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 Tales of the East Side of the Moon, West Side of the Sun (vsd)

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PROFIL & INFORMATIONS









Avril L. Adler

Avril L. Adler
ETUDIANTE. ► 1e année de DROIT.

► MESSAGES : 298
Tales of the East Side of the Moon, West Side of the Sun (vsd) #Sam 10 Avr - 22:28


ft. Leah de Lycie; theme. Deer Slayer.;

C'était un après midi d'été. Particulièrement chaud, presque lourd, mais il faisait beau et le ciel, dégagé des mânes blancs et évanescents des nuages, était d'un bleu poudre monochrome. Il n'y avait là que le bruissement de quelques feuilles sèches pour rappeler le goût de la brise sur des lèvres à peine humides. Que le froissement de quelques pas sur la mousse pour rappeler qu'il ait pu y avoir âme qui vive, fils d'Adam, de Seth ou de Caïn sur cette terre thébaïde. Et elle, celle qui entre tous était née fragile et vulnérable, relevait les yeux vers les frondaisons émeraudes. Un losange d'azur paraissait au dessus de sa tête entre les feuilles, et l'on voyait des oiseaux noirs creuser un siphon dans le ciel. La voix des corbeaux, amplifiée à l'extrême comme un écho venu de quelque désert lointain se dispersait en haros plaintifs et stridents comme la voix des morts dans les limbes. C'était pour ça que l'on aimait pas s'éloigner trop de Leto la Louve. A portée de son regard, disait-on, la mort fuyait. Leto descendait des illustres Lukk de Lycie, ceux qui s'étaient dressés devant les Égyptiens sur leur petite pointe de Grèce antique. Son sang était fort. Son sang était pur. On l'avait vue devant les seigneurs de guerre prendre la parole tantôt contre eux tantôt dans leur sens. On l'avait vue, fille de Lior, seule défendre le corps de son père sur les champs de guerre alors que les généraux la trahissaient. Elle avait tenu bon, louve de feu qui n'avait d'armure que le péplos des femmes, quand on avait voulu l'abattre sur le cadavre de Lior et lui voler son nom. Et pourtant, de toute la terre qui lui revenait, de tout l'or, elle ne prit rien que ses hommes les plus fidèles. Les coeurs purs et les bras fidèles, ceux qui ne l'avaient pas trahie. Et quand elle s'opposa à la mise à mort des traîtres, c'est Jocaste qui se fit la bouche de Leto.

« Le Temps vous offrira en holocauste au Dieu Seth et les charognards viendront nicher dans vos carcasses car nul ne touchera à la dépouille d'un traître qu'il ne soit dévorer par la peste. Par la colère de Seth »

Et quand Leto quitta le pays de Lycie, elle laissa derrière elle une épidémie de peste qui faucha les fils d'Adam et retira aux fils de Seth restés en arrière tout plaisir de la bouche. Ainsi dit-on que devant Leto la mort fuyait car de ceux qui l'avaient accompagnée nul ne fut touché par la malédiction. Aussi, on approuvait en silence de garder la compagnie de cette reine guerrière, parce qu'on l'aimait aussi. Et l'on aimait ses filles aussi tendrement qu'elle même. Pourtant des deux enfants qu'elle engendra, l'une souffrait d'un mal étrange dont les enfants de Seth avaient toujours été gardé avant Leah. Alors en voyant que l'enfant délicate s'était éloignée dans la forêt, plus loin du foyer où tous vivaient on pesta contre la jeune inconsciente. Bien sûr, par ces temps de paix rien ne pouvait arriver aussi la laissa-t-on faire. C'était qu'elle n'aimait pas leur compagnie et tous le savaient. Elle ne leur comptait pas les sourires certes mais il y avait quelque chose en elle qui leur criait toute la haine contenue dans ce corps faillible. Avaient-ils fauté à vouloir trop l'entourer, faire un rempart de leurs corps pour le sien que Seth semblait avoir oublié dans sa générosité?

