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| Argentine, 1968, proche de la frontière du Pérou.Dans le petit baraquement de bois, perdu au milieu du cœur de la forêt, un enfant était fixé devant une vieille télé. Elle affichait son programme en noir et blanc, et il n’y avait presque pas de son, tout au plus assez pour que l’enfant sourit devant Tita Merello et sa danse autour de la table. Il la dévorait des yeux, car cette actrice argentine était son idéal, et il n’avait pourtant que sept petites années – mais déjà bien assez pour penser aux femmes de caractère, qui s’imposaient devant lui. Le film qui passait était déjà un peu vieux, datant de 1933, mais c’était un classique, et aussi le film préféré de sa mère. Timide devant la télé, silencieux, il laissait aux grands les problèmes qui régnaient dehors et se contentait de regarder, patient, qu’elle ne dise à tous ces hommes qu’elle était plus forte qu’eux – tellement plus forte. Il rougissait doucement l’enfant, s’imaginant pas grand-chose non, une cheville de cette femme déjà mûre, mais ô combien attirante. Il avait l’impression de voir un ange. Il releva le nez, comme la chanson se finissait, et regarda par-dessus son épaule. Allongée sur le sol, sa mère se reposait, et son père guettait à la fenêtre, un peu anxieux. Cela faisait maintenant deux ans qu’ils courraient tous ensemble comme des lapins, comme fuyant quelque chose. La peste, ou la maladie ? L’enfant n’avait jamais vraiment cherché à comprendre. Si on lui disait de courir, il courait. C’était leur méthode de survie à eux. Courir. Ce n’était peut-être pas très glorieux au final, mais au moins, ils étaient tous ensemble, et vivants. Deux ans que la Révolution Argentine au pouvoir rendait la vie plus que dure aux habitants du pays. Fuir à l’étranger ? Pas question.
La dictature, comme une gangrène purulente, s’était immiscée partout. Le Chili, le Brésil, et même le Pérou où il n’y avait pourtant pas grand-chose à dicter. Le coup d’état de 1966 avait laissé le peuple magique sur les fesses, un peu désarçonné, car toutes « guerres » moldus avaient de toute façon des retombées sur eux. De ce qu’il avait compris, il en tirait deux choses : ils étaient poursuivis et seraient torturés puis tués si on les arrêtait, et il ne fallait surtout pas s’arrêter de courir. Il aurait pu leur en vouloir de le faire courir pour vivre, mais en voyant cette mine fatiguée et creusée sur le visage de son père, il ne pouvait sciemment pas lui hurler dessus. D’une parce que son père avait des mains larges, et de deux, car tout ça n’était pas sa faute à lui, et ne le serait jamais. Alors l’enfant n’avait qu’à regarder se désagréger devant lui toute sa vie, s’émietter dans ses mains comme si on avait brûlé les images de sa vie à même sa peau. Ça brûlait, mais ça passerait, il en était persuadé. Un jour, la lumière vaincrait, même à travers les branchages de la forêt sombre d’Argentine. Un jour, quelqu’un viendrait les sauver, et si ce n’était pas une lumière, ça serait des hommes, forts comme son père, qui se lèveraient d’un seul bloc, et ça serait beau. Il ne rêvait que d’une chose : survivre et être assez fort, un jour, pour voir ce spectacle. De survivre, il n’était pourtant pas sûr de pouvoir y arriver.
« Riggo’, tu ne regardes plus la télé ? »
L’enfant releva le nez, ses yeux s’étant fixés sur le visage de ce père dont il admirait autant la figure que le caractère, qui était le modèle implacable de son enfance. Il eut un petit sourire gêné.
