’inquiéter. Se prendre un ballon, c’est rien, des cailloux, on en vit. Mais une voiture, il n’était pas vraiment sûr de pouvoir l’encaisser sans ciller. Il se mordit la langue. C’était sûr : il détestait les démons.

“ Y a un problème, Keith. Il est mal foutu le pentacle, et sincèrement, j’crois qu’elle a déjà pigé ce qu’on cherchait à faire. ” Il siffla entre ses dents. “ Faut tenter autre chose. Une approche physique, mais pas de front. Elle va nous désintégrer si on approche d’en face... ”

Il regarda autour. Si c’était bel et bien un siphon, l’oeil de celui-ci devrait être l’endroit le plus sécuritaire. Mais ça n’était pas un siphon normale... Keith observait lui aussi, son cerveau tournait à plein régime. Impossible de démêler à vue d’oeil un plan clair, les anges ne leur adresseraient plus la parole ça coulait de source. Ils avaient ces expressions particulièrement neutre que les exorcistes connaissaient bien. Celle de l’action, et non celle des palabres. Bon. Aviser autant que possible.

“ Si tu as une idée de plus c’est le moment de...”, mais Keith fut interrompu par une affreuse vibration dans l’air. C’était les anges, toutes ailes déployées qui produisaient une lumière aveuglante. Il y eut un souffle et les gamins furent littéralement balayés.

Loin, au centre de tout ça, la petite danseuse poussait plus fort encore ses talents démoniaques. Ses lèvres étaient scellées en un joli sourire qui n’avait rien d’inquiétant mais les anges semblaient la contenir entre leurs ailes immenses. Ca la rendait carrément folle. Marie voltigeait entre eux, attaques répétées et pas de danse endiablés. Il manquait un ange à cette cage divine et si elle calculait bien son coup, elle avait là une opportunité de s’échapper.

Keith se rattrapa comme il put, retombant dans la bouche d’une ruelle, hors de la zone d’influence du démon, mais le terrain vague restait à portée de vue. Il s’était écorché les coudes mais ne s’en était pas rendu compte. Il n’eut pas non plus le temps de s’apitoyer sur lui même, ni de remarquer que Matthias n’était pas à portée de vue, sans doute propulsé dans la rue d’à côté. Une main puissante l’empoigna par le col

“ Debout exorciste. Ce n’est pas le moment de renoncer.”

“ Vous êtes q...”

“ Je ne suis ni un ange ni un démon. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus. Fais ce que tu as à faire. Maintenant!!”

Les yeux verts de Keith se posèrent sur l’étrange femme qui venait d’apparaître de nulle part...

“ Matthi!...”, Keith se mit à courir, ralliant un point assez proche du terrain vague, “ un bannissement! Aide moi à incanter un bannissement!”

Sans plus attendre pour sa part, il posait un genou à terre comme lors de leurs exorcismes plus classique et récitait les oraisons du pape Léon, destinait au plus dangereux de ce qui vivait dans le Mitan.

Et Matthias qui posait son genou à terre, la moitié de la gueule râpée. Sa joue en avait pris un coup, mais ça lui apprendra à ne pas se rattraper avec les mains et les coudes et s’étalait sur le sol. Il avait bien traîné sur cinq mètres avant de rencontrer un mur. Et tout ça sur le ventre. Encore que, il vallait mieux la joue que le dernière de la tête. Y avait déjà moins de risque de crever d’une hémorragie, non?

Il joignit les mains et fronça les sourcils en prononçant à une vitesse hallucinante ce qui avait été dans sa tête comme une berceuse durant son enfance. Du plus facile des psaumes à la prière araméenne trop ancienne pour être traduit, Matthias avait subi le Vatican, et c’était peut-être la seule chose à présent qu’il trouvait d’utile. C’était également la seule chose qu’il lui restait. Ca, et ses cheveux blonds.

