Un dîner. Rien de plus, rien de moins. Alors pourquoi se mettait-elle dans un état pareil ? Bon évidemment, quand on la connaissait comme Isa' la connaissait, la réponse était évidente. Jo se posait un milliard de questions depuis le début de la matinée. Ca avait été des vêtements qu'elle allait porter, à la mise en place de la table, au dîner en lui-même – pourvu qu'elle ne tombe pas juste sur un truc que Kap' ne supportait pas... Bref, depuis le début de la journée, c'était une vraie pile électrique qui arpentait en tous sens la cambuse.

Evidemment, elle n'allait rien dire à Kap' sur sa fébrilité. Evidemment, elle ne devait pas attendre plus que quelques marques d'affection bien anodines de la part de celle qu'on appelait maintenant Midnight mais qui resterait définitivement pour elle Kaprice Harlington. Celle qui faisait désespérément battre son coeur et qu'elle n'avait jamais réussi à remplacer, tout en sachant parfaitement que ce ne serait qu'à sens unique. Et que pour ça, elle ne lui avouerait rien, jamais. Parce qu'elle ne voulait pas perdre son amitié. C'était mieux que rien, après tout.

Cela faisait une heure, maintenant qu'elle étalait tous ses vêtements sur son lit, les uns après les autres, après les avoir essayés. C'était absurde, Kap' se ficherait parfaitement de la tenue qu'elle porterait. Mais c'était plus fort qu'elle. Et elle avait fait le tour de sa garde-robe, pour finalement revenir à ce qu'elle avait sorti en premier : un haut court à col américain, brodé de perles figurant des plumes stylisées au col, sur un pantalon en jean blanc taille basse et moulant. Des bottines à talons compensés sur les côtés desquelles pendaient deux plumes aux pieds, elle était presque prête. Restait une touche de maquillage... et à vérifier la cuisson des plats qu'elle avait passé un temps fou à préparer – il faut dire que la cuisine n'était pas vraiment son fort et qu'elle avait eu grand besoin des conseils et coups de main d'Isa' pour ça.

Sauf que voilà, elle n'en était qu'à terminer son ravalement de façade quand on frappa à la porte. Un coup de baguette pour ranger ses affaires dans son armoire et elle courut littéralement vers l'entrée, un brin trop précipitée peut-être. Un coup d'oeil à son amie avant d'ouvrir pour avoir un verdict quant à sa mise et elle ouvrit le battant pour découvrir le visage de Kap', aussi belle que d'habitude. Béni soit le ciel de lui avoir donné une peau noire qui évitait qu'on la voie rougir.

Et elle s'effaça pour laisser la jeune femme entrer.

Ca c'était plus facile à dire qu'à faire. C'était bel et bien cette nouveauté qui mettait les nerfs de Jo' à rude épreuve. Si elle avait eu l'habitude d'inviter Kap' pendant les années qu'elles avaient passées à Poudlard, peut-être eût-elle été moins nerveuse ce soir. Ce n'était pas le cas, cela dit, et elle avait beau s'activer, il lui semblait que rien n'allait comme il fallait.

Heureusement qu'Isa' était là. Sans son aide, elles auraient été bonnes pour commander un truc à livrer parce que nombre de fois, elle avait failli faire brûler ce qu'elle tentait désespérément de préparer. Il fallait bien avouer que la cuisine, c'était plutôt le domaine de son amie, pas le sien. Elle, elle était nettement plus douée en couture. Preuve en était qu'une fois de plus, Isa' avait rectifié le tir. Note pour elle-même : ne jamais toucher à une casserole sans l'aide de quelqu'un.

Kaprice venait d'arriver et le visage de Jo' s'était instantanément éclairé d'un sourire. Leur invitée avait dû courire à en croire son essoufflement.

La canadienne vérifia sa montre. Non, non, elle était en avance de cinq petites minutes. Comme quoi la course n'aurait peut-être pas été nécessaire. Mais savoir qu'elle s'était pressée pour venir les voir, c'était bien agréable. Au moins tenait-elle toujours à elles, malgré sa nouvelle vie.

Une bouteille sortit du sac de Kap' et Jo' ouvrit des yeux ronds. Du champagne ! Elle n'en avait jamais goûté qu'à la majorité de ses frangins... Waouh...

Naturellement honnête, Jo' n'hésita pas à préciser sa nullité en cuisine.

La question était pour Isa', vu que manifestement, les deux autres ne connaissaient pas vraiment ce breuvage. Quoi qu'elle ne fût pas certaine que sa colocataire eût bien plus d'idée sur la façon la plus adéquate de consommer cette boisson.

Elle n'aurait pas mieux dit. Ce monde dans lequel elles évoluaient, ils devenaient vraiment n'importe quoi. Après des élections certainement truquées pour qu'un tyran soit au pouvoir, après la libération de criminels, après des exactions macabres qui restaient et resteraient sans doute impunies, qu'allait-il encore leur arriver ? Ealdwic était sans doute une des rares enclaves encore à peu près libre. Où allait-on ? Jo haussa les épaules, elle n'avait rien de bien engageant à dire sur le sujet, et elle ne souhaitait pas vraiment que la conversation aille vers un discours politique.

Elle prendrait bien Isa' à témoin, d'ailleurs, s'il le fallait. Parce que vraiment, si elle n'avait pas été là, elle n'aurait pas donné cher de la cuisine. La nourriture comme la pièce d'ailleurs. Et elle haussa de nouveau les épaules quand on aborda le sujet du champagne. Elle ne savait pas ce qu'il convenait de faire, donc tout lui irait.

Va pour maintenant alors. Jo' vit avec un sourire Isa' prendre les devants et amener des verres en les faisant léviter. Et elle était plutôt contente qu'on ne lui demande pas à elle d'ouvrir la bouteille. Elle n'en aurait sans doute pas été capable, de toute façon.

Comment refiler le bébé à l'invitée... Et comme ça avait vraiment l'air de lui faire plaisir, un sourire flotta sur les lèvres de la canadienne qui observait l'élue de son coeur à l'oeuvre. Rien que pour ces petits moments-là, la vie valait la peine d'être vécue, non ? Et quand le regard de Kap' se montra interrogateur, Jo' haussa les mains et les épaules : non mais vraiment, là, il ne fallait pas lui demander à elle ce qu'il fallait faire. Et d'ailleurs, Kap' n'en avait pas besoin : elle s'en sortait comme une chef.

Ce qui était particulièrement vrai. Elle avait aussi passé elle ne savait combien de temps devant le miroir, mais ça, elle n'allait sans doute pas le révéler.

Sous-entendu plutôt : Je t'aime, et Isa' le comprendrait sûrement. Mais ça non plus, elle n'était pas prête de le révéler.