Leah plissa les paupières. Les rayons crus du soleil lui brûlaient les yeux en voulant jeter quelques uns de leurs grains d'or sur les disques noisettes et placides qui éclairaient le visage de l'adolescente. Elle détourna le regard de la danse macabre des corbeaux, se laissant guider par une odeur de mort toute fraîche. Pieds nus, elle souleva sa robe de lin écru pour traverser le ruisseau qui sourdait ses dernières larmes avant la saison sèche. Elle aurait du se tenir loin de la mort. Comme toute belle enfant avoir le coeur serré par la peur à deviner son ombre menaçante derrière quelques fourrés épineux. Mais elle déviait en tout du chemin que prenaient les autres, qu'il s'agisse de courir retrouver la sécurité des siens ou de jouir pleinement des heures bénies que la vie offrait. Elle était princesse parmi les plus pures. Plus pure qu'on aurait bien voulu le lui prêter à la voir, belle, fraîche, mais si chétive. Une danseuse de cristal, presque invisible dans cette longue silhouette égrotante. On aurait eu peur de la briser en l'effleurant seulement, et elle était si pâle, ses épaules si frêles, ses membres longs et fluets, ses cheveux si longs, si longs, si fins qu'on les aurait cru une soie assez digne d'être portée par les anges. Une rivière de soie châtaigne aux reflets andrinoples qui chutait sur le bas de ses reins. Elle sauta le ruisseau, écarta les ronces pour se frayer un chemin et, sans doute parce qu'elle était bien née, elle put rallier une clairière sans la moindre griffure. Là, elle s'arrêta un instant. Une biche était étendue au sol, comme si on avait voulu l'exposer sous quelques macabres prétextes que la jeune fille ne s'expliquait pas. Les haros des corbeaux s'étaient changés en cris perçants et moqueurs. Leah approcha, ses pas si légers ne faisaient même pas de bruit. Elle laissa ses genoux toucher terre devant la bête. Ce corps plein de force qui portait encore sur lui l'allant de la vie sauvage et son goût suave de liberté était lacéré de part en part et la douce créature avait gardé dans ses yeux grands ouverts l'emprunte horrifiée qu'avait laissé la mort quand elle avait frappé. Ces grands yeux sauvages avaient perdu leur feu, ils s'étaient éteints, voilé pour se retirer. Ailleurs. Dans le réconfort du néant, où rien ne pouvait vous atteindre. L'enfant sentit son cœur se serrer mais pas de peine, plutôt de compassion. Elle avança sa main gracile pour fermer les yeux de la biche, comme pour rendre un peu de dignité à ce corps autrefois magnifique. Comme elle se penchait, un pan de sa robe de lin baignait dans le sang de la bête et bientôt la pointe de ses cheveux se teintait dans le liquide épais et presque noir. Elle s'en rendit compte et s'empressa de se relever attachant ses cheveux d'un simple nœud avant de s'éloigner, le cœur toujours léger, l'esprit tranquille. Nul mauvais augure de freux, ni oracle lugubre ne pouvait la toucher elle. Elle avait le corps faible mais elle ne connaissait pas de faiblesses telles que la superstition, elle ni sotte, ni une enfant crédule. Elle gardait simplement cette innocence dans le regard qui n'appartient qu'à l'enfance et au rêve. Rien n'aurait su la détourner de la beauté de la Nature qui ici se faisait millénaire, ni de la solitude qu'elle venait chercher jusque là pour oublier la déréliction.

