dead man's bones ▬ buried in water

Il sombre dans la rivière River. C'est un ruisseau des larmes de la forêt, de la montagne et de la pluie, qui très loin rejoint l'océan de tristesse. Il se fond dans ce flot des eaux, il s'efface dans ces tristes pleurs de la nature, qu'on croit être l'essence de la vie. Si c'est ainsi, l'essence de la vie est d'être triste. Les rivières sont tristes. River est triste.
« Quelle idée de m'appeler River. Ma mère trouvait ça beau de nous donner des noms d'eau. Mon frère est tombé sur Ocean, la chance, ouais. Il n'a pas eu le droit à autant de blagues que moi. Ou alors c'est seulement que lui ne les attirait pas. »
Au dessus de la surface il y a des rires, des mains, des visages d'enfants heureux de la tristesse d'une rivière. Ces mains d'enfants le tiennent fermement sous l'eau. C'est une petite rivière à coté du manoir Montgomery. Ce sont les enfants des domestiques. Ca pourrait être dangereux pour eux de brutaliser le fils ainé de la maison, mais celui-ci ne fait rien, et ne dit rien, et de toute façon personne ne l'écoute.
« Ma mère a très vite perdu son intérêt pour moi. J'avais quatre ans quand mon petit frère est né. J'étais chétif et silencieux alors que lui souriait déjà, riait beaucoup et semblait le plus parfait héritier possible aux Montgomery. Mon père ne s'intéressa alors jamais qu'à lui, m'envoyant jouer loin très loin tout seul dans le parc, ou avec les enfants des domestiques. Le reste il s'en foutait. J'aurais même pu être cracmol qu'il aurait à peine haussé un sourcil. Je suis un enfant raté. »
Les mains le ramènent à la surface à peine l'instant de prendre un peu d'air. « Alors River, t'es bien chez toi? » Des rires. Et River retourne à la rivière. Il aimerait que ses mains le lâchent, pas pour qu'il remonte mais qu'elles s'en aille simplement, et le laisse suivre enfin le cours de cette rivière fondre ses larmes en elle, se fondre entièrement dans les gouttes d'eau et ne plus exister.
« J'ai eu droit comme deuxième prénom à Achille. Celui qu'on croit fort mais qui est en fait faible. On ne m'a jamais cru fort, mais je suis faible. J'ai surement des centaines de talons d'Achille. Mon frère a eu Paris. Celui qu'on croit faible mais est fort. Il est condamné à me détruire et il l'a déjà fait. Mais je ne le déteste pas pour autant, non, je n'arrive pas à le détester. »
Les mains finalement s'en vont. River aurait du mourir depuis longtemps, mais quelque chose au fond de lui s'est accroché, comme les serres d'un oiseau qui se sont refermées sur ses poumons et les tirent vers la surface. Les corbeaux sont sur les arbres, à attendre qu'il rende sont dernier souffle, ce dernier souffle qui ne vient pas. River ne meurt pas ce jour-là. River coule le long de la rivière.
« La famille c'est surfait. Ce sont juste des liens de sang, qui nous obligent à des liens d'amour ou de haine, ou d'indifférence. Je ne sais pas ce que je ressens pour la mienne. Du dégout, un peu. De l'amour, pas vraiment. De la haine non plus. De l'indifférence, plus ou moins. J'aime savoir ce qu'ils font. Je veux connaître mon frère et l'aider, c'est pour ça qu'existent les grands frères. »

health ▬ die slow

River marche le long du quai. Il s'imagine que tout va changer. Mais il sait au fond que rien ne va changer. Il coule toujours le long de la rivière, il ne sait pas où elle va, mais y va quand même. Les sourires de ses parents sonnent faux, mais il voudrait y croire. Il pourrait tomber sur les roues du train, mais ce n'est pas ce qu'il veut. Il n'y a pas ici de rivière où il peut se noyer, sauf celle qui fait sa vie. Il s'est déjà noyé dans sa vie.
« J'ai voulu mourir quand j'étais enfant. Plusieurs fois, j'ai voulu me noyer. Mais je n'y suis jamais parvenu. Peut-être qu'au fond je ne voulais pas. Je voulais rester la rivière qui coule et ne se tarit jamais. Je ne veux plus mourir maintenant. Je n'aime même pas spécialement faire mourir, mais je le fais. Je me demande pourquoi on en fait tout un plat de la mort. Ca vient un jour, ça vous frappe, et plus rien. Ca ne prévient pas, alors ça ne sert à rien de la prédire, et de la craindre. Elle viendra un jour où l'autre. Est-ce vraiment important de savoir quand? Comment? Pourquoi? Non, elle vient, emporte tout et puis plus rien. S'en soucier ce n'est qu'éviter sa vie. »