|
| “WHAT GOES AROUND COMES AROUND.” Sept mois. C’était long, sans l’être. Miran aurait cru que ça aurait été plus difficile pour lui, mais finalement, avec le temps, la douleur s’était effacée et avait laissé place au creux de son estomac à un vide sans-nom. Un vide qu’il avait appris à considérer comme faisant partit de lui, comme étant une seconde nature. Il vivait parce qu’il le fallait, c’était tout. Il avait réussi à ne pas le croiser. la première semaine avait été difficile, parce qu’il fallait qu’il retienne leurs trajets, pour ne pas à tomber sans le faire exprès dessus. Il s’était installé haut dans les arbres, évitant ainsi de redescendre sur la terre ferme le plus souvent, restant perché ainsi à la cime des arbres quand Lakshan attendait au large de la mer, pour la pêche en compagnie de la belle Freya qui restait en dehors de tout ça, légère et impartiale comme toujours. Parfois Freya, quand elle montait à la cime, souriait et lui racontait combien il était habile et semblait réfléchir, mais même à ça, Miran ne réagissait plus. Le regard fuyant, il souriait faiblement. Quand on osait lui rappeler que leur dispute n’était passé inaperçu auprès de personne, Miran s’emportait en propos violents envers la meute de Leto entière, et on racontait déjà que Laksha avait connu le fils de Lassithi, mais que ce dernier n’avait pas voulu prendre ses responsabilités et que pour ne pas jeter sur elle le déshonneur, le prince de Byzacène l’avait prise comme épouse. Un choix réfléchi pour ces deux amputés - l’un d’un membre, l’autre de son honneur. Les colères de Miran, qui toujours s’énervait sur l’ensemble plutôt que le sujet de sa peine avait assuré à la population lycane entière que le Lassithi n’aimait pas le loup aux cheveux verts qui pêchait auprès de Freya, mais qu’il détestait la race entière.
Perché dans son arbre, plus haut dans les arbres que toutes les maisons perchées, Miran regardait le ciel à peine éclairé par la lune à demi-pleine. Il l’observait, et il attendait Alisha, pour qu’ensemble ils commentent leur semaine toute entière, et sourit des dernières frasques de leur frère et de leur sœur, et qu’ensemble ils se rappellent de l’ivresse qui les remplissait jadis quand ils regardaient les plaines. Quand, avant, ce paysage n’était pas encore un monstre tapit dans l’ombre qui n’attendait qu’à les dévorer. La nature était devenue hostile. Les enfants de Sindri et Sasha le savaient. Alisha débarqua de nulle part comme toujours. Le pied léger, Espen aux pas de loup sur ses talons. Ces deux là étaient comme des ombres blanches, le visage marqué et étrange. Aussi différents que complémentaires. Les deux allèrent se placer aux côtés de leur frère, coller leur nez dans ses cheveux. C’était leur étrange façon de se dire bonjour. Puis Alisha s’assit, toujours à l’indienne. C’était elle qui avait le plus de choses à dire bien souvent. Pas parce qu’elle faisait plus de chose qu’un autre, mais parce qu’elle et Espen ne parlaient guère une fois sortis du cercle de leur petite meute. La grande meute, était et restait à leur coeur, une étrange chose. Une bête curieuse qui est de votre sang mais que vous observiez encore un peu de loin, avec curiosité et peut-être un brin d’appréhension. Il fallait dire que dans cette branche là des Lassithi, on avait tendance à afficher toujours la conduite la plus inappropriée. Du moins c’était le reproche que l’on avait souvent fait à leurs parents, Sindri et Sasha, et que l’on chuchotait parfois dans leur dos à eux. “Off c’est le fils de Sindri” disaient les uns, “ c’est la fille de Sasha” disaient les autres. Somme toute, les choses étaient bien comme ça. On ne cherchait pas à comprendre, c’était peut-être là le défaut. Un vice de forme qui leur laissait peut-être un peu plus de liberté qu’à tous les autres.
Là haut, dansant à la cime des arbres, ils étaient un peu les effrits d’une canopée qui n’allait plus appartenir qu’à eux. C’était l’heure où en bas on se rassemblait et dans l’air, on reconnaissait nettement les effluves de la viande préparée juste comme il faut, et les rires de Léonie de Lusitanie qui s’élevaient de la plage.
“ Ça a encore été une de ces journées...”
Et quand Alisha disait ça, cela voulait tout dire. Elle eut un petit sourire triomphant, observant pourtant du coin de l'œil l’abattement de son frère Miran, qui avait commencé à faire une ombre dans tout ce bleu qu’il arborait fièrement. Son sourire retomba un peu mais elle conservait cet éclat de rubis au fond de l'œil. Espen, lui, était calme. Un sourire doux sur les lèvres mais pas un mot comme toujours. Miran eut un sourire en coin, le regard s’élevant vers la voûte bleue. Ses cheveux avaient un peu perdu de sa teinte. C’était étrange, mais depuis six mois, ses cheveux s’étaient obscurcis, et bientôt, il rivaliserait avec la chevelure bleu de mer de sa sœur Freya, lui qui avait toujours eu les cheveux clairs de Sindri. Tout ça, il ne le voyait pas. Il avait décidé de ne plus y faire attention, pour ne plus avoir à se faire du mal inutilement. Lakshan n’était pas comme ça, c’était tout. Freya arriva au moment même où son frère allait pour dire quelque chose, essoufflée, les joues toutes rouges mais un sourire grand comme le monde sur les lèvres. Des quatre, Freya était la plus étrange peut-être, la seule qui rêvait d’être une goutte d’eau parce qu’elle trouvait ça beau. Un peu idiote selon les uns, juste un peu perdu selon les autres, son air androgyne gênait davantage encore peut-être que sa personnalité singulière. Elle partageait avec sa sœur Alisha cette place de bête curieuse du village, non pas pour les tatouages qui ornaient sa peau – tous étaient bien cachés par ses vêtements – mais davantage pour son savoir vaste.
“ Aujourd’hui Lakshan a attrapé un poisson arc-en-ciel! Tu sais Espen, comme le caillou de ‘Pa, celui qu’il a dans l’atelier, à côté de la... euh...” “ Pierre blanche? ” souffla Miran. “ Voilà! Il était trop joli! Mais ils vont le manger... ”
Les pieds dans le plat? à peine. Freya, légère oui, mais toujours très tête-en-l’air. Rêveuse comme Sindri, souriante comme sa mère, elle était ailleurs, ne voyait pas la douleur des autres quelque part, pas même cette toute petite lueur qui s’allumait dans les yeux de Miran et ce malgré lui. Le jeune homme aux cheveux de ciel eut un sourire en coin et regarda ailleurs, Freya affichant une mine peinée elle aussi, mais davantage pour le poisson qu’elle savait piéger quelque part prêt du feu, encore vivant, mais bientôt mort.
Espen s’éclaircit la voix, signe qu’il allait parler. Il n’était pas mal à l’aise avec la parole mais pour une raison qu’on avait jamais pu trouver, il aimait se perdre en pensée plutôt que se répandre en mot. Il lui fallait donc toujours une petite introduction non verbal avant de dire quoique ce soit. Comme pour avertir: attention, voilà quelques mots que j’ai à vous donner. En dehors de la famille ça avait tendance à énerver. Du moins c’était ce qu’il avait remarqué. Les gens d’ailleurs, préféraient ne pas s’attarder en sa compagnie de peur d’avoir à entretenir une conversation alors que lui semblait s’entêter à tout faire pour la couler. Ce n’était pas ça en fait, mais on ne comprenait pas. Du moins en général. Il répondait quand on lui posait une question mais lui n’en posait pas.
“ On était au dessus des chasseurs aujourd’hui.”
