Kaprice ! Entre donc je t'en prie !
La jeune femme se glissa dans l'entrebaillement de la porte du bureau de la directrice de l'orphelinat. C'était étrange, la relation qu'elle avait avec tous les enfants. Pas étrange au sens ou quelqu'un avec de mauvaises pensées pouvait y trouver à redire, non, c'était qu'on avait l'impression qu'elle les aimait tous comme ses propres enfants. Elle n'avait rien de sec, ou d'autoritaire, et quand elle l'était, c'était que cela était largement mérité. Une mère, oui. Sévère, mais juste, dans les bras de laquelle un nombre incalculable d'orphelins venait pleurer. Et ce qui était donc, étonnant chez cette femme, c'était qu'elle ait tant d'amour à donner. Certains parents avaient déjà du mal avec leurs propres enfants (Kaprice en était la preuve vivante), alors autant … Et ce n'était pas qu'une impression, elle le sentait, qu'elle les aimait tous comme une mère aimait ses enfants. Et d'ailleurs, elle eut très, très chaud au coeur quand la directrice sortir de son bureau deux enveloppes, que Kaprice reconnut aussitôt, puisqu'elle les avait lues auparavant, avant de les lui confier. Rien que la vue de ces enveloppes la rendait fière, mais surtout, c'était la satisfaction, et oui, la fierté qu'elle lisait dans les yeux de cette femme, la seule figure maternelle qui comptait vraiment pour elle, qui lui alla droit au coeur.
Tes résultats d'ASPICs et tes formulaires d'inscription pour Ealdwic …
Un sourire rayonnant passa sur les lèvres de la jeune femme, alors qu'elle essayait de cacher son plaisir. La directrice déplia la lettre, et commença à lire les résultats de ses ASPICs. Elle baissa les yeux, mais son sourire jusqu'aux oreilles démentait sa gêne. Elle était fière, immensément fière de ce qu'elle avait accompli. Ses résultats dépassaient ses espoirs les plus fous. Elle était parvenue à se concentrer sur ses études, et uniquement sur ses études, et pour quel résultat ! C'était simplement un rêve qui devenait réalité. Elle touchait du doigt son but, celui de pouvoir devenir Auror. Il lui faudrait bien sûr obtenir son orbe à Ealdwic, mais après ça, elle se sentait prête à conquérir le monde. Enfin … Pas encore tout à fait, ce dont elle se souvint assez brutalement lorsque la directrice lui demanda s'il était vrai qu'elle avait été témoin de la bagarre entre Jake et Heath, et que c'était bien elle qui y avait mis un terme. Kaprice baissa les yeux de nouveau, mais cette fois, pour de toutes autres raisons. Pouvait-on réellement dire que c'était elle qui avait tout arrêté ? Entre les deux, peut-être, mais le duel entre Heath et elle, auquel tout le monde avait assisté, pouvait lui aussi être taxé de « bagarre », même si aucun n'avait pris de coup physique qui pouvait le prouver. Elle laissa échapper un simple oui, ne souhaitant pas vraiment en dire plus. Elle ajouta simplement que Sunny avait elle aussi aidé, mais que c'était normal, c'était leur devoir de préfète. Elle sentait le feu de son regard sur elle, mais elle n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet. Elle se doutait bien que les rumeurs allaient déjà bon train, étant donné qu'elle avait fait un saut en période d'examens, ce qui ne lui ressemblait pas du tout, que Jake et Heath ne s'adressaient plus du tout la parole, et qu'elle même n'avait pas parlé à Heath depuis qu'ils étaient rentrés, il y avait maintenant de cela quelques jours, et que, pire que tout, elle évitait de se montrer aux repas quand il était là, qu'elle ne jouait plus que rarement avec les petits, et qu'elle restait au final pas mal dans sa chambre. Mais elle n'avait pas vraiment envie de discuter de ça, non, ce dont elle voulait parler, c'était :
J'ai été invitée chez une amie en Écosse.
