D'un fantasme malsain à un cauchemar vivant il n'y a qu'un pas. Est-ce la beauté du parc enneigé qui a achevé de convaincre Valente Visconti de faire de Fausta sa madone? Est-ce que ce sont les multiples refus de la jeune fille qui l'ont piqué au point de pousser la folie jusqu'à l'extrême.
Sur le parvis de l'école, encore plongé dans la nuit, il y a une statue. Une belle statue grandeur nature qui a les traits d'une jeune femme drapée d'un long manteau bleu. Ses longs cheveux noirs flottent comme des vrais dans la bise hivernale et ils entraînent dans leur flot une fine voilette cousue d'or fin. On aurait presque pu sentir son parfum s'il n'avait pas fait si froid. Les belles étoffes se mouillent peu à peu comme il neige à gros flocons, bientôt, le bleu roi deviendra sombre et quand les élèves et les professeurs se lèveront, ils seront bien surpris de trouver là cette étrange sculpture qui s'est invitée dans la nuit.
Derrière ces grands yeux touchants pourtant, si quelqu'un s'approchait maintenant, il verrait un fond de panique. Quelque chose à glacer le sang. Pire encore quand on la connaissait, on reconnaissait sans mal Fausta Della Gherardesca, glacée dans cette étrange position, un simulacre d'enfant lové dans ses bras, ce n'est en fait qu'une racine de mandragore que Valente lui a collée entre les mains. Bien sûr au fond d'elle elle sait que c'est lui. Qui d'autre l'appelle madonna? Qui d'autre qu'un Visconti pour la torturer et l'humilier à ce point? Et si encore il ne faisait pas si froid dehors.
Elle voudrait crier. Le défier. Parce qu'elle est sûre que de là où il est, il l'observe et se délecte de ce qu'il a fait. C'est vrai qu'elle n'a pas vu son visage et que de toute façon, figée qu'elle est, elle ne peut pas grand chose sinon espérer qu'AnnaLisa la trouve. Que Gabriele la trouve. Mais ils ne viennent pas. Ils dorment sans doute, bien au chaud dans les dortoirs de l'école.