Simple réflexion qui aurait pu paraître stérile aux yeux de n’importe qui d’autres qu’eux. Eux se laisseraient entraîner dans les rêveries d’Espen, lorsqu’il voyait les anciens et les bêtes sauvages passer au dessus de lui comme des walkyries. Il entendait la musique et le tonnerre de leurs pas. Il ne sentait plus ses pieds toucher terre. Simplement parce qu’il pouvait s’imaginer des ailes. Il pouvait se faire plus léger que l’air et n’être rien l’espace d’une fraction de seconde. Le temps que la chasse emporte tout sur son passage. Alisha allait renchérir là dessus mais quelque chose la coupe dans son élan.
Un bruit de brindille qui se rompt sous un pas lourd. Beaucoup plus bas. Il y a quelqu’un. Un jeune homme grand et fort. Une tête couronnée de cheveux verts qui font disparaître tout de l’homme à cette hauteur. Les regards tombent sur l’intrus puis se relèvent et interrogent. Ils voudraient tous dire “hey tu devrais...” mais ils laissent encore à Miran le dernier mot. Pour l’instant. Et puis pourquoi est-il seul ici celui là...
Miran les fixe un à un. Alisha qui le regarde elle aussi, puis Espen qui l’observe également, et enfin Freya, qui elle lui sourit, comme cherchant à l’encourager. Et Miran qui ne l’a pas vu depuis six long mois hésite un instant. Sa raison lui dit que c’est de la folie, hurle au massacre et pleure déjà car elle sait qu’elle n’aura jamais le dessus dans le corps d’un Lassithi - et surtout pas de celui-ci. Lentement Miran se redresse de sur la branche et se laisse tomber en avant, d’un bond agile il s’arrête sur une branche basse de l’arbre mais ne descendra pas plus bas. De là où il est, il arrive à voir les pupilles du géant, et c’est bien assez pour lui rappeler le passé. Il pince les lèvres et penche lentement la tête. Ses yeux ne le fixent pas lui, parce que ça serait bien trop douloureux, alors il regarde ses mains, pour être bien sûr qu’encore une fois il ne le frappe pas.
“ Tu as perdu quelque chose...? ” “Non”, répond Lakshan de Qadesh. Sa voix emplit l’obscurité du vibration basse et chaleureuse, “j’ai trouvé quelque chose.”
Miran fronce les sourcils et se redresse sur ses jambes. Dans la petite bise, ses cheveux couvrent ses yeux clairs, et le bandeau rouge sang volette dans les airs. Un sourire mauvais se dessine sur ses lèvres, et son corps se souvient de toute la haine qu’il avait jadis pour lui, de toute cette colère qui a nourri ses muscles et a fait pulsé furieusement son coeur. Il lui cracherait bien à la gueule, parce que finalement, peut-être que cet infâme s’est servi de Freya, peut-être qu’il l’aime bien, cette sœur, et qu’il en abuse. Lakshan et le poisson. Un argument un peu pourri au final, mais qui a suffi à refaire germer la discorde - une graine de pomme d’or dans un océan bleu. Miran sert les poings et s’agace au fond de lui. Il s’était juré de ne pas retomber là dedans... comme quoi c’est ridicule, les promesses.
“ Et quoi donc ? ” “ On est au pied de ton arbre non?”
Lakshan n’est pas le genre à s’étaler sur ce qu’il pense. Il n’aime pas avoir à se justifier, surtout pas quand il sait pertinemment qui devrait le faire. Quand il est face à ses tords. Ce n’est pas qu’il en ait tant que ça, mais il n’aime pas les conflits aussi amusant que cela puisse paraître. Aucun lycien ne les aime. Il sait très bien que la dernière fois qu’ils se sont parlé il a fait mal. Très mal. Et sans s’en rendre compte c’est à son propre coeur qu’il a porté un coup. Mais il avait besoin de pouvoir laisser partir sa sœur avant de panser ses blessures.
“ Je ne viens pas pour me disputer.” “ Tu es en retard. ” Miran le fixe, toujours aussi terrible, à l’image de ce Sindri sans pitié quand la colère le frappe. Miran qui affiche là un air bien différent de cet air mélancolique qui a bercé ses derniers mois. “ C’est trop tard. ”
Au dessus de leur tête, un bruissement de feuille signale que désormais ils sont seuls.
“ Dois-je en déduire qu’il faut que je reparte?”, il se ferme un peu lui aussi. Les choses sont bien trop compliquées à ce stade là de cette histoire qui ne veut pas naître. “ Tu préfères que ce soit moi ? ”
Miran ne cille pas, il n’a pas le droit à l’erreur. Il pourrait céder, après tout, c’est tout ce qu’il a toujours voulu et désiré, plus peut-être que la liberté elle-même, mais non. Il ne peut pas. Car il a une fierté, et qu’on ne change pas du jour au lendemain. On n’aime pas puis on aime ? Quel genre d’homme est-il pour tomber amoureux quand ça l’arrange? Non. Plutôt mourir que de céder.
“Je ne préfère rien. Je m’en vais alors. Je ne suis pas venu pour attiser ta colère ni pour raviver de vieilles plaies.”, pourtant il le fixe un instant. Question d’égo. Si Lakshan ne pense pas avoir laisser sous entendre qu’il venait pour déclarer son amour, il peut tout de même comprendre que Miran ne soit pas près à effacer l’ardoise de si tôt. Pour un lycien c’est encore une de ces digressions incompréhensibles qui naissent en société. Mais après tout, s’il l’avait frappé à ce moment là, il y avait peu de chance que Miran ait pris cela pour une marque d’amitié et moins encore d’attachement peu importe quel forme cet attachement devait prendre.
“ Tu es venu pour quoi alors, Lakshan? ” Las. Il y a quelque chose dans sa voix qui cloche tout d’un coup, quelque chose qui déraille et qui ne veut pas se remettre en place. Plus le temps passe, et plus il le déteste à en pleurer encore toutes les larmes de son corps. Il le déteste au point d’en mourir comme seul un loup sait le faire. “ Que peux-tu m’apporter que des plaies? ”
Lakshan fronce les sourcils.
“ Je suis venu enterrer la hache de guerre. Je ne te déteste pas quoique j’ai pu dire par le passé. Je ne vais pas m’excuser puisque les excuses ne valent rien à tes yeux et surtout , puisque je ne peux pas m’excuser d’être ce que je suis - ce serait un non sens - mais je venais voir si je pouvais panser les blessures dont je suis la cause... si ce n’est en amant au moins en ami.”
Combien de temps, combien de bonnes raisons fallait-il à un lycien pour qu’il mette à ce point sa fierté de côté?
Les yeux clairs de Miran passèrent sur le visage de Lakshan, et il soupira, comme si ça devait être son dernier souffle. Sa petite mort passait ses lèvres délicates alors qu’il baissait à nouveau les yeux pour rejoindre les racines de ce qui devait être “son” arbre. Les genoux de Miran plièrent malgré lui, les épaules lourdes au fond, mais il ne tomba pas. Il s’accroupit ainsi, le visage penché sur le côté. Ça ne pouvait pas durer ainsi. Il ne pouvait pas supporter ça plus longtemps encore, parce que ça lui était totalement insupportable en vérité.
