ft. Kohar l'Arménienne; Une silhouette estompée par le blizzard faisait l'ascension du mont Lupa. On la distinguait bien mal dans la tourmente mais c'était bel et bien Kohar l'Arménienne qui revenait là où son coeur attendait. Elle était enveloppée d'une immense fourrure d'ours qu'elle portait cuir contre le vent, barrant tout effort du météore invisible mais non moins mordant. C'était qu'elle gardait tout contre elle une petite chose fragile, profondément endormie le nez dans ses poings. Un enfant minuscule qui ne devait pas avoir plus de deux ans.
Elle avait écouté les rumeurs du monde la journée dans son sommeil profond. Elle les écoutait toujours car elle aimait à entendre grandir le monde et elle aimait à savoir ce que devenait le loup qui retenait son coeur en gage quand elle reprenait la route. Ces derniers temps plus que par le passé, et c'était peut-être ce qui l'avait fait revenir plus vite qu'à l'accoutumée. Jamais Kohar ne repartait pour revenir moins de deux mois après. Elle oubliait le temps, et les nuits étaient toutes une, et les jours des nuits, et la marche, le temps du rêve, et le rêve le temps de la marche. Elle était parfois partie plus de cinq siècles et bien qu'elle revienne toujours, égale à elle même, éternelle enfant, éternelle sage, certains doutaient d'elle. C'était ce que Phoibos portait dans le sillage de son char d'or qu'elle n'avait plus contemplé depuis les temps immémoriaux. Les voix de ceux qui disait que l'Arménienne était une sans coeur, une volage, une capricieuse. Oh ces voix là, elles ne retenaient pas son attention. La belle n'avait que de bien sage sourire pour ceux qui la jugeaient sans la connaître mais elle était lasse d'entendre moquer la bonté de Kveld. Qui parlait d'amant naïf ou de coeur bien soumis ne s'attirait pas l'amour de la belle Kohar quand il fallait parler du seigneur loup. Qui muser en silence à quelques projets de lui ravir son coeur ne s'attirait que l'amusement de l'ancien prophétesse du premier Conseil. On disait qu'il serait bien facile de lui faire oublier la négligente Kohar après quelques coupes d'un bon vin porté à ses lèvres et les attentions les mieux dispensées qu'une belle femme puisse donner. On le disait c'était vrai, mais cela ne faisait guère revenir Kohar plus vite auprès de Kveld car elle ne croyait pas que quiconque puisse lui ravir le coeur de son aimé. Pour qui pensaient que loin des yeux le coeur s'oublie et se découvre d'autres passions, plus fraîches, Kohar n'avait que de la tristesse car c'était qu'ils ne connaissaient pas de véritable amour. Kohar elle, savait qu'Amour ne décline jamais de son horizon et qu'il n'est rien plus que sincère et confiant. Kveld n'en douterait jamais non plus. Mais dans ses nuits à elle, la voix d'un Cyrus amer, les promesses de mariage perdues au gré du vent par quelques amoureux juvéniles qui eux croyaient que l'Amour se trouve dans quelques voeux échangés devant témoins, les mises en garde...
"ne vois tu pas Kveld?",
"n'entends-tu pas Kveld?"... elle avait entendu. Et elle avait décidé. Du moins pour un temps car comme elle l'avait dix cent mille fois à l'oreille de cet homme vers qui elle revenait toujours
"oh je suis bien trop indécise pour décidé". Et son rire raisonnait encore dans les contreforts du mont Lupa.
Elle ne décidait donc de rien, mais revenait à lui maintenant, plus tôt que prévu, car il est impossible de prévoir quand on ne décide pas, mais le coeur tranquille et l'esprit léger. Elle avait pressenti que bientôt de vieilles colères se relèveraient mais ça ne l'inquiétait pas plus que cela. Ils en triompheraient comme toujours. A ses yeux les choses étaient toujours simples. Elle salua le bon Achéla qui comme toujours semblait heureux de la voir malgré l'heure avancée de la nuit qui aurait voulu que tous soient blottis dans les bras de Morphée. Elle se dirigea vers la maison de Kveld et entra sans faire de bruit. A l'intérieur il faisait chaud et comme elle se défaisait de sa grande fourrure d'ours, la pliant en un couffin soyeux, elle pensa que bientôt, la douceur ambiante éveillerait la petite créature qu'elle avait tenue en vie jusque là. Elle veilla pourtant à ne pas la réveiller et s'écarta à pas de loup dans l'obscurité pour retrouver son Kveld, endormi dans le lit qu'ils avaient tant de fois partagé. Elle se perdit un instant à le regarder dormir puis s'avança sur le lit, doucement, une caresse infiniment douce posée sur l'épaule nu du loup endormi. Elle se penchait sur lui et ses lèvres se refermèrent sur les siennes, le tirant tendrement des bras de Morphée.
« Kveld, mon Kveld réveille toi....Sireliss...anouchess Ես այստեղ եմ mh...»Elle baisait encore ses lèvres sans le brusquer. Elle aimait la chaleur de vie qui se dégageait de lui même quand il dormait et pour une fois, son corps à elle n'était pas glacé. Il le remarquerait pour l'avoir mille fois étreinte et embrassé sa peau froide. Pour une raison ou une autre elle s'était nourri récemment, chose qu'elle n'avait plus faite depuis de long siècle, son âge avancé le lui permettant. Et le sang aidant sans doute ses cheveux étaient plus longs qu'elle n'avait l'habitude de les porter.