« EXTRAIT DE L'AUTOBIOGRAPHIE D'UNE CHASSEUSE;

Le cri de mon fils me réveilla cette nuit-là, m’arrachant du sommeil réparateur dont j’aurais bien eu besoin. Soupirant, je me levais toutefois, me glissant hors des draps où je dormais seule depuis près d’un an déjà avant de me diriger vers la deuxième chambre de notre petite maison. La lumière du couloir donnait sur un berceau dans lequel braillait corps et âme un petit bébé, de six mois et quelques jours, et qui commençait à faire sa première dent. Doucement, je l’emmenais avec moi à l’étage du dessous, tout en le berçant tendrement. « Chuuut Bran, chuuut. Maman va te faire du bon lait chaud. » Du moins, c’est dans cette optique que j’atteignis la cuisine, mon enfant toujours solidement maintenu sur mon sein. Il n’était même pas vingt et une heures, ce soir là, mais je m’étais couchée tôt dans l’espoir que le petit fasse sa nuit. La lune ronde n’avait même pas encore dépassé les toits de cette charmante ville de Saint Petersbourg, ville où je vivais depuis deux ans déjà, et où je m’étais finalement installée dans cette petite maison depuis que j’avais appris que j’étais enceinte. J’avais toujours beaucoup aimé la Russie et la richesse de sa faune magique. J’espérais bien réussir à y finir mon livre.

J’avais mis le lait à chauffer et laissait Bran suçoter un de mes doigts tout en sentant les prémices de la dent de lait mordiller ma peau. Ce petit bout, débarqué dans ma vie totalement à l’improviste, avait sérieusement chamboulé tous mes projets de vie… Mais je ne regrettais pas de l’avoir gardé. Si j’avais pu garder le père, cela aurait peut-être changé la donne, mais il avait disparu avant même de savoir qu’il aurait un fils. Sans un mot, sans une lettre, sans un adieu… J’ignorais encore s’il m’avait quittée ou s’il était mort ou disparu dans un quelconque recoin du monde… Ce que j’ignorais ce soir là, c’est que j’allais avoir la réponse à cette fameuse question : le lait n’avait pas encore fini de bouillir lorsque l’on sonna à la porte. Qui cela pouvait-être ? Mon fils dans mes bras, et m’enroulant dans un peignoir pour couvrir la légèreté de mes vêtements de nuit, j’allais ouvrir à ce visiteur tardif tout en vérifiant d’un geste de la portée toute proche de ma baguette. Tout pouvait arriver dans ce pays, j’en avais déjà fait l’expérience.

Mais cette expérience là, je ne m’y attendais pas. Yuri était bien le dernier homme que j’attendais derrière cette porte. « Bonsoir, Alyce… » J’ouvris la bouche, la refermait. Bonsoir, Alyce ? Il se foutait de moi ou quoi ? Je le fixais, figée, ne sachant que répondre. « Peu importe. Je venais voir mon fils. » Mon regard se porta sur Bran, qui fixait son papa avec sa bouille curieuse. « Tu viens voir ton fils ? … Ce soir ? … Qui te dis que c’est le tiens d’ailleurs ? » Mais il ne m’écouta pas. Avec sa force de buffle, il repoussa la porte entre nous et entra de son pas conquérant dans ma maison. D’un geste rageur, je sortis ma baguette et la pointait droit sur son cœur. « Sort de chez moi ! »

J’avais aimé cet homme, pourtant, mais le revoir ainsi, après tant de mois sans nouvelle et avec le culot qu’il avait, je ne pouvais le supporter. Déjà lorsqu’on était ensemble, il avait cette manie de tout vouloir contrôler, de se foutre de ce qu’il n’avait pas envie d’entendre, et de prendre ce qu’il convoitait sans vraiment demander la permission, ou par simple politesse feinte. Ce soir, il semblait vouloir associer ces trois défauts… Et se ficher totalement de ma baguette pointée sur son cœur. « Je n’ai pas le temps de jouer à ça, Alyce. Je veux mon fils. »

« Il n’est pas ton fils. » Lançais-je. « Il ne l’est plus depuis que tu as disparu de sa vie, et de la mienne. »

« Balivernes. Il est plus mon fils que le tien. » D’un œil curieux, il jeta un regard sur l’intérieur de notre petite maison. Le lait débordait dans la cuisine, mais aucun de nous ne fit un pas et je ne comptais pas le laisser dans l’entrée pour sauver la propreté de mon sol. Je voulais qu’il sorte, point barre.

« Que veux-tu dire par là ? » Sifflais-je, sourcils froncés, alors que Bran commençait à s’agiter, affamé, dans mes bras, ne me rendant pas la tâche plus aisée.

« Qu’il est un loup, pas toi. Et qu’il viendra avec moi, ce soir. »

Mon cœur se mit à battre la chamade tandis que mes yeux gris se levaient vers la lune, ronde, brillantes, qui venait d’apparaître par la fenêtre, juste au dessus de l’une des plus hautes maisons du quartier. J’entendis un cri de rage et de douleur, précédant des craquements d’os et de membres qui s’allongeaient, des poils qui poussaient, … de la transformation du loup-garou. D’un geste désespéré, j’envoyais un dernier sortilège sur la silhouette sombre et immense qui commença à se rapprocher … trop vite.

La dernière chose que je vis, c’est une patte, immense, qui s’abattait sur mon visage. Ensuite, tout ne fut plus que douleurs et pleurs. Un hurlement de loup, des cris d’autres personnes dans la rue, et mon enfant qui pleurait toujours… mais qui n’était plus dans mes bras. J’avais beau le chercher, hébétée, je ne voyais plus que du sang, du sang, et mes mains poisseuses glissèrent, ma tête en feu heurta le sol. Et je crus mourir, alors que mon cœur venait de m’être arraché.