Lycaon lui avait dit que la législation humaine était aussi compliquée que les mœurs lycanes. Pour le Orlov, cela ne voulait rien dire. Il avait grandit avec les fameuses mœurs et n'avait jamais éprouvé une quelconque difficulté à les comprendre, ce qui n'était pas vraiment le cas de la législation humaine qu'il avait toujours plus ou moins fuit. Pourquoi? Mais tout simplement car c'étaient des êtres inutiles, lâches, ridicules et vains. L'homme était vain. Kirill n'avait jamais eut le soucis de l'expérience de la mort, et ne comprenait toujours pas pourquoi les mannequins étaient tous peins d'une tonne de maquillage, retouchés, minces, et surtout pourquoi les vieilles femmes cherchaient à être jeunes quand, chez les lycanthropes, on cherchait à être « vieux » plutôt que jeunes. Entre leur deux peuple, il existait un profond fossé que jamais, auparavant, Kirill n'avait tenté, ou ne serais-ce qu'imaginer traverser. Il avait toujours été dispensé de ce contact physique avec l'homme. Dans le passé, durant les grandes guerres, il en avait dévoré des dizaines, des centaines, il avait recouvert ses mains de sang sale et parfois encore, dans ses rêves, il imaginait des os craquaient sous la puissance de sa mâchoire et le goût de la chair chaude et fraîche dans sa gorge. Il s'était mis à la viande bovine. On avait beau dire, le rouge de cette viande rendait tout de suite la chose plus appétissante que le blanc du poulet, sec et sans goût. La viande d'équidé n'était, elle, pas succulente au point que l'on en fasse une folie. Même le sanglier et le chevreuil, viandes à goût fort, n'étaient pas du goût du lycanthrope. Il avala son steak, donc, sans aucune autre pensée que le dossier qu'il avait à « voir » avec cette fameuse... Talia? Autour de lui, dans le petit restaurant où il s'était arrêté, tout le monde le regardait avec un regard halluciné. Quel homme mangeait-il une tranche de sept cent grammes de viande saignante à neuf heures? Un homme qui mangeait trois à sept kilos de viande par semaine, sans doute. Kirill ne fit pas attention aux commentaires autour de lui. Le grain de café n'était pas sa tasse, si j'ose dire, il préférait d'avantage ce qui se rapprochait de la viande, et ce, à n'importe quelle heure. Pour le lycanthrope, il n'y avait pas d'heure pour manger. Il entendit la grande église sonnait la demi heure et se leva, payant généreusement le déjeuner préparé spécialement pour lui, et après s'être essuyé les lèvres, il partit en direction du ministère. Il n'y avait jamais mis le pieds, pas même dans celui où son frère régnait. Lycaon était un politicien, il avait ça dans le sang. Il avait toujours été un bon orateur, un homme qui ne reculait devant rien pour défendre ses idées. Kirill en était fier, mais ça ne l'empêchait pas de ne pas venir dans les bâtisses humaines qu'il jugeait véritablement fragiles. Il haussa un sourcil et entra dans le ministère. On lui indiqua le chemin de King's Cross. Le lycanthrope n'était pas très informé, mais il avait un sens infaillible de l'orientation, et il ne mit pas longtemps à trouver la fameuse gare. Il y entra. Il était plutôt grand, même plus grand que n'importe qui. Derrière son large manteau de feutre noir, son regard vairon balaya la salle et se posa sur une femme – qui tenait d'ailleurs le liquide infâme qu'était le café – et la détailla d'un seul regard, non pas car elle était jolie (bien que, mais le lycanthrope était au dessus de tout ça) mais surtout pour aviser à qui il avait à faire.

« Vous êtes monsieur Orlov? » C'était donc elle, Talia. Il lui tendit une large main, poliement.
« Kirill Orlov. Donc vous êtes... Talia Metzcalli. Enchanté... »

Il avait parler d'une voix monotone, monocorde, sans aucun sentiment. Kirill ne paraissait ni froid, ni joyeux. Il y avait quelque chose d'insondable...