Elle ignorait le temps qui passait, le laissant aux fils d'Adam et de même la course du soleil dans le ciel que la ramure épaisse des chênes lui dissimulait. Il faisait si chaud qu'elle ne sentait plus son corps et quelque part elle en était plus légère. La chaleur accablante ne lui pesait plus après un moment et elle oubliait que bien au delà des troncs tortueux, il y avait une vie qui poursuivait son cours, avec ou sans elle. Elle ferma les yeux un instant. Là, seule au milieu des fleurettes de la forêt elle humait l'air, savourait chaque instant, rayonnant de cette lumière unique que seuls les yeux de la Nature avaient pu voir sur elle. Ces yeux là où d'autres moins légitimes. Elle rouvrit immédiatement les yeux sentant sur elle ceux d'un autre. Un autre qui comme tous arriverait à grands pas sans prendre garde aux fleurs qu'il piétinerait sur son passage. C'était le fils de Wolff, qui avait nom Masael. Elle n'avait rien contre lui. Elle s'était simplement laissée surprendre. En voyant ses yeux sombres posés sur elle, elle eut un sourire doux et avenant... interrogateur. Pourquoi ne rompait-il pas le silence? C'était ce qu'elle s'était attendue à le voir faire. Lui qui avait tous les regards, et les vertus que l'on veut à un prince. Celles qui sont superficielles bien sûr mais toujours bonnes en soi. La beauté, la force... Masael rayonnait parmi les autres quand Leah voulait disparaître, une tâche d'ombre parmi les ombres. Oh on ne la laissait jamais disparaître. Elle était si différente, si fragile qu'on ne voyait plus qu'elle quand elle était là. Mais dans la forêt, sous la lumière verte et trouble de l'été, elle semblait à sa place, comme dans un écrin fait pour elle. Et lui? Il se tenait devant elle, immobile, comme pétrifié par quelques forces auxquelles Leah n'entendait rien. Il avait une lueur si étrange dans le regard, si intense... trop intense.

« Non pas ça... »


Un flottement de sa chevelure qui se dénouait, elle faisait volte face. La biche en voyant le chasseur, avait compris pourquoi il était venu. Ses doigts fins se fermèrent aussitôt sur sa robe de lin pour qu'elle n'entrave pas sa fuite. Elle ne se retournait pas cherchant à gagner les buissons et les fourrés épineux qui seraient une petit protection face à un loup qui la dépassait déjà en taille, c'était là son seul avantage sur Masael: sa petite taille. Sans plus y prendre garde elle fuyait, les ronces la griffait au visage et quand enfin elle retrouvait la liberté hors des racines et des lianes, dans une clairière qu'elle ne connaissait pas c'est un bras puissant qui l'emprisonna à la taille.

« Non! Non... »


Ses petites mains la soulevaient, prenant appui sur ce bras puissant qui la gardait contre son gré contre le corps de Masael pour l'aider à se glisser hors de l'étreinte comme un serpent. Mais elle n'avait aucun avantage sur lui. Ses pieds nus battaient l'air ne touchant plus le sol. Elle lui donnait des coups de ses jambes qui ne semblaient pas même l'atteindre. Pourtant si. Elle frappait de ses talons, de toutes ses forces mais ça ne représentait rien. Il plongeait son visage dans sa chevelure douce, en volait tous les parfums délicats, mordait sa gorge de ses lèvres avec une espèce de fièvre démente. Elle avait d'abord cru qu'il voulait la tuer mais l'illusion passa vite. La mort aurait été trop douce encore. Le lin de sa robe se déchira dans un bruit sonore et une main ferme, une main d'homme s'empara de son sein, blanc, si petit encore. Elle donnait de toutes ses forces pour l'en arracher mais bientôt, agacé sans doute et pressé par une pulsion irrépressible, il attrapait son visage d'une seule main, forçant un baiser sur les lèvres encore vierge de Leah. Elle le mordit au sang, profitant de la mauvaise surprise de Masael pour lui échapper. Mais il se remettait déjà, la saisissant par le poignet. Les lèvres vermeilles, le coeur affolé, elle s'épuisait en effort vain alors que lui la jetait pratiquement au sol, sa robe en lambeau. Un vieux souvenir tâché de sang.









Avril L. Adler

Avril L. Adler
ETUDIANTE. ► 1e année de DROIT.