Il fermait les yeux, concentré, quand quelque chose d’énorme comme une plaque d’égoût se dirigea vers lui. Propulsé par on ne sait quelle force. Et c’est une plume, une simple plume blanche qui, jetait au travers de la ruelle vint couper en deux la plaque de fer qui tombe sur le sol aussitôt. Mais ça, Matthias ne le vit pas. Il ne pouvait rien voir, et il avait confiance. Confiance que ce soir, il ne crèverait pas. Dans le même temps, la mystèrieuse femme aux cheveux noirs s’était mis à courir, s’éloignant d’eux pour rallier les exorcistes un à un. Elle courrait la distance à une vitesse qui n’était pas donnée aux mortels d’atteindre. Marie dut la repérer car profitant de la faille dans la cage que lui imposait les anges, elle se saisit de l’air pour tenter d’écarteler l’importune qui n’avait finalement rien à voir dans cette histoire. Mais à cet instant précis, le ciel au dessus de la tête de Marie se nervura d’or. De nouveau un ultra-son assourdissant. Une vibration qui fit éclater les petits vaisseaux les plus exposés des corps humains à proximité. Marie se laissa un instant destabiliser, lâchant la mystérieuse femme pour voir tomber au sol un puissant rai de lumière. Le sol aussi se fissura. Il y eut une espèce de radiance difficilement soutenable. De sa place Keith ne pouvait pas voir ce que c’était que tout ce cirque mais il ne rompit pas ses prières. Ses yeux suivirent la femme qui dans un élan - suicidaire? - se mit à courir droit vers les anges, toujours à une vitesse qui avait tout de suspect. Sur les derniers pas elle décolla du sol et dû esquisser une espèce de pirouette pour se saisir de ce qui venait de se ficher dans le béton. La lourde main d’Eloah écrasa ce petit insecte qui pénétrait dans le cercle, juste pour lui permettre de poser le pied au sol une fraction de seconde. Scarlett - c’était son nom - donna une impulsion mais Marie anticipa et son saut semblait se jouer au ralentit, approchant presque l’immobilité au fur et à mesure qu’elle quittait le sol. Elemiah regarda par dessus son épaule et les exorcistes furent comme un seul homme rapprochés du cercle intérieur.

Keith jeta un regard à Matthias puis il sentit la gravité tenter de le maintenir à genoux au sol. Esprit contradictoire, le préfet de Serpentard mobilisa autant de force qu’il le pouvait pour se redresser, et comme l’attention de Marie était partiellement captée par l’inconnue, il y arrivait progressivement. Devant eux la voix des anges résonnait en une étrange prière dont personne n’aurait pu démêler les mots. Peu à peu c’était Marie qui s’immobilisait. Ses grands yeux noisettes versaient des larmes et son visage d’enfant aurait pu attendrir n’importe quel coeur, alors Keith préféra reporter son regard sur la jeune femme toujours suspendu en l’air. Il regarda les autres exorcistes, désormais proches du cercle intérieur, tous debout et libérés de l’emprise de Marie. Alors tout se passa d’un coup. La voix des anges augmenta de volume brusquement et Scarlett, arrivée au point culminant de son saut retombait déjà, tranchant la gorge de Marie au passage. Mais la petite démone ne l’entendait pas ainsi. Elle saisit la brune au poignet et ses yeux se mirent à émettre une lumière couleur de feu qui lui craquelait le visage. La vision était particulièrement hideuse. Scarlett poussa un cri, lâchant la lame des anges. Elle fut rejettée au sol, juste au pied de Matthias mais il ne lui fallut guère de temps pour se remettre, sa peau écorchée se refermant d’elle même. Il n’en alla pas de même pour Marie dont la gorge déversait des litres et des litres de sang. Dans sa rage elle jeta la lame qu’elle avait volée à Scarlett et la jeta à l’aveuglette droit devant elle. Elle vint se ficher droit dans le coeur de Keith. L’exorciste eut une brève grimace mais son visage retrouva presque immédiatement son aspect lisse, quoique dans ses yeux, on lisait la douleur et l’horreur mêlées. Matthias sursauta à ce moment. Son regard se rétracta et il rompit sa prière sur le moment. Il avait ce visage d’horreur. Il avait plus que peur. C’était autre chose, de plus poignant. Il se redressa, ses mains quittant le sol comme il n’aurait pas du parce que déjà un morceu de tuyauterie frappait sa cheville le faisait retomber aussi sec sur le sol.

“ Keith! ”

Peut-être que ce n’était pas vraiment le moment, mais le coeur a des raisons bien prioritéraires sur le reste. Le regard vert du blond glissa sur Marie, avec toute la haine du monde. Pourtant, il n’aurait pas du. Il aurait fermé les yeux et continuer... Mais on l’a déjà assez dit comme ça : Matthias n’était pas le plus fort d’entre eux. Il se releva à nouveau, furieux. Mika’il le regarda du coin de l’oeil, puis regarda Elemiah. Le blond glissa ses mains dans ses poches, sortant tout et n’importe quoi. Vite, quelque chose. Quelque chose pour...