« Je pensais. » « J’ai cru voir » plaisanta le père « tu pensais à quoi ? » « A la guerre, comme tout le monde. »
Les derniers mots eurent plus d’impact que l’enfant n’aurait voulu qu’ils en aient. Le père, Nahuel, eut un sourire pincé. Ne jamais avoir l’air inquiet devant son fils unique avait été une devise pour lui, et ce, depuis le début de la Révolution Argentine. Il avait cru bien faire, mais visiblement, ça n’avait pas marché du tout. Ça ne serait finalement pas la première fois que le visage de Nahuel ne le trahisse. Il haussa les épaules, d’un air désinvolte mais qui avait quelque chose de noble à la fois. Ils avaient été élevé dans la crasse de la fuite, mais rien ne pouvait emporter à Nahuel cette rigueur dans l’attitude et dans ses principes. Il était né ainsi, il mourrait ainsi.
« Il n’y a pas de guerre, Riggoberto. Juste du sang. » reprit finalement Nahuel, reportant son regard sur la fenêtre qu’il devait garder, et qui donnait sur dehors, et les alentours. « Verser du sang, ce n’est pas faire la guerre. Tuer des gens gratuitement sans qu’ils n’aient le moyen de se défendre, non plus. On appelle ça de la soumission, et c’est bien pire qu’une guerre perdue d’avance – il n’y a que les chiens pour mordre un homme au sol. » « Mais ils le font, et des hommes et des femmes luttent contre – nous luttons contre – alors c’est une guerre, non ? » « Pas à leurs yeux. Notre révolte, ce n’est qu’agiter les bras en espérant qu’ils blessent. Ce n’est rien faire que lutter pour survivre. Survivre ou courber l’échine. Ils sont rares les hommes qui sacrifieraient leur vie pour une petite liberté sans sécurité. » « Alors c’est bien triste » concluait Riggoberto « car nous perdons tout à se courber. »
Nahuel regarda son fils, et eut un petit rire, infime.
« En effet. »
Il eut un hochement de tête et détourna le regard, se rencontrant sur la garde qu’il devait effectuer, pour leur permettre, encore un peu, d’attendre que les autres pays ne se réveillent et ne se rendent compte qu’une gangrène ne s’arrête pas avec un garrot, qu’elle gagne toujours à se nourrir de chaire pure et saine, pour mieux tuer petit à petit le système. Bientôt, d’autres pays seront attaqués. Ce n’était là que le début d’une longue lignée de problèmes – Nahuel en était sûr.
« Tu devrais dormir. Nous ne savons pas quand nous partirons. »
L’enfant eut un sourire et éteignit la télé, se penchant à même le sol et ferma les yeux. Il bailla, et même s’il n’était pas très fatigué, le sommeil lui tomba rapidement dessus, comme un voile épais mais chaud. Une couverture peut-être. Il eut un tout petit sourire timide, les joues tout rouges. Il aurait été rêvé de Tita Merello, mais ses rêves à lui étaient étranges, et il ne voyait que rarement quelque chose d’autres que du noir. C’était peut-être sa malédiction à lui… ne jamais rêver. Tout le monde rêvait. Sauf lui. Un bruit sourd le fit sursauter et il se réveilla en sueur. Son père se levait brusquement, accompagné de sa mère, et il commençait à hurler. Riggoberto eut à peine le temps de se lever qu’un souffle l’envoyait valser contre la télé sans la briser. Sa mère sortit également sa baguette, alors que quelque chose se passait dehors, sans qu’il ne sache quoi.