► MESSAGES : 298
Tales of the East Side of the Moon, West Side of the Sun (vsd) #Mer 14 Avr - 21:37


Le tableau avait de quoi faire pâlir les corps voluptueux de la Chapelle Sixtine. Enfantillage que le 2 Mai de Francisco de Goya.Oubliées les belles chevelures de feu de Klimt. La Déferlante de Denis Jacques. Ridicules toutes les Vénus, et tous les Mars du monde. Les Amours et les Psychés. Les Grogones aux milles serpents. Les Zeus s'emparant d'Europe. Il n'y avait rien de comparable. Le tableau dans son écrin de jardin d'Eden était d'une violence inouie. D'une grâce sans pareille. Il semblait que ces corps embrassés dans la lutte eussent été faits de main d'un Leonard. Qu'un Michelange sadique avait voulu s'attarder sur chaque arrêtes, chaque rides d'expression comme pour expier toute la passion dans ce qu'elle a de plus mauvais. La Douleur de se découvrir si faible, si minuscule, soumise de force, et son corps trop immature pour l'acte qui se répandait en rivières vermeilles et en étoffes déchirées. Se contempler triomphant, piétinant le Saint des Saints tant désiré, se découvrir l'instrument d'une Bête à neuf têtes cachée dans son propre sein, le chiffre de la Bête comme des empruntes de ses doigts à lui sur son corps à elle, stigmates noircissants à vue d'oeil. Que faisait-il?! Seth! La Douleur.
La Haine, de se sentir réduite à rien, bafouée, la haine à ne jamais vouloir rien lâcher même quand on a perdu. Ne pas pouvoir entendre raison, cette folie qui vous ronge le sang et vous baigne d'extase: voilà! la Haine. Et l'impuissance... l'impuissance quand les larmes se mettent à couler et les insultes se changent en cris de folie alors... l'impuissance c'est de ne pouvoir s'attendrir, de ne pouvoir écouter. De vouloir tant que pour prendre il faut tuer. Écraser entre ses doigts l'oiseau rare pour avoir eu une fois le toucher soyeux de ses plumes turquins contre sa peau à soi. Voilà ce qu'est Passion dans le tableau de Masael violant Leah.
Et bientôt la sueur et les larmes ne sont qu'un. Le sang et la semence ne sont qu'un. La mort et le désir.

Leah, fille de Leto, enfant de Lukk la lointaine fierté de Lycie, s'abandonne. Elle n'est plus rien désormais. Son corps est tué. Son âme brisée. Son esprit... loin. Quand fatigué Masael repose son front sur cette épaule qui n'a plus même un soubresaut à offrir, elle n'y est plus, elle ne sent plus rien. Elle ne voit plus rien. Il reste seul et sans doute le sait-il maintenant que la Bête est apaisée. La Bête ou l'âme. Quelle différence ici. Animal post coitum triste. Et Masael le saura bien assez vite. Il en sent déjà le goût amer sur ses lèvres. Et c'est un cordial bien âcre qui lui colle au corps, tout ce que Leah avait de plus sale à lui donner. Sa sueur. Son sang. Ses larmes. La terre qui c'est faite boue entre ses mains quand au plus fort de son martyr elle n'avait plus qu'un petit toupet d'herbe verte à étrangler. Alors il la quitte. Caïn fuyant hors de Terre Sainte. Si ce n'est pas une hérésie pour un fils de Seth. Mais le voilà déjà loin et avec lui le temps s'enfuit. Le soleil décline et se met en Terre, emportant avec lui toute chaleur. Et le glacé de la nuit, le glacé de la Mort s'étend là comme un manteau de ténèbres dont profiteront milles créatures malfaisantes. Les bêtes fauves et les cannibales. Les cauchemars assoiffés de chair humaine. Les hordes d'Epouvante chevauchant son Phobos monstrueux. Tous pullulent là dans une bacchanale de l'Effroi, et s'adonnent à tous les excès mais ils passent, et laissent là le corps de Leah. A peine le remarquent-t-ils quand au devant d'eux s'offrent le nectar et l'ambroisie des esprits insouciants qui sommeillent. Faut-il regarder ou faire semblant de n'avoir pas vu. Nul ne sait. Leah elle, ne voit n'y n'entend. Elle ne sent pas. Elle n'est plus. Lovée dans la matrice protectrice du Néant où on l'a précipitée, sa robe déchirée et salie comme un linceul profané à côté d'elle, elle garde les yeux grands ouverts pourtant. Sait-on encore que ça a été une robe ce lambeau de tissu?