“ Pourquoi es-tu revenu Lakshan...? ” Un frisson lui remonte l’échine à écouter sa propre voix, sa propre voix qui tremble un peu elle aussi d’une émotion trop vive peut-être, ou d’un relent de larmes oubliées. Il glissa au sol, accablé sans le vouloir. “ Qu’est-ce que je t’ai fait d’aussi horrible pour que tu viennes jusqu’ici me faire du mal...? Que...qu'ai je fait...? ”
Sa voix se sert, mais il ne pleure pas. Même si il le voulait, il ne pourrait pas. Il ne peut plus. Lakshan cille. Il soupire mais finalement approche et pause sa main sur l’épaule de Miran. Elle est chaude et sûre. Alors doucement le géant le relève. Curieux héros, que caches-tu derrière cet éternel bandeau toi qui n’a rien à cacher? Il l’attire, le descend de son piédestal mais l’intention n’est pas de le mettre plus bas que terre. Seulement de poser son front contre son épaule, cette main puissante posée sur sa nuque comme pour lui maintenir la tête hors de l’eau. Lakshan ne dit rien. Il le garde contre lui comme ça, un long moment... son coeur parlait pourtant. Il cognait avec toute la force d’un ouragan. Il faisait courir le sang dans ses veines pour échauffer sa peau un peu halée par le soleil. Miran se crispe avec cette main sur sa peau et il regarde sur le côté, les yeux fuyants cette immense carcasse qui ose et qui toujours le défait dans ces combats bien singuliers. Un vrai chasseur ne devrait pas. Miran ferme les yeux. Il devrait le tuer pour en être débarrasser.. Il devrait. Mais là encore, il n’aurait pas la force de le faire. Il rougit dans la petite obscurité, le souffle rapide malgré lui et il le repousse un peu, posant ses mains sur ce torse qu’elles n’arrivent plus à quitter. Il le tient, là, à bout de bras, et il le fixe de son regard de vierge effarouchée qui lui va bien mal, à ce héros qui vole entre les branches. Il ravale sa salive, et retire lentement ses mains de sur lui, les doigts se referment, un peu crispés, et il presse les doigts fébriles sur sa propre poitrine. L’enfant rêveur ne sait plus quoi dire finalement.
Lakshan ne force rien pourtant. S’il redoute mais comprend que Miran le repousse, il se laisse surprendre à le voir rester finalement. Alors il a comme un presque sourire, un petit baiser suspendu au coin des lèvres mais qui reste invisible. Comme il est plus facile de frapper, de cogner de hurler pour un lycien. Comme les choses sont plus simples dans ce monde que les autres appellent le monde non civilisé. Elles ont l’intelligence du coeur et c’est tout. Rien de plus. Alors il déglutit un peu et se penche pour poser un baiser timide sur les lèvres de Miran. Ce n’est pas qu’il soit vraiment timide, juste que dans son crâne de lycien, la chose n’est pas encore bien admise. Et aussi parce qu’il mériterait de s’en prendre une pour ça après avoir refusé de le donner ce baiser quelques sept mois plus tôt.
Les joues de Miran, pâles avant, rougirent à nouveau comme deux pivoines écloses. Il baisse les yeux, ne répond pas au baiser, mais y reste accroché tout le temps que Lakshan lui consacre. Sa bouche en demande encore quand Lakshan se redresse, et c’est inconsciemment qu’il lève les mains et rattrape le visage du lycien, se levant sur la pointe des pieds pour l’embrasser comme on embrasse vraiment, avec le coeur, d’un moment qu’il a attendu des mois, d’un moment qu’il a rêvé cent fois sans jamais l’avouer. Un brin réticent au début, parce qu’il a beau y avoir réfléchi longuement, il ne s’est pas encore fait à l’idée, Lakshan finit par se détendre. Par laisser parler cette intelligence du coeur toute lycienne. Alors le baiser se fait fougueux, plus long aussi. Et quand il se rompt, c’est un Lakshan qui a perdu le souffle, la raison et la certitude qui regarde Miran. Alors ses joues prennent de jolies teintes de soleil couchant et il semble un peu perdu. Désarçonné par un gamin... Un gamin aux yeux clairs, fixant ce géant aux cheveux verts. Il a un sourire bête malgré lui, son coeur bat à tout rompre, tellement que c’en est douloureux.
“ Tu... ” Une légère hésitation dans la voix trahit à nouveau l’anxiété.
Lakshan se passe la main dans les cheveux. Un petit sourire rassurant sur les lèvres tout de même.
“ J’ai jamais... fin tu vois je suis un peu vieux jeu alors...”, il éclate de rire finalement parce que c’est ridicule. Les principes ne dictent pas au coeur, ça ne s’est jamais vu, et ça ne se verrait jamais. Si l’on pouvait voir une fille de Tlos avec un prince de Byzacène, une fille de chasseur avec un prince loup, pourquoi lui ne pourrait-il pas...
“ Jamais quoi ? “ L’enfant aux cheveux bleus a un sourire, parce que finalement, ça ne veut rien dire pour lui.
“ Rien, c’est pas important...”, répond Lakshan plus détendu. Il a toujours le sourire, preuve que tout va bien. Qu’il est apaisé. Demain sera un autre jour mais ce qu’il sait, c’est qu’il ne reviendra pas en arrière maintenant.
“ Alors... mh... ” Le loup bleu a un instant de réflexion, avant de sourire timidement, pas vraiment rassuré finalement, parce que comme tout Lassithi, il était toujours méfiant : “ On se voit demain? ” Pour toute décoration, un simple sourire.
“ On se voit demain”, assure Lakshan avec un sourire franc. C’était aussi bien pour lui d’y aller petit à petit alors, l’air un peu bête des amoureux, il se retourne et s’en va en soufflant un “bonne nuit Miran.”
Et l’enfant aux cheveux bleus le regarde, amusé, avant de remonter dans son arbre, plus lentement qu’à l’habitude. Ses jambes flagellent sous lui, et il se sent léger comme une plume, bien que son corps pèse une tonne à ce moment. Là-haut, dans le nid chaud et douillet, il se glisse dans ses draps de peau de bêtes et il soupire, ronronnant comme un chat à l’idée que toute cette histoire s’est diluée. Il ferme alors les yeux, et si quelque part, bien profond en lui, il reste cette petite inquiétude, il s’endort en souriant, pour la première fois depuis quelques mois déjà.
*
* *
* “Je te vois Lohendra, sors de là tout de suite...”, grinça Lakshan sans même ouvrir un œil.
Les jumeaux sortirent de sous une pile d’on ne savait trop quoi, arborant des sourires larges comme des tranches de pastèques. Des sourires qui faisaient trois fois le tour de leur petite mine chafouine. Mais leur frère aîné ne broncha pas. Il avait l’air plus détendu que d’habitude. Les deux pestes approchèrent leur visage du sien pour examiner ça de plus près. Depuis que Dorian de Byzacène avait rendu leur Laksha inaccessible, ils avaient aussi bien des moments d’extrême calme que des idées de conneries pire encore que tout ce qu’ils avaient jamais fait.
Lakshan ouvrit finalement un œil :
“Mh? Vous voulez quoi les mouflets?” “Riiiiiiien” “Vous avez pas une vie sérieux?” “Humpf... on a fait le plan de l’arbre des Byzacène mais c’est pas encore au point.”
Lakshan leva un sourcil.
“Vous me ferez savoir quand vous serez au point, que je déménage de l’autre côté de l’île...”
Les jumeaux se regardèrent visiblement froissés qu’on puisse mettre en doute leur intelligence. Il verrait bien quand ils feraient un raid dans l’arbre des Byzacène et que Dorian se retrouverait à dormir sur le tapis pendant que eux récupéreraient leur sœur adorée. Bien sûr un tel plan ne pourrait pas être efficace que sur une courte durée. Ils n’étaient pas encore d’accord sur le plan d’action final et la manière de battre en retraite quand Dorian se rendrait compte que ce n’était pas les cheveux de Laksha qui lui grattait la joue mais bien les poils de chèvre de leur descente de lit. Lohendra pensait qu’il fallait convaincre Sasha de Lassithi de les accompagner parce qu’elle dessinait bien et qu’il leur fallait immortaliser ce moment. Locchan pensait qu’elle était trop tête en l’air et qu’elle ferait foirer toute l’opération. Ils avaient déjà demandé à Kaya de Lusitanie, à Léonie aussi mais aucune des deux n’avaient voulu accepter sans savoir ce qu’elles auraient à dessiner précisément. Et puis Léonie dessinait comme un pied...
