Avril avait passé une drôle de nuit. Passé le goût amer de l'abandon, passé les souvenirs blessants que l'on ressasse pour mieux activer la mécanique des larmes, elle était restée là, sur son lit, puisque tout le monde dormait. Tout le monde mais pas elle. Impossible de s'arracher à ce sourire et à ces yeux qui n'avaient eu besoin que d'un seul regard pour la faire prisonnière. Elle repensait à ce prince charmant, si prévenant. Et elle faisait l'expérience du vide. Drôle de chose pour un simple inconnu. Elle ne l'avait jamais ressenti avant, pas même en laissant Maël derrière elle après le bal. Etait-elle la pire des amoureuses? Le genre qui se soucis moins du garçon qu'elle aime que du premier croisé dans la rue. Non ce n'était pas ça. Pourtant l'image l'avait hantée et empêché de dormir. Elle avait bien du tomber sous le coup de l'épuisement une heure ou deux mais au lever, elle avait de ces mines pâles comme la mort et les yeux un peu cernés qui trahissaient que le compte n'y était pas.
Elle arrangea le tout avec un brin de maquillage. Discret. Elle n'aimait pas ce qui faisait vulgaire. Puis elle enfila un boléro de laine angora sur ses épaules et sortit, direction la librairie de la gare.
Elle avait bien travaillé sur elle même pour ne pas avoir l'air fatiguée ou abattue. Elle avait simplement l'air un peu pâle encore mais pas non plus complètement à la merci d'un trop plein d'émotions.

Après tout, elle n'avait pas à en faire profiter n'importe qui et ce jeune homme c'était seulement conduit le plus poliment du monde avec elle. Elle ne comprenait encore pas ce qui avait pu lui prendre de monter pareille théorie. A dix-sept ans, Avril aurait cru que la quête de l'inaccessible famille était finie pour elle. Toute petite elle avait attendu de voir le moment où ses vrais parents apparaîtraient pour lui dire combien ils étaient désolé et pour mettre une explication sur tout ça, ses prénoms, son abandon... plus grande, elle avait ouvert de grands yeux chaque fois qu'une famille avait passé la porte de l'orphelinat pour adopter, elle avait rêvé à une maman qui n'aurait pas été vraiment la sienne mais qui aurait jouer le rôle très bien. Mais rien de tout ça n'était arrivé. Elle avait abandonné jusqu'à ses recherches à l'état civil sur le conseil du directeur de l'orphelinat. Il avait fallu aller de l'avant alors pourquoi régresser maintenant? C'était stupide. Et puis, elle avait cru que Maël lui suffisait, et c'était le cas alors pourquoi...

Pourquoi à la seconde où elle le vit, exactement là où elle avait rencontré, se sentit-elle à nouveau bien? Et pourquoi cette impression qu'il y avait un marionnettiste qui s'amusait à tirer en même temps les ficelles des mêmes fins sourires sur leurs bouches distinctes?

Elle répondit à son bonjour ou du moins leur bonjour se croisèrent, mêlant leur voix qui cherchaient comme la veille à mêler leur timbre. C'en était presque gênant, elle avait l'impression de lui couper la parole alors que c'était du simultané finalement. Personne n'avait rien pris à personne.
Elle eut tout de même un sourire d'excuse poli:

« Comment vous sentez vous ? Il n’y a pas eut de complication suite au mauvais événement d’hier j’espère ? »
« Pas la moindre je vous remercie, je vais très bien. Et vous? Vous n'avez rencontré aucune difficulté en chemin j'espère, avec les rues qu'on ne peut quasiment plus emprunter... »

A cause des démons. Elle supposait bien qu'il aurait pu rencontrer quelques problèmes avec les files d'attente aux réseaux de cheminée.

« Vous avez eu le temps de déjeuner avant que je ne vous emmène visiter? Nous commencerons par le Ministère de la Magie, j'aurais voulu vous montrer Hyde Park mais ce ne serait pas prudent. Mais je connais déjà un excellent café sur le chemin de traverse si ça vous intéresse, je vous y invite...», proposa-t-elle pleine d'assurance.

Elle avait cette merveilleuse faculté que de faire abstraction de ce qu'elle ressentait. C'était sans doute mieux ainsi.

