Je n'aime pas avoir à demander quelque chose. Surtout quand je sais pertinemment que je risque de ne pas apprécier la réponse. Mais je n'ai pas le choix. Quand je suis allée à Pré-au-Lard, l'autre jour, je suis accidentellement - à la base - entrée à l'Epouvantard épouvanté, comme si je devais y entrer. Et le fait est que ce que j'y ai trouvé m'intéresse au plus haut point: un chien, dressé pour venir en aide aux personnes souffrant d'un handicap. Cela n'aurait tenu qu'à moi, je l'aurais déjà acheté... Mais voilà le problème: c'est un animal supposément interdit à Poudlard et, qui plus est, je suis de "sang-mêlés". On fait donc mieux à ce niveau-là. J'ai donc préféré ne pas l'acheter. Pas immédiatement, en tout cas, mais j'ai demandé au vendeur de le réserver pour l'instant, jusqu'à la prochaine sortie, en tout cas. Mais il faut que je demande la permission à notre directrice, et ce ne sera pas là une mince affaire.

Rien que prendre un rendez-vous avec elle n'est pas une chose aisée. Et pourtant, je suis là, aujourd'hui, à attendre patiemment devant la statue qui livre le passage sur son bureau. Je n'ai pas le mot de passe, mais elle m'a donné rendez-vous ici. Alors je l'attends, tous mes sens aux aguets, ma canne blanche à la main bien qu'elle soit repliée. Autant mettre tous mes atouts en avant.

Pour une fois, je suis habillée de façon très sage, très classique: une jupette plissée noire, qui m'arrive aux genoux, un chemisier blanc - le seul de mon armoire - un petit gilet noir, ma robe de sorcière, des ballerines noires avec des socquettes blanches. Mes cheveux sont rassemblés en une queue de cheval basse retenue par un petit ruban blanc. J'entrecroise mes mains nerveusement, m'interrompant dès que j'entends des bruits de pas mais, jusque là, elle n'est toujours pas arrivée. Elle est en retard. Mais bien sûr, je me garderai de lui en faire la remarque. Moi? Lèche-botte? Non... Je sais juste que j'ai besoin de ce chien qui me rendra plus autonome et m'évitera de m'étaler sur mes camarades ou pire, sur les professeurs de l'école - ce qui m'est déjà arrivé plusieurs fois, avec la directrice notamment l'année dernière...

Elle est en retard. Cela ne lui ressemble pas. Pourtant, on ne peut pas dire que j’ai eu tant de rendez-vous que cela avec elle par le passé, bien au contraire. Mais de ce que j’ai entendu dire, elle est la ponctualité même. Mais ce n’est pas grave. Je peux attendre encore. J’écoute les pas aller crescendo et descendo dans ce couloir. Voilà ce qui m’indique que le temps passe. Un jour, je passerai par l’opération. Un jour. Mais pas maintenant. Pas pendant que je suis encore en cours. Je veux finir Poudlard avant. Car je ne sais pas combien de temps il me faudra pour réapprendre à me servir de mes yeux par la suite.

Enfin, des pas s’arrêtent à ma hauteur. Enfin, une voix s’adresse à moi. Froide, distante. A l’opposée de ce qu’elle était l’année précédente. A première vue, je tombe mal. J’esquisse une petite grimace que je ravale rapidement, tout en priant que mon charme de vélane ne fasse pas effet maintenant. Mais la directrice est une femme et, en théorie, cela n’agit que sur les hommes.

« Je suis navrée de vous déranger. » commencé-je.

Mais arrivée là, je dois bien avouer que je ne sais pas comment m’y prendre. Comment continuer et aborder le sujet qui m’intéresse. Visiblement, elle se moque de ce que je peux vouloir. Le timbre de sa voix est assez clair à ce sujet. Mais sans doute pas autant que le serait son expression si je pouvais la voir. Je m’efforce cependant de reprendre :

« J’ai pris rendez-vous avec vous pour vous soumettre une requête. Je sais que certains animaux ne sont normalement pas tolérés à Poudlard, hormis permissions spéciales, et c’est pourquoi je suis là. Il y a, à Pré-au-Lard, une boutique d’animaux. Et ils ont à l’heure actuelle un midland hound dressé exprès pour les personnes possédant un handicap, comme la cécité. Je n’ai pas voulu l’acheter sans obtenir au préalable votre accord, et c’est pourquoi je suis ici maintenant. »

Je marque un temps de silence le temps de reprendre mon souffle, puis je reprends la parole. Maintenant que j’ai commencé à me jeter à l’eau, les mots me viennent tous seuls.

