La vision que j'ai eue l'autre jour me perturbe depuis lors. Je ne peux l'effacer de ma tête, même si je le souhaite au plus haut point. L'orée de la forêt interdite, un jeune homme, un livre. Ce sont les seuls indices dont je dispose afin d'empêcher une mort. Deux, peut-être. Car si je n'ai jamais vu la couleur d'un sortilège impardonnable, je l'ai lue. Comment? Grâce à mes manuels. J'ai beau être aveugle, je lis beaucoup. Un sortilège qui permet de transformer une écriture normale en écriture braille. Très pratique... Le sort rougeâtre, ce pouvait être un doloris. Le sort vert, ce ne pouvait être QUE le sortilège de mort. Cette pensée me fit frémir. Qui pouvait faire ça ? Etait-ce une vision passée ? Une vision future ? Une vision du présent au moment où je l’avais eue ? Impossible de savoir. D’une certaine façon, je craignais que ce soit une vision passée, comme celle où j’avais vu Patsyu Smirnoff devant la porte. Visiblement, sa sortie de cet endroit était aussi une vision passée. Alors… Celle du garçon ? Il y avait de fortes chances. Qui était-il ? Un Mangemort ? Un opposé au régime ? Et dans ce cas ? Dans quel camp se trouvait Patsy Smirnoff ?

Jusque là, je n’ai pas osé. J’ai eu peur de m’approcher de l’orée de la forêt, par crainte de buter sur un cadavre. Deux, même, peut-être. Mais je ne peux pas reculer plus longtemps. Les traits du garçon sont gravés dans ma mémoire. J’ai l’impression de le connaître, un peu. Mais je ne peux être sûre de rien, avec ma cécité. Je pousse un profond soupir et frémis à l’idée de ce que je pourrais trouver aujourd’hui. Je déglutis avec peine, mais prends ma canne blanche, mets des chaussures de marche et sors de mon dortoir pour me rendre à l’orée de la forêt. Je sais à peu près où se situe le point de ma vision, et c’est là bas que je me dirige alors que mon anxiété grandit de plus en plus au fur et à mesure que je me rapproche. Enfin, j’arrive sur les lieux et, de ma canne, je tâte le sol autour de moi.

« Il y a quelqu’un ? » demandé-je d’une voix anxieuse, tout en priant pour ne pas tomber sur des cadavres.

Du bruit retentit à côté de moi, suivi d’une petite exclamation de douleur. En sursautant, je me retourne en direction du bruit, fais passer ma canne dans ma main droite et brandie ma baguette dans la gauche.

« Qui est là ? Répondez-moi ! »

Jusque là, je doutais qu’il y ait eu quelqu’un, mais maintenant, je suis sûre et certaine de ne pas être seule. Serais-je arrivée à temps ? Cela ne veut rien dire. Si ça se trouve, il s’agit de quelqu’un de tout autre que celui que je cherche. Que celui dont je voudrais empêcher la mort et/ou la torture. J’avale ma salive avec peine en entendant un bruit de combat et fais la chose la plus stupide que je pouvais faire, sans doute, puisque je lance un stupefix dans la direction de la petite bagarre. Que je sache, je n’ai dû en toucher qu’un. J’avance à tâtons, m’aidant des arbres pour me rapprocher de la scène et tend une main en avant, à hauteur de mon visage pour provoquer un contact avec un être humain, sans me douter que je vais me prendre les pieds dans la petite chose qui a été la victime de mon sort et que je vais donc m’étaler de tout mon long, sur la créature en question.

Une flopée de jurons peu distingués dans la bouche d’une jeune fille m’échappe alors que je cherche ma canne et ma baguette qui m’ont échappées des mains dans la chute.

« Bon sang de bon sang de bonsoir… Vous étiez au moins deux à vous battre. Ce serait gentil de venir à mon aide… Pour une fois que je réclame un coup de main… »

Ils ne sont pas nombreux, ceux qui ont déjà pu m’entendre appeler à l’aide. A dire vrai, en cinq ans, ils se comptent sur les doigts d’une seule main. Même Patsy Smirnoff, l’autre jour, c’est elle qui m’a proposé son aide. Moi, je n’ai rien demandé. Là, pour le faire, c’est que vraiment, je n’ai pas le choix. Et encore… J’aurais eu ma baguette en main, je me serais contentée d’un « accio canne blanche » mais là, je ne peux même pas recourir à cette possibilité qui épargnerait mon orgueil.

« Par la barbe fournie de Merlin. Je déteste demander de l’aide à quelqu’un, alors ayez au moins l’obligeance, qui que vous soyez, de venir en aide à une aveugle… »

HRP- Répondu quand même, mêem si tu mérites pas...-HRP

J'ai toujours eu horreur de devoir demander de l'aide. Et là, plus encore que d'habitude, parce que je ne savais pas à qui j'avais à faire. J'avais stupéfixé quelqu'un, sans avoir la moindre idée de qui il s'agissait, espérant, seulement, avoir sauvé la vie de celui qui risquait bien de périr dans ma vision. Et je me retrouais, à présent, à devoir appeler au secours, sans savoir s'il restait encore quelqu'un en état de me porter secours. Des larmes de rage montèrent à mes yeux, que je ravalais de mon mieux, m'efforçant de ne pas hurler de rage en serrant les poings et en m'enfonçant les ongles dans la chair à tel point que quatre petites gouttes de sang s'échappèrent de ma main droite qui tenait habituellement ma canne.

