A la base, moi et les enfants, on fait... quarante-douze. Oui au moins. Et si, ça existe si je veux. Bref. Je ne les aime pas, et en général, ils me le rendent bien. Quel intérêt de regarder des mioches s'envoler le plus haut possible sur la balançoire ou descendre à toute vitesse le toboggan ? Aucun, absolument aucun. Pourtant les mamans et les baby-sitters passent leur temps à s'extasier devant les prouesses de leurs mômes ou de ceux qu'elles gardent. Mais sérieusement, il a réussi à faire un pâté de sable ? Génial, ça va transcender ma journée ! Je crois bien qu'il n'y a rien que je trouve de plus inintéressant. Mais il y a toujours pire, il paraît.

Ah si ! Maintenant que j'y pense, je peux trouver pire. Un marmot qui joue avec un chien, ça c'est le summum. Juste ce qu'il faut pour que je fasse demi-tour en quatrième vitesse. Tout ça pour dire que cet enfant qui venait de tomber presque à mes pieds et pleurait après son cerf-volant perdu, je n'en avais un peu rien à faire. Comme sa baby-sitter ou sa mère, cela dit, parce qu'elle s'y intéressait si peu que je n'arrivais pas à déterminer qui avait la garde de ce mouflet.

Je lâchai un soupir las. Ok, ne plus passer par ce parc à cette heure-ci si je voulais être tranquille. Et allez savoir pourquoi, il me prit l'idée de sortir ma baguette pour faire redescendre le cerf-volant échappé. Comme quoi parfois, je pouvais être gentille, quoi qu'on en dise. D'une main, je rattrapai le filin qui revenait vers moi et le tendit au minot.

Quoi c'était pas une façon de parler à un enfant ? Hey... déjà je l'ai aidé, faudrait pas pousser non plus... C'est étrange, mais voilà, ce moutard, il me fait quelque chose. Je suis pas gâteuse comme les vieilles dames qui font la queue devant vous au supermarché, faut pas exagérer, mais d'ordinaire, j'aurais pas levé le petit doigt. Là je sais pas, ça m'a semblé normal de lui rattraper son truc.

Ouais ça non plus ça me ressemble pas. Faire la conversation à un gamin ! On aura tout vu...

Il n'allait donc pas cesser de pleurer ce mioche ? Voilà pourquoi je n'aimais pas les enfants, ils ne peuvent pas passer cinq minutes sans se plaindre ! Bon, j'ai sans doute été un peu comme ça à l'origine, moi aussi, quoi qu'avec ce que j'ai subi de la part de ma soeur, c'était compréhensible et que, pourtant, j'ai toujours fait mon maximum pour ne pas (trop) pleurer, mais bref, ça n'était pas parce que j'avais peut-être fait ce genre de pleurnicheries par le passé que j'étais obligée de les accepter de la part de mômes que je ne connaissais même pas, loin de là. Moi, j'avais tout fait pour ne pas être une gamine geignarde, pensant à tort que si j'étais forte, mon aînée finirait par m'apprécier ou tout au moins, me supporter... Rien à faire. Et ce bonhomme-là, est-ce qu'il cherchait à se montrer fort pour quelqu'un, lui aussi, parfois ? Je me raidis aussitôt que cette pensée me traversa l'esprit. Non mais n'importe quoi, voilà que je m'inquiétais pour un chiard, moi maintenant !

Evidemment, s'il me prenait par les sentiments aussi... Voilà, il avait récupéré son cerf-volant, j'avais eu droit à un merci et un compliment, je pouvais retourner vaquer à mes occupations... Bon sauf que là, des occupations, je n'en avais pas tant. Et qu'il me répondait d'un air trop grave pour un enfant de son âge. Quand je vous disais que je débloquais, moi, aujourd'hui. Un peu plus et j'en aurais eu la larme à l'oeil, c'était vraiment du délire !

Voyez-vous ça ! Natalia Esperanza Azul Cavaletto qui s'agenouillait pour se mettre au niveau du mouflet et taper la discut' avec lui. Ce jour était à marquer d'une pierre blanche... Dire que les passants n'avaient aucune idée du caractère exceptionnel de la chose ! Mais bon, il avait beau chouiner, il m'avait fait un compliment, le môme, ça méritait bien cinq minutes. Pas plus, hein, faut pas pousser non plus.

Non, non, je ne vais pas sombrer dans le sentimentalisme de base. Juste que voilà, moi, j'aurais bien aimé avoir une maman qui s'occupe de moi. Ou même une qui n'ait pas le temps comme la sienne. Juste une maman. Moi j'avais toujours été celle à cause de qui elle était partie, et j'ai bien compris, à force, que ma soeur m'en avait toujours voulu pour ça. Bon, je faisais peut-être un peu de sentiment quand même....

Jolie madame. Pour un peu, j'aurais fini par lui faire un bisou à ce môme. Sauf que voilà, son nom me laissa sans voix. J'étais venue jusqu'en Angleterre pour tenter de le rencontrer, un peu sur un coup de tête il fallait bien l'avouer, mais clairement pas avec la moindre piste pour le retrouver... Et voilà que là, par hasard, dans un parc, je tombais sur le fils de ma soeur ! Non parce qu'un Gaetano Gianelli qui trouve que je ressemble à sa mère, ça ne pouvait pas être quelqu'un d'autre que mon neveu. Ou alors c'était vraiment une très grosse coïncidence et mon neveu avait un homonyme, mais je n'y croyais pas une seule seconde. Il fallait que je me reprenne, cela dit, parce que le moutard, il avait l'air de comprendre beaucoup de choses, et je ne voulais pas qu'il dise à ma soeur que je l'avais vu, je savais bien qu'elle ferait tout pour que je ne l'approche plus.

Prenons quelques renseignements, comme ça, l'air de rien. La baby-sitter en question, elle a l'air de tellement en avoir rien à faire de Gaetano, que je pense pouvoir en apprendre assez long sur ses habitudes pour le recroiser une paire de fois... Papa serait ravi de le rencontrer, je crois. Après tout, c'est lui l'héritier mâle de la famille, n'en déplaise à ma soeur...