« Je suis prête à prendre de nombreuses précautions si vous me permettez de l’acheter. Déjà, il serait toujours tenu en laisse avec un petit harnais pour que j’ai une meilleure prise en main. Ensuite, si vous y tenez, je suis prête à lui mettre une muselière au premier signe d’agressivité. Mais cela me permettrait de ne pas risquer d’être en retard en cours, je ne serais plus non plus un danger public dans les couloirs de l’école. J’ai conscience que c’est le cas à l’heure actuelle. Avec ma canne, il m’arrive de faire trébucher mes camarades, ou lorsque je ne l’utilise pas, je percute des professeurs. »

A nouveau, je marque un petit temps de silence avant de conclure :

« Je serais une élève comme les autres. Pas un poids pour mes camarades, et vous n’aurez à vous plaindre ni de moi, ni de l’animal. »

En mon fort intérieur, je prie pour que cela marche. Pour qu’elle accepte. En mon fort intérieur, je la supplie. Je suis restée debout, parce qu’elle n’a pas beaucoup de temps à m’accorder. Ma canne est repliée entre mes mains, et je m’efforce de ne pas la tripoter en tous sens. Ce n’est pourtant pas l’envie qui m’en manque tant je suis nerveuse de me trouver là et tant j’appréhende sa réponse.

Nul besoin de voir ou d’être empathe ou voyante pour savoir que la directrice ne veut pas de moi dans son bureau. La tension est palpable, pour ne pas dire à couper au couteau comme peut l’être le brouillard en certains jours d’automne. Même sans le voir, je le sens. Pourtant, je ne compte pas sortir de ce bureau sans avoir la réponse de la directrice, une réponse qui, je l’espère, sera positive pour moi. J’ai besoin de cet animal. J’en ai plus qu’assez de me déplacer avec une canne et de, parfois, risquer un accident dans les escaliers parce qu’ils décident de tourner au moment où je veux mettre le pied dessus. Combien de fois n’ai-je pas déjà failli tomber dans le vide, comme ça ? Elles sont trop nombreuses à mon goût, ces fois là. La première, je m’en souviens encore comme si c’était hier, c’était juste après la rentrée de 2e année. Je n’étais, alors, pas encore habituée à ma nouvelle condition. Autant dire que j’ai failli ne jamais avoir le temps de m’y habituer… Dieu merci, le préfet des Gryffondor était juste à côté de moi, ce jour-là… Il m’a, d’ailleurs, passé un savon monumental. Mais bon, je n’y pouvais rien…

J’attends, sans plus un mot la réponse de celle qui me fait face, prenant bien garde à ne pas faire trop de mouvements pour la déranger. Finalement, la réponse tombe. Mon état justifie cette requête. Bien entendu, sinon, je ne l’aurais même pas faite. Je n’aime pas perdre mon temps, ni en faire perdre aux autres. C’est peut-être une notion abstraite pour moi qui ne voit pas les minutes ou les heures défiler, mais je connais tout de même l’importance du temps qui passe, et sans doute bien davantage que n’importe qui d’autre.

Lorsqu’elle reprend la parole, je me crispe imperceptiblement. Elle vient de mettre le doigt sur la seule chose qui pourrait faire en sorte que le Midland soit refusé mais, à ma grande surprise, elle ne semble pas savoir ce qu’il en est. Si je n’ai pas souri plus tôt à sa réponse, je ne marque pas plus ma surprise en cet instant. Je sens que ce manque de connaissance à ce sujet est tout à fait à mon avantage et qu’il me faut en profiter, sans plus attendre. Après tout, le Midland n’est que catégorie 2. Ce n’est pas non plus une des créatures les plus dangereuses. Et celui que j’ai repéré, dressé spécialement pour les personnes possédant un handicap se rapprocherait plus de la catégorie 1.

« Et bien… Sans entrer dans la catégorie des créatures formellement interdites, il me faut tout de même une autorisation signée de votre part pour pouvoir le faire entrer dans le château. J’ai préféré agir dans les règles et vous demander cette autorisation avant, plutôt que de vous mettre devant le fait accompli. J’ai pensé que vous préféreriez avoir le choix. »

Même si de choix, il n’y en a pas réellement, présenté comme cela. L’animal n’est pas ‘formellement’ interdit, et elle est prévenue avant que je ne passe à l’acte. Comment je ferai si elle me le refuse finalement ? Je n’ai pas envie de le savoir. Peut-être serai-je obligée de provoquer un accident du genre où l’on dira qu’avec un animal adapté, cela aurait pu être évité, mais je préfère ne pas y réfléchir. Ne pas y penser. Me concentrer sur assurer mes arrières avec cette autorisation écrite qui fera en sorte qu’elle ne puisse pas changer d’avis.