"Qui que vous soyez, ne me forcez pas à me répéter une troisième fois..." grondai-je d'une voix - presque - menaçante.

"Je... Je suis désolé... Héhé, tiens, voilà ta canne et ta baguette..."

Héhé? Se moquait-il de moi en prime? Au moins m'avait-il rendu les deux objets que j'avais demandés, sans même songer à m'aider à me relever. Goujat... songeai-je alors, regrettant de ne pas l'avoir laissé se débrouiller tout seul avec les braconniers. Et le silence était retombé, particulièrement stressant pour moi qui n'y voyais rien. Je tournai la tête de droite et de gauche, sourcils froncés sur mes yeux noisettes qui ne voyaient rien.

"Si vous êtes toujours là, ayez au moins l'obligeance de parelr, ne serait-ce que murmurer..." demandai-je en frémissant.

Non, je n'aimais pas ça. Pas cela du tout. J'eus l'impression qu'il risquait de s'attaquer à moi, à présent. Me relevant lentement, je raffermis ma prise sur ma canne et sur ma baguette, malgré la petite' douleur que je ressentais dans la paume de ma main droite. Ce qu'il se passa par la suite fut pour moi une succession de bruits indistincts m'indiquant néanmoins que le danger était toujours présent. Je reculai lentement jusqu'à m'acculer à un arbre. Visiblement, sous mes yeux aveugles se déroulait la scène que j'avais voulu éviter. Coinçant ma canne entre mes pieds, je voulus appuyer ma main droite sur l'arbre pour provoquer une vision, mais la petite elfe de maison me devança et me prit la main pour me décrire la situation.

"Il y a deux braconniers, un à 10h, l'autre à 11h. Et aussi plein de plumes qui volètent autour de nous, c'est très joli ! Petit Poulet est en train de... Oh ça doit faire mal çà ! Donc rectification, c'est ce lutin coriace qui est en train de contrôler tout un tas de racines pour fouetter un braconnier et Petit Poulet, lui, essaye de stupéfixer l'autre braconnier on dirait... On ne voit pas très bien avec toutes ces plumes, mais oui, je crois que le premier braconnier est en train de demander grâce... Par contre Petit Poulet est en mauvaise posture, il vient de perdre sa baguette, l'autre braconnier se rue vers lui et..."

Et... Et... Il n'y aurait pas de et. Sans prendre le temps réfléchir, je me calquai sur l'origine du bruit et:

"EXPELLIARMUS!"

Le dernier braconnier perdit sa baguette. Deux coups, deux touches pour l'aveugle que j'étais, c'était plutôt pas mal. Je m'autorisais un léger sourire. Pour le reste, les deux combattants étaient, à présent, mains nues. Le combat serait déjà nettement plus équitable...

J’écoutais le compte rendu de la petite elfe de maison, prête à intervenir à nouveau. Mon sortilège avait fait mouche, à moi, une sorcière aveugle. Je pouvais être fière de moi, je le savais. Pourtant, je ne pensais pas du tout à ça. Là, c’était l’urgence qui primait. J’avais le droit à un véritable commentaire comme lors des matches de Quidditch. Le Quidditch… Voilà bien un sport que je ne pourrai jamais faire. Avec regret, d’ailleurs. En première année, je rêvais du jour où je pourrais enfin en faire. En deuxième année, j’avais fait tout ce que je pouvais pour me perfectionner en vol afin de pouvoir entrer dans l’équipe de Gryffondor dès ma troisième année. Mais le sort m’avait frappée au cours de cet été là, me privant brusquement de ce sens si important qu’était la vue. Depuis, je vivais dans un univers de nuit perpétuelle ou de lumière. Le noir et le blanc étaient tout ce que je pouvais voir en dehors de mes visions qui étaient les seules à me procurer quelque couleur. J’avais appris à vivre avec et à me fier aux sons et aux odeurs, ainsi qu’au toucher. J’étais ainsi devenue particulièrement tactile, même si cela provoquait parfois des visions non désirées, comme avec la prof de vol, par exemple. Mais cela pouvait être utile, et mes sens me permettaient d’être néanmoins relativement précise dans mes mouvements. C’avait d’ailleurs été le cas pour l’expelliarmus qui avait permis donc à ‘Petit Poulet’ de s’en sortir. Le danger était passé.

La tension relâcha mes épaules et je me détendis alors que l’échange se poursuivait entre l’elfe et le sorcier qui s’adressa enfin à moi et se présenta. Bananasplit ? Ce nom était connu, hors de l’enceinte de Poudlard et même à Poudlard, d’ailleurs… « T’étais pas à Poudlard, l’année dernière ? » demandai-je simplement avant de me présenter : « Cassandra Alinovitch. » Pour ma part, ignorant qu’il avait tendu la main, je ne tendis pas la mienne et me contentais d’enchainer :

« Je constate que je suis arrivée au bon moment… Pourquoi tu voulais ce bouquin ? Tu as quand même risqué ta vie, pour l’avoir… Si je n’étais pas arrivée, tu serais mort… »

Je savais pertinemment qu’il risquait de vouloir me contredire. Pourtant, mon ton était suffisamment affirmatif et sans appel pour qu’il se pose des questions dessus. Questions auxquelles je m’attendais, d’ailleurs, même si j’enchainais assez rapidement : « Il contient quoi, ce livre que tu es venu chercher au péril de ta vie ? »