« Oui c'est exactement ça. Mais rassurez vous, n'importe quel mariage peut être contrarié par ce genre de requêtes. Je vous en parle maintenant pour vous que vous soyez prêt dans cette éventualité mais ça ne reste qu'éventuel... »

Si Talia parla, Kirill fronça doucement les sourcils, agacé. Si il y avait bien quelque chose qu'il ne supporterait pas, c'était qu'on se mette en travers de son chemin. Kirill était certes l'élève de Kveld le pacifique, il n'en restait pas moins un prince. Il avait grandi avec une cuillère en argent dans la bouche et il n'avait essuyé aucun refus. Pas qu'il pensait que tout lui était du mais il savait qu'il avait les moyens de faire énormément de chose. Son champ d'action était immense, et ça, il en était bien conscient, alors qu'un simple homme s'oppose à lui, ça revenait à expliquer un lion qu'un rat pouvait retirer sa couronne de sur sa tête. C'était pratiquement ridicule. C'était une hérésie, quasiment un blasphème. C'était irrationnel pour le loup. Ça paraissait pourtant normal à la jeune hispanique. Il se massa la tempe et reposa son regard sur elle, calme.

« Votre mariage semble être un mariage d'amour et non d'intérêt quoiqu'il faudra peut-être que je rencontre Mademoiselle Konstantine aussi si vous le voulez bien tous les deux. »
« Je peux uniquement vous ramener une lettre. » Il grimaça. « Monsieur Konstantine la retirerait de Poudlard si il apprenait qu'elle tentait quoi que ce soit pour échapper à sa... dominance... »

Il avait tout d'abord hésiter sur le mot. Il comprenait qu'Arthur ne l'aimait pas, il comprenait énormément de chose, mais il n'approuvait pas. Chez les lycans, c'était tellement différent... tellement moins d'embarassement. Vitaly avait épousé une vélane, puis une moldue... Personne n'avait rien dit. Personne. On avait été heureux pour lui. Les gens bornés n'étaient pas les bienvenus. Kirill s'était engueulé avec son père, une grande dispute, mais il était sûr qu'il verrait Wolfgang a son mariage, et qu'il ne ferait pas de vague, qu'il ne déclencherait pas une guerre avec Kveld. C'était la loi. Elle était certes ridicule, mais elle était, et c'était déjà bien assez. Il n'y aurait ni mort, ni sang, ni cri de rage à son mariage. Aucune vague. Un jour d'harmonie. Les traditions étaient telles...

« Vous n'avez pas à vous inquiéter de ça. La première des choses que vous avez à faire pour éviter tous reproches c'est de rester poli et courtois avec votre futur beau père. » Il eut un sourire narquois. Poli et courtois? ...comme s'il ne l'était pas déjà. « Invitez le au mariage, même si vous ne vous entendez pas avec lui, même si vous le détestez. Il est dans votre intérêt qu'il ne puisse pas dire avoir été écarté de cet événement, ni d'aucun autre d'ailleurs si il devait y en avoir d'autre. Vous verrez, le pire qu'il fera en recevant le faire-part c'est de ne pas y répondre et de ne pas venir. » Il acquiesça, avec un sourire calme. « Vous bénéficiez d'un avantage: s'il s'oppose à votre mariage il le fera sous le coup de la colère sans être préparé, alors que nous aurons déjà tout vu ensemble. Vous n'aurez vraiment pas de soucis à vous faire quand j'aurai monter votre dossier. »

Il eut un large sourire. Si Arthur se déplaçait au mariage, il serait très mal reçu. C'est que les traditions étaient importantes chez eux. Les lycanthropes y étaient tous attachés, tous autant qu'ils étaient. Même Izaak, et ce dernier n'était pourtant pas des plus calmes. Les traditions, ça ponctuer toute une vie de lycan... mmh. Il chassa cette idée de son esprit. Le massacre d'Arthur Konstantine, le jour du mariage de sa fille, n'était sans doute pas une très bonne image. Il lui rendit son sourire, calme.

