Perrinde ac cadaver
Comme un cadavre
Un petit enfant au souffle léger,
Qui sent la vie frémir dans chacun de ses membres,
Que saurait-il de la mort ?
William Wordsworth
-
Il s'agit de l'ostéogenèse imparfaite de type I, déclara le Dr. Lowenstein de l'hôpital St-Mangouste sous le regard inquiet des Blackheart.
C'est une maladie rare aussi connue sous le nom des os de verre. Cependant, votre fille devrait pouvoir mener une vie normale. Naturellement, il faudra lui accorder une attention permanente et veiller à chaque petite blessure ou coup. Ce qui pourrait paraître un rien pour nous pourrait se révéler d'une extrême gravité pour elle. Il jeta un regard tendre à la fillette assise par terre au milieu de peluches. Sentant son regard posé sur elle, elle releva sa mignonnette petite bouille. Il fut marqué par les yeux bleus de l'enfant dans lesquels se mêlaient à la fois l'innocence et une sorte de maturité déjà adulte.
-
Elle n'a que quatre ans, souffla Elise Blackheart,
ma petite fille...Arthur, son époux, passa un bras autour de ses frêles épaules. Elle, jeune femme douce, quelque peu névrosée et mère sur-protectrice. Lui, jeune homme avéré, ambitieux et père gâteux. La nouvelle les avait ébranlé. Leur cœurs suffoquèrent à l'unisson. Au fond d'eux quelque chose s'était brisée au son des cloches de la mort, car c'était elles qui tintinnabulaient au creux de leurs oreilles.
-
Tenez. Il leur tendit une ordonnance.
Je sais que cela ne va pas être facile pour vous, mais gardez toujours à l'esprit que cela le sera encore moins pour elle.
~
Les rayons de soleil filtraient à travers les lourds rideaux blancs tirés de la bibliothèque de Poudlard. Une vingtaine de livres jonchaient un bureau, éparpillés de ci, de là. La bibliothèque était un puits de savoir incontestable. Toute une culture inoubliée et à jamais inoubliable, pour un savoir éternel. Au milieu des imposants rayonnages en bois de noyer l’on pouvait apercevoir une jeune adolescente. Mince, sa silhouette élancée et ferme dégageait une étonnante énergie, presque déplacée pour son image d'élève modèle et populaire. Ses cheveux blonds étaient tirés en une stricte queue-de-cheval qui libérait les contours de son visage d'une pâleur laiteuse. Son faciès d'enfant s'était affiné, aiguisé, avait pris cet air de jeune féminité féline. Penchée sur un parchemin, elle composait de sa plume fine un essai pour son cours d'Histoire de la Magie.
Douze années s'étaient écoulées depuis le malheureux diagnostique du Dr. Lowenstein. Velvet avait grandit tel un bel oiseau si rare et précieux qu'il avait dut être enfermé dans une cage dorée. La résidence des Blackheart. Somptueux manoir situé au beau milieu d'une forêt verdoyante aussi belle qu'isolante. C'était un ainsi qu'ils l'avaient protégée, à leur façon, du monde extérieure et de tous les dangers de la vie. Confinée dans cet havre de paix et d'abondance, la jeune enfant apprit à écouter les voix sourdes et muettes. De la nature. Des gens. Personne n'osait réellement s'approcher d'elle, même pas ses parents, trop effrayés à l'idée de pouvoir lui faire du mal. Une part d'eux-même leur soufflait dans un frisson tremblant : « Perrinde ac cadaver. »
comme un cadavre. Elle était si fragile, si frêle, qu'un coup de vent aurait pu la briser. Morte vivante. Leur propre enfant les apeurait et ce malgré tous les efforts qu'ils avaient déployé pour nier cette douloureuse vérité. Au fil du temps, les uns et les autres, avaient su taire ces voix sifflantes et vivre tels des aveugles. Tous, sauf Velvet. Mais elle se laissa happer par le quotidien de ses parents. Pour ne pas les déstabiliser davantage. Pour ne pas les blesser. Pour les protéger. Ils s'étaient créés une vie digne d'un conte de fée. Une doucereuse illusion. Un mensonge enchanté dont Velvet tirait les ficelles avec finesse car derrière ses belles paroles et ses gestes tendres, elle était la seule à entendre, écouter, observer et gouter au âpre goût de la vérité. Ce venin si vertueux qui empoisonnait à chaque instant un peu plus son cœur d'enfant. Elle, qui était une enfant que l'on décrivait avec beaucoup de ferveur comme intelligente, délicate, innocente et obéissante. Pour parfaire ses atours flatteurs s'ajoutaient à son mérité des activités très restreintes telles que la musique – flûte traversière-, et ses études.
Tout comme elle était appliquée sur son devoir d'histoire en ce début d'année, elle l'avait été tout au long de son existence. Posant sa plume, elle parcourut plusieurs fois ses parchemins avant qu'un sourire satisfait ne se dessinât sur ses lèvres. Puis, elle prit un nouveau parchemin, murmura quelques mots et se remit à l'œuvre.
