Il avait été ramené rapidement à Sainte Mangouste, tremblant de peur, trop stressé, trop angoissé. Les joues mouillés de larme, il était resté prostré toute la sainte soirée, jusqu'à que la morphine l'emporte sur la peur, et que le petit blonde s'endorme, presque paisible dans son grand lit aux draps blancs. Mika'il était resté une bonne partie de la nuit à le veiller. Nul ne saurait qu'il était à Sainte Mangouste, et si dans son crâne, il entendait déjà l'Appel, il restât sur Terre, à le regarder. À la différence de la dernière fois, les ailes de l'archange étaient repliés. Honteuse toison marquée de noire, Mika'il l'avait regardé toute une heure, avait lissé les magnifiques plumes blanches, et ses doigts étaient emparés de quelques plumes noires. Que dirait Matthias? Comment... comment lui expliquait? Les larmes argentés avaient coulé des yeux vert pâle de l'ange, roulées le long de sa joue pour s'éclater sur ses genoux. Il était maudit. Il avait chuté. De moitié, car il y avait encore une majorité de plume blanche sur les six appendices dorsaux, mais il y avait ici et là des plumes de disgrâce. Mika'il renifla et essuya les larmes. Il ne valait pas ce qu'il était. Il avait sans doute six ailes, mais il avait des plumes noires. Maintenant, même une Puissance à deux ailes pouvait se moquer, pouvait le toiser et le descendre. Il n'aurait plus jamais accès au Paradis quand Saint Pierre verrait ça... il serait chassé, et giterait entre Terre et Ciel. Quelle gloire, pour avoir jeter en Enfer le Dragon de Foudre? Il n'avait pas honte, il savait qu'il avait bien fait. Qu'il avait fait ce qu'il fallait faire. Il n'avait pas non plus de haine envers Dieu de le châtier de la sorte. Il n'avait rien. Il se sentait juste misérable, et c'est les ailes repliées sur elle même qu'il restait là, dans un coin dans la pièce. Ses plumes blanches n'avaient pas même cette couleur si... Il baissa la tête, regarda ses pieds. Mika'il n'avait plus cette « plussoyance ». Il était terne, sombre. Plat. Il était laid. Atrocement laid. Il glissa le long du mur et couvrit ses yeux de ses mains, éclatant en sanglot retenus dans sa gorge. Il aurait aimé hurler. Mais ça, il ne le pouvait pas. Pas maintenant. Pas alors que Matthias avait été... souillé. Serrant ses cheveux dans un excès de colère, Mika'il se releva et disparu dans un froissement de plume. Deux plumes tombèrent sur le sol, et se logèrent sous un meuble.
Matthias, lui, resta endormi encore quelques heures. Il devrait passer des tests, il devrait répondre à des questions. Que dirait le Vatican? Il n'en savait rien. Il n'en avait cure, là, couché dans son grand lit. Il était juste fatigué. Comme s'il n'avait pas dormi depuis des siècles. Quand il ouvrit les yeux, c'était sur un visage claire et souriant. Une petite blonde prenait sa tension, comme il sortait de son coma artificiel, qui avait duré presque soixante dix heures. Il écarquilla les yeux, alors qu'elle reculait, le laissant libre. Il se releva un peu, regarda autour de lui. Où bon sang était-il?
« Monsieur De Salamine, ne vous inquiétez pas, vous êtes à Sainte Mangouste... » Matthias la regarda, et regarda aussitôt ses affaires. Plus rien. Juste une robe de chambre. Elle eut un sourire tendre et compatissant.
« Vous avez été victime d'une illusion magique... Aucun séquelle n'a été trouvé sur vous. » Elle lui tendit du bout des doigts le rapport écrit.
« Un homme m'a dit de vous laisser également ce mot. »Et alors qu'elle lui donnait le petit papier blanc, elle s'effaçait derrière la porte. Matthias lu rapidement le rapport, se remémorant avec un frisson d'horreur ce qu'il avait vécu alors. Comment avait il pu... Et ce visage... Il ferma les yeux. C'était douloureux, même si ça n'avait pas été réel. Il soupira doucement, repoussant son dossier sur le lit. Il regarda autour. Cette fois-ci, pas de Keith, pas de fleurs. Il était seul. Vraiment seul. « Aucune séquelle physique. Aucune lésion interne. » Le mot l'aurait presque fait vomir. « Pupille dilatée : état de choc. Donner : 30ml de Morphine/h. 65H : coma artificiel. Réveil. » … Il détourna le regard et le posa sur la lettre encore fermée. Ce sceau.. marqué de deux clefs. Il arqua un sourcil, et finalement l'ouvrit d'un oeil suspicieux. Il fronça les sourcils aussitôt.
