Du fond des bois, on entendait les tambours de guerre. Les cornes de brume qui faisaient frémir les plus riches propriétaires terriens. Les cornes de l’Enfer. Pourtant, la forêt était vierge de vie. A part les fougères, la mousse et les champignons qui prenaient d’assauts les hauts et majestueux sapins centenaires… Rien. Pas un bruit. Ce tambourinement incessant. Qui s’accélère. Petit à petit. Plus vite. Vite. Vite. Trop vite ! Tout commence à tourner, une flèche se plante à quelques mètres. Les cornes retentissent à nouveau. Que ce passe-t-il ? Quel est ce carnage qui se prépare ? Des mangeurs de morts sortent de leurs cachettes, ils grouillent de partout. Ils sont morts, mais reviennent à la vie. Leurs visages sont à moitié pourris. Quelle est cette chose hideuse qui les guide ? Le tambour accélère, il va de plus en plus vite. Autour, tout commence à faner, les plantes meurent, gelées…

« Når døden er nær, sker en masse ting. »

Pris de spasmes, incapable de réagir, le feu se propageait le long de son corps. Sleipnir ne voyait que cette forêt faîte de monstres qui ne cessaient de courir, guidés par la faim et la mort… Une main le plaqua au sol, par la gorge et ne cessa d’appuyer, de plus en plus fort. Mais son cœur ne cessait d’accélérer, il avait atteint la limite du vivant depuis longtemps. Ses membres mourraient, ses doigts s’engourdissaient, tout tournait. Que se passait-il ? Autour de lui, son frère aîné, Sezuan, hurlait de terreur. Pour qu’il hurle ainsi, fallait-il que se passe une tourmente digne de l’enfer. Du sang commença à perler du bord des lèvres de Sleipnir qui sentit la main disparaître de sa gorge et qui roula plusieurs fois à même le sol, incapable de se contrôler. Bave, sang se mélangeaient, il avait avalé sa langue. Ses mains étaient pleines de sang, son bustier était maculé du liquide pourpre qui s’écoulait de la plaie le long de sa gorge, carotide sectionnée. Thor et Drakkan avaient lâchés les haches et les arcs, fixant leur petit frère qui souffrait le martyre. Fiers danois, ils n’avaient pas fuit devant l’atrocité de la scène. Trop fiers peut-être. Le hurlement qui déchira les tympans de ces frères fit aussi mal à Sleipnir qu’à sa fratrie. Son cœur faisait un arrêt cardiaque, son foie et son diaphragme également. Ainsi que tous les organes internes. Normalement, l’adrénaline ou autres hormones devaient réguler la douleur, devraient couler dans ses vaisseaux sanguins. Mais il ressent tout. Absolument tout. Ses trois frère le regardent, impuissants, car devant eux, se dresse celui qui inflige ceci à leur petit frère. Hérissé de rage. Il ne les laissera pas venir en aide à leur petit frère. Puis, soudainement, il s’immobilise. Ils s’immobilisent. Tous les deux. Le frère ne respire plus. Ses yeux sont clos, le sang a cessé de couler de sa blessure à la gorge. Ses mains sont posés sur le sol ne bougent plus. Puis soudain. Un battement de paupières. Toujours pas de respiration. Puis il se redresse, fixant droit devant lui. Un grognement animal résonne de sa cage thoracique. Il baigne dans son sang, mais a en lui le sang de cet autre être de la nuit. Tournant le visage d’un air bestial, il l’observe, comme on juge son créateur lorsqu’on en a l’occasion. Le grognement s’amplifie, et, d’un battement de cil, il est devant son frère aîné qui cesse de respirer. Il le toise, l’observant minutieusement comme on observe un futur repas. Tête tournée sur le côté… Puis l’autre être de la nuit pose sa main sur son épaule. Sleipnir ne réagit pas. Trop occupé à toiser son frère qui a les yeux fermés et qui pue la sueur. Son cœur bat à une allure de galop. Quelle est cette malédiction ? Un sourire naît sur les lèvres de Sleipnir. Puis il se tourne vers Thor et Drakkan. Reconnaît ses frères. Et se tourne vers l’autre. Ils avaient dû payer du sang leur outrage de cette caverne pourtant scellée. L’autre le fixe. Puis parle.

« Vous avez osé pénétrer dans mon domaine. Quatre vous êtes rentrés. Trois sortirez à la lumière du jour. Un sortira lorsque la Lune sera haute dans le ciel. »

Incapables de rester plus longtemps, les trois frères fixèrent leur cadet d’un air affligé. Sezuan avait été celui à leur demander de venir voir la Caverne des Morts. Parce que personne n’en sortait jamais vivant. Sleipnir ne sortirait pas vivant. Mais il sortirait. Un feulement s’échappa d’entre ses lèvres, mais il était incapable de bouger, tant que l’autre vampire avait un contact avec sa chair. Ses frères seraient un tel repas… Tant de testostérone. Mais non. Il ne pouvait bouger. Le don obscur de ce vampire aîné l’immobilisait, et, seulement plus d’une demie heure plus tard ne récupéra-t-il ses mouvements. Incapable d’y tenir plus, il sauta sur son créateur, enrageant. Encore. Il voulait encore. Un bruit derrière lui attira son attention. Un jappement. Effrayé. Puis des bruits de pas. L’odeur de son sang l’engourdissait. Puis un loup attiré par l’odeur de ce même sang fit son apparition. Le pauvre. La seconde d’après, Sleipnir était à sa gorge. Lèvres collées à la chair.