« J'aimerai commencer par vous poser quelques questions à ce propos. Certaines questions vont vous paraître assez étrange mais n'y voyez rien de personnel. C'est la procédure, du moins les points qu'il faut que l'on pose ensemble pour que je puisse défendre votre dossier... »
« Je vous écoute. » Il se redressa dans le siège, calme. Il n'avait rien à cacher.
« 1/ Avez vous un casier judiciaire? 2/ Avez vous déjà été marié? 3/ Avez vous une affiliation à un quelconque groupe religieux ou idéologique voire sectaire? 4/ Avez vous un travail, si non de quoi vivez vous? 5/ Avez vous une quelconque maladie ou infection ou handicap qui pourrait nuire ou mettre un terme prématuré à votre mariage? Je suppose que non? »
« Je n'ai jamais été convoqué devant un tribunal et je n'ai jamais – de même – fait quelque chose qui allait à l'encontre de la loi de l'époque. » Il eut un sourire large. Il avait vécu en dehors des règles durant longtemps, mais ça revenait à plus de cinq siècles. « Je n'ai jamais été marié. Je crois en Seth, ce qui n'est pas un groupe sectaire. C'est la religion lycane commune, l'équivalent de votre chrétienté. Je ne peux pas être atteint par la maladie et je n'ai aucun handicap que je me connais. »

C'était la stricte vérité. Il était calme. Plus posé qu'au début. Il s'habituait doucement à l'ambiance.

« Je n'ai jamais été marié. Je crois en Seth, ce qui n'est pas un groupe sectaire. C'est la religion lycane commune, l'équivalent de votre chrétienté. »
« Je suppose que je dois m'en remettre entièrement à vous sur ce point et que je ne risque pas de trouver quoique ce soit en faisant des recherches? »
« Il va de soit qu'il y a des groupes extrémistes comme dans toute religion existante, mais je crois uniquement en Seth. Je ne suis pas pratiquant. Donc je ne suis pas extrémiste. »

Il était calme, très calme. Aucune crainte. Sa religion a lui était celle de Kveld. Se conduire bien avec autrui, être en accord avec la nature, ne jamais gaspiller un gibier (chose assez rare puisqu'il achetait sa viande chez le boucher) et par ailleurs, aimer. Aimer était le mot maître chez Seth. La famille, ses amis, ses parents, tout n'était qu'amour de meute, un amour solide, qui souder encore aujourd'hui les différentes meutes. L'amour qui se transformait parfois en haine de l'autre, mais ce n'était le cas que chez les meutes pures... enfin, il pensait. Il n'y avait jamais vraiment compris quelque chose.

« Je ne pense pas avoir de mal à vous obtenir l'émancipation, pour le Ministère Britannique ce ne sera qu'une formalité. J'irais dès demain me renseigner pour trouver un interprète magyar avant d'aller porter le dossier en Hongrie. Je suis obligée d'en passer par là, la demande d'émancipation concerne plus la Hongrie que l'Angleterre mais je préfère assuré votre dossier dans les deux pays pour que le mariage ne rencontre absolument aucun problème. On est jamais trop prudent. Est-ce que vous avez des questions? des précisions ou quelque chose que vous auriez besoin que je fasse pour vous? »
« Rien. Vous en avez déjà fait énormément. »

Il eut un sourire reconnaissant.

« Quand vous aurez tous vos documents et que l'on pourra lancer la procédure, j'aimerais juste que l'on reprenne rendez-vous, pour mettre au clair ce qui s'en suivra. C'est tout. »

Kirill. Calme. Il se leva, imperturbable, et sortit de sa poche de quoi régler le café de la jeune femme. Sourire. Il attendait qu'à son tour elle se lève pour sortir d'ici. Il avait à nouveau une faim de... loup?