***

Dans le loin on entend le haro des corbeaux. Ce matin c'est Hépaistion le Desrée qui a trouvé la biche. Ils se sont empressés de brûler le corps putrescent car tous ne sont pas immortels parmi eux même s'ils le sont pour le plus grand nombre. On s'est ulcéré à cette découverte mais surtout on a eu peur, si peur...

***

Dans le loin... on ne voit pas. Ici la forêt est trop dense. Et si l'on devine les passereaux dans les ramures des arbres, on ne saisit rien de plus que leurs gazouillements joyeux mais désespérément invisibles. Combien de korrigans dans cette forêt pour passer devant vos yeux dans être vus? Mille sans doute. Mais de si bon matin, on peut encore y voir un ange. La créature a durement chuté et sur son corps dévêtu, la terre et la poussière ressemblent à du limon. Douloureuse, folle, la créature se déplie lentement comme un coquelicot. Elle semble froissée. Sur son corps, des doigts ont brûlé la peau et ses cheveux emmêlés et sales sont devenus terre d'ombre, ternes. La divine lumière du soleil l'éblouit. Elle lui cache sa figure hideuse et sans y penser, ramasse ce haillon de robe qui se trouve près d'elle. Elle n'y voit là que sa robe. Il faut à présent se lever. Vascillante, la flamme d'une bougie au plein vent, elle pourrait s'éteindre. Pour de bon cette fois. Mais dans le brouillon de son esprit, hagarde, elle a oublié. Oublié tout. La saveur du monde. Même l'amertume. Le goût des choses. Il lui semble qu'on l'attend au loin. Il lui semble qu'elle devrait déjà être rentrée. Alors sans vraiment se diriger elle met un pied devant l'autre, et c'est plus difficile qu'il n'y paraît. Il lui semble qu'un démon invisible lui donne le fouet quand elle bouge. Elle croit sentir les lanières ardentes et les ronces de sa mauvaise discipline. Elle croit courir pour s'y soustraire mais en fait de courir c'est à peine si elle marche. Elle titube. Seth saura si dans les bois, Leah ne refit pas le labyrinthe de Dédale mais elle arriva enfin auprès des siens. Nue. Faible. Rompue. Pathétique. Oh ce n'est pas elle qui le dira, à cet instant elle n'avait conscience de rien. Mais quand Leto vit sa fille, ou plutôt l'ombre qui avait prit la place de sa fille, elle accourut pour la soutenir dans ses bras. Leah se laissait tomber, inconsciente même d'avoir fait cela.

« Maman... quelle heure est-il? Que cette journée me semble longue.»


Une journée longue de quatre jours.









Avril L. Adler

Avril L. Adler
ETUDIANTE. ► 1e année de DROIT.

► MESSAGES : 298
Tales of the East Side of the Moon, West Side of the Sun (vsd) #Jeu 15 Avr - 21:11


ft. Leah de Lycie; theme. Born a Discard.;

« Leah? Leah tu entends ce que je te dis?»
« Non!! Laisse moi! LAISSE MOI!!»

Il la tenait par les épaules, n'osant ni trop serrer de peur de la briser ni trop la relâcher de peur qu'elle ne se blesse toute seule. Soixante jours seraient bientôt passés et il n'était plus raisonnable de la laisser seule surtout quand elle faisait ce genre de crise. Ils disaient que Leah de Lycie avait basculé dans la folie. Lui n'en croyait rien. Et si Héphaïstion ne le croyait pas, il fallait se ranger à son avis, du moins en sa présence. Il lui épongeait le front, la berçait entre ses bras comme une mère. Et Leto? Elle ne voulait plus la voir. Leah ne pouvait plus regarder sa mère en face depuis que...

« Là, belle enfant. Calme toi, calme je t'en prie, sshh...»
« Laisse moi...»


