Elle était arrivée depuis seulement deux semaines. C'était Abaddon qui l'avait faite entrer à Poudlard après qu'Alister l'ait fui. Elle n'avait eu que peu de temps pour y repenser bien que parfois, entre deux choses à faire, ses beaux yeux gris clairs scintillaient, touchants, absents pour un tout petit instant. Elle s'endormait le soir avec une pensée pour son frère sur le coeur, mais elle était toujours très discrète, très pudique même pour tout ce qui le concernait. Et puis elle ne se serait pas imaginer un instant importuner qui que ce soit avec ses peines de coeur, certainement pas Abaddon qui avait déjà fait beaucoup pour elle.
Son travail à la bibliothèque était simple, du moins pour une bonne mémoire. Le vieux bibliothécaire, prêt de partir à la retraite, lui avait fait faire le tour du propriétaire. Elle connaissait chaque rayon par coeur et peut-être même mieux que le vieux monsieur. Son rôle était avant tout de classer les livres, de veiller à ce que chacun soit exactement à la place qu'il se devait d'occuper. Puisqu'elle n'avait aucun talent magique, on avait pris des dispositions pour elle. Un sortilège et des échelles coulissantes étaient venues se placer discrètement au bout de chaque allée. Cela dit, elle avait reçu des consignes: par exemple elle ne devait pas éveiller les soupçons sur ce qu'elle était, on lui avait même donné une baguette factice au cas où elle aurait besoin de justifier une métamorphose faite par alchimie. Mais de toute façon elle était bien loin de passer à la pratique en alchimie. Elle lisait beaucoup pour commencer, histoire de comprendre l'art. C'était plus prudent selon elle. Et Abaddon ne semblait pas désapprouver.

En deux semaines elle pouvait quasiment s'occuper de tout. Elle faisait les cartes de bibliothèque pour les élèves qui voulaient emprunter des livres. Elle veillait à ce qu'il n'y ait pas trop de bruit, mais lorsqu'elle rappelait un élève à l'ordre c'était toujours avec la plus grande douceur et très poliment. Elle vouvoyait d'ailleurs tout le monde, professeurs comme élèves.

«Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiii! Au secours! »

Mélisande sursauta mais elle fut prompte à réagir. Courant vers le rayonnage consacré aux encyclopédies du vivant (neuf fois sur 10 c'était de là que venaient les hurlements), elle tomba nez à nez avec une impressionnante tignasse rousse dont le bras été à moitié passé dans la gueule du Monstrueux Livre des Monstres! Ce livre là était un récidiviste en matière d'attaque d'élèves mais Mélisande avait l'habitude. Elle ne sortit bien sûr pas sa baguette, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, mais elle attrapa le livre et se mit à le chatouiller. Comme ça ne marchait pas elle lui donna une tape sur la tête et le gronda, comme on engueulant un chien qui vient de faire une bêtise. Le bouquin recracha une boule de tissu: la manche de Miss Thompson qui s'enfuyait sans demander son reste. Mais la douce Mélisande ne s'en formalisa pas. Elle se trouvait toujours dans le rayonnage, caressant la tranche du Monstrueux Livre des Monstres qui émettait un curieux ronronnement quand elle remarqua un élève qui l'observait:

« Puis-je vous être utile? »

L'élève qui se tenait en face d'elle avait l'air dur et fermé. Elle était très observatrice, elle n'avait que ça la pauvre. Parfois il lui arrivait même de ne pas comprendre les gens qui lui parlaient. Entre les mots trop récents qu'elle n'avait pas encore eu le temps d'apprendre et tout ceux ayant trait à la magie... quoique pour ceux-là, elle avait mit la priorité sur les manuels scolaires. Mais bien sûr elle était loin de connaître tous les noms de sortilèges. Elle n'était déjà plus surprise d'entendre tous ces noms amusants.

Mais qu'importe que le Serpentard dans l'allée lui semble un peu intimidant, elle lui proposa tout de même son aide, toujours aussi serviable:

« Peut-être. La formule pour un sort de découpage ? »
« Oui bien sûr. Vous trouverez ça dans le rayon des enchantements et sortilèges. Laissez moi vous conduire. »

Elle sourit et lui fit signe de la suivre. Espérant qu'il n'allait pas lui demander de lui donner personnellement la formule. Elle n'en savait rien du tout. Mais pour autant elle ne semblait pourtant pas alarmée. Au contraire il y avait cette douceur naturelle sur son visage, ce quelque chose d'étrange qui rappelait un matin de printemps sous la rosée. On imaginait sa peau un peu froide mais douce. Ses iris clairs avaient quelque chose de presque... précieux. Mais pas au sens prétentieux du terme, précieux comme la première tige vert tendre de cette plante dont on s'est occupé des moi avant de savoir si elle donnerait quelque chose. Précieux comme ces choses qu'on peut voir une fois ou deux sans pouvoir les attraper mais dont on s'accorde à dire qu'elle sont jolies. Tout simplement.

