« "Joyeux Anniversaire de la part du comité des plus Grandes Admiratrices de Greg Kelso..." humpf ... ouais, fin mon anniversaire c'était y a... trois mois. Elles sont folles ces nanas..»

Il secoua la tête, portant son café à ses lèvres. Il avait ses petits rituels du matin. La première chose qu'il faisait c'était prendre le courrier, pour pouvoir le lire pendant qu'il déjeunait, généralement d'un croissant et d'un café latté, macchiato, crème, americano, Hélène, chocolaté, liégeois, ou viennois en essayant autant que possible de ne pas boire deux fois le même dans la semaine. Ca pouvait paraître ridicule mais Kelso était le genre de mec profondément matérialiste et il n'avait jamais eu autant de tunes de sa vie. Autant dire que pour lui, claquer une somme monstrueuse dans une machine à café qui pouvait faire plus de trente boissons différentes et qui vous avez tapé dans l'oeil parce qu'elle changeait de couleur en fonction de votre humeur, c'était normal. Même si de toute façon il buvait toujours les 10 mêmes trucs. C'était ça son plaisir.
Il entendit qu'on frappait à la porte. Kelso fronça les sourcils. Qui pouvait bien venir se paumer ici à 7h du matin? Bonne question. Le batteur des MM se leva , un morceau de croissant dans la bouche, l'autre dans la main.

« Vous êtes perdu?» , demanda-t-il de son habituel ton débonnaire.
« Vous allez venir avec nous. »
« C'est que... chui en train de déjeuner là.. Vous en voulez? » , objectait Kelso la bouche pleine, toujours bon comme la romaine. Il leur tendit un des deux croissants qu'il avait dans la main, un petit sourire niais sur les lèvres.

Les deux hommes qui se présentaient au domicile de Greg Kelso, le teint cireux, chapeau vissé sur leur tête, un air sévère qui semblait littéralement inamovible, l'empoignèrent chacun par un bras pour le traîner dehors.

« Hey! Mais qu'est-ce que vous faites?! Vous êtes qui? Lâchez-moi!! »

Mais les deux hommes restaient résolument silencieux. Posant un pied sur le cadre de la porte d'entrée, Kelso luttait pour ne pas se laisser embarquer mais il semblait que les deux agents étaient sous solution de force. On n'aurait pas fait bouger ce titan d'un pouce sans avoir recours à ce genre d'artifice. Pourtant, quand il n'était pas sous pression, Kelso était quelqu'un d'assez naïf. Il aurait suffi que ces messieurs aux costumes impeccables lui demandent de le suivre pour qu'il obtempère sans même poser de questions. Ons e demandait donc ce qui pouvait bien leur passer par la tête de venir "l'enlever" comme ça un matin, sans prévenir. Kelso sentit leur bras s'enrouler autour du sien, leurs épaules contre ses omoplates, prévenant toute échappatoire. La scène était surréaliste et, bien que ce mot-là ne fit pas partie de son vocabulaire, il décrivait parfaitement bien ce que Greg Kelso ressentait à travers chaque fibre de muscle tendue dans son effort de résistance.

« C'est une blague! » , s'écria-t-il tout en continuant de se démener comme un beau diable. « Vous travaillez pour quel magazine? Vous êtes des créanciers? Le fisc? »

Il n'avait pas le moindre problème qui aurait pu attirer ce genre d'autorité chez lui, mais dans la panique, ce qui ressortait de la bouche des Greg Kelso c'était toutes ces choses dont on lui avait dit de se méfier depuis qu'il était devenu célèbre. Un peu comme de vieilles ombres cauchemardesques qu'il aurait nourri à coups de battes de quidditch et confinées là quelque part, dans un vieux placard où il ne regardait jamais plus.
Un des deux types lui donna un grand coup d'épaule pour le faire franchir le pas de la porte. L'autre donna machinalement un coup de baguette pour refermer derrière eux pendant que Kelso se contorsionnait pour retourner à l'intérieur en pensant que son café allait être froid avec toutes ces conneries.

« Vous êtes acteurs c'est ça! C'est pour ça que vous parlez pas. Vous vous attendiez pas à ce qu'on discute avec vous... Bon allez les mecs, c'est lourd maintenant là. Pourquoi-vous parlez pas? »

Il ne croyait pas tellement à ce qu'il disait mais le stress lui dénouait la langue. Dans peu de temps s'il fallait il commencerait à raconter des souvenirs d'enfance pour prouver qu'il était un gentil garçon dans le fond et que quoiqu'on lui reproche, on s'apercevrait bien vite qu'il n'y avait là qu'une regrettable erreur. En outre, il restait toujours au fond de lui ce petit garçon qui avait peur de la solitude et qui se rendait malade juste pour que sa mère lui accorde deux secondes d'attention, un mot, un rien, quelque chose. Le silence des deux inconnus avaient quelque chose de particulièrement oppressant pour lui. Ils avaient des visages lisses, impeccables. Le genre qu'on serait incapable de décrire ou que l'on confondrait avec n'importe quel autre visage tout en sachant exactement qu'on se trompe. L'impression était saisissante tout autant que désagréable.

« Pourquoi vous fermez la porte de chez moi! Je ne vais nulle part! » , hurlait-il alors qu'on l'éloignait de la maison à son corps défendant. « Dîtes-moi au moins ce que j'ai fait!! QU'EST-CE QUE J'AI FAIT?!! »

« "Savez-vous pourquoi vous êtes ici Monsieur Kelso?», demanda-t-elle d'une voix traînante.