“ Matthias! ” C’était la voix claire mais sévère de l’Archange. “ La colère ne... ”

“ Je m’en fou! ”

L’Archange eut une grimace. Quelque chose fila dans les airs et traversa son aile. Mika’il cilla et se retourna. C’était des épais morceaux de fer, ceux-là même qui jadis avaient été la structure d’un bâtiment. Le sang glissa sur les plumes pures de l’ange. (à toi u_u’)

Keith agrippa la chemise de Matthi, pâle. Ses doigts se crispaient plus par un réflexe morbide que par force:

“ In...in saecu...la sa...eculorum.”, répétait-il, comme pour obliger son meilleur ami à terminer. Ses yeux avaient du mal à se fixer sur Matthias mais il tentait malgré tout, “A...amen”.

Keith retomba doucement vers l’avant. Les yeux clos.

Au milieu de tout ça, Marie se consumait. Son corps se désintégrant en petite particule d’or incandescent.

Matthias serra Keith, ses mains ne se décidant pas à le relâcher. Mika’il derrière approchait d’un pas calme, mais pas du duo de petits exorcistes. Lui, il allait donner le repos à l’âme de Marie, parce qu’elle n’avait été qu’une victime dans cette histoire, et que lui, l’archange, ça le rendait triste de voir qu’une âme ne pouvait pas trouver le repos. Ca lui déchirait le coeur, et si ses ailes étaient affreusement douloureuses, il ne s’en souciait que terriblement moins. L’enfant était sa plus grande douleur. Il se pencha, sortit de sa poche une petite fiole et la jeta sur le sol. Le sang noir du petit démon sécha. Il récitait quelques choses d’inaudible pour l’homme, et bientôt, l’endroit fut consacré, une petite lumière s’élevant du béton noir, comme une centaine de petites lucioles et de feufolets blancs et or. C’était magnifique.

C’était désagréable. Matthias avait posé ses mains sur le torse de Keith, regardant de plus prêt la plaie sans vraiment s’en remettre. Il tremblait que ça lui aurait été impossible de l’en défaire. Il le voyait déjà dans la tombe. C’est pas possible. Il avait un gamin, il allait avoir un gamin. Dans le crâne du blond tous les pires scénarios tournaient en boucle. Les larmes, rondes et grosses, se mirent à couler sur les joues de Matthias. Ca faisait pourtant bien longtemps qu’il n’avait pas pleuré, mais on ne chasse jamais vraiment le naturel, pas vrai? Il essuya nerveusement ses joues rougies et recouvertes de sang, râpées plus tôt par le béton.

“ J-Je sais pas quoi faire, Keith. Je sais pas... Je peux pas la retirer... ” Et il pleurait davantage encore, ignorant tout du sang qui pouvait bien couler sur le buste de son meilleur ami.

Derrière Matthias, les anges s’étaient à nouveau élevés, quittant les “eaux du milieu” à l’exception d’Elemiah et Mika’il qui partiraient sans doute les derniers. Keith ne réagit pas aux paroles de son meilleur ami, tout simplement parce qu’il n’était plus en mesure d’en être atteint. Sa peau ne tarderait pas à refroidir. Elemiah approcha doucement, posant sa main sur l'épaule de Matthias de Salamine. Une légère pression pour attirer son attention, l'ange sourit, paisible. Puis il leva les yeux au ciel et disparut à son tour. Sans réponse. Sans explication. La colère de Matthias avait souvent été réprimandé, mais maintenant qu’il n’y avait plus personne pour le lui reprocher, il pouvait éclater. Et en voyant Elemiah disparaître sans rien faire, il hurla en se relevant, son pieds frappant brutalement dans la première chose qui passait. Il les détestait. Il les détestait tous autant qu’ils étaient. Qu’ils crèvent, tous. Que Dieu le maudisse. Il tomba à genoux.

“ Qu’ils crèvent tous... ”, paroles vites étouffées dans un dernier sanglot, sans larme.