« Prends Riggo’ et cours Libertad ! cours ! »
Le cri désespéré de Nahuel n’accentuait que mieux la scène. Le bras fort de Libertad s’enroula autour de leur fils et elle se mit à courir. Dans les bras, il y eut un ralentit. Riggoberto voyait tout. De la flèche brutale qui s’était enfoncé dans le flanc de son père, bien logée dans la droite de son torse, jusqu’aux larmes qui mouillaient ses joues. Zut. C’était donc la fin ? Il ouvrit la bouche et hurla quelque chose comme « te quiero ». Il fallait que Nahuel le sache, il fallait qu’il puisse partir en le sachant, parce que s’il ne l’entendait pas maintenant, jamais il ne l’entendrait. Il y eut un nouveau fracas, et le mur du fond de la cabane s’écrasa plus bas sur le sol, alors que Libertad sautait dans le vide, son fils dans les bras. Nahuel s’était retourné, un quart de seconde, un millième peut-être. Avait-il entendu ? Riggo’ n’en savait rien. Il roula en contrebas, emporté par sa mère qui le releva, aussitôt arrivé en bas. Un sort dévia une vingtaine de flèche qui sifflait vers eux, et elle le poussa brutalement :
« Cours vite Riggo, cours ! On se rejoint à la frontière ! Cours, ne te retourne pas, et ne t’arrête pas ! »
Libertad tenait sa baguette en main, et elle était une tigresse à la tignasse noire et épaisse. Fille de la rue, elle avait appris à se défendre seule, et aujourd’hui, c’était seule qu’elle faisait face à une dizaine d’homme. Riggoberto tourna les talons, et couru. Son cerveau ne se posa aucune question. Courir. Il fallait courir, toujours plus vite, toujours plus loin. L’enfant se mit à détaler entre les arbres, sautant parfois afin d’éviter les racines sournoises. Il ferma les yeux un instant. Son cœur battait trop vite. Il y eut un grand bruit derrière lui, qui ressemblait à une explosion, et la forêt prit feu. Des flammes violettes montèrent entre les arbres. Là, alors qu’il courait entre les troncs, deux formes argentées courraient avec lui, comme deux gardes spectrales, uniques et magnifiques. Il sentit les larmes lui montait aux yeux. Courir. Plus vite. Encore plus vite. Ses jambes ne courraient plus ; elle suivait le mouvement. Entouré de deux lions d’argent, l’enfant courrait toujours, car la vie, c’était ça.
Prends à droite…
Une voix sonna dans son oreille, et ça ne pouvait clairement pas être les patronus qui le suivaient. Il sursauta, et prit à droite, par automatisme. Ça pouvait être un piège, mais il n’avait pas le cœur à réfléchir. Il devait courir. Encore. Jusqu’à que son corps ne s’écrase de lui-même sur le sol. Il se mit à courir vers la droite alors, longtemps ainsi. Les deux lions s’évanouirent bien vite, et si Riggoberto se demanda à un moment s’il ne valait pas mieux s’arrêter et se laisser aller, il se rappelait aussitôt les yeux noirs de son père sur lui, du sourire franc de Nahuel qui parlait avec le père d’un certain Miguel dont il ne connaissait que le nom, pour n’avoir jamais pu rejoindre le Mexique. Il se rappelait tout ça, sa mère, sa férocité, mais également son père, et sa main sur sa tête. Non. Il ne pouvait pas arrêter. Pas maintenant. Il avait trop peur. Il avait trop mal. Mais il devait courir. C’était ça, ou la mort.
Cache-toi dans la souche, vite !
Il sursauta et regarda autour de lui. Il y avait bien un tronc couché, mais il était si étroit qu’il n’aurait jamais cru pouvoir y rentrer. Il se mit à plat ventre et se coula à l’intérieur. Tout petit à même le sol, il respirait fortement, trop fort. Il sentit un frisson lui remontait l’échine et baissa les yeux, posant sur sa bouche ses mains pour en étouffer la respiration lourde. Des bruits de pas proches firent accélérer son cœur en lui, son tout petit cœur d’enfant de sept ans. Il fronça les sourcils, sur le point de pleurer, et posa le front contre la terre crasseuse de l’Argentine. Elle s’était abreuvé du sang de son peuple. Elle était gorgée du sang des innocents, de ces hommes qui s’étaient battus dans le passé pour avoir leur indépendance face à une Espagne bestiale. Il en connaissait l’histoire dans les moindres détails. Et malgré tout ça, il n’était pas assez bien pour ce pays ? Un sentiment de colère le prit. Son père, ce héros, et sa mère… Oui. Ils ne pouvaient qu’être morts à cet instant. Les larmes coulèrent sur son visage d’enfant, quand une main horrible l’attrapa et le sortit de la souche, l’envoyant se fracasser contre le sol. Il eut un petit gémissement plaintif, de douleur, alors que son nez se mettait à saigner. On lui rattrapa les épaules, et quelqu’un le maintint genoux au sol, tirant en arrière ses cheveux. Sa gorge bien offerte, les yeux noirs de l’enfant se fixèrent, entre deux sanglots de peur, sur l’étranger qui attendait en face de lui. Il eut un frisson. Il avait peur. Vraiment peur.