Il avait vaguement eu le temps de lire son nom sur la porte avant qu'on ne le pousse à l'intérieur, poignets liés par un sortilège d'entrave. Anxieux, Kelso frottait ses genoux l'un contre l'autre. On n'avait rien voulu lui dire d'autre que "vous êtes en état d'arrestation" jusque là et quand il avait posé la question fatidique - pourquoi? - on s'était contenté de lui faire remarquer que la question était autant déplacée que mal adressée. Pourtant il n'avait rien fait qui ait pu justifier qu'on l'emmène de force au ministère pour ce qui s'annonçait être une espèce d'interrogatoire.
La blonde releva le nez, un brin hautaine mais elle avait malgré tout l'air gentille. Bien sûr après qu'on l'a à ce point malmené Greg était peu enclin à le remarquer mais, comme beaucoup d'hommes, il avait tendance à faire plus naturellement confiance à une femme, d'autant plus que celle ci ressemblait un peu à sa mère avec ses cheveux blonds soigneusement mis en plis et ses lèvres rouge grenat.

« Je... non. On m'a dit que j'étais en état d'arrestation. Mais pourquoi? Je n'ai rien fait. J'voudrais juste rentrer chez moi. »
« Dans l'état actuel des choses ça ne s'annonce pas si simple pour vous. Ce n'est pas que je veuille vous décourager bien sûr... »
« Mais... mais vous allez me renvoyer chez moi! Vous ne pouvez pas me garder ici comme ça sans raison!! », s'emporta-t-il.
« Calmez-vous. Ca ne sert à rien de s'emporter... dans votre situation. »
« Arrêtez avec vos "dans votre situation"! Elle a quoi ma situation?! Vous ne pouvez pas arrêter les gens pour rien sans explication!!! »
« Sachez que vous n'êtes pas ici pour rien... », répliqua la femme dans le plus grand calme. Elle affichait même un petit sourire complaisant particulièrement agaçant.
« Vous devriez coopérer, dans votre propre intérêt Monsieur Kelso. Je dis ça pour vous... bien sûr. Si vous le voulez bien il va falloir que vous répondiez à quelques questions préliminaires. »
« Préliminaires? »

Greg ne connaissait évidemment qu'un seul sens au terme "préliminaire", il ne voyait pas vraiment ce que cela venait faire ici.

« Votre nom... »
« Mon nom? Mais ça fait une heure que vous m'appelez par mon nom! »
« C'est la procédure. Je vous rappelle que je suis ici pour vous aider. Votre nom donc. »
« Gregory Tadd Kelso. »
« Origines? Sang? Taille? Poids? Couleur des cheveux? des yeux? Groupe Sanguin?... »

Inutile de dire qu'il se sentit tout de suite dépassé. L'interrogatoire se prolongea, jusqu'aux questions les plus personnelles qu'on ne lui ait jamais posée. Mais il répondit, autant pour abréger l'interrogatoire que dans l'idée que peut-être une fois que ce serait fait, on finirait par répondre à ses questions à lui. De l'autre côté de la table, la blonde notait scrupuleusement tout ce qu'il disait ce qui avait tendance à l'agacer. Il tirait nerveusement sur ses poignets, essayant en vain de les délier. Tout ceci était grotesque.

« Nous en avons terminé. Votre situation va être examinée dans les plus brefs délais. »
« Qu'est-ce qui va se passer maintenant? »
« Vous allez passer en jugement. »

Son coeur battait à tout rompre. Kelso n'avait jamais été un mec courageux. Comme tout bon Serpentard, il avait sa manière à lui de ne pas se mouiller, de toujours se tenir à distance respectable de ce qui aurait vraiment pu être dangereux. Il n'était pas assez intelligent pour élaborer un plan qui eût pu le tirer de la mauvaise situation dans laquelle il s'était fourré sans même savoir comment, mais il avait l'intelligence de sa peur et là, coincé entre deux hommes en uniforme gris anthracite piqués d'un brassard marqué "AZ", même l'immense vacuité qu'il lui servait d'outil de réflexion n'arrivait pas à le détourner de l'évidence: on l'emmener tout droit à Azkaban.
Azkaban là où il y avait des gens comme les Grey, des cannibales et des psychopathes en veux-tu-en-voilà... il avait même entendu parler d'un gamin qui avait coupé les doigts d'une fille et planté une aiguille dans l'oeil d'une infirmière. S'il se tenait tranquille ce n'était pas tellement pour ses matons qui le collaient de près, baguettes en main, mais plus pour la poignée de lascars avec qui il faisait le voyage. Qui aurait pu dire ce qu'ils avaient dans la tête? Combien d'entre eux l'avaient déjà reconnu et combien se faisaient les mêmes scénarios glauques que lui à ce moment précis?

Kelso eut un frisson d'horreur. L'ombre d'Azkaban se profilait devant eux, sortant des embruns comme un vieux détraqueur plein de promesses lugubres. Il paniqua. Un coup d'épaule donné à côté de lui pour se dégager. La main implacable d'un de ses gardiens lui broya l'épaule, visiblement la solution de force faisait l'unanimité chez ces gens-là. Kelso grogna de douleur et un coup de matraque derrière les genoux l'acheva. Pourtant, si peu courageux soit-il, son instinct de survie l'empêchait de s'en tenir là et jusqu'à ce qu'on le jète dans une cellule insalubre au fin fond d'Azkaban, du moins lui semblait-il. Ce ne fut que hurlements, coups échangés tant et si bien que lorsqu'on vint le chercher le soir pour sa visite médicale ce fut sous sortilège camisolant qu'on lui fit faire le trajet mais visiblement, il n'était pas le seul. Il ne savait toujours pas ce qu'il avait fait pour mériter ça... il allait resta là. Tout seul. "Comme un chien".