« Cela me parait tout à fait charmant. Néanmoins je n’accepterais que si vous êtes l’invitée Avril. »

Ca ne lui plaisait guère, elle ne voulait pas se dire qu'il l'invitait parce qu'il se disait qu'elle n'avait pas un centime en poche. Orphelin ça ne voulait pas non plus dire à la rue. Enfin elle s'emballait peut-être un peu. Peut-être qu'il ne faisait qu'entrer parfaitement dans le rôle du gentleman de ses rêves, et que ce n'était qu'un brin de galanterie.
Elle s'éclaircit la voix ne voyant pas comment décliner et rester polie à la fois. Elle se dit qu'ils en reparleraient au moment de payer, voilà tout.
Elle lui ouvrit la voie sur le chemin de traverse, l'une des seules rues encore sécurisée, et l'emmena dans un des plus jolis cafés. C'était très propre et il y avait peu de monde. Pourtant une seconde, elle eut l'impression qu'il n'aimait pas trop. Peut-être que c'était un vrai prince et que de fait, l'endroit lui paraissait miteux.

« Vous aviez raison, cet endroit me semble de bon goût. »

Elle sourit, il lui tira la chaise, elle n'en revenait pas. La belle Avril avait complètement oublié Lucifer, qui trop éblouie par ce prince parfait, avait sans doute fuis jusqu'aux confins de l'enfer. On leur apporta la carte mais Avril savait déjà ce qu'elle voulait. Klaus semblait hésiter.

« A vrai dire Avril…Je… J’ai quelque chose à vous confesser… »
« Vous détestez cet endroit... »

C'est l'idée qui lui vint en premier puisqu'elle avait évincé toutes ces théories à dormir debout. Après tout elle l'avait déjà remarqué, il était mieux élevé que la moyenne des gens. Il parlait au moins deux langues en plus de la sienne, et parfaitement pour ce qui était de l'anglais. Ce n'était pas une si bonne idée de l'embarquer dans un petit café de rue.

« Comment ? Oh. Non, non, ce café est fort sympathique… »

Avril fronça légèrement les sourcils. Quoi donc alors? Elle le regardait droit dans les yeux, comme elle n'avait pas pour habitude de faire autrement. Il y avait une intensité particulière dans le regard de la jolie Serdaigle, qui avait fait dévier plus d'une paire d'yeux. Mais pas ceux du jeune homme qui visiblement avant la même façon de regarder les gens quand il leur parlait.

« Ce que je voulais vous dire est… Compliqué. J’avoue ne pas tout comprendre moi-même. »

Ca ne l'aidait guère et quand il lui prit la main sans avertir, elle eut un léger sursaut. Elle pâlit un peu mais fronça d'avantage les sourcils comme pour dissuader une quelconque déclaration qui n'aurait pas été la bienvenue. Pourtant c'était étrange. Ce qu'elle avait devant elle c'était le prince charmant, celui qu'elle avait toujours voulu ne serait-ce qu'entre voir et... non... il y avait de l'alchimie mais pas celle-là. A cet instant précis elle suppliait qu'il ne lui avoue rien qu'elle ne voulait entendre. Pitié qu'il reste tout aussi parfait qu'il l'avait été jusque là. Elle n'osait pourtant pas lui enlever sa main, alors qu'elle l'aurait reprise à n'importe quel autre.

« Avril, vous savez… toutes ces coïncidences, notre nom de famille, notre date de naissance… J’ai voulu en avoir le cœur net et je suis retourné chez moi pour faire quelques recherches la nuit dernière. »
« Oh mais non. Vous n'auriez pas du, ce n'était que les élucu...brations... d'une gamine... vous...vous plaisantez là j'espère... »

Comme ses yeux suivaient les lignes d'un papier officiel les mots s'effritaient dans sa bouche. Elle n'avait que peut de notion d'allemand, pour ne pas dire presque rien. En fait si elle reconnaissait un certificat de décès sous son nez ce n'était que grâce à des emblèmes en tête de page qui semblaient clairement morbide, et elle lisait ses deux prénoms et son nom de famille parfaitement bien, sa date de naissance répétée deux fois, sa taille et son poids. 2,3kg. 40 centimètres. Elle fronça les sourcils ne voulant simplement pas croire à ce qui paraissait une évidence:

« Je...je ne lis pas l'allemand, excusez moi. », fit-elle en lui rendant le papier d'une main tremblante.