Matthias, j'ai appris ce qui c'était passé.
Metatron m'a également annoncé que ton ange était interdit d'entrée au Paradis. Si il a déchu, tu sais ce que cela signifie, Matthias? Tu seras excommunié. Je veux te voire dans deux jours au plus au Palais de Vatican. Si tu ne viens pas, alors je viendrais.
Cardinal Sirius.
Sa lettre tomba sur le sol. Interdit d'entrée au... Il se retourna et resta coït.
Mika'il se tenait là, les ailes étendus, le regard vide et mouillé. Matthias recula d'un pas, et se cogna dans le lit, s'y accrocha pour ne pas tomber. Ses yeux se remplirent aussitôt de larme. Mika'il s'approcha, mais déjà Matthias pleurait. Mika'il cessa d'avance, repliant ses ailes dans son dos :
« Ce n'est pas ta faute, Matthias. Je te le jure. C'est la volonté de... »« De Dieu? » La voix du petit croyant s'étrangla.
« C'est Dieu qui te chasse du Paradis? Tu t'es battu contre tes démons! Tu m'as protégé! Et lui... »« Sssch. Ne dis pas ça Matthias. Tu es en colère. Tu ne le penses pas... » Mika'il tempérait, gêné.
« Non, non! Je le pense! » Matthias criait, comme on crie quand la douleur fait trop mal.
« Pourquoi? Mika'il! Tu ne le mérites pas! Tu ne mérites pas la Déchéance! »« Cesses, Matthias, ce n'est pas grav- »« Si c'est grave! Tu as été puni, et pourquoi? Pour rien! Pour rien! Je le maudis! Je le maudis! »Matthias hurlait, blasphémait, frappait. C'était la première fois. Mika'il le regarda, hébété. Pouvait-il qu'un petit ange fragile comme lui fasse tant de bruit, frappe si fort, et hurle avec une voix aussi grave? Mika'il la regardait, ne sachant pas quoi dire. D'un sens, ça le touchait. Matthias s'énervait, et c'était pour lui. L'archange aux ailes tâchées s'approcha et le serra contre lui, d'un coup sec. Matthias, toujours furieux, frappa une dizaine de fois le buste de l'ange afin qu'il le lâche, mais dans la chaleur de l'étreinte, il se laissa aller, pleurant toutes les larmes de son corps et plus encore sur le torse fort de l'archange. L'injustice, Matthias? ...oui. L'injustice. Job avait lui aussi sentit cette injustice, mais lui avait remercié Dieu. La foi de Matthias n'était sans doute pas aussi forte que Job. Mais ça, ça faisait plaisir à l'ange. Car c'était pour lui. C'était pour son ange. Et ça le touchait plus que la foi. Mika'il ferma les yeux, passant sa main sur la tête blonde de l'enfant. Matthias et ses belles bouclettes, Matthias et son regard brillant au nom de Dieu. Il avait bien changé. Il avait grandi. Il deviendrait quelqu'un. C'était son destin, son chemin. Il n'était pas Jésus, pas à souffrir en Silence. Matthias était plus fort que ça, plus fort qu'on ne le croyait. L'enfant-sacrifice était devenu plus fort qu'on ne l'aurait cru. Plus fort que le Cardinal. Mika'il recoucha l'enfant, qui se rendormit en silence. Qu'il dorme. Il aura besoin de force. L'ange disparu finalement, dans le même froissement de plume de cygne et de corbeau cette fois.
Le lendemain matin, Matthias se leva. La tête reposée, il avait réfléchit toute la matinée, avait mangé le peu qu'on lui avait donné pour le déjeuner, et au final s'était décidé de partir. Il savait que le Cardinal viendrait, mais ce n'était pas sa priorité. Il ouvrit sa valise, regarda dedans, et en sortit quelques affaires. Ce n'était pas exactement les siennes. Il y avait bien sa soutane noire et stricte, mais ça n'était plus la peine. Il allait être excommunié, après tout. Il alla sous la douche, se leva, et s'habilla pour la première de sa vie comme tout adolescent, avec un jeans dévalé claire et une chemise blanche. Blanche. Couleur de la pureté... avait-il vraiment le droit? Il attache autour de son cou sa chaînette claire. Sur son buste, la toute petite croix d'argent était discrète. Il regarda le tatouage sur ses côtes, que l'on distinguait un peu sous la chemise blanche. Ce n'était décidément pas vraiment la meilleure des couleurs, mais la seule qui ne jurait pas avec ses cheveux. Il se retourna, referma la valise quand on toqua à la porte. Il releva la tête, haussa un sourcil.