Il reconnut le grincement caractéristique de la grille, un mauvais rictus sur les lèvres comme il essayait d'avaler le sang qu'il avait dans la bouche. Il se disait qu'il avait au moins cette chance de n'avoir pas de co-détenu. Une fois dans la fosse, ça n'aidait pas d'avoir quelqu'un derrière soi qui tremblait à chaque coup parce que de votre succès dépendait sa survie, ou presque. Il avait perdu aujourd'hui. Un épais filet de sang marquait le bas de son visage jusqu'au menton et ses cheveux collaient à ses tempes. On le jeta là. Il était tard. Du moins il devait l'être. Il était difficile de garder une véritable notion du temps à Azkaban. La vie était rythmée par les tours de garde des gardiens. Les visites à la fausse et si vous aviez un peu de chance, vous évitiez les quartiers privés où les détenus difficiles venaient se défouler sur ce qui c'était fait latter à la fosse.

Il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour comprendre ce qu'il faisait ici. Le quartier de redressement d'Azkaban, pour toutes sortes de déviants, surtout pour les gays et les philanthropes à vrai dire. C'était comme ça qu'on vous en faisait passer l'envie. Une gamelle d'une infâme mélasse par jour, une question, toujours la même, et des coups comme s'il en pleuvait. Les gardiens avaient même instaurer des jeux, des "combats de pédale" comme ils les appelaient. Perdez à ce genre de jeu une fois et vous auriez même été jusqu'à embrasser les pieds du premier Mussolini en jurant que vous étiez guéri, que vous ne recommenceriez pas. Rentrer dans la norme, c'est tout ce que l'on vous demande.

Kelso se recroquevilla dans un coin de cellule. Il déglutit douloureusement et s'endormit, assommé de fatigue. C'est le bruit de sa gamelle qu'on lui jetait qui le réveilla en sursaut. Il ouvrit un oeil noir, fixant le geôlier avec méfiance tandis que ce dernier faisait un signe de tête. Il tira sa baguette. La grille se mit à grincer, Kelso se redressa d'un bond priant qu'on ne le ramène pas déjà à la fosse ou pire... chez le médecin. Combien de temps avait-il dormi?

Il s'était tant collé au mur à l'idée qu'on le renvoie directement dans la fosse qu'il sentait le dessin des pierres se faire sur sa peau à travers son t-shirt. Il n'y avait guère que la peur pour lui donner un tel regain d'énergie. Dans l'état où il se trouvait, il aurait presque voulu sombrer dans un profond coma et rester déconnecté jusqu'à ce que tout soit fini. Mais à y bien regarder, il n'avait même pas le courage de se laisser frapper jusqu'au coma. Il rendait les coups de toutes ses forces et la nature avait suffisamment bien fait les choses pour qu'il n'ait pas trop de soucis à se faire de ce côté là. Il n'y avait que Cnut, l'énorme taulard mi-troll scandinave pour le faire trembler rien qu'à la vu de ses 220 kg de muscles... un coup de Cnut, et vous étiez out.

« Regarde ce qu'on t'amène-là. », aboya le gardien qui avait ouvert la grille. Kelso, méfiant, ne pipa mot, appréhendant la suite des évènements. Il se demandait quelle genre d'idée perverse avait encore pu avoir ses tortionnaires.

Un deuxième homme apparut qui en balança un troisième dans la cellule. La grille retomba lourdement dans un rugissement de vieux fer désagréable.

« Allez amusez-vous bien. », jeta le geôlier sur un ton caustique.

Pas de réponse. Kelso ne les quittait pas des yeux avant qu'ils ne disparaissent, puis il porta son attention sur l'ombre à l'autre bout de la cellule. Il croyait distinguer une boucle de cheveux châtains clairs, ses yeux s'étant par la force des choses, un peu habitués à l'obscurité ambiante. L'autre n'avait à première vue pas l'air plus tranquille que lui, mais quelques semaines à Azkaban avait suffi à aiguiser la paranoïa de Kelso à son paroxysme. Il n'était plus prêt de faire confiance à qui que ce soit de si tôt.

« Euh... Salut ? », Kelso tiqua. Cette voix, il la connaissait.

Prudemment il se pencha pour essayer d'avoir un meilleur angle de vue quand il reconnut ces bouclettes d'angelot. Il recula, incrédule:

« Midnight? »

En entrant à Azkaban, Kelso n'avait d'abord pas su pourquoi on le condamner. Puis quand il avait su, et qu'il avait vu les méthodes du quartier de redressement, il avait su qu'il ressortirait traumatisé pour sûr mais certainement pas hétéro. Malheureusement Luke Midnight allait lui faire la preuve par neuf que les méthodes Edward Clash était d'une efficacité fulgurante.
Sur le moment, il avait été heureux de revoir un visage connu lui aussi. Mais lorsque Luke commença à s'approcher de lui, il sentit un vague frisson lui remonter le long de l'échine. Il se crispa bien que ce fut imperceptible...

« Non attends... approche pas. »

Mais ça n'empêcha pas Luke de s'assoir près de lui. Lui qui avait tant cru souffrir de la solitude, voilà qu'il abhorrait le simple fait d'avoir un homme à ses côtés, fût-il quelqu'un qu'il avait côtoyé par le passé. Un petit son s'étrangla dans sa gorge... pourquoi diable fallait-il qu'il se rapproche comme ça. Que cherchait-il à faire au juste...
Il écarte brusquement son visage de cette main qui voudrait le toucher. Le toucher. Encore un frisson d'horreur. Il ne veut pas qu'on le touche. Pas seulement parce que ça lui fait mal. Ca lui donne envie de vomir. Envie de frapper, de tuer en retour. Il ne veut surtout pas être touché ... par un homme.