Lakshan les dévisagea un instant, se demandant encore quel genre de pots cassés il allait devoir ramasser. Puis il se leva, se dirigea droit vers le lac puis direction la plage où il allait passer encore une journée à se baigner et à pêcher. De loin il verrait Laksha toute à son linge. Il rigolerait en entendant les autres filles parler de leurs exploits nocturnes et de ceux de leurs amants et en voyant sa sœurette pudique tout garder pour elle quitte à se mettre un peu à l’écart. Il était bien loin de se douter que si elle ne disait rien c’était surtout parce qu’elle n’avait rien à raconter qui puisse rivaliser d’intérêt aux yeux des autres filles. Qui se serait douté aussi....
“ TOUS SUR LE CHAPARDEUR! ” cria Elora dans un éclat de rire clair et enfantin, comme un sourire en musique. “ Jamaaaais! ” répliqua aussitôt l’éclair bleu. “ Naaaaaaaaaon! ”
Le cri perçant Leif recouvrit les petits cris braillards de tous les enfants qui attendaient la venue d’Elladora pour une rare fois où la blonde était en retard. A la place de la grâce toute féminine, on retrouvait un éclair bleu survolté, et des enfants davantage plus énergiques. Caël et Leif se retrouvaient ainsi tous les deux à tenir les pans du bandeau rouge pendant que Nolan et Pixie tendait d’escalader la montagne que représentait pour eux Miran de Lassithi, qui tenait dans ses mains deux gros fruits, objets de la gourmandise des enfants. Accrochée à son jeans, la ribambelle d’enfant chahutait joyeusement, et Miran, comme s’il n’avait jamais grandi, se retrouvait des airs d’enfant joueur, riant plus fort qu’eux de leurs petites maladresses. Leo et Niels, plus stratèges peut-être, se permirent de courir et de se cognaient contre les jambes du lycan aux cheveux bleus. La chute fut immédiate, et les deux fruits roulèrent aux pieds du géant aux cheveux verts alors que l’éclair bleu se retrouvait sur le dos, les bras en croix, les enfants s’asseyant sur lui, pensant ainsi empêcher que le terrible loup ne se relève et ne leur vole leurs fruits. Caël s’avança avec son frère Leo, pour récupérer la prise.
“ Saaaauve les fruits Lakshan! Cooours pour ta vie! ” cria Miran en hurlant de rire, alors que Emmy courait vers les fruits, dépassant Caël. “ Hihi regardez Lakshan!”, fit une des lavandières en voyant le beau lycien observer la ribambelle de louveteaux qui allait fondre sur lui... “ Qu’est-ce qu’il est beau quand même ton frère Laksha...”
Laksha eut un petit rire amusé. Ses yeux océans embrassèrent la scène sachant parfaitement comment cela allait se finir mais elle ne dit rien, laissant les filles s’émouvoir au moindre signe de son jumeau. Nora et Lucellina lui adressèrent un petit sourire doux, parfaitement désintéressé. Bien vite les petits se retrouvèrent sur le géant, s’imaginant le faire chuter ou lui faire lâcher ses précieux fruits. En bon lycien, Lakshan n’était pas un grand amateur de ces fruits exotiques. Et pour cause, on l’avait toujours habitué à manger de la chair fraîche et, en cas de grave pénurie, des lanières de couennes séchées ou du pain ou encore c’est petites billes multicolores que les femmes préparaient pour les jours de fête si rares chez eux et qui se trouvaient n’être autre que... des fruits au sirop. Mais il s’était malgré tout emparé du butin de Miran de Lassithi, par pur goût du jeu. Lukas de Nicée et Pixie arrivaient déjà, épées en bois brandies!
“Sus à l’ennemi!” criait l’un. “ A l’abordage!!” sommait la plus jolie petite pirate qu’on ait jamais vu sur les sept mers.
C’était vrai que Pixie avait la beauté de sa mère, la finesse et la grâce de son père, la blondeur de sa grand mère et les yeux vairons de son grand père mais! Mais elle avait indéniablement la détermination d’un petit Nabor de Lassithi. Quand on lui demandait si elle n’en voulait pas trop à sa mère de lui avoir donné des prénoms aussi “handicapant”, généralement cette petite merveille fronçait les sourcils sur ses prunelles couleur du temps. Sa petite bouche en bouton de rose prenait un pli contrarié et elle répondait le plus simplement du monde qu’elle remerciait sa mère tous les jours que Seth faisait de lui avoir donné à elle, et à ses frères et sœurs, des prénoms que personne d’autre n’aurait osé. Des prénoms qu’il fallait avoir le cran d’assumer même si dans son langage de toute petite fille - et elle ne serait sans doute jamais bien grande - elle ne l’exprimait pas comme ça.
Une grappe de gamins se retrouva vite pendu, forcée de constater que cette forteresse là n’avait pas bougé d’un pouce! Il allait donc falloir escalader!! Pixie coinça son épée en bois entre ses dents comme un vrai boucanier même si on l’aurait encore mieux vu dans le rôle d’une sirène.
“ Position sécurisée Miran!”, annonça le géant en attrapant le petit Lukas comme un chiot. “ Eeeewwh! ” cria Caël comme Elora posait son pied sur son visage.
Miran se releva, hurlant de rire. Dans le campement, nul autre loup ne pouvait se vanter d’avoir pareil agilité que le lycan ici, et bien des fois on s’était demandé si il était davantage félin que lupin. Il aurait presque sembler que jamais sa colonne vertébrale ne puisse se briser, et qu’aucun loup, même des plus anciens, ne puissent à la course le rattraper. Si Miran était ainsi, c’était sans doute grâce à un squelette plus léger que les autres, et beaucoup d’entraînement. Le loup aux yeux bleus eut un franc rire, les yeux se fixant sur Lakshan. Il recula et s’élança, courant comme un dératé. Un simple bond, même en tant qu’humain, le permit d'atterrir sur ses épaules, les pieds sur les clavicules du géant. Il se pencha, rapidement, et attrapa les fruits des mains de Lakshan, sautant par dessus lui à nouveau et se mit à courir en riant, regardant derrière lui les enfants qui se marchaient dessus pour mieux fuir. Courir, encore, et... VLAAAN. Miran se prit une montagne de plein fouet et tomba aussitôt sur les fesses. Là, les cheveux sombre et longs du prince Orlov brillaient au soleil. Un sourire en coin. Miran eut un petit rire amusé, alors que les enfants récupéraient les fruits dont le loup ne s’occupait plus.
“ Salut Papi... ” “ Encore à courir... ” ria Kirill, lui tendant la main, aidant le loup bleu se redressant “ Un jour tu te casseras un os. ” “ Ce n’est pas si grave, puisque ça repousse. ”
Miran se redressa et ses cheveux bleus furent ébouriffé par la large main du Orlov. Miran ne faisait plus vraiment attention à rien, et ria quand Kirill remit en place le bandeau rouge du jeune lycan aux yeux vairons dont on avait jamais vraiment su leur couleur à cause du bandeau de Miran. Kirill eut un sourire, amusé par ce petit-fils pas comme les autres.
