PRECEDEMENT



L'attitude de la celte à son égard ne l'avait pas laissé indifferent. Edward avait clairement compris que la jeune femme ne lui avait pas encore accordé sa confiance, mais c'était là une décision qu'il comprenait tout à fait. Lui-même, dans ce genre de situation où il aurait du suivre un inconnu dans un lieu l'étant également, Edward serait resté sur la défensive. D'ailleurs, il n'accordait sa confiance qu'à ceux qui en vallaient vraiment la peine, et il fallait bien du courage et du temps avant d'espérer obtenir cette confiance. Le Comte n'était pas de ceux qui se font berner trop rapidement, bien au contraire, cela n'arrivait jamais, il était toujours vainqueur. Bref, il ne comptait pas tenter d'obtenir la confiance d'Aelys, même s'il espérait que lorsque la situation se serait arrangée pour eux, elle lui témoigne un peu de sympathie, mais là c'était plus une histoire de bonnes manières qu'autre chose.

Le trajet en portoloin s'était déroulé sans encombre. Contairement à bon nombre de sorciers, Edward supportait plutôt bien ce genre de moyen de transport. De toute façon, à chaque fois qu'il recevait des invités au Manoir, Edward les faisait venir par portoloin, lui seul connaissant le trajet pour se rendre en ce lieu magique et si inconnu. Il tenait à cette demeure comme à la prunelle de ses yeux et l'idée seule de le voir prêt à être anéanti lui était complétement insuportable. Le Manoir Windel était chargé d'un passé, de valeurs, d'une aura magique incroyable. C'était là le seul lieu où Edward n'éprouvait pas le moindre maux. Les créatures magiques alentours y vivaient sereinement et n'étaient en rien craintives des résidents du fier bâtiment. Le luxe était également une bonne raison pour Edward d'être en adoration pour cet endroit. Lui qui aimait profiter de sa fortune pouvait en jouir totalement au Manoir. Il était rare de voir une demeure aussi luxeuse que celle-çi et elle aurait certainement pu égaler certaines des plus grandes et prestigieuses résidences de ce monde. Ce n'était après tout que le miroir de la richesse d'Edward. Descendant d'une des plus riches familles de toute l'Angleterre, il ne s'en cachait pas, et bon nombre d'individus le jugeaient beaucoup trop riche à leur goût. Mais où était la honte, selon lui ? Pourquoi devrait-il se cacher ? Sa fortune, il en était fier, et pour rien au monde n'aurait aimé la voir disparaître soudainement. Mais la plupart des mauvaises langues constituait une assemblée de jaloux, trop désireux d'avoir de telles sommes d'argent à portée de main.

Les trois sorciers arrivèrent devant le grand portail noir du Manoir. Une longue allée se prolongeait au loin, jusqu'à débouler sur une sorte de petite esplanade arrondie. Derrière, le fier bâtiment se dressait. L'obscurité omniprésente ces temps-çi semblait se dissiper au Manoir, même si le ciel n'était pas aussi bleu et rayonnant qu'un après-midi d'été ensoleillé. Ce n'était pas la nuit que les sorciers devaient supporter ces derniers temps, mais une légère pénombre assez agréable, preuve que le Manoir se situait véritablement à l'écart du reste du pays. Edward ne laissa pas le temps à ses invités de contempler l'édifice et les fit immédiatement avancer jusqu'à l'entrée de la demeure, située au-dessus de deux escaliers en arc de cercle qui se rejoignaient. L'immense porte d'entrée était surplombée par le blason de la famille Windel, représentant une splendide majuscule de la lettre "W", ainsi qu'une femme radieuse. Cette femme n'était pas là par hasard. D'après les écrits très anciens de la famille Windel, cette femme était nommée " Reine Blanche " ou, parfois, " Reine Grise " et s'apparentait à une sorte d'esprit protecteur de la famille et en particulier du Manoir. Légende absurde pour certains, elle semblait cependant bien réelle d'après les Anciens si on s'attardait quelque peu sur les preuves de cette protection. La grand-mère d'Edward, un jour, lui avait conté le passage d'une tempête monstrueuse ayant causé de sérieux dommages au bâtiment, il y a de là bien des siècles. Seuls les tableaux et le blason représentant cette mystérieuse femme étaient restés intacts alors que le mobilier du Manoir s'était retrouvé fortement détruit. Elle lui conta aussi le jour où un Ancien de la famille donnait son dernier soupire. Ses dernières paroles, disait-on, furent uniquement " je la vois, elle m'accueille ". A ces mots, le vieillard sombra dans un sommeil de mort. En clair, c'était là une légende fidèle à la famille mais Edward n'avait pas encore eu ces révélations que la plupart des Windel avaient reçus. Mais bien souvent, c'était aux moments inattendus que ces preuves d'existence pointaient le bout de leur nez.