« Kelso ? Ca fait longtemps que t'es là ? »
« Trois semaines peut-être... un mois... je...je sais pas. »

Kelso semble se replier sur lui même. Il ne répond pas à la question suivante. Il réfléchit, intensément, la peur au ventre. La peur qui est si efficace. Alors quand Midnight se glisse comme un serpent contre lui, qu'il sent sa peau bien souple, bien chaude contre ses bras... douce... il bondit. Son sang ne fait qu'un tour.

« J'suis vraiment content que tu sois là. »

Mais le pauvre Luke se voit instantanément privé de tout réconfort. Kelso se tient sur les mains, à l'autre bout de la cellule, l'air menaçant mais dans ses prunelles autrefois douce, on reconnaîtrait presque les yeux d'un animal traqué.

« Pourquoi t'es là? Ils t'ont mis là pour me tenter c'est ça? Oui c'est ça... ça prend pas avec moi! Je suis pas gay t'entends! Je suis pas gay!! », réplique-t-il à mi-voix mais non sans une certaine véhémence.

Il est sur la défensive, ça ne laisse pas l'ombre d'un doute et s'il n'avait pas eu peur qu'on vienne le chercher, il aurait sûrement feuler tout son venin à plus haute voix que ça.

A voir Luke ainsi prostré, Kelso sentit la pression sur ses épaules se relâcher. Il prenait un brin de distance devant cette figure minuscule, cette figure qui n'était pas encore abîmée, pas vraiment... L'air farouche de Kelso s'envole un peu comme il prend de la distance. Il a toujours eu le coeur tendre Kelso même derrière ce monstre qui traitait les filles comme des objets jetables à usage unique. Même derrière les grilles de sa cellule qui lui refusaient presque le nom d'être humain, il restait ce garçon qui se perdait en mots tendres pour une caresse ou un baiser posé sur son épaule de goliath.

« Je suis pas là pour te tenter, je... Je sais pas pourquoi je suis là. J'avais juste peur et froid... J'étais rassuré que tu sois là, c'est tout. Je ne voulais pas te blesser, désolé. »
« Non c'est moi qui suis désolé... J'voulais pas te faire peur. »
« C'est si terrible que ça ici ? »

A cette question, Kelso baisse les yeux. Il n'est même pas sûr qu'il y ait un mot pour répondre à ça. Un mot pour décrire la fourberie et le sadisme. L'horreur en soi n'est pas un mot assez moche pour ça. La honte nourrit en son sein trop de lacune pour pouvoir tout dire. La peur... la peur vous colle à la peau, poisseuse comme une sangsue, elle transpire par tout vos pores. Décidément non, la peur n'est pas assez objective, elle échouerait toujours aussi lamentablement à parler de quoique ce soit.
Kelso serre les dents. L'horreur, la honte et la peur passent en vague successive sur ce beau visage tracé de larmes, de sueur et de sang. Il voudrait prendre une douche pour se laver de ce qu'on lui a fait aujourd'hui, de ce qu'on lui fera demain. Il voudrait se brûler sous l'eau chaude et frotter jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de lui qu'un bac à douche odieusement propre. Mais ça n'existe pas tout ça. Le couinement d'un rat le ramène à la réalité. Il le suit du regard avant de se rendre compte que près de la grille il y a sa gamelle. On a dû la lui jeter pendant qu'il dormait, comme à un chien. Il a trop la nausée pour avaler quoique ce soit de toute manière.

« Tu n'as pas idée Luke... toi tu es plus intelligent que moi alors peut-être que... » , mais il n'a pas trop d'espoir. Il essaye juste de le ménager, encore un peu avant le grand choc.

« Peut-être que je m'en sortirais mieux que toi, c'est ça ? J'ai assez donné dans le mensonge pour savoir le reconnaître chez les autres. T'en penses pas un mot, pas vrai ? »
« Personne s'en sort ici. »

Et ça il le pensait sincèrement. Peut-être Luke aurait-il mieux fait de ne rien demander? De prendre telle quelle les paroles rassurantes de Kelso.

« Si on se raccroche à un souvenir heureux, peut-être que le temps passe plus vite, non ? Je vais essayer ça, je crois...»

Kelso ne répondit pas. Il le lui dirait plus tard, mieux valait ne pas se raccrocher à des souvenirs trop heureux ici. On leur prenait tout. Même ça. Il le regarda s'endormir, veillant à sa manière. Aaron lui manquait. Il ne savait rien de ce qu'il se passait à Poudlard alors quelque part, s'il devait se raccrocher à une seule chose ce serait à l'idée qu'il allait bien et surtout qu'il n'avait aucun moyen d'essayer de jouer les héros.
Après un petit moment, Kelso finit par s'endormir lui aussi. Il avait besoin de récupérer encore mais la trêve fut de courte durée. Des bruits de pas dans le couloir suffirent à le faire bondir. Il les auraient reconnu entre mille le bruit de ces bottes sur les pavés humides. Luke dormait encore. Mais bientôt les hurlements le tireraient de son sommeil réconfortant.

« C'était quoi, ça ? »

Kelso se lève, l'air toujours sombre. Il laisse Luke se rapprocher et se place un peu devant lui. D'une main, sans y regarder, il l'obliger à reculer le plus au fond de la cellule possible.

« Ils viennent chercher des prisonniers pour la fausse... Mieux vaut ne pas se faire remarquer assied-toi. » , il suit lui même ce conseil, se faisant tout petit dans un coin sombre. Il voudrait bien en dire plus mais il n'a pas le temps.