“ Tu travailles? ” “ Oui! Je dois aller rejoindre Ysmael pour faire les cimes de l’ouest. Je suis déjà en retard, mais j’ai dis à Céleste que je m’occupais des plus grands en attendant que Mamie arrive. Et comme t’es là, Mamie doit pas être loin, alors je vais aller rejoindre Ysmael. ” “ Tu fais attention à toi... On mangera ensemble avec ta mère dans la semaine. ”
Miran eut un sourire et recula, prêt à repartir. L’arrivée de Kirill fit tout de suite des émules chez les petits dont la moitié était en fait ses arrières petits enfants ou ses petits enfants. Pixie vint tout de suite près de lui mais elle se planta devant lui avec un grand sourire. A la maison elle était toujours très câline, comme l’avait été sa mère avant elle. Mais dès qu’on sortait de la sphère privée... elle était un pirate quand même. Un pirate ça ne se précipitait pas dans les bras de son papi pour faire un câlin nom de Seth!
Lakshan approcha un peu, voyant que Miran allait partir. Il ne comptait pas pousser jusqu’à l’embrasser devant tout le monde, pas encore, mais il ne voulait pas non plus le laisser partir sans rien dire. Il le connaissait assez bien pour savoir que le moindre manquement aurait pu ébranler sa confiance. Ce n’était pas que l’oiseau bleu n’était pas parfaitement libre et ivre de sa liberté, complètement affranchi de toute forme de honte ou d’entrave. Mais parce qu’il lui avait si souvent fait mal, Lakshan se devait d’être plus prévenant.
Il lui serra doucement la main , discrètement surtout et s’éloigna pour retourner dans l’eau juste au moment où Elladora arrivait, les cheveux défaits qui lui faisaient un halo lunaire autour de la tête. Mais le géant n’y prêta pas attention. Il reculait vers l’eau, gardant Miran à l'œil avec un petit sourire. Le geste aurait pu être tout à fait classieux si, distrait, il s’était pas littéralement cassé la gueule dans l’eau, ressortant coiffé d’une méduse multicolore.
“Hihi papi regarde!” , lança Pixie en pointant Lakshan du bout de son épée brandie.
Le vieux loup releva les yeux, les détachant de son épouse pour regarder Lakshan, haussant un sourcil moqueur. Miran, derrière, eut un rire bête, secoua la tête et détourna les talons dans un signe de main, partant pour travailler. Au loin, Ysmael guettait l’éclair bleu, l’attendait depuis de longues minutes à l’entrée de la forêt, derrière l’arbre de la meute d’Isatis. Les yeux du loup aux cheveux noirs se posèrent sur Lakshan, et se détourna.
“ On y va ? ” souffla Miran, attrapant le sac qu’Ysmael lui tendait. “ On peut. Je t’attendais... ”
Les deux loups tournèrent les pattes et entèrent dans la forêt. La journée suivit son cours habituel, à la mélodie des rires et des vagues. Vers la fin de l’après midi, les lavandières se mirent à chanter, comme pour chasser la monotonie de leur tâche avant de retrouver leur foyer. Puis le soleil commença à sombrer dans l’océan et elles partirent une à une.
“ Franchement, j’admire. Je sais pas comment tu fais.”, fit une voix masculine dans le dos de Laksha.
La jolie louve se retourna en sursaut pour poser les yeux sur un des loups qu’elle ne connaissait pas trop. Ceux qui étaient apparu avec le déluge, réfugiés des sept mers. Certains d’entre eux ne se mêlaient pas trop aux autres. Ils travaillaient oui, mais ensuite chacun repartait de son côté, encore un peu frileux malgré le temps qui passait.
“Je... excuse moi, je ne vois pas du tout de quoi tu … parles.”, elle sourit poliment. “ Ben je sais pas. C’est pas trop dur de voir que ton frère s'envoie en l’air avec le mec qui t’as planté. Bon entre nous c’est un peu space votre histoire de mariage, enfin de ce que j’ai compris.” “ Mon frère ne... je ne vois pas en quoi ça te regarde de toute manière.”
Elle ne voulait pas mentir et dire qu’elle n’avait pas vu la manière dont Miran et son frère se regardaient. Mais, contrairement à ce qu’avait l’air de penser l’homme qu’elle avait en face d’elle, elle ne s’en chagrinait pas. Loin de là en vérité, elle voyait d’un bon œil qu’ils arrêtent de se battre et si par la même occasion ils pouvaient se rendre heureux. Ce n’était plus son problème à elle en vérité. Elle, elle était déjà heureuse avec Dorian.
“Ça ne me regarde pas. Je dis simplement ça pour toi, vu que c’est un peu toi le dindon de la farce.” “ Je ne suis le dindon de personne.”, répliqua-t-elle un peu agacée, d’autant plus qu’elle ne comprenait pas cette expression. Elle se releva, son panier de linge à la main, un peu farouche, un peu sauvage, un peu lycienne surtout. “ Un peu quand même. Regarde si tu fais le calcul. Le mec qui te plait te plante. Toi tu es obligée de te marier avec quelqu’un d’aussi désespéré que toi et si il faut vous ne vous touchez même pas parce que vous n’êtes finalement pas plus attiré que ça l’un par l’autre. Ou alors, second cas de figure, tu te retrouves obligée de coucher avec un estropié parce qu’on ne dit pas non à un By...”
La gifle claqua, sonore et particulièrement violente. Plus violente qu’on aurait pu l’attendre d’une si frêle jeune femme.
“ Tu me répugnes. Il faut que tu t’ennuie drôlement pour avoir pu pensé à tout ça pendant que moi je travaillais. Je ne me suis pas mariée par dépis et même si je n’ai pas à me justifier devant qui que ce soit, je dirais que personne ne m’a obligé à rien. J’ai épousé Dorian de Byzacène parce que je l’aimais. C’est tout.”
“ Ouais enfin épouser... ça n’est pas comme si vous vous étiez vraiment mariés... devant Moëris et tout...” “ Nous le sommes devant les lois de Byzacène. Mes lois désormais. Je ne te laisserai pas les insulter alors je se saurais que trop te conseiller de déguerpir avant qu’il me prenne l’envie de te montrer à quel point en épousant Dorian j’ai épousé tout de lui, ce qu’il était, sa famille et ses lois. Va-t-en. Vite.”
Les yeux de Laksha défiaient le loup, contrastant avec toute la douceur de son visage. Elle n’aimait pas, par principe, aller quémander l’aide de qui que ce soit. C’était une lycienne. Mais par amour et par respect des lois de Byzacène, elle avait accepté de ne pas se battre et d’oublier ses habitudes de lycienne, du moins celles qui étaient incompatibles. Pour autant elle n’irait pas pleurer auprès de son époux.
L’homme tourna le dos mais s’arrêta quelques mètres plus loin:
“ Enfin... si tu es vraiment trop désespérée...” “ Ne dis pas un mot de plus.”
Elle le regarda s’éloigner, furieuse mais triste surtout. Faudrait-il toujours que l’on essaye d’entamer sa bonne humeur, son bonheur? Elle soupira, accrocha un sourire à ses lèvres en prenant le chemin du campement des Byzacènes.
La journée passa ainsi, longue comme à l’habitude, quand au petit soir le campement alors vide recommença à grouiller. Au centre du campement, dans la longue tablée qui faisait le tour des cuisines, les loups commençaient à s’attrouper, la faim poussant les familles à se regrouper à ce qui étaient “leur” place respective. Jadis, tout le monde aurait mangé chez soit, puis les anciens avaient commencé à manger ensemble, et ensuite, avec eux, leur enfants, et ensuite les petits enfants, de sorte finalement à ce que toute la tablée soit occupée de tous les loups ou presque du campement. Au centre de la tablée, les cuisines grouillaient des femmes et des hommes qui s’occupaient de faire à manger et le service, bien qu’il fut de tradition d’attendre que tout le monde soit à table pour commencer à manger. Miran revint plus tard que les autres loups, si bien que déjà les lanternes faîtes par les enfants étaient allumés et éclairs la tablée comme un grand feu au milieu de la nuit. Avec un sourire fin, le loup aux cheveux bleus remarqua ses grands parents, et juste à côté encore, Wolfgang qui parlait avec Fenrir d’un prochain voyage, le loup noir s’ennuyant de la civilisation. L’éclair bleu avança calmement, traînant dans son dos la cueillette du jour. Freya était déjà à table, mais Miran ne pouvait pas s’approchait des siens. Un détour par le garde manger s’imposait tout d’abord. Il avança dans l’obscurité, comme une luciole au loin avec ses mèches claires et son bandeau rouge sang, posant son sac sur le sol le temps d’ouvrir les portes du garde manger.
