Ma Ellah,
Je suis triste de voir combien tu ne m'écoutes pas, mais j'imagine que tôt ou tard, j'aurais du faire face à cela. Au poids de mon nom, et à celui de ma famille. Car cela sera bientôt écrit dans les journaux, et qu'à cela, je ne peux rien. Je ne peux rien faire du tout, je le sais depuis longtemps déjà. Mon père est mon père. Avant, dans un passé dont je me souviens encore, je me rappelle d'un homme qui était grand, beau, et fort. Il avait de l'allure, de l'assurance, et un coeur aussi bon qu'un ange. C'était un homme qui croyait en la bonté humaine, en leur splendeur de coeur et en leur intelligence. Il a été élevé par Kveld, le plus vieux et le plus sage d'entre nous, mais mon père n'avait jamais affronté la réalité. Les chasseurs, les horreurs, les guerres humaines. Mon père était quelqu'un de bien, Elladora, mais la folie l'a embrassé quand il a pris les premières giffles de la vie. La mort de ma mère reste en lui la plus profonde des douleurs. C'est un chasseur qui l'a tué, alors que tous deux n'avaient jamais tué ou approché une ferme, justement pour se restreindre et pour ne faire de mal à personne. Nous étions une meute pacifiste, mais nous avons payés le prix d'être des lycanthropes, des monstres, plutôt que des hommes. C'est après la mort de Klavdia, la mère, que mon père est devenu comme ça. Pas un être infâme. Les jumelles l'ont décrite avec des mots trop durs. Il a toujours été quelqu'un de bien, et je le soutiens, de loin. J'entends par là que dans les grandes guerres, il a toujours aidé le camp des bons, à sa façon. Au Vietnam, il a aidé les populations. En Algérie, il a lutté contre les français. À Stalingrad, les loups ont fait reculé Hitler de sur son chemin. Il a toujours aidé l'humanité, mais aujourd'hui, il fait le mauvais choix.
Je ne veux pas que tu penses que mon père est un monstre. Ça serait un mot trop fort. Disons juste qu'il a perdu la tête, la raison, et qu'aujourd'hui, il est persuadé de faire quelque chose de bien, quand c'est quelque chose de mauvais. Je ne peux lui reprocher, moi qui ait souffert de perdre d'une façon peu reluisante ma mère.
Cependant, ne t'affoles pas à la lecture de mes mots. Je ne serais pas de cette guerre. Tout comme Lycaon et la Meute des Anciens, j'ai fait le choix de me retirer de la meute, et si je me tourne à dos mon propre père, sache que c'est tout à fait conscient de la situation, et que même si je pouvais l'arrêter, je ne l'arrêterais pas. Car il est mon père, et que quoi que je fasse, mon coeur me rappelle à lui. Mon père est sans doute fou, mais c'est l'homme qui l'a rendu ainsi.
Actuellement, je me terre dans la forêt, j'attends. Je ne veux pas qu'ils te blessent, Princesse, j'en mourrais sans doute. Aussi j'attends. Toutes ses horreurs, je n'y étais pas, mais celle qui vient, qui gronde, qui ébranle la terre en secret, j'y serais. Non pas pour tuer, ou pour rejoindre les rangs, mais pour toi, Ellah. Ça sera la seule chance pour moi de te voir, dans la cohue de la bataille, et je t'extirperais de cet enfer qui grandit.
Les gentils ne gagneront pas cette fois-ci, Ellah, mais nous, nous ne sommes ni bons ni mauvais,
Aussi nous vaincrons.
Kirill.