Ils arrivent.
Il y a peu de chance qu'ils s'arrêtent devant leur cellule. Après tout Kelso en revient à peine de la fosse. Il ne tiendrait pas bien longtemps. Ca serait... purement sadique, le plaisir du combat -si tant est qu'il puisse y en avoir un - le cédant à sa trop courte durée. Les quatre matons s'arrêtent devant une cellule encore, pas bien loin de la leur. Ils en extirpent deux pauvres précieuses qui n'ont rien de catcheurs expérimentés. Sans doute dans une autre vie ces deux hommes s'adonnaient à des activités bien plus pacifiques. On entend un geôlier se bidonnait.

« Allez le peintre, tire pas cette de six pieds de long ça va te garder en bonne forme tout ça. »

Kelso grogne intérieurement. Se garder en bonne forme ici? Deux hommes s'arrêtent devant la cellule que partage Midnight et Kelso. Un mauvais sourire sur l'un de leur garde-chiourme éclaire tout de suite Kelso sur la suite des évènements.

« Hey mais je vois qu'on a trouvé un copain Kelso. Tu nous le montres? »

Kelso gronde, il se lève, se place devant Luke, mais sert son plus beau sourire. Celui qui plait aux femmes et qui lui attire la complicité des hommes dits "virils". Comme si aimer les hommes l'avaient rendu moins viril lui. Avait-il les épaules moins larges, moins solides? Tout ça parce qu'il appelait affectueusement un autre garçon "son mimi"? Non. Son mètre quatre-vingt douze ne s'y laissait pas léser. Sa poigne de fer, celle que les fans de Quidditch adulait, était toujours la même. Alors quoi?!

« C'est bon j'vais y aller. Chui en forme ce soir. » , annonce-t-il fièrement. Vu comme ça il a l'air d'en vouloir. Il éclipse sans mal le petit mec qui se cache dans son ombre et qui ne tiendrait pas cinq minutes dans la fosse. Pas intéressant.
« Tttt, si c'est pas mignon. Jenkins ramène ta fraise, j'ai un petit couple qui va donner. On les embarque tous les deux. »

Et merde. Un regard à Luke tandis qu'on leur lie à nouveau les mains. Mieux vaut s'économiser ne pas résister. Bientôt, on les attache les uns derrière les autres. Six hommes qui tirent de mauvaises mines. Kelso est sans doute le plus imposant, Luke, le plus beau, le plus propre, le plus frêle. Ils font un couple bizarre que les heures passés à Azkaban sous le même régime achèveront d'assortir. Les matons, eux, discutent. Par moment leurs rires gras font grimacer le peintre. Kelso n'écoute même pas. Ils arrivent dans un couloir mieux éclairé, puis dans un autre minuscule, noir comme un puits. Là, ils passent devant et les gardiens abaissent une porte, les enfermant dans ce minuscule réduit qui sent la sueur et le moisi. Devant les pieds du peintre, un petit ray de lumière filtre. De l'autre côté il y a un tapis de sable au fond de la fosse. Au dessus, derrière des barreaux solides, des autres taulards qui s'ennuient, qui trépignent d'impatience, qu'on arrive à contenir qu'en leur jetant une à deux fois par semaine un bout de chair fraîche.
La porte devant le peinte s'ouvre, comme celle d'un toril. Le pauvre garçon flippe. Il recule quitte à se coller à ceux qui sont derrière. Luke et Kelso sont tout en bout de file mais de là où ils sont, ils peuvent voir un poitrail énorme qui obstrue complètement la vue. On ne voit rien d'autre mais on entend les cris excités des spectateurs. Un gardien approche et vire le peintre de son refuge. Il l'arrache de son trou et le balance dans l'arène. La porte se referme derrière lui, plongeant à nouveau Kelso, Luke et les trois autres dans le noir.

« Greg...? On va pas devoir se battre contre... contre... ça ? Hein ? J'ai peur, Kelso, je veux pas y aller. »

Par dessus son épaule il regarde ce pauvre Luke qui s'accroche à son t-shirt comme... non pas comme une fille. Plutôt comme un petit gosse qui a peur. Il a quelque chose de touchant ou peut-être que c'est juste le tragique de situation. Kelso a un pauvre sourire, il lui ébouriffe les cheveux comme on ferait avec un gamin pour lui dire que tout ira bien. Il n'a rien de mieux à offrir pour l'instant.

« Non t'inquiète... tu te battras pas toi. Pas aujourd'hui en tout cas. »