“ Tu rentres tard. ” Miran releva le nez, tournant le visage pour voir qui lui parler, sans arriver à mettre un nom sur ce visage. “ Après Laksha et Lakshan, Ysmael? Tu les collectionnes. ” “ P-pardon? ” Le loup bleu pinça les lèvres. “ Je collectionne quoi ? ” “ Les aventures, les trahisons, tout ce que tu veux finalement, ça a pas franchement l’air de te déplaire. ” “ Je... Je comprend pas. ”
Miran entra dans le garde-manger sans un mot de plus, pas franchement intéressé par ce que les autres pouvaient bien dire de lui. Après tout, il ne leur parlait pas. Miran passa en revue les étalages et s’arrêta au niveau des fruits, qu’il sortit du sac en les triant sans avoir besoin de les regarder, bien trop habitué à la texture de l’écosse ou de la peau pour certains.
“ Tu fais quoi? ” souffla l’inconnu qui avait finit par entrer. “ Je trie les fruits. ” Miran continua. “ Je crois que ça se voit. ” “ Dans le noir... ” Le loup eut un rire. “ Ysmael t’aide pas? ” “ Ysmael a fait son sac, je fais le mien, c’est normal. ” “ A moins que tu te sois disputé avec lui... ” “ Pourquoi je me serais disputé? ”
Miran se pencha, poussant les fruits nouveaux dans le fond et ramenant les anciens sur le devant. Il faisait froid dans le garde-manger, et ça sentait fort le sel. Un sel qui piquait le nez. Miran se crispa et ses yeux vairons se fixèrent sur l’étranger qui touchait à son bandeau rouge du bout des doigts.
C’est ce moment là que Laksha choisit pour débarquer, un peu de nulle part. En fait elle avait encore les yeux plein des rires que les blagues de Varian avaient fait fleurir. Ses yeux tombant sur l’homme qu’elle avait vu un peu plus tôt, puis sur Miran, son sourire se fana en une curieuse expression étonnée. L’autre homme eut un sourire goguenard lâchant immédiatement le bandeau de Miran. Il salua dans une révérence grotesque, l’air de se réjouir de quelque chose, mais il aurait fallu être dans sa tête pour se douter de ce qui pouvait lui procurer une telle satisfaction.
“Mademoiselle, monsieur...”, et voilà qu’il sortait, visiblement soucieux de n’être pas vu.
Laksha se retourna, un peu mal à l’aise.
“ Je, excuse moi je ne voulais pas interrompre. Je savais même pas qu’il y avait quelqu’un en fait.”
Miran se redressa, attrapant son sac vide alors et eut un sourire.
“ C’est pas grave. Je sortais de toute façon. ”
Le loup aux cheveux bleus hocha la tête, avec un fin sourire, pas franchement gêné de la situation puisqu’à ses yeux, il n’y avait rien de gênant. Il n’avait rien fait et n’avait rien à se reprocher. Qu’on touche son bandeau alors qu’il était à genoux, ça ne voulait rien dire. Les enfants touchaient son bandeau aussi, après tout. Et il était à genoux pour ramasser les fruits. Ni plus ni moins. Il jeta un dernier regard à Laksha et alla pour sortit, se dirigeant naturellement vers sa sœur et ses parents qu’il voyait au loin - les cheveux bleus ça ne trompaient pas.
“ Je vais voir si Laksha retrouve ses fruits au sirop”, avait dit Léonie d’un ton léger. Elle avisa très discrètement le père de son amoureux qui ne se trouvait décidément pas assez loin pour qu’elle ose prendre l’initiative d’un baiser.
D’autant qu’elle n’avait pas vraiment eu l’occasion de vérifier qu’il était de bonne humeur ce jour là. Prudente donc, elle se contenta de donner à Varian l’idée d’un baiser, dans un regard espiègle.
Elle s’apprêtait à entrer dans le garde-manger quand un obstacle conséquent la contraria dans ses projets. Elle se retrouva sur les fesses, lançant un grand “hey mais?!” typiquement lusithanien avant de se rendre compte que c’était Miran qu’elle avait percuté de plein fouet.
Bien sûr son grand éclat de voix avait sans mal pu attirer l’attention de quelques autres mais ça n’aurait rien été si une lavandière, assise à table, n’avait pas renchéri d’un deuxième “hey mais?!” en voyant Laksha ressortir elle aussi du garde-manger. Silence... Par change, ou pas, Valerian était partit dans une grande discussion avec Isatis et ne décolla pas les yeux de son fier ami. Ce ne fut pas le cas de son fils. Dorian releva aussitôt les yeux sur Miran. Ses yeux à lui, sombre comme le bitume, ne trompait en rien. Il serra les dents en relevant légèrement le nez, toisant presque durement Miran qui ne faisait, encore une fois, attention à rien, aidant Léonie à se relever avec un petit rire tout sindrien.
“ Je suis désolé, j’avais la tête dans les nuages. ” “ Non mais c’est moi qui regardais pas aussi.” s’excusa Léonie pendant qu’un homme à table commentait avec un petit pouffement supérieur “ J’en étais sûr de ça.”, il roula des yeux, il n’y avait évidemment pas besoin d’en dire plus.
Laksha, elle, restait figée, regardant Dorian. De là où elle était elle ne pouvait pas prêter attention au commentaire qui venait d’être jeté comme un pavé dans la marre. Seule la voix tonitruante de Valerian emplissait le silence et l’espace d’un instant, il ne restait plus qu’elle et Dorian sur ce terrible fond sonore. Elle n’avait rien fait bien sûr, l’idée ne lui aurait même pas traversé, mais elle savait très bien ce que l’on disait. Et elle savait aussi très bien combien il pouvait être facile d’insinuer le doute.
Le géant de Byzacène se leva lentement de table, dépliant sa colonne vertébrale. Derrière sa longue veste noire, sa main encore valide serrait le poing. Le jeune Tlos, Antonis, le regarda mais baissa bien vite les yeux quand les yeux couleur bitume de Dorian se posèrent sur lui, le remettant à sa place aussi sec. Le géant sombre recula, alors que Varian le regardait, un peu vexé puisqu’il était en train de parler et que son frère ne s’occupait plus du tout de lui. Le plus petit fit la moue, alors que Dorian marchait lentement, passant devant les fils d’Isatis et les Orlov avant de trouver une sortie à la tablée, se dirigeant vers Miran qui lui avançait vers ses frères et sœurs, oubliant déjà Léonie, Laksha et cet étrange inconnu. Laksha, anticipant, sortit de sa stupeur pour se hâter vers Dorian. Ses yeux ne mentaient pas, mais son coeur craignait le pire.
“ De Lassithi... ” Miran releva le nez, avec un fin sourire. “ Tu ferais bien mieux de courir pour ta vie. ”
Miran pinça les lèvres et s’arrêta. Que-quoi ? Dorian marchait de plus en plus vite, ne prenant pas vraiment en compte Laksha ou les regards des autres. Ils étaient encore assez loin de la longue tablée pour qu’on y prête vraiment attention, trop loin pour que les Lycies ne voient, trop loin pour que les Orlov ne s’en soucient également. Trop loin pour que Miran de Lassithi ne comprenne ce qui pouvait bien se passer.