Deux heures plus tard. L'adolescente s'installa aux côtés d'Ella dans la grande salle au milieu d'une foule d'élèves affamés, bruyants et curieusement excités. L'agitation générale était telle qu'il était difficilement pensable que le monde magique était en période de crise.
-
Je peux savoir ce qu'il se passe, demanda-t-elle une lueur de curiosité dans le regard. Son amie la dévisagea quelques instants avant de lui répondre.
-
Tu as passé toute l'après-midi dans la bibliothèque ou je me trompe ? Enfin, pour une fois que tu n'es pas la première au courant ! Pour toute réponse Velvet lui jeta un regard éloquent en hochant simplement de la tête.
-
Le sujet de notre essai pour le cours d'histoire est vraiment génial !Ella leva les yeux au ciel mais ne releva pas. Après tout, il s'agissait bien de Velvet Arrogance Blackheart. Le petit génie des professeurs qui obtenait toujours la note maximale. Revenant à l'objet de la curiosité de Velvet, Ella lui tendit un journal.
-
Tiens lis ça !
« NULLA DIES SINE LINEA »
Aucun jour sans tracer une ligne.
Les yeux de l'adolescente s'écarquillèrent.
-
Des nouvelles croustillantes ! Enfin !
« Liaisons coupables
[…] Un sourire, rien qu'un sourire. Un regard, seulement un regard. L'innocence derrière les rumeurs coupables ou la culpabilité derrière l'innocente vérité ? « Nous nous connaissons depuis l'enfance et avons toujours été très proche ; mais ça n'a jamais été plus que de l'amitié entre nous. »dixit Mrs. McBride lors d'une soirée mondaine en conversation avec une amie.
[…] Mr. Livingston divorce. Le motif ? Sa femme aurait trahit sa confiance et abusé de lui dans l'ombre. Une semaine plus tard, il embrasse fougueusement l'ingénue Mrs. McBride au sortir de Poudlard suite à une discussion avec le directeur.
[…]
Veritas »
Nuelle dies sine linea était un journal non officiel, circulant entre les mains des élèves depuis cinq ans et écrit par un(e) certain(e) Veritas. Qui était Veritas ? Excellente question... tout ce dont chacun était certain était que Veritas n'avait jamais tort. La vérité, la pure. L'horrible. D'ailleurs, outre les élèves entre onze et dix-neuf ans pouvaient lire le journal. Tout autre lecteur se trouvait nez-à-nez avec une dissertation toujours différente, mais brillamment étudiée. Velvet reposa le journal sur la table un sourire narquois aux lèvres et le regard ennuyé.
-
Intéressant. Enfin, vite fait. Pas très croustillant. Je lierai le reste ce soir.-
McBride, Katy, était en larme tout à l'heure.Velvet haussa des épaules en signe d'impuissance et d'indifférence.
-
C'est moche, conclut-elle avant de se servir une cuillère de purée.
Reposant ses couverts, elle sortit de son sac une petite bouteille dont elle versa le contenu dans un bol. Du
Poussos. Jusqu'à ses vingt ans, le médecin lui avait fait promettre d'en prendre une à deux fois par semaine. Ainsi, sa maladie n'entraverait pas sa croissance. Selon lui, la potion aiderait également à renforcer ses os. Le Dr. Lowenstein avait vu juste. Sinon ses yeux d'un bleu intense, son corps n'avait subit aucun dommage apparent et ses os étaient loin d'être aussi fragiles que ses parents le pensaient. Seulement, par précaution, parce qu'il valait mieux prévenir que guérir, Velvet mettait un point d'honneur à ce que personne ne la touchât. Imposant de cette façon une barrière, un mur invisible entre elle et les autres. De la hauteur de toute son arrogance, elle prenait un malin plaisir à faire croire que personne ne fut assez digne pour l'effleurer seulement.
Ses yeux fixaient le bol de potion. Elle se préparait intérieurement à subir son supplice hebdomadaire. Fermant les yeux, elle en but le contenu d'une trait. Sa bouche et sa gorge lui brûlèrent si bien que les larmes commencèrent à lui monter aux yeux. Elle dut se faire violence pour afficher un sourire radieux et commencer son repas comme si de rien n'était. Personne ne connaissait réellement le contenu du bol qu'elle avalait tous les vendredi soir. Lorsqu'on lui avait posé autrefois la question, elle avait prétendu qu'il s'agissait d'une potion que sa mère tenait à ce qu'elle boive une fois par semaine pour la prévenir des virus qui pouvaient circuler dans l'établissement. Connaissant sa mère, ç'aurait pu être vrai... mais ça ne l'était pas. Et, coulant un regard vers le journal, un sourire pernicieux emprunta brièvement le chemin de ses lèvres.
Veritas ou l'enfant qui entendait la vérité au-delà des silences.