Je suis maintenant âgé de quinze ans, et mon petit frère David avait dix ans. Pour ma mère et Charles, la famille que nous formions était tout à fait parfaite. Ainsi, j’ignore pourquoi ma mère a eu la brillante idée, un samedi matin, de m’annoncer que je n’étais pas vraiment un Jongold. Que j’étais un bâtard. Que Charles n’était pas mon père. Que toute ma vie n’avait été que mensonge, illusions et cachotteries. Dur choc, évidemment. Quoique, cette nouvelle connaissance m’éclairait sur certains points de mon existence qui avaient toujours été quelque peu flou. Comme, par exemple, pourquoi mes grands-parents ne m’aimaient pas. Ou pourquoi mon « père » ne s’occupe pratiquement plus de moi depuis la naissance de David. Ou encore, pourquoi j’avais des pouvoirs alors que mes parents n’avaient pas de liens avec la magie, même si les né-moldus éxistaient.. Pour un jeune garçon de quinze ans, une révélation de cette ampleur aurait pu mener à la rébellion, ou à toute autre chose du genre. Mais pas pour moi. Il faut dire que j’avais toujours été discret et assez soumis, pas du genre à créer des remous dans l’océan calme qu’était notre petite vie tranquille dans le quartier riche que nous habitions. Ainsi, au lieu d’exploser, je me suis replié sur moi-même, je suis devenu une sorte d’épave, vide et rejetée. Ma mère se sentait mal, bien entendu. Ce qui ne l’empêcha pas de m’abandonner un peu plus à mon sort. Quant à Charles, il était bien heureux que le secret de ma conception soit enfin tombé, puisqu’il pouvait finalement cesser d’agir (à peine) comme un père pour moi. Je pense bien qu’il ne m’a jamais vraiment aimé… Et David, lui, il était satisfait de tout cela. Désormais, il ne s’empêchait pas de me traiter de bâtard, d’indésirable, de sans-père. De la bouche d’un gamin de dix ans, toutes ces insultes étaient cruelles et immenses. Au lieu de répliquer et de me fâcher contre cette famille qui ne semblait plus vouloir de moi, je suis demeuré silencieux, et j’ai tout laissé couler sur moi, même si j’avais envie de lui envoyer un sort à la figure ... Ma mère semblait regretter son attitude, si bien qu’elle se décida à m’offrir ce que je lui demandais depuis que j’avais sept ans : un piano. Même si c’était un instrument moldu, j’adore cette mélodie qui sort de cette instrument. Ainsi, je me mis à jouer dès que j’avais un petit temps libre, délaissant parfois mes travaux scolaires au profit des touches noires et blanches. Comme si la musique me libérait, en quelque sorte.

L’idée de chercher mon père ne me traversa même pas l’esprit. Pas à quinze ans, du moins. Dans ce temps-là, il n’y avait plus que deux choses qui comptaient pour moi : mon piano et Poudlard.

Poudlard, c’était là que je me sentais vraiment chez moi. Cependant, quand je revenais chez moi, j’étais encore plus timide, à chaque voyage de retour, je voulais vite revenir. Quand j’avais appris que Charles n’était pas mon père, comme je l’ai dit plus haut, je me suis refermé sur moi-même, m’éloignant autant de ma famille que de mes amis. Si je n’étais pas digne de mon propre père, alors comment pourrais-je être digne de quiconque? Mes mais, eux, ne le voyaient pas comme ça. Ils me forçaient à garder un certain contact avec la société en général, refusant que je demeure cloîtré dans le dortoir à longueur de journée. Une sorte de bouée qui maintenait ma tête hors de l’eau, disons.

« Abel, viens. On va à la grande salle, avec tous les autres.
-Qui t’as laissée entrer dans le dortoir des mecs ?
-Ton meilleur pote. Il est inquiet, tu sais. Et il a raison. Regarde-toi, on croirait que tu es mort! D’ailleurs, c’est ce que le reste de la bande pense. Ils sont fatigués de t’attendre tout le temps, sans que tu ne viennes. Je sais, je sais. Tu es fâché contre le monde entier, tu penses que ton père se fout de toi. Peut-être, mais ça ne veut pas dire que le monde entier est fâché contre toi et que tu dois te foutre de tous les autres. Alors, tu laisses ton devoir tranquille pour deux secondes et tu viens à la grande salle avec nous. »

Mes amis avaient toujours été francs et directs, tout en demeurant doux. Elle attrapa ma main et, un léger sourire aux lèvres, m’entraîna derrière elle.
« Tu sais, Abel… Fuir n’est jamais la bonne solution. »
Elle avait sûrement raison. Si bien que, lorsqu’elle me dit cela, je décidai qu’il était temps pour moi de laisser tomber ces histoires de carapace et de discrétion.
J’ai fini pas me remettre de tout cela, par passer à autre chose. Pendant le reste de mon année à Poudlard, je fis tout mon possible pour sortir de ma coquille, ce qui finit par me transformer, si l’on veut.