De l'autre côté de la porte, un cri suraigu annonce la fin du premier combat. Ça n'a pas duré cinq minutes. Et d'après les cris de la foule, Cnut est en forme aujourd'hui. Kelso serre les dents. Cnut, le demi- troll viking l'a allongé en deux coups la dernière fois. Juste assez pour qu'il ne puisse pas trop riposter dans les douches communes. Cnut c'est au mieux l'assurance de finir K.O mais le plus souvent c'est surtout un ticket gratuit pour aller voir ce cher docteur Revenge.
La porte s'ouvre à nouveau. C'est l'ami du peintre qu'on vient chercher. Pendant quelques minutes le pauvre va courir comme un lapin sans même tenter de frapper. Ce serait stupide d'attaquer. Une mauvaise clé et le pauvre fuyard mange le sable. Il n'a rien que le temps de voir l'ombre du géant qui se laisser tomber sur lui et ça se finit dans un grand craquement d'os fracasser. Le mec n'est même pas assez conscient pour crier. C'est sur, sur la paire, ce sera le peintre qui sera le jouet des autres taulards et lui, il est bon pour l'infirmerie.
Plus que deux avant Kelso. L'ancien joueur de Quidditch joue nerveusement des doigts. Il le sent pas sur le coup. Pas du tout. Plus qu'un mec avant lui.
Ils sont là, collés sur le panneau de la porte à épier comme des voyeurs. Ils en ratent la moitié et si ça fait chier Kelso ce n'est pas parce qu'il est appréciateur mais parce qu'il a peur à chaque fois qu'il perd le contact visuel, peur que l'autre s'allonge et que ce soit son tour. D'ailleurs c'est exactement ce qui se passe. Il le perd de vue trente secondes et Cnut l'allonge. La porte s'ouvre alors qu'ils n'ont même pas encore enlevé celui qui vient de se faire rétamer. Une main tire Kelso là, en pleine exposition. Derrière les barreaux qui le protègent encore des autres, il y a de sales sourires qui s'arquent en le regardant. Quelques souvenirs honteux, trop scabreux pour être racontés, font grimacer Kelso mais il regarde la montagne de muscles qui lui fait front, 220kg à faire peur, et quelque chose cloche. Le monstre se frotte les yeux, il n'a pas l'air de se remettre de la poignée de sable qu'on lui a jeté à la gueule. Kelso ne peut s'empêcher de penser "pauvre chochotte", après tout c'est à cause de ce mec là qu'il est si mal en point avant même d'avoir commencer quoique ce soit. Il s'imagine lui mettre un coup dans les parties mais on lui retire son adversaire avant même que ça ne commence. On lui en donne un frais, moins impressionnant - c'est déjà ça - mais plus fringant.

Le combat commence. Kelso n'est pas en forme, il essaye juste de se rappeler que derrière lui il y a Luke. Et Luke sur un ring c'est ridicule... il en reviendrait complètement minable, si encore il en revenait. Et curieusement, à ce moment là, celui où il se prend un premier coup dans la gueule en essayant d'en placer un en dessous des côtes de son adversaire, Luke c'est tout ce qu'il a de familier dans ce putain de trou. C'est son excuse pour rester debout. Et il doit s'y accrocher. Le combat continue. Kelso esquive mais ses côtes douloureuses le limite. Il doit frapper si il veut s'en tirer. Alors quand il touche, il frappe fort. Un moment son adversaire le plaque au sol et il a cette même réaction épidermique qu'avec Luke un peu plus tôt. Il mord. Il arrache quelque chose mais se prend un coup terrible dans la gueule. Quelque chose craque. Son arcade peut-être. En tout cas ça pisse le sang bien chaud, il se sent un instant étourdi. Si il lâche maintenant c'est foutu. Alors il charge. Il se donne autant qu'il peut et l'enchaîne plusieurs fois à la figure. Tant et si bien qu'il en oublie de se protéger. Le poing de l'autre s'enfonce dans ses côtes presque comme dans du beurre et Kelso a si mal qu'il voit trouble un instant. Un coup de pied dans le ventre de son adversaire pour se dégager, il le coince entre ses deux genoux et frappe, encore et encore. De toute manière le sang qui coule de son arcade éclatée lui cache la moitié de la vue, alors il frappe en aveugle jusqu'à ce qu'il sente que ça ne résiste plus en dessous. Alors il s'écroule mais il a gagné.

Il entend crier au dessus de lui. Il est en train de bouffer du sable mais... l'important c'est qu'il a gagné le droit de retourner tranquillement dans sa cellule, et pour Luke aussi. Un gardien le retourne d'un coup de botte dans les côtes. Il lui parle mais Kelso n'entendant qu'un vague bourdonnement. Il voit qu'on pousse Luke devant lui et qu'ils prennent le chemin de leur cellule. Le bruit de la grille qu'on ouvre. Voilà. C'est fait. Maintenant il peut se reposer, là face contre terre comme on l'a jeté.

« Tu vois... j't'avais dit que tout irait bien. » , souffle-t-il avec un petit rire qui l'étouffe.

« T'as l'impression d'aller bien, là ? Dis pas de conneries, tout ne va pas bien, t'es malade ! »
« Crois-moi... ça c'est pas si mal passé que ça. Et puis tu marches encore droit. »

Le pire c'est qu'il le pense. Il préfère avoir perdu pour lui et gagner pour Luke qu'avoir été, comme la fois d'avant, perdant et seul, à se faire passer dessus par deux autres mecs dans une cellule encore plus petite que la leur. Il se laisse faire quand Luke le met sur le dos. De toute manière il ne se sentirait pas de résister à quoique ce soit à ce moment là. Il a encore mal aux reins et à ça s'ajoute les contusions et les blessures du combat qui vient de se terminer.
Pendant un bref instant, la tête sur les genoux de Luke qui lui dégage le front, il repense aux caresses douces d'Aaron et un noeud se resserre à sa gorge. Il ne faut pas qu'il pense à Aaron, qui sait s'il n'y a pas quelqu'un ici qui serait capable de lire ses pensées...
Alors il ferme les yeux et se laisse faire, essayant de faire abstraction des pulsions qui, s'il avait été en meilleure forme, l'aurait poussé à se défendre en souvenir de cette fameuse nuit passée dans la cellule de deux autres mecs.

« Pourquoi j'ai pas eu à y aller et pourquoi ils font ça ? C'est quoi l'intérêt ? C'est une sorte de jeu ou quoi au juste ? J'comprends pas... »

Il faudrait bien qu'il l'apprenne tôt ou tard...