***

Cinq jours avaient passés. Chez Leto de Lycie il régnait un silence de mort. Un silence suspendu aux lèvres de la princesse cadette. Elle avait supplié qu'on la laisse seule. Alors, à contre coeur, Leandre, sa soeur, Héphaïstion, Jocaste et Leto avaient quitté sa tente. Ils l'avaient laissée seule. Comme elle l'avait demandé. Mais depuis, Leah n'était plus reparue. Oh elle était bien là dans sa tente de grosse toile. Invisible. Mais la nuit... elle était là. Plus que jamais. Dans ses cauchemars. Dans ses rêves. Et elle était la seule à dormir. Les autres la veillaient, le coeur en berne. Tous portaient le deuil de ce qu'elle avait subi. Tous se sentaient mourir à voir la délicate fleur de Lycie gémir la nuit avec plus de force que n'avaient ses petits poumons. Un enfant aurait eu plus de souffle qu'elle. Le jour, on redoutait qu'elle ne soit tombée d'inanition. Mais dès que venait la nuit, les craintes cédaient la place à d'autres peurs. Pourtant, on la voyait se remettre pour bientôt. Elle était si forte. Si butée. Là où le corps avait ployé, Leah n'avait pas céder d'un pouce. Mais désormais seule dans sa tente, elle ne laissait rien savoir de son état, sinon que durant ses interminables heures passées à dormir, elle était hantée de cauchemars.

Chaque jour pourtant, l'un ou l'autre de ses proches allaient lui porter à manger. Et repartait avec l'assiette de la veille, intacte. Héphaïstion redoutait pour la santé de l'enfant car il aurait été bien en peine de dire jusqu'où s'étendait l'infirmité de Leah. Qu'est-ce qui aurait pu la tuer? Pouvait-on survivre à Masael de Lusitanie et trépasser pour quelques repas manqués. Il n'en savait rien. Mais il préférait la prudence. Il était bien loin le surnom de Desrée qu'on lui avait donné dans sa jeunesse. Il était sage désormais. Mais ça ne l'aidait pas à trouver le chemin qui menait à Leah, murée dans son silence derrière la toile brune.
Pourtant, un matin que Leto était en colère car sans doute morte d'inquiétude, Leah sortit de sa tente. Elle était propre. Les cheveux soigneusement peignés bien qu'ils n'aient pas quitté cette couleur terne qui serait toujours la leur désormais. La silhouette filiforme de l'adolescente ne semblait pas plus amaigrie que ça par ses quelques jours de jeûne bien qu'elle semblait faible sur ses jambes. Elle avait pourtant le teint frais et son air déterminé la laisser présager en bonne santé. Elle demandait à voir sa mère seule, loin des regards et des oreilles.

« Ma Leah, mon enfant, nous craignions que tu te laisses mourir dans cette tente. »
« Ce n'était pas à moi que je voulais nuire maman. Pardon si je vous ai tous inquiétés, ça n'était pas mon intention. »
« Que dis-tu là enfant? Celui à qui tu aurais voulu nuire est trop loin désormais. Priais-tu Seth?»
« Non maman. Je ne prie pas.»
« Je sais Leah. »

Leto serra un instant son enfant contre elle mais elle la sentit si tendue qu'elle la libéra bientôt, soucieuse de ne pas la brusquer. Elle aimait d'un amour tendre ses filles, également. Il n'y avait rien au monde qu'elle n'eut pas donné pour elles deux et jamais elle ne laissait qu'on moque Leah. Encore moins qu'on ose dire qu'elle n'était pas une vraie fille de Seth bien que certains le fissent. Pas parmi la meute bien sûr. Seulement les étrangers.
Si elle avait pu faire payer Masael à hauteur de ce qu'il méritait elle l'aurait fait. Mais en son coeur, elle savait que ce qui était fait était fait et que certaines choses sont si laides qu'il n'y ai rien qui puissent les égaler, les punir, ou les faire oublier. Elle prenait donc son mal en patience, veillant sa fille avant tout le reste. Masael lui était déjà loin. Exilé.

Leah déglutit difficilement. Pour la première fois, elle semblait à la fois toute colère et en même temps prête de s'effondrer en larmes. Leto avait su que cet instant viendrait. Ce qu'elle n'aurait jamais pensé, c'était qu'il ne serait que le point de rupture de l'état de santé de sa fille.