« Voilà. Je pense que vous trouverez tout ce qu'il vous faut dans ce livre là. », fit-elle en lui tendant le livre des sorts et enchantements (niveau 1) de Miranda Fauconnette.

Elle sourit. N'imaginant pas un instant qu'il pourrait se vexer. En revanche, elle continuait de trouver qu'il avait un comportement étrange. Elle restait sur ses gardes sans en avoir l'air.

Pour Mélisande, insister quand elle avait déjà répondu à une question aurait été particulièrement grossier... si seulement elle n'avait été si douce et compréhensive. Tout était là. Mélisande n'était pas incapable de se mettre en colère, il lui était arrivé de montrer à Abaddon qu'elle avait pu s'offenser de quelque chose ou tout simplement qu'elle considérait qu'une limite avait été franchie. Là dessus, il n'y avait pas soucis à se faire, elle savait toujours faire comprendre que quelque chose lui déplaisait ou lui plaisait. Mais elle le faisait avec cette douceur qui la caractérisait toujours, et elle ne restait jamais fâchée, sans doute parce qu'elle pensait sincèrement que la plupart des gens n'étaient pas mal intentionnés. Aussi quand l'élève lui reformula la question d'une autre manière, elle ne se fâcha pas, bien que la question la mettait dans l'embarras:

« Vous aviez quel âge quand vous avez pratiqué votre premier sort de découpe ? »
« Mmmh... j'avoue que je n'en sais rien, c'est un peu comme si... vous me demandiez la première fois que j'ai prononcé le mot "merci" ou la première fois où j'ai mangé un croissant au beurre. Si on se fie à ce livre je devais avoir 12 ou 13 ans. Vous avez une si bonne mémoire vous? »

Elle sourit. La situation était amusante quoique gênante. C'était la première fois qu'elle mentait. Du moins la toute première dans cette vie. Petite elle avait parfois menti pour s'éviter les coups, mais plus depuis qu'Abaddon l'avait sauvée. Elle n'en avait pas eu l'occasion et puis elle n'aimait pas mentir. Mais là c'était ce qu'on lui avait demandé de faire. Quand le soir, en ressortant du bureau de la Directrice et qu'elle avait avoué à Abaddon qu'il ne lui plaisait guère de devoir mentir et qu'elle n'était d'ailleurs pas sûre de pouvoir le faire, il lui avait dit qu'il lui suffisait de ne pas répondre. Mais ce n'était pas si facile à faire finalement...

« Pourquoi me posez vous tant de questions? », elle sourit en voyant le visage du garçon légèrement changer,« Vous pouvez me parlez franchement, inutile de ruser avec moi je vous assure. Je n'ai jamais mangé personne. », assura-t-elle avec un brin de malice mais toujours sans le moindre cynisme.

Si à ce moment là on vous aviez dit que Mélisande était née de deux anges, vous l'auriez sans doute cru sans même demander de preuve.

Il ne lui était pas difficile de deviner qu'elle attirait l'attention et de toute manière, elle avait comme un don pour ça. Reconnaître chez l'autre l'émotion ou l'intérêt qu'il n'exprimait pas c'était presque devenu une seconde nature depuis qu'elle vivait chez Abaddon Van Hellsing. Elle était bien loin de lire dans les pensées de l'alchimiste bien sûr, mais parfois il lui semblait percevoir quelque chose de plus sous la surface lisse du visage de son créateur.
Elle fronçait légèrement les sourcils en regardant l'élève qu'elle avait en face d'elle mais de cette façon douce qui témoigne plus de bonté que de quoique ce soit d'autre. Elle ne comprenait pas qu'il puisse se méfier d'elle car après tout, elle ne représentait de menace pour personne.

« Je me demander juste où vous étiez avant Poudlard. »
« Oh... »

La bibliothécaire parut plus triste tout d'un coup et d'ailleurs, sans qu'elle s'en rende compte, cette émotion passa d'elle à Sawyers comme une lettre de main en main. Il pouvait parfaitement la ressentir comme si inexplicablement, ça avait été lui qui c'était senti triste.
Finalement son expression changea et elle répondit:

« Eh bien je ne crois pas que cela ne vous regarde pas mais si vous tenez absolument à le savoir avant d'être engagée ici je vivais à Londres avec mon frère. Nous sommes arrivés en Angleterre il y a déjà de nombreuses années... »

Elle n'aimait guère qu'on la fasse parler de son passé, de son frère. S'il avait pu se douter ne serait-ce qu'un instant de combien de décennies elle était son aînée, de ce qu'elle avait pu voir ou même vivre, peut-être aurait-il eu plus de délicatesse. Elle ne semblait pourtant prête de se fâcher.