« Riggoberto Del Serna ? » « Si… » « As-tu fait tes prières ? »
L’homme en face de lui était grand et habillé de noir. Sur ses mains, il y avait du sang, et sur sa joue, une profonde balafre le défigurait. Riggoberto le fixa, fixa sa cicatrice, et baissa les yeux. Ses prières ? Il fronça les sourcils. Non. Il ne pouvait pas mourir, pas comme ça. Il avait tellement honte de pleurer alors que son père n’avait pas du pleurer lui. Il avait contenu ses larmes sur le rebord de ses paupières. Il les avait contenus. Riggo’ sera les dents. Il avait honte, mais il avait peur. Il devait se raccrocher à quelque chose, ne pas voir cette réalité. Vite, une image. Il ferma les yeux, fronçant les sourcils, et se rappelait. Oui. Il avait trois ans, ils étaient dans le champ. Il y avait Miguel, son père. Son père qui parlait avec Fidel et Nahuel. Et Libertad qui s’extasiait devant le petit Ortiz. Il y avait une fille, aussi. Son nom. Il ne se souvient pas. Il pleurs lourdement, et déglutit. Toutes ces personnes sont…
Sean eternos los laureles, Riggoberto.
Elle rit la petite voix dans son crâne. L’enfant rouvre les yeux et fixe l’homme qui brandit sa baguette, la pointant devant son crâne. La chanson. Oui ! La chanson ! Il y a quelqu’un dans le champ, il joue de la guitare et il chante. C’est… non, ce n’est pas Nahuel. Il le connaît. C’est son oncle, qui gratte les cordes et il rit bien fort en chantant, avec tout son cœur, pour les enfants qui le fixent avec admiration. Oui. La chanson.
« Sean eternos los laureles, que supimos conseguir… que supimos conseguir… » marmonna l’enfant, devant l’adulte qui ne comprends rien, qui n’entends pas. « Parle plus fort ! » « Coronados de gloria vivamos, O juremos con gloria morir… » il parla si bas, que l’homme d’en face s’impatienta et lui hurla dessus, brandissant plus haut sa baguette. « Si tu as quelque chose à dire, DIS LE ! » « ! CORONADOS DE GLORIA VIVAMOS ! O JUREMOS CON GLORIA MORIR ! O JUREMOS CON GLORIA MORIR ! O JUREMOS CON GLOOOORIA MOOORIR ! » *
Riggoberto hurla et se débâtit, en pleurs, il répétait en boucle cette chanson d’une autre époque. L’hymne nationale argentin. Une drôle de chose quand on savait qu’il luttait contre le pouvoir. Mais il hurlait plus fort, et l’adulte le gifla, et l’enfant aux yeux noirs continuait, il gueulait de toute sa force, avec ses poumons. Là, dans l’obscurité de la nuit, un « raaawr » remonta les entrailles de la terre, et quelque chose bondit de derrière les fourrées. Il y eut un « crac » horrible, et l’adulte en face de lui tomba sur le sol, sa tête roulant plus loin. Le sang avait giclé, et Riggoberto pouvait sentir les gouttelettes de sang glissait le long de sa peau. Il eut un frisson face à la bête qui le fixait, de ses deux yeux couleur d’argile se fixaient sur l’enfant. Une flèche lui traversa le crâne, mais l’animal ne bougea pas et se redressa sur ses deux pattes, montrant les crocs. Un long filet de bave glissa de sa gueule jusqu’au sol, mouillait ses pattes. Sa patte envola valser l’homme qui tenait l’enfant, et le loup – si tant est que c’était bien un loup – se jeta sur l’homme et le saigna à blanc, d’un coup de croc. L’enfant resta bête, observant l’animal tirait sur la gorge de l’homme et en retirer la pomme d’Adam. Les yeux de jaspe marron se tournèrent vers l’enfant, et de l’auburn sanguin, Riggoberto n’en tira qu’un frisson et un sentiment de peur plus important encore qu’avant. L’animal se détourna du cadavre, croquant, gourmand, la pomme d’Adam et l’avala alors qu’il se rapprochait de l’enfant. Les yeux noirs du petit Serna fixaient les prunelles étranges de la bête. Il saignait. La flèche était toujours profondément enfoncée dans son crâne. Le pelage sombre s’hérissa alors que le museau reniflait, humait le visage du gamin, l’effleurant de sa truffe mouillée.