« Maman...»
« Parle Leah, je peux tout entendre ma fille. »
« Non pas tout mais ça il le faudra bien. »

La louve répondait d'un tendre sourire maternel.

« Je porte l'enfant de Masael de Lusitani. Je... je suis enceinte et je... »

... suis sienne à jamais. L'une comme l'autre femme le savaient bien. Et comme Leah posait son visage sur l'épaule de sa mère, Leto se raidissait tout en l'entourant de ses bras. Un enfant. Enfant maudit. Enfant de la Haine. Mais un enfant tout de même. Même hors de terres de Leto, cela signifiait quelque chose. Et pour Leah, c'était l'ultime poison de son meurtrier. La plus basse traitrise. Qui aurait aimé nourrir son ennemi en son sein, l'accueil dans le plus sacré des sanctuaires. Le bercer au sein plus tard tout en lui susurrant de tendres mots?
Non jamais! Jamais elle ne voudrait de l'enfant de ce monstre qui l'avait brisée pour quelques minutes de plaisir non partagé. Pour rien en somme. Désormais il n'allait plus la quitter. Il serait en elle plus encore qu'il avait pu l'être ce matin funeste. Et si cela pouvait la délivrer de lui elle pouvait bien s'en rendre malade. Ne plus toucher de nourriture terrestre. Ne plus dormir. Ou ne faire plus que ça. Elle ne savait pas. Elle ne savait plus.

« Je n'en veux pas...»

Mais Leto la serrait dans ses bras, presque masculine à côté de petite fille aux allumettes qu'elle tenait contre elle. Si fragile. Leah aurait été une Venus efflanquée aux yeux éteints à côté de la plus plantureuse des femmes. Elle n'en voulait pas. Soit. Elle avait décidé pour elle. Qui aurait voulu élever l'enfant d'un viol? Et si jeune en plus.

***

Leto portait sa fille nue dans ses bras. Le corps tout abîmé. On la plongea dans l'eau et ce fut Leto et Héphaïstion qui la lavèrent. Comme une enfant. Comme une mourante plutôt. Les enfants ne sont pas si sages au bain.
Par instant elle émergeait de son cauchemar. Se débattait comme une furie et bien qu'il ne fallait guère plus d'une seule main de Leto pour la tenir, tous portaient la main, l'un soutenant sa nuque pour qu'elle se plonge pas la tête sous l'eau, l'autre son épaule ou sa main, pour qu'elle ne frappe pas ceux qui la soignaient. Et la main douce d'Héphaïstion qui passa sur sa peau une éponge infiniment douce. Pourtant elle avait l'impression de sentir des ongles la griffer et elle criait comme une démente. Et elle pleurait aussi. Une nuit de sommeil chasserait l'accès de folie. Puis il faudrait qu'elle reprenne des forces. Puis elle commencerait à guérir. Elle n'oublierait pas Masael non, mais elle en guérirait.

***
« Leah? Leah tu entends ce que je te dis?»
« Non!! Laisse moi! LAISSE MOI!!»

Il la tenait par les épaules, n'osant ni trop serrer de peur de la briser ni trop la relâcher de peur qu'elle ne se blesse seul. Soixante jours seraient bientôt passés et il n'était plus raisonnable de la laisser seule surtout quand elle faisait ce genre de crise. Ils disaient que Leah de Lycie avait basculé dans la folie. Lui n'en croyait rien. Et si Héphaïstion ne le croyait pas, il fallait se ranger à son avis, du moins en sa présence. Il lui épongeait le front, la berçait entre ses bras comme une mère. Et Leto? Elle ne voulait plus la voir. Leah ne pouvait plus regarder sa mère en face depuis que...

« Là, belle enfant. Calme toi, calme je t'en prie, sshh...»
« Laisse moi...»