Un feulement animal s’éleva de son poitrail lorsqu’il sentit sur son poitrail la déchirure des griffes de l’animal qui venait de lui arracher un ami. Pupilles complètement dilatées, l’horreur venait de faire son apparition, et le liquide vermeil s’écoulant de la plaie venait d’alerter son esprit. Donnant un coup en réplique à celui qu’il venait de recevoir, il s’arqua et pris son élan. Il monte. Il descend. Il frappe le vide, et se prend un coup magistral dans le front. Sonné, il tomba à terre en brisant les dalles de béton recouvrant l’avenue vide de toute personne. Le rugissement de rage qui venait de résonner avait pourtant dû alerter le voisinage. Se relevant, sentant la chair de son front se reformer suite à la coupure de débris, il saisit l’un des plus gros morceaux de goudron à sa portée et le lança sur son adversaire, un cri de tourmente résonnant à nouveau. L’autre est déstabilisé, et aussitôt, il saute sur son adversaire et saisit son crâne à deux mains, et plante ses ongles dans la chair. Le sang commence à couler, et cette fois, c’est l’autre qui crie, torturé par la douleur. Courbant l’échine, la rencontre brutale du sol oubliée, il plante ses dents dans le cou de sa victime et annihile toute chance de s’échapper.

La rage. La force danse dans les veines, dans lesquelles coulent encore la force vitale de la fille qu’il a laissée abandonnée quelques heures plus tôt. Ses iris sont de jais, il ne voit plus que le sang qui l’entoure, telle une marre de sacrifice. Le corps de son adversaire tombe, raide, le poison engourdissant ses membres. Il titube. Entend des cris. Relève le visage, et entend tonner dans le lointain une horloge. Trop tard. Au loin, le soleil s’apprêtait à se lever. Se tournant, la douleur lui lancinant l’épaule, le poitrail et le dos, il ne sait où courir. Il ne sait pas ce qu’il a fait. Son créateur gît là, il l’a presque tué. Mais le corps de l’autre bouge encore. S’arc-boutant, il finit par se décider. Saisissant le corps de l’autre, il se mit à courir, sautant sur une véranda et pénétrant maladroitement dans une chambr, et ferme les volets d’un geste brutal et bruyant. Il tire les rideaux, attrape une commode et la tire devant la fenêtre. Le soleil va se lever, ils vont mourir tous les deux. Sauf s’il se cache. Sauf si… Derechef, il se redressa et fixa son adversaire. S’agenouillant auprès de lui, il releva les manches de son bustier et s’enfonça les crocs dans la chair afin de faire saigner son poignet. Déposant son bras contre les lèvres de l’autre, il est tiraillé par ce qui vient de se passer. Tiraillé dans les deux sens. L’autre vient de se nourrir de l’un de ses compagnons humains, et il a tenté de l’effacer de la surface de la terre, mais n’a pas su porter le coup fatal. Que faire ?! Au dehors, un coq hurla son Ode à la Lumière, et Sleipnir émit une vocifération vis à vis de la créature diurne. Observant qu’à travers l’un des trous de la toiture se faufilait un futur rayon de soleil, il tira son créateur par les bras et l’amena dans un coin de la maisonnée, silencieusement. Fixant sa blessure au poignet, il y assigna un lèchement, afin d’accélérer la guérison. Sentant le sang qu’il avait déjà ingurgité une première fois à nouveau contre sa langue, il cracha brutalement, émettant à nouveau un feulement bestial. Tous ses sens étaient détraqués par l’affrontement, il ne savait plus quoi faire. Se voûtant à nouveau, il donna un coup de pied dans le cercueil où reposait son maître en général et y déposa la carcasse en guérison de son occupant habituel, plein d’un dédain qu’on ne lui connaissait pas. Il allait survivre. La mort d’un des siens était punissable par l’exécution au pieu ou à la lumière du soleil, et lançant un coup d’œil appréhendé au rayon de soleil qui grandissait au sol, il défit la ‘porte’ de sa couche et s’y allongea après avoir défait les restes de son bustier de gestes saccadés, tout dans son organisme traversant le corps à toute allure, fébrile et incapable de se concentrer. Toute cette odeur de sang, de mort et de rage. La puanteur de la chaleur de la journée se faisait de plus en plus forte. Laissant son bustier gésir sur le sol fait de planches en putréfaction, il se glissa dans le cercueil qui était sien. Tirant le haut de sa demeure diurne, il laissa l’obscurité sombrer sur ses sens, et la destruction du monde extérieur vint immédiatement. Des pas au dehors de son lieu de repos, quelques mouvements, des paroles inaudibles, et le repos, enfin. Les brûlures qui ne cessaient contre son dos et son poitrail allaient enfin cesser. Portant les mains en croix contre son poitrail, il sombra dans un mi-sommeil dont il ne serait tiré qu’à la fin du jour. Dieu qu’il détestait les journées d’été. La nuit ne durait qu’un temps court… Trop court, hélas.