L’enfant regarda la bête, un peu timide, les joues mouillées de larme, et il avança les mains vers lui. Le loup ne disait rien, ne bougeait pas, mais grogna quand les mains de l’enfant se posèrent sur la flèche qui lui traversait la tempe jusqu’à la pommette. L’enfant regarda le loup, et tira d’un coup sec dessus. Un filet de sang noir bava sur le sol et le pelage de la bête qui recula, secouant la tête de douleur. Riggoberto se pinça les lèvres, ne sachant pas comment prendre cette situation. Etait-il dans un rêve ? Il n’en savait trop rien. Mais ça n’en avait pas l’air, ni l’odeur par ailleurs.
« Tu vas me manger ? »
La petite voix de l’enfant caressa les oreilles du loup qui eut un rire derrière ses babines, un rire lupin. Non. Il n’allait pas le manger, ou tout du moins, pas encore. Il secoua la tête de droite à gauche, et tourna le dos. L’enfant se pinça les lèvres et osa :
« Mes parents sont… »
Mais il cessa, car ça n’était pas digne d’un homme que de demander à un étranger si ses parents étaient encore vivants. Le loup ne lui devait rien. Et pourtant, il se retourna, et fixa l’enfant de ses yeux presque humains. Il sembla réfléchir un instant et finalement baissa les oreilles et la gueule, son museau frôlant le sol. L’enfant baissa à son tour les yeux, et les larmes remplirent ses yeux. Alors c’était ça. Il était seul. Il posa ses mains sur ses cuisses, se crispa. Seul. Qu’allait-il faire ? Il déglutit péniblement avant de sentir des crocs se refermaient sur son col, le soulevant sans mal. Il sursauta et regarda par-dessus son épaule. Le loup l’avait attrapé au col et il bougeait, vers quelque part dont Riggoberto ne savait rien. Loin de Nahuel et de Libertad. Et peut-être loin de la guerre. Il pleura durant le trajet, et remarqua l’auréole honteuse d’urine sur son petit pantalon. Il s’était fait dessus. Il serra les poings, comme seul un enfant peut faire, avec toute la détermination du monde, et se jura que plus jamais il n’aurait à avoir peur de quelqu’un. Plus jamais.
Il fut posé sur le sol et le museau humide le poussa vers une sorte de petit campement. Riggoberto fronça les sourcils, encore un peu méfiant, et approcha finalement. Deux tentes, et cinq hommes étaient là. Tous torses nus, tous tellement grands… ! L’enfant ne su quoi dire, son regard darda le premier qui approcha. Il était très haut, les épaules larges et les cheveux blonds et ondulés sur les épaules. Il était lui aussi torse nu, et à sa ceinture, une arme étrange pendait mollement. Une épée ? L’enfant recula et sentit quelque chose dans son dos, mais rien d’un loup. Il sursauta, et se retourna, et se trouva face à un homme entièrement nu. Haut comme un bœuf, l’air terrible des rois d’autrefois, il avait un air tout à fait hispanique.