“Non! Dorian s’il te plait...”, interpellait la voix de Laksha, implorante. Le genre de tonalité que ses frères et sa petite sœur attraperaient au vol du moins pour ceux qui étaient à portée bien sûr.
C’était le cas de Lakshan qui arriva en trombe, l’air inquiet. Son regard se posa d’abord sur sa sœur puis, comme il constatait qu’elle allait bien, il suivit son regard jusqu’à Dorian de Byzacène puis, jusqu’à Miran. Son cerveau fit vite le calcul. De là, les deux petites pestes aux cheveux vert qu’étaient Lohendra et Locchan rappliquèrent, par pure curiosité, suivis de la jolie Laeila.
“Qu’est-ce qu’il se passe ici?”, fit Lakshan tandis que les jumeaux se rapprochaient de leur sœur aînée.
La phrase ne fut pas entendue par Miran qui tournait la tête pour regarder le géant aux cheveux verts, essuyant la gifle monumentale et claquante d’un Byzacène en colère. Son squelette léger qui était en apparence un avantage considérable se disloqua sous l’impulsion de la paume, et sa mâchoire craqua sèchement sous sa peau. Il écarquilla les yeux en glissant sur le sol sur trois bons mètres, se retrouvant les fesses par terre, relevant dans un sursaut de douleur la main sur sa joue. Lakshan s’interposa entre le loup bleu et le Byzacène.
“ Qu’est-ce qui te prend Dorian?”, jeta-t-il terrible en relevant Miran, “ Est-ce que ça va?”
Il était clair que si Lakshan n’avait pas encore levé le poing, c’était uniquement au nom de la trêve qu’ils avaient conclu pour Laksha. Mais l’envie lui démangeait et transpirait par tous les pores de sa peau. Miran marmonna quelque chose, couinant sous la douleur de sa mâchoire. Il avait déjà essuyé des coups plus forts que ça, mais étrangement, et comme cela faisait finalement longtemps qu’on ne l’avait frappé, ça lui aurait presque arraché des larmes. Presque. Dorian, lui, grogna, furieux :
“ Ce qui me prend? Demande plutôt ça à... à... à Miran. Mon épouse, la mienne, tu entends Miran? ” Il avait fait un pas malgré lui. Le broyer, non, les broyer tous aurait été un jeu d’enfant même pour un estropié. “ Dorian calme-toi, il n’a rien fait. Ce n’est pas ce que tu crois.”, intervint Laksha que les jumeaux s’empressèrent de retenir juste au cas où un coup se perdrait. Ils n’aimaient pas que des coups se perde sur Laksha c’était... viscéral. “ Moi je la crois.”, intima Lakshan, “ Personne n’a touché à ton épouse ok?”
Dorian fixa Lakshan, puis Miran qui ne disait rien. On aurait pu dire que sa mâchoire cassée lui donnée une bonne raison de se taire, mais à la vérité, et ce dans le plus profond de ses yeux, il n’avait rien à dire. Ni pour sa défense, ni pour se flageller, parce qu’au final, il n’avait rien fait que la croiser. Il resta figer, ses yeux se fixèrent sur Lakshan qui était devant lui. Pourquoi? Il fronça légèrement les sourcils. Cette journée avait été ô combien désagréable. Ysmael qui ne lui avait pas parler de toute l’après-midi, cet inconnu, puis Laksha, puis Léonie, puis les autres, et... et Lakshan qui se mettait devant lui, comme si il avait besoin d’aide. Est-ce qu’il avait l’air aussi faible que ça? Miran ravala sa salive et baissa les yeux. Rien à dire. Rien à déclarer.
“ Je ne pense pas avoir à t’écouter, ” siffla Dorian, qui reposait finalement ses yeux sur Laksha, la regardant de haut en bas. Ce n’était pas tant qu’il ne la croyait pas, c’était qu’il avait cette haine viscérale à savoir qu’on l’avait toucher comme lui tenter de le faire depuis des mois déjà. “ Prend ça comme un avertissement, Miran. ”
Il tourna les talons, le regard sombre sur Laksha, lui intimant silencieusement un retour à la maison directe. Il n’avait que rarement besoin de mots, Dorian. Ses yeux parlaient pour lui. Il partit ainsi, sans un mot de plus, dans un claquement de veste dans la nuit. Laksha adressa un regard à son frère. Lakshan semblait malgré tout contrarié mais il ne lui dit rien et la laissa suivre son époux puisque tel était son devoir.
*
* *
* Laksha rattrapa Dorian, les lèvres scellées. Elle savait bien ce qui le mettait en colère et si elle ne disait rien, son coeur de lycien brûlait intérieurement qu’on puisse douter de sa bonne foi. Mais elle faisait la part des choses et comprenait, du moins en ce qui concernait Dorian. Les autres, les mauvaises langues, elle ne leur pardonnait pas de semer tant de discorde.
“ C’était fortuit. De sa part comme de la mienne.”, finit-elle par dire en s’asseyant sur le lit.
Malgré tout, elle n’en menait pas large, redoutant sa colère mais surtout, redoutant d’avoir pu le blesser. Il était déjà suffisamment difficile d’installer une relation de pleine confiance entre eux deux, du moins quand ils se retrouvaient le soir dans cette chambre. Elle ne voulait pas que quelques ragots ne viennent faire s’écrouler un château de carte qu’elle bâtissait si patiemment.
“ Je te crois... Je te crois. ”
Il le répétait, comme si répétait c’était encore se convaincre ou tout du moins tenter de se calmer. Il tournait dans la pièce comme un lion en cage, qui ne sait plus où il en est, pris au piège de ce qu’il croyait et de ce qui est vrai. C’est vrai. Sept mois, c’est long, long pour qui dort tous les soirs à côté de son fantasme et qui n’y arrive pas. Long pour celui qui aimerait mais ne peut pas. Il gronde, fait claquer sa langue sur son palet et finalement s’arrête. Ses yeux noirs se fixent sur la demoiselle, nerveux.
“ C’est juste que ça... ” il chercha le mot, grondant à nouveau. “ ... m’énerve. ”
Elle se leva, un peu hésitante. Non pas parce qu’elle avait peur mais bien parce qu’elle avait encore parfois la crainte d’empiéter sur son espace. C’était exactement la même chose qu’avec sa veste ou sa chemise, à une échelle différente seulement. Finalement elle approcha et lui caressa doucement le dos de la main.
“ Ce sont des rumeurs idiotes. Elles mourront d’elles mêmes ou nous les tuerons parce que tout ce qu’il y a de vrai c’est ce que nous nous avons. Tous les deux.”, elle sourit, douce, chassant de son esprit du mieux qu’elle pouvait tous ces petits incidents qui lui avaient gâché la journée, comme les lavandières et leurs histoires croustillantes et cet homme étrange.
“ Je l’espère. Je ne les supporterais pas. ” Dorian hocha la tête pour lui-même, et souffla finalement, les yeux bas car calmé : “ Retournons-y. Varian va être perdu sans moi. ” Il a un petit sourire en coin, reprenant son éternel bonne humeur ou tout du moins un semblant. Elle lui répondit d’un sourire, laissant revenir à elle quelques pensées plus sombres comme elle lui emboîtait le pas.
*
* *
* Resté sur la place, dans l’obscurité, Miran regardait Lakshan. Il grimaça, et d’un coup sec du pouce remit en place la mâchoire qui s’était décalée, laissant à son gêne lycan le soin de reconstituer les muscles déchirés de cette dernière. Sa joue était violacée par la frappe du loup. Il fixait le géant aux cheveux verts sans un mot. Quoi dire après tout? Il ravala à nouveau sa salive, et baissa les yeux. Il n’avait rien à se reprocher, mais les autres le faisaient douter encore. Laissait-il croire aux gens quelque chose? Il soupira finalement. Il était fatigué. Il ne voulait pas parler, pas plus que manger finalement. Il tourna les talons, sans plus un regard pour Lakshan et s’éloigna vers son arbre, plus loin encore, à pas lourds et lents. “ Miran attends...”