Plus personne ici ne pouvait encore nommer Leah de Lycie "belle enfant". Elle était fanée, lugubre, autodestructrice. Folle. Tout simplement. Le plus grand malheur que les enfants de Lukk aient eu à connaître. La plus grande tristesse aussi car c'était vraiment pitié de la voir, désormais incapable de quitter le lit tant sa grossesse lui pesait. Elle avait perdu de sa couleur. Perdu de sa saveur. Il ne restait plus d'elle qu'un petit rebut moribond qui avait le malheur de porter la vie en lui. Ce serait ce soir. Et elle était tendue. Héphaïstion l'avait patiemment nourrie ces deux longs mois. Et puis qu'elle ne se sentait plus de sentir sur elle le regard de sa mère, qui pourtant n'était qu'amour et compassion, il était devenu son quotidien. Son garde malade. Patient. L'amant abstinent que Leah aurait pu rêvé si dans ses rêves, quelques sombres secrets d'amour naissantes et de désirs honteux n'avaient pris racine. De l'amour? Non. Un attachement malsain à son bourreau qu'elle aurait eu trop honte de révéler. Elle voulait qu'il soit sien. Elle voulait l'avoir entre ses bras chaque nuit et le serrer à l'étrangler à chaque coup de pied que l'enfant qu'il avait mis en elle donnait. Elle voulait qu'il souffre comme elle souffrait, qu'il perde la raison, qu'il en crève. Et alors peut-être, elle l'aurait souhaité, elle l'aurait aimé. Elle aurait aimé le détruire. Elle se serait senti forte. Comme lui. Et elle l'aurait aimé pour cela. Mais en lieu de ça... elle allait encore souffrir. Par lui. Le premier cri de douleur frappa. Héphaïstion la tenait contre lui, protégeant ce ventre rond et énorme qu'elle avait. C'était démesuré pour une fille de son gabarit. Il doutait qu'il n'y ai eu qu'un seul enfant mais il ne le lui aurait dit pour tout l'or du monde. La pauvre enfant se mourrait déjà d'avoir à porter une seule de ces "abominations" comme elle le disait parfois.

On craignait qu'elle n'essaye de se débarrasser de l'enfant lorsqu'il serait né. On craignait plus encore qu'elle ne passe pas cette nuit là. Leto elle même avait été éprouvée par les naissances de ses filles, et elle était parmi les plus solides alors Leah...
Pourtant elle passa la nuit. Les douleurs du travail apaisaient sa folie passagère et bientôt la délivrance se dit. Trois louveteaux. Ce fut à Leto et Jocaste qu'Héphaïstion les tendit en premier. Leah s'endormait. Il allait la laver et l'aliter. Et pourtant dans son coeur, il savait déjà qu'en se réveillant, elle ne serait pas plus mère que le jour précédent. Il avait le coeur triste pour ses petits.
Les jours suivants ne firent que montrer que le sage Héphaïstion ne s'était pas trompé. Leah ne fut pas plus mère qu'au jour où elle conçut ces trois enfants avec Masael. Si elle n'essayait pas de les tuer dans leur sommeil, elle refusa d'abord de les nourrir, d'autant qu'ils étaient affligé de l'étrange malédiction de rester loups chaque jour et chaque nuit que Seth faisait. On les nourrit donc au lait de chèvre les premiers temps. Jusqu'à ce que, de longs mois après leur naissance, purgée de toute sa haine, l'esprit à nouveau sain, Leah ne s'avance à nouveau parmi les siens. Elle s'assit dans l'herbe devant tous les visages qui ne savaient plus comment la regarder et, découvrant l'un de ses seins, arrondi par la maternité, elle prit le louveteau noir que Leandre tenait sur ses genoux, et lui donna le sein. Le petit loup hésitait devant cette femme qu'il ne connaissait presque pas, puis reconnaissant l'odeur de sa mère, il prit le sein et se mit à téter comme un bien heureux de ce bon lait maternel auquel il n'avait jamais eu droit. Bien plus doux que le lait de chèvre. Tout ce dont il avait besoin. Ça et la caresse douce des main de Leah sur son pelage noir frappé d'un éclair blanc au torse.

« Tu seras Lazarus. Lazarus de Lycie. »










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