« Tu as encore mordu dans la Révolution, Vasco. Ça va nous rapporter des ennuis. » « Ils chassaient le gamin. On attaque pas les gamins. »
Le ton était terrible. Le regard noir de Riggoberto cherchait une logique à tout ça, mais il n’y avait rien de logique. Absolument rien. Derrière le blond, et le brun, il y avait quatre autres hommes. L’un avait les cheveux châtains tombant en une queue de cheval au creux des omoplates, le visage griffé de trois cicatrices fines, comme si un lion lui avait griffé la peau. Il était également le seul à se couvrir, remettant sur ses épaules une légère chemise blanche qu’il boutonnait. Elle ne faisait que faire ressortir les yeux verts de l’homme. A côté de lui, il y avait trois hommes, un peu plus jeune que les trois qu’il avait détaillé. Si Riggoberto était jeune, il avait aussitôt repéré les liens de parenté. L’homme nu devait être le père de celui aux cheveux crépus, qui rigolait en s’agitant, sans faire attention à eux, et avait sur le visage un sourire moqueur. A côté de lui, un homme immense avait les cheveux blonds – et devait donc être soit le frère ou le fils de l’homme blond – et ses cheveux étaient coupés courts sur sa nuque. Il portait un pantalon bien strict, dans une forêt désordonnée. Ses yeux bleus de glace se fixèrent un instant dans les prunelles de l’enfant qui détourna le regard, un peu gêné d’avoir à dévisager ces hommes dont il ne savait rien, dont il ignorait jusqu’à la consonance de leur accent. Enfin, le troisième mangeait un fruit rond et jaune, que Riggo’ n’avait jamais vu auparavant, et esquisser, de temps à autre, une grimace comme si le fruit n’avait pas été bon. Il rigolait des choses que disaient le brun, et que l’enfant ne comprenait pas – ça n’était visiblement pas de l’espagnol. Il reporta son attention sur les trois « adultes », qui avaient pourtant une figure plus jeune que celle de son père, et il baissa ses yeux sur lui. L’auréole était toujours là. Il rougit alors violemment et serra les cuisses, posant ses mains sur son pantalon comme pour le cacher. Un rire léger résonna.
« Ne mets pas tes mains par-dessus, ça attire le regard petit. » Riggoberto releva les yeux et croisa le regard vert émeraude de l’homme qui avait remis sa chemise. Ce dernier eut un petit sourire en coin. « Viens avec moi, tu vas prendre une douche et je ne te donnerais un pantalon. Et mon nom est Lapyx, alors n’hésite pas. »
Riggo’ le regarda, et cherchait à fixer ce prénom si étrange à son oreille sur ce visage doux. Le dénommé Lapyx avait quelque chose de doux sur le visage, presque paternel. L’enfant aux yeux noirs lui tendit la main, et Lapyx l’amena hors du campement, à un petit ruisseau en contrebas. Il le laissa là et s’éloigna pour aller chercher une aiguille et tailler un pantalon dans une toile. L’enfant resta seul alors, les pieds dans l’eau, et tremblait en silence. Ses prunelles jetaient des regards un peu partout autour de lui. Il se pencha, regarda son reflet dans l’eau, et réfléchissait. Tout ça ne pouvait être qu’un rêve. Nahuel n’avait pas pu mourir. Libertad ne mourait jamais non plus. Il fronça légèrement les sourcils et se mit à pleurer, à pleurer de toutes ses forces, à si chaudes larmes qu’il sentait la brûlure traçait sur ses joues des sillons rouges. Il pleurait comme jamais, comme un homme ne pleure pas, mais ce que tout le monde avait oublié, c’est qu’il n’était pas un homme – mais un enfant.