Lakshan se retrouva à hauteur du garçon aux cheveux bleus, avisant sans mal qu’il n’était plus guère d’humeur. Alors doucement il lui prit la main comme il ne l’avait encore jamais fait. Puis il ne dit plus rien. Marchant à côté de lui, juste assez près pour qu’il puisse sentir sa chaleur contre sa peau. Miran releva les yeux sur Lakshan, le regardant un instant, eut un instant de réflexion, et détourna le regard sans retirer sa main. Il soupira finalement, un peu triste sans le vouloir.
“ Je comprend pas. ” murmura t-il.
Lakshan sourit. Peut-être pour la première fois de son existence, il comprenait que Miran ne comprenne pas. Pas parce que la situation en soi était si compliquée que ça à justifier, mais simplement parce qu’il acceptait cette façon qu’avait Miran d’être toujours là, un peu en dehors des choses. Mais bien là pourtant.
“ C’est juste que, j’imagine... pour Dorian ça doit être insupportable de penser que sa femme ait pu t’aimer toi avant lui. Ça le met hors de lui, surtout à cause de tous ces on-dit.”, expliqua-t-il un brin pensif. “ Elle ne m’a pas vraiment aimer, ” reprit simplement Miran, sur un ton toujours calme et posé, “ si elle m’avait aimer, elle ne l’aurait pas aimer lui après. On aime qu’une fois, sinon, ce n’est pas vraiment aimer. ”
“ Je ne sais pas... je sais que nous les lyciens on n’aime qu’une fois. Du moins jusqu’ici ça a toujours été le cas. Mais regarde le prince Vitaly... je ne pourrais pas dire qu’il n’aime pas vraiment sa vampire. Il a bien trop l’air sincère quand il la regarde.”, il marqua une pause, comme il réfléchissait à la question, “ et du peu que je connaisse Dorian, je ne pense pas qu’il doute de l’amour de ma sœur. Simplement les rumeurs l’agacent et ça, je peux le comprendre.”
Miran s’arrêta, fronça un peu les sourcils comme il cherchait à comprendre sans jamais y réussir vraiment. Il se demanda si Sindri avait un jour aimer une autre, et il se doutait que non. Il se demanda si Kirill avait un jour aimer une autre, et il se doutait que non. Il se demanda si Wolfgang un jour en aimerait une autre, et il se doutait à nouveau que jamais ce jour ne viendrait. Il fouilla dans son esprit, et se demanda si il aimait vraiment ce loup, ce loup qui lui tenait la main, et il pinça les lèvres, comme il le faisait souvent quand son crâne ne voulait plus coopérer avec lui et lui donner une simple solution à ses problèmes.
“ Comment sais-tu que tu... enfin... ” A la réflexion, Lakshan ne le lui avait pas dit. Miran le regarda, mais entre son bandeau et ses mèches devenues plus longues, on ne pouvait distinguer la couleur de ses pupilles rondes et vairons. “ Suis-je celui-la, le seul? ” Miran pencha la tête sur le côté.
Lakshan releva un peu le menton, légèrement tendu. On aurait pu prendre ça pour de la fierté mal placée. C’était plutôt de la pudeur. Une pudeur de Lukk de Lycie toute masculine, toute sauvage aussi. Quelque part on reconnaissait là cette petite moue que pouvait avoir Laksha quand un inconnu la mettait dans l’embarras. Chacun d’eux gérer leurs émotions différemment. Quand elle aurait rougi et baisser les yeux devant Dorian, lui se fermait un peu et relevait le menton. Sa musculature se contractait pour ne faire plus qu’un bloc. Mais enfin il répondait, parce qu’il n’était pas un lâche, surtout pas:
“ Je suis quelqu’un de... très fier, Miran. Très con aussi parfois, peut-être parce que je ne suis pas aussi ouvert d’esprit que d’autres. Toi par exemple. Mais je suis quelqu’un de droit et de loyal. Alors je... je ne pense pas que je serais là à tenir ta main, une main d’homme, si ça n’était pas toi.”
Il ne s’était que plus tendu au fur et à mesure qu’il accouchait cet aveu difficile, fait à demi mot. Mais c’était déjà beaucoup venant de lui. Cette rigidité, il la tenait de Nébi. Jeune Roi de Qadesh qui autre fois avait tenu la bride de tout un peuple d’une main de fer pour l’emmener s’affranchir des peuples de la mer, fusse dans le sang mais la tête haute. Miran le regarda, longuement, sans un mot. Il se demandait quel était la différence entre une main d’homme et une main de femme, et son esprit fit le reste. La meute était composée en majorité de couples procréateurs. Le reste était célibataire. On connaissait trois couples d’homme, et un seul de femme. En somme, il y avait... 2% de la population lycane qui se retrouvait stérile. Cet esprit mathématique, hérité sans doute d’Izaak et de ses cours sur les probabilités de réussite, Miran s’en servait quotidiennement sans le vouloir, et là, à ce moment précis, son cerveau encore avait du mal à faire la différence entre deux individus et deux autres. Il baissa les yeux, et les releva ensuite.
“ Ça serait plus facile si j’étais une fille? Tu aurais... moins... honte? Ou plus de facilité à me tenir la main? ” “ Je n’ai pas honte.”, gronda Lakshan doucement, “ Je t’aime tel que tu es.”
Cette fois-ci l’aveu était complet bien que sur le visage du lycan, un masque de dureté c’était forgé. Comme s’il tenait tête à quelque chose d’invisible en lui. Comme si déjà, il avait à soutenir le regard de Lukk de Lycie tout en lui répétant ces mêmes mots. Mais il se radoucit et répéta, fort de ce qu’il disait:
“ Je n’ai pas honte.” Miran le regarda, et eut un petit rire. “ C’est une bonne chose. Je n’ai pas honte non plus. ”
Il sourit en coin, amusé, et sa main se sert dans celle de Lakshan, amusé. Il est bien là, juste comme ça, à tenir sa main. Un dernier regard pour la tablée, et le loup bleu a un petit sourire en coin :
“ Tu ne retournes pas manger? ”
Lakshan détourna un instant le regard. La silhouette grâcile de Laksha qui contrastait avec celle de Dorian, immense, un Dieu barbare à côté d’elle aigrette à la merci des vents.
“ Toi non plus que je sache.”, répondit-il avec un demi-sourire en coin. “ Je... ” Miran regarda Lakshan, étonné, comme s’il se souvenait à peine de la gifle que lui avait mis Dorian, comme s’il se souvenait de toute sa journée, entière. Il fit les yeux ronds, comme faisait Freya ou Alisha parfois quand un petit de Sindri se retrouvait face à un problème immense : “ Oh. J’étais en train de ranger les fruits! J’ai perdu mon sac. ”
Comme si toute sa journée se résumait finalement à ça, à avoir oublier son sac sur le pas de la porte du garde-manger après avoir rentrer dans Léonie qui avait par ailleurs disparue de son champ de vision à l’arrivée de Dorian et Lakshan.
Lakshan eut un grand éclat de rire amusé. Comment pouvait-on passer d’une chose à l’autre si rapidement. Quelle drôle de petite abeille bleue qui se baladait à ses côtés en lui tenant la main.
“On sera toujours à temps de le retrouver en revenant.” “ Revenant d’où? ”
Lakshan lui adressa un drôle de regard. En fait ça n’avait pas vraiment d’importance. Ils iraient bien quelque part en revenant de nulle part, l’idée le fit sourire et il se plut à se demander comment Miran aurait tourner la chose mais son plaisir était encore de ne pas le lui demander et de se laisser l’imaginer.
| |
|