C'était un de ces matins bizarres. Un de ces matins où l'on se rend compte qu'on a pas tellement dormi, rongé par l'angoisse, le stresse ou autre...
Il faisait beau, un grand soleil et les arbres fleuris du jardin intérieur de l'hôpital étaient radieux, exposant fièrement leur fleurs et vertes feuilles. C'était ce que Léo préférait.

Ce matin, elle c'était levé avec cette boule d'angoisse au ventre. L'infirmière l'avait mit en contact avec un amnésique. Il devait venir lui rendre visite aujourd'hui. Tout le monde pensait que se pouvait être bien utile pour la jeune fille qui vivait très mal cet accident et semblait même rentré, bien malgré elle, dans une dépression.

Elle c'était habillé normalement mais avec un sentiment de vide. Elle avait peur. Peur qui lui dise que jamais elle ne retrouverait sa mémoire, peur qu'il lui révèle que sa vie avait complètement changé, peur qu'il lui avoue regretté son passé...
C'était une hantise qu'elle ne se savait pas capable de surmonter, mais... Il fallait en avoir le cœur net et elle pouvait le faire, elle le savait.

Elle c'était assise sur un banc, sous un énorme chêne, certainement centenaire. Combien de personne avait-il vu sous son feuillage, heureuse ou pas, en phase terminale ou sur la voix de la guérison...
Elle attendait, tortillant un brin d'herbe entre ses doigts, signe voyant de son stress constant.
Tout allait bien se passer. Elle prit une grande bouffée d'air et continua de réfléchir tout en tortillant à l'infini son brin d'herbe qui, aussi solide fut-il, ne tarderait pas à céder.

« Tu as réussi à l'endormir? »
« On dirait bien que oui... » , répondit Keith à voix basse.

Il serrait contre lui un tout petit bout de chou aux joues rougies par la fièvre. Travailler comme aide-nurse à Ste Mangouste ce n'était pas facile tous les jours, d'autant quand on était au service pédiatrie. Normalement, le rôle de Keith s'arrêtait à lire quelques histoires et à divertir les enfants dans la salle de jeu, lui ne voyait pas le pire mais parfois il y avait un gamin qui avait besoin de parler, ou que vous voyiez plus fatigué de jour en jour. C'était ça, cette expression vague et pesante à la fois sur le visage de Joelina.

« Parfois j'ai l'impression que rien ne te touche...» , la jeune aide-médicomage fronça un peu les sourcils avant de soupirer, « Enfin c'est pas exactement ce que j'ai voulu dire... mais... »
« Je sais t'inquiète. C'est normal d'avoir de la peine Joelina. » , répondit-il d'un ton assez égal.
« Je sais. Ca fait suffisamment longtemps que je bosse ici mais toi... toi on dirait que rien ne te touche. Que quoiqu'il arrive et ben... ça arrive et c'est tout. Comme si tout ce qu'il leur arrive à ses pauvres gosses, ça ne te marquait pas plus que ça. Je sais que tu n'es pas un sans coeur mais... »

Le regard de Keith l'interrompit. Elle n'arrivait pas exactement à formuler les choses comme elle l'aurait voulu. Ce qu'elle pensait clairement c'était que Keith était sans doute la personne la plus dévouée et la plus attachante qu'elle connaissait. Qu'il était parfait pour ce boulot parce que les gamins l'adoraient et qu'il le leur rendait bien. Mais à chaque fois qu'elle elle avait à sécher des larmes et qu'elle le voyait toujours avec ce même sourire égal, bienveillant, elle avait envie de l'étriper parce que lui aussi aurait dû pleurer, ou du moins s'assombrir. Il n'aurait pas dû rayonner comme si tout aller bien, comme si la mort et la maladie ça n'était pas bien grave. Qui pouvait se comporter comme ça à part un sans coeur?

« Je ne suis pas un sans coeur. » , répondit-il par anticipation et avec une certaine froideur qu'on ne lui connaissait pas. Puis sa lumière, son sourire revinrent d'eux mêmes.

Il s'éloigna avec le petit Clifford dans les bras qu'il abandonna, paisible, dans son lit avant de prendre la direction de la sortie. D'ordinaire il n'était pas si ponctuel. Ca ne lui ressemblait pas de partir à l'heure pile où il finissait son service, même si d'ordinaire il ne traînait pas non plus. Il avait Némaniah à récupérer. Mais ce jour-là, il avait quelqu'un à rencontrer.