« Entrez. »Un frisson remonta l'épine dorsale du petit blond. Le visage froid et dur du Cardinal Sirius se dessina dans l'entrée, alors qu'il refermait calmement derrière lui. Matthias le regarda, alors que le Cardinal examinait dans un silence mortel sa tenue vestimentaire. Sirius fronça les sourcils.
« Où es ta soutane, Matthias? » « Je ne la mettrais plus. » répondit le jeune homme, avec légèreté. Le Cardinal siffla.
« Dois-je en conclure que...? »« Mika'il m'a protégé contre deux démons, dont un qui est mort. Ces mêmes démons que vous m'aviez dit de lister. Je me suis retrouvé seul contre Sunshine, Démon de Foudre, et Isaiah, le Démon de Peur. Si Mika'il a chuté, c'est... c'est car Sunshine, en sa forme originelle, a attrapé Mika'il par les ailes. Très peu de temps, mais assez pour noircir quelques plumes. »Le Cardinal regarda Matthias, un instant. Puis il éclata. La gifle frappa violemment le visage du blond qui, pour la première fois de sa vie, ne s'en offusque pas. Il la fixait, encore, avec ses mêmes yeux clairs et sombres à la fois.
« Matthias... Vous n'avez donc pas honte?! De votre faute, un des Archanges les plus nobles a choi! Et pire encore, tu... tu... tout ça est de la faute de Keith! J'ai toujours dit que ce sale gamin avait une mauvaise influence...! » Matthias le pointa du doigt, menaçant.
« Ne redîtes jamais ça! Keith n'a rien à voir! C'est vous...! Vous et votre stupide institution! Vous et votre Dieu injuste qui punie les plus fidèles et laisse perdurer les plus pourris de ce monde... Oui. Mika'il a les ailes noircis, mais je le jure, il est plus pure que vos anges malsains. »Le Cardinal le regarda et leva la main à nouveau. Aussitôt un ange apparu dans le dos de Matthias, comme un autre apparaissait dans le dos du Cardinal. Metatron et Mika'il se toisaient. Les ailes fièrement dressées. Les deux Archanges, l'un face à l'autre, n'avaient visiblement plus rien en commun. Le Cardinal regarde Mika'il.
« Tes ailes... Elles sont donc réellement... »« Je ne te permet pas, infâme. » siffla Mika'il, posa pieds sur les terres.
« Nul ici n'a le droit. »Metatron posa pieds sur terre également, ses six longues ailes – quoi que moins belles d'un point de vue esthétique – s'étirèrent. Mika'il étira à son tour ses ailes, plus légères, plus belles, quoi que tachetées. Mika'il avait la grâce. Metatron avait un visage bourru et dur. À première vue, il n'était pas aussi compatissant que l'ancien Ange de la Justice. Ils se regardèrent quelques temps, et Metatron soupira à l'oreille du Cardinal et s'effaça. Il ne resta dans la pièce que l'ange de Matthias, Matthias et le Cardinal. Sirius le regarda et pesta.
« Tu es excommunié, Matthias de Salamine. Excommunié, et interdit d'appeler ton Ange et d'Exorciser. Ne remets plus jamais un pieds dans une Eglise, sans quoi nous enverrons les Agnus Dei pour réprimander toutes tes fautes. À l'heure d'aujourd'hui, tu es interdit d'accès au Vatican, et tu n'as plus le droit de... » Le Cardinal attrapa la croix autour de la gorge de Matthias, et la tira d'un coup sec.
« Porter une croix. Sois maudit, Matthias. »Le Cardinal s'était retourné, et était sortit. S'arrêtant au seuil de la porte, il s'était retourné, le regard sombre.
« N'approches pas Nicolas et Reynar. Pas quand tu portes le vice. »Et il disparu dans le couloir. Matthias resta un instant au milieu de la pièce, dans le silence le plus complet. Mika'il le serra contre lui, avec la douceur et la chaleur dont il faisait preuve par habitude.
« Ils ne m'en veulent pas, Matthias. Ça arrive. »« … c'est curable? » Silence.
« Tu retrouveras tes ailes? »« … un jour, peut être. Ce n'est pas le problème. J'ai l'éternité pour me racheter. »L'ange disparu, avant même que Matthias n'aie pu répondre. L'enfant blond resta un instant au milieu de la pièce. Il inspira profondément... C'était étrange. Il n'avait jamais été aussi soulagé, heureux, et fébrile à la fois. Il tremblait. Pas de peur... Le bonheur? Il toucha du bout des doigts sa joue. La douleur était jouissive. Surtout quand elle rimait avec liberté. Avec honneur. Avec fierté.
Dieu. Ça faisait vraiment plaisir.