« Quand les gardiens se font trop chier ils viennent lever des mecs au quartier de redressement. Et quand on est deux par cellule, il y en a un qui va dans la fosse et l'autre qui... en assume les conséquences. Comme quoi, tant que je gagne, tout ne va pas si mal. Merci... » , conclut-il une fois que Luke a fini de lui essuyer le visage.
« Tu devrais demander à aller voir le médecin, tu sais ? Crois-moi c'est pas très beau à voir. Y'a bien un médecin ici, non ? »
« Non pas de médecin Luke. Pas de médecin. » , coupe -t-il. Dans sa voix filtre une tension nette, il n'est pas tranquille même s'il garde les yeux clos et qu'il ne bouge pas...« Ce qu'il me ferait ce serait pire que ce que j'ai déjà. Promets-moi que tu demanderas jamais après un médecin ici, jamais, même si toi ou moi on allait crever. Promets-le Luke, même si j'avais les tripes à l'air tu demanderais pas de médecin. »

« C'est injuste qu'on soit ici. On faisait pourtant rien de mal, hein Matt ? »

Kelso hésite une seconde. Ce n'est pas tellement qu'il ait envie de dire ça ou de faire une quelconque remarque, juste qu'il sait qu'il doit la faire. Parce que c'est bien mieux ainsi. Parce que s'il ne le fait pas il finira forcément par arriver quelque chose de stupide, et de stupidement douloureux surtout et que ce n'est pas la peine d'en rajouter.

« Moi aussi dehors j'avais quelqu'un. L'année prochaine on aurait vraiment commencé à vivre ensemble, ça aurait été bien.» , raconte-t-il avec une tendresse triste mais évidente. Puis il conclut... « Il vaut mieux... l'oublier. 'Fin j'veux dire, ne pas penser à lui. C'est le meilleur moyen pour qu'il se retrouve derrière les barreaux lui aussi et crois-moi, ils le mettraient pas dans ta cellule.»

Ca parle beaucoup entre les prisonniers minent de rien. Kelso ne sait pas encore qui, mais il sait que parmi leurs tortionnaires, il y en a qui lisent les pensées et s'il y a bien une seule chose qui les accuse c'est ce qu'ils ont dans la tête. Le coeur lui ne trahit pas. Il parle un langage que seul l'aimé entend. Mais la pensée... ici elle devient traître.

« Je ne dors pas, je surveille. Le premier qui rentre pour t'emmener chez le médecin, je lui fais sa fête. »
« Dors ça ne fait rien. Je me laisserai pas emmener de toute façon. Et je crois que...»

Mais déjà il s'endort. Les bras de Morphée se referment sur lui, chauds comme ses muscles et ses côtes qui le lancent. Ce sont les seuls qu'il tolère à présent...

Ce ne fut même pas le bruit de la grille, ni celui des gamelles en fer blanc qu'on leur jète qui le réveilla. Il mit un petit moment à émerger mais ce furent les mouvements de Luke qui le réveillèrent. Pas qu'il ait bougé tant que ça mais Kelso n'avait pas encore tant intégré qu'il avait un co-détenu. Ca lui revint en voyant la deuxième gamelle et en sentant son arcade le tirer un peu. Inutile de dire que ce n'était pas le cuisinier d'Azkaban qui allait attirer les fins gourmets en Angleterre avec son infâme bouilliasse. Chaque fois qu'il voyait ce truc, Kelso se disait qu'on le traiter pire qu'un chien. Pas de couvert, on se demandait même si la gamelle était propre et tout bien réfléchi, on préférait ne pas le savoir. Au début Kelso n'avait même pas voulu toucher à ça. Lui qui aimait tant le grand confort de chez lui...

« On ne peut pas se doucher ici ? »
« Pas avant vendredi... me regarde pas comme ça. Quand je pense que chez moi j'ai un jacuzzi avec 63 jets d'eau en couleur ... ici la douche tu y restes cinq minutes pas plus. On s'organisera pour ça aussi... »

Mieux valait pour Luke en tout cas. Jusque là Kelso n'avait pas eu d'ennuis sauf la fois où il avait perdu dans la fausse. Mais il n'avait pas du tout envie d'entrer dans les détails. D'ailleurs si le sujet venait à entrer dans la conversation, Kelso se contenterait de dire que c'était arrivé à d'autres. Question de fierté. Histoire de se dire qu'il n'était pas le chien que les matons essayaient de lui faire croire qu'ils étaient.

« ... pour pas que hum... fin tu sais ce qu'on dit quoi. »

« Est-ce que toi tu..? »

Quelque part ce qu'il va faire là c'est un peu ce qu'il a fait pendant des années à Poudlard. Se projeter dans autre chose. Quelque chose de plus acceptable que ce qu'il est vraiment. Une histoire mieux écrite que la vraie, avec les embellissements qu'il faut et de jolies tournures. Parce que la vie est bien mieux ainsi. Du temps de Poudlard, Greg la Bête valait mieux que Gregory Tadd Kelso. Ici, Greg Kelso était clean. Un espèce de héros qui finalement s'en sortirait toujours. Si il avait de la poussière sur la figure et l'arcade explosée c'était juste parce que les filles préfèrent les mauvais garçons. Ca lui donne quelque chose de sexe, c'est tout. Le reste n'est pas dans l'histoire.

« Moi non mais d'autres... », répondit-il placidement.

Il n'est pas le plus mauvais des menteurs. Ce n'est pas tant qu'il aime ça, mais derrière la montagne de muscles il y a un petit quelque chose qui s'est cassé et qui fait beaucoup plus mal que tout ce qu'il a subi jusque là. Il y a un petit garçon qui aurait voulu qu'on l'aime, qu'on le préserve. Il y a le petit garçon qui se met devant sa mère parce qu'il n'y a que pour elle qu'il pourrait faire naître un petit brin de courage pour prendre le pas sur le bon sens et l'instinct de survie pur et dur. Gardez-moi du moindre mal, c'est tout ce que je demande.