Elle le regarder sans ciller, sans rien dire non plus. On aurait dit un petit enfant perdu au visage de princesse, froide. Le coeur froid oui, il avait bien fallu pour que la petite Avril ne pleure pas toutes les nuits étant enfant. Il avait bien fallu qu'elle s'endurcisse. Avril n'était pas de ses filles qui rougissaient. Elle, elle pâlissait plutôt comme si sa peau se transformait en porcelaine froide, lisse. Fragile.
Cet homme face à elle, le prince charmant comme elle ne le nommerait que dans son coeur, c'était son frère. Jumeau visiblement.
De toute sa vie, elle s'était inventer mille et une naissance mais elle ne s'était jamais pensé de frère jumeau. Ca la mettait mal à l'aise. Ca renversait tout son petit univers parfaitement organisé. Son environnement rassurant où elle maîtrisait tout sans aucune exception. Le serveur vint les interrompre pour les servir, mais la tension rester presque palpable. Avril avait cette sensation bizarre dont elle n'aurait su dire si elle était désagréable ou tout au contraire... autre chose.
Sous la table ses doigts pianotaient nerveusement, elle savait bien ce qu'il allait lui dire. Même sans lire l'allemand elle ne devinait que trop bien.

« C’est un acte de décès Avril… A votre nom. »

Elle eut un léger rire nerveux.

« Un acte de décès... et... je présume que Lennard Alder est mon... notre... père... »

C'était le nom qui signait le bas de la feuille. La pauvre Avril était toute pâle. Elle déglutit, n'osant même plus regarder le jeune homme en face d'elle. Elle eut un sourire forcé, le regard toujours fuyant, ravalant des larmes assez difficilement:

« Je dois vous avouer que de tous les scénarios morbides que j'avais pu imaginer, aucun n'incluait mon propre acte de décès. C'est... ce n'est pas le genre de chose qu'on aime se voir présenter je dois le reconnaitre. »

Avril ne savait plus du tout quoi penser. Elle avait peur quelque part. Son père avait visiblement voulu se débarrasser d'elle, cela soulevait une montagne de questions, et que dire de Klaus qui la regardait? Que voulait-il? De quel côté était-il?

« Par Merlin! Mademoiselle vous êtes si pâle! Faut-il appeler un médecin. », s'exclama le serveur qui repassait justement devant leur table.

Mais Avril fut purement et simplement incapable de lui répondre.

Curieuse sensation que de se demander s'il valait mieux savoir ou ignorer. Elle ne regardait plus rien en particulier pendant un petit moment, ses yeux épousant le vide plus qu'ils ne détaillaient Klaus. Sur le moment elle ne fit même pas attention au serveur et il fallut que son frère - Merlin quelle idée - reprenne la question pour qu'elle émerge de ses interrogations:

- Non. Non merci, je vais bien juste..., elle adressa un regard au serveur avant de demander poliment,... si vous vouliez bien nous laisser seuls.

Le serveur s'effaça avec une courbette un peu surfaite mais bienséante. Avril le suivit du regard avant de reposer les yeux sur Klaus. Elle avait envie d'avoir à nouveau sa main dans la sienne comme quelque chose à quoi s'accrocher un peu. Elle était mal à l'aise en vérité. Un peu comme s'il était entré dans la salle de bain alors qu'elle s'y trouvait... mais pire. En fait non ça n'était pas du tout ça, ça n'avait rien de comparable mais même. Il fallait qu'elle le compare à quelque chose de vraiment embarrassant comme pour le mesurer.

- Je... vous... Comment vous le prenez vous? Je veux dire... je crois que je préfèrerai que mon père ignore mon existence s'il a voulu me tuer et que vous non plus vous ne vouliez pas d'une soeur... je comprendrai très bien. Après tout vous n'avez rien demandé. Moi non plus d'ailleurs., tentait-elle d'une voix un peu nouée.

Non elle n'avait pas demandé ça c'était vrai, mais elle l'avait tant souhaité, lui, et ses bonnes manières, et sa bienveillance. Elle prenait là le risque de se faire rejeter à nouveau, en sachant que cette fois cela ferait mal, parce qu'elle était parfaitement à même de se rendre compte.