Une jeune fille dont on lui avait dit qu'elle avait perdu la mémoire et qu'elle le vivait mal. Il était bien placé pour la comprendre puisque lui ne savait rien de lui même sinon ce qui remontait à début juin jusqu'ici. Il s'était remis du traumatisme de façon exemplaire selon les médicomages, mais lui savait très bien à quoi été dû son amnésie et il avait sur son épaule un aide qui dépassait de loin tout ce en quoi les médicomages voulaient bien croire. Keith n'était pas perdu malgré son amnésie. C'était peut-être ce qui faisait de lui la personne la moins à même de comprendre et dans le même temps la mieux disposée à comprendre.

« Tu dois être Eléonore Bellerose? » , fit-il en s'approchant d'une jeune fille assise sur un banc...« Keith Whiteley. »

La voix était venue de la gauche. Par réflexe, Léo se recula sur l'extrémité droite du banc, sursautant par la même occasion. Elle savait bien que le jeune homme devait venir, mais, à force de tortiller ce brin d'herbe, elle s'était perdue dans ses pensées sans vraiment savoir où celle-ci la menait.

- Enchantée, dit-elle tout en se levant, tendant une main courtoise vers le nouveau venue, mais appelle moi Léo, je préfère...

L'instant était plutôt... tendue. Dans un premier temps,e lle ne savait quoi faire. Devait-elle laisser ses pulsions aller et exploser en pleure, ou devait-elle se contenir, tout intérioriser ?
Elle choisie la deuxième option. Elle affichait un triste sourire, mêlant gêne, gratitude et timidité, incroyable barrière également, barrage retenant un flot de larmes qui montait petit à petit.
Elle se sentait bête, oui, incroyablement bête. Lui était là, devant elle, et affichait un sourire radieux. Il ne le prenait pas mal... Peut-être avait-il tourné la page ou peut-être était-il tout simplement bien plus fort moralement que la jeune sorcière.

- Je... je ne sais pas trop par quoi commencer... Dit-elle, emporté par la gêne qui lui serrait la forge, l'empêchant de parler.

Elle regarda ses chaussures, de beaux petits escarpins noirs vernis. Son père les lui avait ramené la veille, lui assurant que c'était sa paire de chaussures préféré. Avant même qu'il ne le lui annonce, Léo s'en était souvenue. C'était un vieux modèle que sa mère avait autrefois posséder, à peu de chose près, c'était les même. Ceci avait été un signe encourageant sur le chemin de la guérison.
Elle releva la tête vers Keith, sourire plus marqué.

- Je suis désolé, je suis un peu tendue depuis tout ça...

Elle prit une grande respiration, et enchainait déjà.

- Alors, comment... comment est ce que ça c'est passé pour toi ? Ton amnésie ?

Il fallait bien commencer quelque part, et prendre les devant était encourageur et cela la ferait certainement avancer. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.

A peu de choses près pour Keith, ça allait sans doute ressemblait à une confession à double sens. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas tenu ce genre de rôle, du moins de façon officielle. Il avait prêté son attention à tous, c'était tout ce dont ils avaient besoin. Cette fois, il y aurait un échange, sans doute. Peut-être... peut-être pas. Depuis qu'il avait reposé le pied sur terre, il y avait comme une douce mélancolie qui s'attachait à lui comme son ombre. Elemiah disait que c'était "la chute". Ca ne le quitterait pas. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était vivre sa vie terrestre avec ça. Se consoler avec l'assurance que sa chute à lui n'était qu'un marche-pied pour une prochaine ascension. Véritable celle-ci.

- Je suis désolé, je suis un peu tendue depuis tout ça...
- Je crois que c'est normal.

Il n'affirmait pas. Il n'était pas là pour ça. Simplement pour discuter, tranquilliser peut-être. Il s'assit près d'elle, ses yeux verts contemplatifs.

- Alors, comment... comment est ce que ça c'est passé pour toi ? Ton amnésie ?
- Et bien... je suis exorciste. J'étais en train de bannir un démon. Nous avions fini ou presque quand j'ai été blessé. Mais c'était une blessure... nécessaire.