« Tu ne devrais pas pleurer… »
La petite voix dans sa tête, à peine plus intense, l’agaçait. Il renifla et secoua la main près de son oreille, comme pour chasser cette conscience à la voix féminine. Il n’en voulait pas. Il la détestait cette voix, parce qu’elle lui rappelait ô combien il avait été lâche. Sans elle, il ne serait pas là. Sans elle, il aurait couru, et il n’aurait pas croisé ces hommes. Il serait bien, sans eux. Il pleura.
« Riggoberto. Je suis là. »
Un petit rire clair fit sursauter l’enfant qui recula dans un mouvement rapide et tomba sur les fesses, ébahi. Devant lui se tenait une petite fille aux longs cheveux noirs, noirs d’encre. Les cheveux de la jolie fille lui arrivait aux chevilles, et comme ils étaient bien coiffés, et ne faisaient que ressortir davantage sa pâleur cadavérique et ses yeux verts comme deux jade trop clairs. Elle était là, perchée sur un rocher, les yeux fixés sur lui et le sourire aux lèvres.
« Es-tu… » il suspendit sa phrase, pas vraiment sûr de vouloir savoir. « Un démon ? » Elle eut un rire clair. « Non. Ce que je suis, tu n’as pas besoin de le savoir. Regarde-moi, Riggoberto. Regarde-moi, et écoutes moi, car je ne me répèterais pas. Tu as 7 ans, fils de Nahuel. Dans quinze ans, tu iras trouver une sorcière. Elle se terre en Bohème, dans un vieux château. Elle sera seule dans son château. Tu devras tuer la vouivre qui la retient, et après l’avoir tuer, tu disputeras une partie d’échec. Si tu la gagnes, elle mourra. Si tu la perds, elle deviendra ta femme et tu enfanteras une fille. Riggoberto, regarde-moi. Cette fille, tu l’appelleras Luce. Luce Libertad de la Serna, car tel est sa destinée, que d’être la lumière. Tu entends ? Retiens cela, car c’est ton destin. Tu as bien tout compris ? »
L’enfant aux yeux noirs fixait la fillette. Il ne comprenait pas. Il se tint nerveusement la manche. Pourquoi… Comment une fillette avait-elle connaissance de son destin à lui ? Lui qui n’était rien au final, qu’un petit argentin perdu dans la forêt ? Il baissa les yeux et hocha la tête positivement. Il était si perdu entre la perte de ses parents que le fait que la fillette ne soit qu’une illusion ne l’effleure même pas. Qu’est-ce qu’une hallucination quand toute notre vie ne semble être qu’un foutu cauchemar ?
« Mon nom est Conceptiõn. Conceptiõn della Messa. Nous nous reverrons, Riggoberto. Ton avenir te promet plein de chose, et pour cela, tu dois rejoindre le Mexique. Va au nord, tu trouveras Joaquìn, il te ramènera auprès de ta famille. Va auprès de Minha, et évite le chemin de Rafìel. » Elle s’arrêta, avec un petit sourire, et finalement se redressa sur le rocher, sous le regard noir de l’enfant. « Nous nous rêverons. A bientôt, Riggo’. »
Il cligna des yeux, et l’enfante n’était plus là. Il sursauta, mais n’eut pas le temps de mieux comprendre, comme déjà une voix s’élevait :
« Allons, tu ne sais pas te laver seul ? »
L’enfant sursauta, se retourna, regarda la gueule du lycan, et hocha frénétiquement la tête négativement, avant de commencer à se déshabiller et se plonger, entièrement nu, dans le ruisseau à l’eau fraîche. Là sur le rivage attendait Lapyx, le regard de jaspe clair, et une pile de vêtement. Il devrait donc rejoindre le Mexique, trouver Joaquìn, puis Minha. Minha, pas Rafìel… ça semblait facile, dit comme ça. Ça le serait sans doute bien moins.
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