A leur entrée dans le vaste hall, Aelys et Vitali purent voir arriver Andrew Dubois, le très fidèle majordome d'Edward, qui descendait doucement les grands escaliers en marbre blanc situés au bout de la grande pièce. De nombreux tableaux décoraient les murs assez clairs, et un lustre gigantesque en cristal donnait à la pièce une faible luminosité très chaleureuse. A gauche, les hautes portes menaient à une immense salle à manger, tandis qu'à droite, l'on entrait dans un long couloir. A son arrivée devant son maître, on pouvait lire sur le visage d'Andrew une certaine incommodité.

" Vous recevez Monsieur ? Mais nous n'avons pas été informés ! Il faut préparer les chambres, prévenir les cuisines, préparer les...
- De grâce Andrew, de grâce, répondit Edward. Nous ne sommes pas pressés, nous allons avoir une très longue discussion. "

A ces mots, Edward adressa un regard peu amical à Vitali, celui qui sous-entend un dialogue peu jovial. Il comptait bien traiter avec lui de son attitude envers le Ministère de la Magie car, comme il l'avait pensé sur le Chemin de Traverse, le comportement de Vitali n'était pas le bon, et la patience aurait été un atoût bien meilleur. Andrew se retira assez précipitament, de nombreux devoirs l'attendant. Deux domestiques vinrent retirer les vêtements d'extérieur d'Edward et de ses invités avant que le Comte ne conduise ces derniers dans le long couloir, dépassant deux portes avant d'arriver dans un petit boudoir constitué de fauteuils en velour et d'une grande cheminée. De hautes fenêtres donnaient une vue splendide sur le parc du Manoir et sur les bassins. Toujours sans un mot, le visage dur, Edward indiqua deux fauteuils à Aelys et Vitali afin qu'ils prennent place, et il s'asseya à son tour. Deux domestiques apportèrent trois tasses de thé à la menthe et les posèrent sur une petite table ronde au milieu des trois sorciers. Pour ce qui était des réceptions, Edward ne faisait pas les choses à moitié et était plutôt doué dans ce domaine. Maintenant que tout le confort possible était respecté, la discussion pouvait débuter. De sa voix éternellement froide, Edward prit la parole, remuant doucement sa cuillère en argent dans sa tasse en porcelaine.

" Bien... Vous serez à l'abris içi, soyez en certains. Aucun membre du Ministère ne connait l'emplacement du Manoir. D'ailleurs, moi seul le connait. Hum, Vitali, laissez moi vous dire que votre attitude est loin d'être entièrement respectable. Vous avez agit avec bravoure, courage, et avez fait preuve d'une grande preuve d'amitié envers Mademoiselle Aelys. Mais pensez-vous avoir choisi la meilleure des voies ? Vous êtes actuellement l'homme le plus recherché du Ministère et le fauteuil enchaîné du Magenmagot n'attend plus que vous. Je ferai tout pour assurer votre sécurité, c'est une chose sûre, mais vous vous êtes plongé dans un sacré pétrin. "

Aelys gardait toujours un oeil sur l'étrange Edward Windel. Son regard allait de Vitali à lui sans qu'un mot ne passe ses lèvres. Elle était aussi intriguée par l'étonnant luxe qui l'entourait, elle qui vivait encore pratiquement à ce que les hommes civilisés appelaient "l'état de nature". Elle observait le rapport entre Windel et l'autre homme qui était apparu à la seconde où ils étaient arrivés. Aelys avait extrêmement de mal à comprendre les rapports entre les hommes de la ville. Pourquoi y en avait-il pour servir et d'autres pour dominer. Selon quel critère cela se décidait-il en vérité. Car chez les celtes aussi il y avait des rapports dominant/dominé, mais qui s'inversait souvent au fil de guerres.

Quelqu'un approcha d'Aelys pour lui retirer la cape qu'elle portait par dessus sa robe mais elle remercia poliment l'homme. Il n'était pas de coutume pour une celte de se laisser dévêtir, ça aurait été faire preuve de faiblesse quelque part. Un sourire poli et son affaire était réglée, elle garda son manteau sur les épaules, se rapprochant de Vitali. Sans doute l'auror n'était-il pas aussi dépaysé qu'elle. Pourtant il y avait tout de même une certaine tension qui s'était installée. Aelys repensait au risque qu'avait pris l'auror pour la tirer du mauvais pas dans lequel les aurors l'avaient mise. Elle avait vu juste à son sujet mais tout s'était enchaîné trop vite, trop brutalement peut-être/ Hafgan aurait trouvé à dire quelque chose sur la situation. On leur apporta le thé. Aelys, malgré tous les efforts déployés, ne parvenait pas à se sentir à l'aise dans cette immense maison où des gens surgissaient de nulle part pour vous servir, et où les fauteuils se tenaient fiers et inflexibles devant la table ronde qui leur servirait d'arbre des palabres. Ron c'était une bonne forme. La meilleure de toute pour une celte. C'était de bon présage, mais elle restait prudente.

Windel prit la parole, plutôt sagement. Aelys écoutait, visiblement imperturbable.