Étrange discours. Sans doute qu'avec son ton égal et tranquille, son air détendu, la pauvre Léo allait le prendre pour un fou échappé du quartier psychiatrique. Mais comment aurait-il pu raconter ça autrement?

Nécessaire... Qu'entendait-il par là ?...
Léo se contentait de le regarder, un petit sourire géné et crispé sur le visage. Elle cherchait bien sur à se reconnaître dans Keith. Pour se rassurer avant tout, évidemment. Pourvoir se dire " tu vois, ça fini bien ! Faut juste se redresser lorsque l'on tombe." Mais à vrai dire, c'était difficile pour elle de se voir dans Keith au moment présent. Il était tout à fait calme et ne laissait paraitre aucune émotion. Peut-être était-il comme ça. Mais après tout, il n'allait quand même pas en parler en pleurant ? Pourtant, Léo, lorsqu'elle en parlait, elle en venait toujours à pleurer...
Ce Keith était beaucoup plus fort mentalement qu'elle, aucun doute !

- Nécessaire ?... Je ne comprend pas... Tu n'as pas l'impression d'être vide ? Qu'il te manque quelque chose ? Pour ma part, je ne supporte pas de croiser des gens qui me regarde bizarrement. Je me dis sans cesse " peut-être que je le connais, et qu'il le prend mal que je ne vienne pas lui dire bonjour" Et je ne vais pas aller saluer tout le monde... Je vais passer pour une folle !... Je ne veux pas qu'on ai pitié de moi non plus... Ni de me faire manipuler par de faux amis... Je suis... Perdue.

Elle souffla bruyamment, reprenant son souffle par la même occasion, également soulagé d'avoir sorti ses paroles si longtemps contenues au fond d'elle.

- Nécessaire ?... Je ne comprend pas... Tu n'as pas l'impression d'être vide ? Qu'il te manque quelque chose ? Pour ma part, je ne supporte pas de croiser des gens qui me regarde bizarrement. Je me dis sans cesse " peut-être que je le connais, et qu'il le prend mal que je ne vienne pas lui dire bonjour" Et je ne vais pas aller saluer tout le monde... Je vais passer pour une folle !... Je ne veux pas qu'on ai pitié de moi non plus... Ni de me faire manipuler par de faux amis... Je suis... Perdue.
- Je comprends...

Et comme chaque fois qu'il parlait, il fallait le prendre au mot, ou disons plutôt au pied de la lettre. Il ne parlait que rarement par image quoiqu'il connaissait parfaitement toutes les images bibliques par exemple. Ca avait quelque chose de déroutant de parler avec Keith, quelque chose de perturbant, surtout pour ceux qui l'avait connu avant sa chute...

- En ce qui me concerne... j'ai le même problème dans mon rapport aux autres. Si ce n'était que moi, oui c'est vrai, je dirais que je n'ai pas de souvenir, que quand je me suis réveillé j'ignorai jusqu'à mon nom mais je n'étais pas perdu... pas exactement. Je veux dire..., se reprit-il en essayant tant bien que mal de rendre son explication claire. C'était la première fois qu'il parlait de ça depuis sa tentative avec Matthias, J'ai vite trouvé de nouveaux repères, je me suis mis dans le bain en me disant que j'avais une vie à construire puisque finalement je n'avais plus rien... mais pour les autres... on dirait constamment qu'ils sont déçus de me voir. Ils me réclament sans cesse "l'ancien Keith" qu'ils adoraient et dont moi je ne sais rien du tout. C'est assez frustrant. Parfois j'ai l'impression de n'avoir pas de droit à exister pour ce que je suis là, maintenant.

Ce qu'il disait été dur et pourtant, il y avait cet éternelle douceur, tranquille, paisible, qui émanait de lui. Comme s'il avait porté sur lui l'assurance que tout irait bien dans un avenir proche...

- Je disais "nécessaire" parce que même si je n'en garde aucun souvenir je sais que si j'ai perdu la mémoire c'est à cause d'un choix que j'ai fait en connaissance de cause, et que je referais sans doute s'il devait se représenter. Tu sais, je crois que c'est normal de se sentir... vide, perdu... du moins au début. Mais les choses finissent toujours par trouver ou retrouver leur place, je t'assure.