Bien, je n'y vois pas d'objection. Et combien de temps y resterais-tu ?
Les deux mois de vacances. Je viendrai chercher mes affaires juste avant la rentrée, et je partirai pour Ealdwic dans la foulée.
Elle releva les yeux, pour rencontrer le regard presque entendu et un peu triste de la directrice. Mais elle ne fit pas de commentaire et lui souhaita juste de bonnes vacances, en espérant qu'elles lui seraient bénéfiques. Bizarrement, Kaprice n'avait pas de doute là-dessus. Alors qu'elle remontait vers le couloir où se trouvait sa chambre, elle ne put s'empêcher de ressentir un pincement au coeur, résultat de son malêtre à la vue de ses murs, qui pourtant lui semblaient avant si familiers, si rassurants. Elle se sentait un peu comme un animal traqué, comme si elle était prise au piège d'un flot de souvenirs tous plus pénibles les uns que les autres, à la lumière des derniers événements. Elle aurait voulu qu'on lui jette un sortilège d'oubliettes une bonne fois pour toutes, et qu'on n'en parle plus. Mais la vie n'était pas aussi simple, et même, elle n'était tout simplement pas aussi lâche. Elle allait apprendre à vivre avec, à oublier, à se reconstruire. Mais cela, elle ne pourrait pas le faire en restant ici, alors qu'Il était dans les parages. Elle n'en pouvait plus, d'avoir le coeur qui palpitait d'appréhension à chaque croisement, savoir si elle allait se retrouver malencontreusement nez à nez avec lui. Elle n'en pouvait plus, d'être au bord des larmes à chaque fois qu'un bout de chou prononçait Son prénom devant elle. Elle voulait juste partir, loin, très loin, là où personne ne la connaissait, là où personne ne Le connaissait, là où personne n'aurait entendu parlé de ce qui s'était passé, et où elle puisse juste faire le point. Se poser, dans l'herbe verte de l'Écosse, même s'il faisait encore nuit noire toute la journée, et réfléchir, à sa vie, sa vie passée, sa vie présente, sa vie future, savoir ce qu'elle voulait en faire, et qui elle voulait être. Et avoir qui elle était réellement. Parce qu'elle se rendait de plus en plus compte qu'elle ne le savait plus. Quand elle se levait le matin, quand elle observait son reflet dans le miroir, elle ne pouvait s'empêcher de se demander qui diable était cette étrangère, aux traits tirés, aux yeux éteints qui la regardait. Ça devait cesser. Et cela cesserait très bientôt.
Elle fut bientôt de retour dans sa chambre. Il ne lui restait plus grand chose à faire. Elle devait aller chez Luke pour lui dire au revoir, et lui donner certaines informations, qui, elle l'espérait, pourraient se trouver vérifiées, elle devait passer s'inscrire à Ealdwic, et, dans deux trois jours, quatre au maximum, elle allait pouvoir décoller, mettre les voiles. Le coin de ses lèvres esquissèrent un mouvement ressemblant à s'y méprendre à un début de sourire, et finalement, elle ouvrit son placard, attrapa un sac, et commença à fourrer des affaires dedans. Si ça pouvait lui faire du bien, en faire un peu tous les jours … Peut-être même pourrait-elle faire une liste de choses à faire avant de partir ? Barrer chaque chose la rapprocherait un peu de son départ … de sa libération. Elle n'avait pas noté que sa porte était resté ouverte, elle n'avait donc pas pu voir une petite tête rousse passer par la porte, froncer les sourcils et partir en courant. Comme elle ne pouvait pas se douter qu'elle allait tomber sur le petit Jimmy, qui lui même écoutait à la porte alors qu'elle était avec la directrice. Et donc, elle n'avait aucune idée que la nouvelle de son départ pour l'Écosse allait se répandre dans l'Orphelinat du Chemin de Traverse à une telle vitesse, occasionnant spéculations, étonnement et grand potinage.