« La grâce est leur mode de vie, la perfection leur obsession. Mais avant d'accéder au statut rêvé d'étoile de l'Opéra national de Paris, la plupart des danseurs ont été des "petits rats", des gamins de huit ou neuf ans que l'on prépare quotidiennement à un destin d'exception. » l'amibtion. voilà ce que devait être mon seul défaut. il faut dire que j'étais une petite fille dans la moyenne, pas trop grande et pas si mince non plus, comme toutes les autres petites filles dans la moyenne. j'avais des amies, et il y avait toutes ces filles qui riaient de mon poids : comme je ne savais pas encore ce que c'était, un poids, je pensais qu'elles ne riaient que de moi, mais ça ne m'affectait pas, parce que j'avais la seule chose qui importait. la passion. le rêve. je voulais y arriver et danser comme personne d'autre avant moi n'avait dansé. j'avais déjà l'ego à la bonne place, et la tête dure oui, très dure, assez du moins pour casser une des marches du grand escalier du Palais Garnier quand je m'y fracassai la tête, après une longue et tortueuse chute qui me parut durer l'éternité.

C'est bien évidemment que je ne savais pas à quel point ça pouvait être long, l'éternité. Je n'ai jamais compris pourquoi on dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions ; ça doit être parce que je n'ai que neuf ans. de toute ma vie, je n'avais jamais rien fait de mal. j'avais été à la messe tous les dimanches, pour confesser mes petits péchés de gourmandise et de colère contre mes grandes soeurs, si filiformes, si longues, justement. je n'avais eu pour seul rêve, pour seule ambition, que celle de devenir comme elles. de danser. maintenant, j'étais seule, devant ces grandes portes qui n'ont jamais rien eu de belles. je ne comprenais pas et aujourd'hui encore, j'ai du mal à m'y faire. pourquoi moi ? qu'avais-je donc pu faire de si pire ? moi qui connaissais, tous ces chapelets par coeur, et à qui on avait dit que Dieu ne fait pas d'erreur, qu'il pardonne tout et accepte les fidèles sans exceptions à ses côtés ? moi qui venait d'une bonne famille, de sorciers ne fréquentant que la magie blanche et les gens du côté illuminé de la force ? je me suis dit que Dieu voulait me punir de n'avoir pas réussi ; je devais être une si grande déception pour lui. D'être morte avant le temps, et d'avoir interféré dans les plans ... je me suis assise seule, dans l'Enfer, et j'ai attendu. J'ai cherché les bonnes intentions, sans les trouver. L'Enfer est rempli de noir, de sang, de malheur. Personne n'y survit. c'est ça qui nous a rendu méchants. et fous. et tristes. tous les jours je regardais mes petites jambes potelées, et je me disais que jamais, plus jamais, même si j'attendais les siècles qui m'étaient réservés ici, je ne grandirais pour devenir comme mes soeurs. Pour me désennuyer, j'ai commencé à danser. Danser pour éloigner tous ces hommes, méchants, qui m'approchaient et me murmurait aux oreilles des choses que je ne comprenais pas. Danser pour me révolter et faire comprendre au monde que non, je ne méritais pas d'être ici. À trop m'enfler la tête, à trop m'user les pieds sur le sol coupant d'éclats de verre et de rancoeur, je crois bien que je suis devenue folle. Des fois je crie et je pleure et je tappe contre les murs, mais il n'y a rien, rien sauf le malheur et le noir, et la violence. La seule beauté, comme toujours a résidé dans la danse.

Puis un jour, il m'a approché comme un ange gardien, lui, ses grandes mains d'homme vieilli, et le mal qui émanait de partout, sortant de son costume et de son chapeau comme une puanteur effroyable. Il m'a pris par le bras et m'a dit, viens, on s'en va. Il m'a dit qu'il était poète alors j'ai eu confiance en lui. Les poètes sont comme les danseurs ; passionnés et puis c'est tout. Il m'a dit que je pouvais rester sur Terre, si j'accomplissais une toute petite mission. Me venger. Des humains. Qui m'ont mal sauvée et m'ont vouée à la cruauté insalubre de l'Enfer. Je n'avais que neuf ans et j'aurai neuf ans pour toujours. C'est de leur faute à tous. Ils doivent souffrir, comme j'ai souffert pendant une éternité en Enfer. Et voir un peu. Que l'Enfer n'est pas pavé de bonnes intentions.


Je ne demande qu'à vous rendre la pareille.

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