Autour de Matthias, les autres s’étaient assemblé. Sans doute Katerina pleurait-elle son frère, à moins qu’elle ne soit trop choquée. Tout semblait si calme autour d’eux. Et même Keith étendu dans les bras de Matthias, la lame étincellante plongée dans le coeur, semblait serein. Immobile et serein. Il ne pesait rien dans les bras de son meilleur ami. Il tremblait tellement. Ses doigts repoussèrent les boucles brunes, comme il tentait de ne pas tous les maudir davantage. Il renifla et posa sa main sur la dague, ne sachant que faire. L’enlever ou l’y laisser? Il renifla une dernière fois, et la retira d’un coup sec. La lame vibra et comme elle quittait la chair, celle-ci semblait comme... en fusion. Keith grinça entre ses dents. Un réflexe d’expulsion le fit s’étouffer à moitié mais il rouvrait bientôt les yeux. Son coeur battait comme si de rien n’était. Il semblait simplement... essoufflé et plissait les yeux comme s’il avait été aveuglé, l’espace d’un instant. Il avait surtout l’air, désorienté. Matthias écarquilla les yeux. Juste un instant. Parce que l’instant d’après, il posait ses mains sur le visage du brun, le fixait comme s’il avait été Jésus, ou peut-être quelque chose d’encore plus spectaculaire. Fils de Dieu? Mon cul. A côté, Jésus n’avait rien fait. Le coeur de Matthias rata un battement, et poussé par la peur et la joie, il l’embrasse, le serrant aussitôt contre lui le moment d’après, le serrant comme s’il avait failli le perdre pour de bon. Keith lui ne réagit que trop bizarrement. Il ne repoussait pas Matthias bien sûr, mais il ne semblait pas lui rendre ses démonstrations d’affection comme il l’aurait fait habituellement:

“Qu’est-ce que... Est-ce qu’on...”

Keith se recula pour regarder le visage de Matthias. Il le détaillait, les sourcils froncés comme si... comme si c’était la première fois qu’il le voyait. Matthias arqua un sourcil, ne comprenant pas vraiment ce qui pouvait se passer dans le crâne de son meilleur ami.

“ Marie est morte, et... et tu as failli mourir. ”

“ Non je... je me suis absenté...”, le brun secoua la tête comme pour se remettre les idées en place, “ Elemiah m’a parlé de Marie et des autres aussi. Tu ... Je n’étais pas mort, pas vraiment. Enfin je crois. J’ai... mal au crâne et j’ai du mal à rassembler mes souvenirs...”, il avait l’air d’hésiter puis finalement, “ je ne sais pas dans quel pays on est, quelle ville, quelle année... et toi... je ne sais pas ce qui me lie à toi...”

En avouant cela, Keith avait franchement l’air de ne plus avoir la moindre prise sur rien.

Matthias le regarda, regarda ses pieds. Réfléchir, vite. Il se redressa et lui tendit la main :

“ Tout ce que tu as besoin de savoir, c’est que je suis Matthias, et, mh, je t’aime, on habite ensemble ici, à Londres, et on est en 2010. On travaille tous les deux, et ... on est en septième année, à Serpentard, à Poudlard. Voilà. ”

Pas de Mascha, cette affreuse tâche dans leur vie. Il lui en parlerait plus tard. Un jour, peut-être, quand l’enfant aura vu le jour, et... well, quand il n’aura plus le choix de le lui dire. Keith semblait perplexe. Difficile pour lui de juger de ce qui était sa vie avant... il avait du mal à s’imaginer amoureux, de ce garçon ou de qui que ce soit d’autre, mais il fallait bien qu’il le croit, il n’avait personne d’autre à qui se fier non?

“Je... eh bien euh... d’accord.”

“ On devrait rentrer. Les Hellhounds vont pas tarder à rappliquer, et j’ai pas vraiment envie de leur faire face ce soir. ”

Matthias avait déjà tourné le dos. Keith traîna un peu, regardant autour d’eux. Il n’y avait que désastre et désolation ici, pendant un bref instant, il se demanda s’il avait répondu comme il fallait à la question de Nemaniah et Elemiah... finalement il rattrapa le blond, sans rien dire. Sans non plus le coller. Il avait besoin d’observer, en sachant qu’il ne reconnaitrait rien.

Matthias avançait, ruminait. Dans son crâne, il voyait déjà le regard dur de Mika’il, lui dire que mentir... oui, mentir, c’est mal. Enfin, il n’avait pas vraiment mentit, pas vrai? Il avait dit ce qu’il avait à dire. Il avait juste omis plusieurs parties. Il avait omis... beaucoup de chose. Il regarda ses pieds, tourna à droite, et il poussa la porte de l’immeuble. L’immeuble froid et humide. Il monta les marches. Il y avait quelque chose dans l’escalier. Un carton. Il ne le regarda pas, et poussa la porte. C’était chez eux. Enfin.