« J’ai promis à un de tes ancêtres de te protéger. Je le ferais. Quitte à mourir pour le faire. »

Il ne pouvait lui expliquer. Il ne pouvait lui dire qu’il faisait partie de sa famille, qu’il était un des frères de cet ‘ancêtre’. Parler de Thor de la sorte… C’était bien loin le temps de la fraternité entre ces frères. Fixant la jeune fillette brune et aux yeux apeurés, il comprenait qu’elle avait peur. Il était entré sans bruit, l’avait trouvée dans sa chambre en train de pleurer. Le dos à sang. Tentant. Horriblement tentant. Mais il ne devait pas la toucher, sinon il deviendrait la chose contre laquelle il était censé la protéger, serment solennel, il avait juré avec le sang sur la tombe de Thor de protéger sa descendance. Son mari la battait. Alors, il était allé dans les latrines où cet homme se faisait plaisir après avoir utilisé une planche pour battre la femme… Et lui avait sauvagement brisé la nuque. Libre, au moins, à présent, la femme avait hurlé. Voir un étranger de la sorte, avec le corps de son amour à terre. Comprenez la. Mais maintenant, elle entrevoyait. Elle avait vu en Sleipnir la réalité. Fixant la jeune femme, notre vampire se délecta de voir en elle ce qu’il reconnaissait de son frère. La belle Solveig n’aurait plus jamais de stigmates sur les poignets, il y veillerait.

Il venait de lui promettre, à mort. Alors, pendant qu’elle vivait sa vie, il veillait. Il n’hésitait pas à se débarrasser des créanciers, en leur suçant le sang comme une vermine. Mais il le faisait pour sa famille. Jusqu’à nos jours. Jusqu’à ce qu’il reste en arrière, en Suède, là où il avait grandit, alors que les deux filles allaient en Angleterre. Pas bien longtemps après, il apprit qu’elles avaient été tuées. Il avait faillit. Elles avaient été sauvagement dévorées par un gros chien, et leur cœur manquait à l’appel. Qui avait fait cela ? Ingérable, Sleipnir entra dans une colère folle. Ne prenant pas le risque de prendre l’avion afin d’atteindre l’Île Britannique, il y allait à pieds en passant par le continent et pris les voies maritimes de la France pour franchir les frontières. Son don obscur, lui, était simplement un charme usuel qui lui permettait en général d’avoir ce qu’il voulait. Sur les esprits les plus simples. Il n’avait jamais usé de ce charme sur plus fort que lui, et le gardait pour lui… A Londres, il découvrit les magiciens dont il avait quitté le monde il y avait bien des décennies. Surpris, d’abord, il réintégra les lieux magiques tant qu’il le put. N’ayant pas de baguette magique, il dû se faire des amis sorciers pour pénétrer le Chemin de Traverse, par exemple. Gardant ses secrets pour lui, il alla sur les tombes de ses protégées à présent décédées, et jura cette fois de les venger. Il pouvait protéger les autres descendants, mais ceux-ci auraient peur de lui… Alors, il les vengerait. Il retrouverait ce grand chien, qu’il devina bientôt être un loup-garou. Il n’avait jamais rencontré une telle créature, sauf une fois en Norvège, où il avait fréquenté l’autre en un endroit bondé de monde. Immédiatement, l’alchimie entre les deux avait explosé, et ils avaient manqué de se dévoiler l’un et l’autre…

Alors, Sleipnir est à Londres. Il vit simplement, ne sort que la nuit, la lumière solaire lui étant fatale. Il ne peut pas sortir, il ne peut même pas sentir un rayon de soleil avait d’agoniser. Vulnérable face à un sorcier intelligent, Sleipnir garde son agilité pour lui et n’hésite pas à se fondre dans la masse. Friand des lieux huppés, il fréquente la bourgeoisie londonienne, cherchant à retrouver une trace de ce chien qui a lamentablement tué ses deux protégées préférées… Encore maladroit, Sleipnir a du mal à cacher ses traces, et il doit certainement avoir des gens qui le suivent. Reste à savoir. Les jeunes blondes sont ses préférées. Alors, petite blonde, sorcière si possible, garde ta baguette près du corps et un ‘lumus solem’ à portée de main…
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