« Si j’avais connu votre existence avant… Je n’aurais jamais laissé cela se faire. »

La phrase avait quelque chose de doux et de rassurant. De la force aussi. Comme un baume appliqué directement sur le coeur. Avril sourit timidement. Le genre de sourire qui ne sait pas bien s'il est légitime ou pas.

« Je ne dirais rien à Père et Mère. Mais je compte bien tirer cette histoire au clair avant une quelconque confrontation. »

Elle fit signe qu'elle approuvait. Quelque part c'était la première chose qu'ils faisaient ensemble, en se sachant frère et soeur. Garder un secret. Un truc d'enfant. Mais quelque part ne leur avait-on pas volé une partie de leur enfance? Quelque part, ce que venait de dire Klaus mettait Avril en confiance, elle retrouvait petit à petit cette sensation de plénitude qu'elle avait découvert la veille avec lui. Quelque chose d'étrange qu'elle ne pouvait pas vraiment qualifier. Ce n'était peut-être que son envie à elle d'avoir quelqu'un pour l'aimer et la protéger. Mais elle avait peur de s'emballer pour rien, de croire pour être déçue. Il n'y avait peut-être aucun lien entre eux outre ce petit morceau de papier qui déclarait officiellement sa mort.
Pourtant à le regarder droit dans les yeux comme ça...

« Voulez vous que je m’en aille ? Je n’aurais peut être rien dû vous dire, je… Je peux partir si vous le désirez. Je vous promets de ne plus jamais faire intrusion dans votre vie… »

Son premier réflexe, sous la panique, fut de lui prendre la main comme pour le retenir quoiqu'il n'eut esquissé aucun mouvement pour partir. Elle se rendit compte de ce qu'elle avait fait et retira sa main comme elle l'aurait retirée du feu.

« Excusez moi. C'est que... je ne veux pas que vous partiez.», elle baissa le regard, à croire qu'avec lui elle devait apprendre ce que c'était puisqu'elle ne l'avait jamais trop fait avant Klaus, « J'ai tellement longtemps espéré que vous existiez... je vous ai désespéré, alors si vous voir disparaître maintenant... pardon vraiment, ce n'est pas du tout mon genre d'être aussi collante d'ordinaire. »

« Je ne vous trouve pas collante. »

Elle eut un petit hum amusé. Un peu tout de même mais c'était sans doute parce qu'il n'avait pas conscience de ce qu'il représentait pour elle. Pas conscience qu'à cet instant elle s'imaginait une vie sans plus jamais le quitter, et que même à ses yeux, elle se demandait si elle n'était pas à la limite de devenir obsessionnelle ou carrément maniaque.

« Si nous sommes frères et sœurs… il serait peut être possible d’oublier le vouvoiement entre nous. Puis je vous tutoyer Avril ? »
« Bien sûr. Je suis ta soeur alors j'imagine qu'il n'y aurait rien de plus surfait qu'on continue à se vouvoyer. »

Pourtant, si elle avait effectuer le changement dans cette première réponse, elle savait que ce ne serait pas forcément évident au début. Ca ne serait pas spontané. Et pourtant? Quoi de plus normal quand elle n'avait qu'une envie, celle de se blottir dans ses bras et de lui dire qu'elle l'aimait d'instinct. Elle? Avril, la petite reine de Serdaigle, plus habile que n'importe quel autre pour porter tous les masques qu'on puisse imaginer. Elle pouvait être un million de jeune femme à la fois mais là devant lui, elle était elle, tout simplement. Comme parfois quand Maël s'y prenait bien. Elle était spontanée, fragile, touchante. Et pendant un bref instant, elle se demanda si c'était vraiment elle. Que lui avait-il fait ce prince charmant pour qu'elle s'oublie à ce point? Rien, justement.
Elle sourit en voyant qu'ils avaient le même geste en même temps comme la veille dans le rayon de la librairie. Ils trempaient leurs lèvres dans le chocolat noir viennois, bien chaud, comme elle l'aimait. Ils étaient semblables et différents à la fois, comme un yin et un yang parfaitement faits l'un pour l'autre.