« Je veux sortir, je veux rentrer chez moi. Greg, dis-leur qu'il faut qu'ils me laissent partir. »

Là dans le noir, Luke Midinight était quelque part dans ce petit garçon qui pleurait. Ce petit agneau de Dieu qui versait de vraies larmes en suppliant qu'on l'achève avant que ça ne se passe. Doucement l'ombre à côté de lui glisse dans les ténèbres, elle se rapproche parce que, même les ombres écorchées vives peuvent éprouver de la compassion. Kelso est beaucoup plus grand, beaucoup plus large d'épaule. Il pourrait contenir Luke tel qu'il est recroquevillé là, tout entier dans ses bras, contre son coeur mais il ne va pas jusque là. Il ne peut pas. Il ne peut plus aller jusque là. Alors il pose simplement sa main sur son épaule, ferme mais sans lui faire mal, et c'est déjà ça. Il ne va pas lui mentir. Il ne va pas lui dire que tout ira bien. Il va juste se contenter d'être là, comme ils seront là tous les deux pour un bon moment. Au moins, ils ne seront plus vraiment seuls.

« Quel jour on est, tu crois ? J'ai été arrêté le 20, ça fait combien de temps que je suis là ? »

Il réfléchit un instant comme pour vainement se laisser une chance de croire qu'il peut répondre à ça. La vérité c'est qu'il compte le temps en douche et qu'il n'a pas vu le ciel depuis -justement- il ne sait plus combien de temps. Le temps à Azkaban c'est une notion de décoration. Vous êtes la pour longtemps peut-être pour toujours. En fait c'est à peu près la même chose puisque le temps ne passe pas. Vous vous sentirez toujours trop sale, trop affamé, trop mal, trop fatigué pour vous dire que c'est l'heure de faire quelque chose, ou de dire quelque chose.

« Je... j'ai perdu le fil. Je crois qu'on est toujours en septembre. »
« Je crois... Je crois qu'aujourd'hui c'est mon anniversaire. »
« J'te souhaiterai bien un bon anniversaire mais vu l'endroit... ça aurait plutôt l'air d'une blague de mauvais goût de te sortir un truc pareil. » , répondit-il assez lucide malheureusement.

Luke se rapprocha sans crier gare et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, se retrouva lové contre un Kelso qui serrait les dents pour ne pas se laisser aller à le repousser. Il eut un bref mouvement de recul contenu, ses muscles se contractèrent, plus saillants mais il prit sur lui, en espérant simplement que la lubie passerait à Luke de se coller à lui comme ça.

« S'il te plait, Greg, laisse-moi. Juste cette nuit. Juste cette nuit, s'il te plaît... »

Kelso ferma les yeux. Il n'arriverait pas à se détendre, à profiter lui aussi de cette chaleur humaine que Luke venait chercher dans ses bras, sans penser à mal. Cette chaleur dont ils avaient tous besoin ici. L'éducation à la Clash l'écrase et lui donne l'impression que le petit angelot qui se repose sur son épaule est une plume de plomb qui l'empêche de respirer... au début... mais il ne dit rien. Il laisse faire. Après un moment il entend encore la petite voix de Luke lui demander cette faveur, et il se rappelle avoir supplier aussi, un peu plus tôt cet été là. Supplier de pouvoir toucher et aimer de tout son corps. Mais aujourd'hui son corps est contraint et enchaîné.

C'était couru d'avance. Quand on l'empoigne par le col, Kelso ne sursaute même pas. Les réveils brutaux il s'y est fait. Comme quoi on s'habitue à tout. Son cerveau se remet en route rapidement. Il sait pourquoi on lui tombe dessus au moins cette fois, contrairement au pauvre Luke. Il voudrait pouvoir y faire quelque chose mais il sait que c'est mort. Il sait qu'il vaut mieux coopérer et ne pas se braquer, au risque d'aggraver son cas. A Azkaban, c'est typiquement ce que l'on doit éviter à tout prix.

« Tais-toi Luke! Tais-toi! Fais ce qu'ils disent! »

Rien que pour ça il s'en prend une gratuite mais il ferme sa gueule. Quand on a connu Kelso à Poudlard, toujours le premier à rétamer les Gryffondor, on se doute que si là il ne bronche pas d'un pouce, il vaut mieux l'imiter. C'est de la peur dans ses pupilles rétrécies. Une peur presque panique même. Il se braque à peine, pour s'assurer d'un oeil que son co détenu suit. Le pire qui pourrait arriver maintenant ce serait qu'on les sépare. Du moins c'est ce que ce dit Kelso, mais il n'a pas encore vu le pire d'Azkaban. On leur jette deux vieilles brosses pourries et un seau d'eau savonneuse à peine tiède. Kelso ferme douloureusement les yeux. Pas ça.
A qui ne sait pas ce qui va se passer, cette mine décomposée pourrait être traduite par l'expression d'un rejet purement et simplement machiste de se coller aux tâches ménagères. Mais la vérité est tout autre.

« Quartier D, 22 à 44. Régalez vous bien. » , se moqua un maton en refermant la lourde grille qui barrait le passage dans le couloir entre la cellule 21 et la cellule 22.

Kelso jeta un regard sombre à Luke. Dans la cellule 22, un pauvre bougre collé au fond de son trou contre le mur poisseux. Les grilles étaient grandes ouvertes. Kelso n'avait pas l'air tranquille mais curieusement, il n'avait pas du tout envie de discuter avec Luke. C'était de sa faute tout ça.