«T'as l'air pensif. Tu réfléchis à ce que je t'ai dit, à propos de cette interview ? » Tyler claqua sa langue contre son palais dans un tic agacé, ne daignant pas poser ses yeux bruns sur la silhouette de son jeune frère, il porta sa cigarette à ses lèvres comme il s'appuyait sur la balustrade. Son nouvel appartement respirait la lumière : spacieux et ne lésinant guère sur les larges baies vitrées, on percevait derrière la montée en puissance de Tyler une égale montée de gallions. Le quartier chic dont surplombait son imposant balcon en était une preuve de plus ; quelque part il n'y avait pas de justice pour que Carlson hérite d'un si beau loft, quand Lola qui se débattait avec ses idéaux résidait encore dans des locaux plus restreints et moins confortables. Face au mutisme de son aîné, Shawn soupira alors et posa son regard bleu acier sur l'horizon. « Accepte. Pour la troisième fois. Si tu ne le fais pas pour te blanchir de ce surnom à la con que te donnent les tabloïds, fais-le au moins pour toi. On ne viendra plus te demander d'où tu reviens, et si les enfers sont un coin agréable à vivre. » Pensif, Tyler se fit toujours muet, faisant rouler sa cigarette entre ses doigts fins non sans prendre en considération les dires de son frère. Ce dernier prit un regard plus grave, comme il poursuivit avec une teinte fébrile dans la voix. « Et oui... dis-leur que t'es pas Jack l'éventreur. » Enfin, Tyler posa son regard brun sur son jeune frère, lequel plongea ses yeux appréhensifs dans les siens. Shawn n'était pas stupide : comme la famille entière, il n'ignorait pas que l'aîné de la famille était capable de ces boucheries. Seulement chez les Islandais, ce sujet était tabou. Pire encore, Shawn se voilait la face en affirmant que rien n'était vrai. L'auror ne parvenait pas à s'imaginer Tyler en tant que boucher : même dans les mensonges, il le voulait innocent. Percevant tous ces doutes dans les pupilles hésitantes de son cadet, Tyler se redressa alors, souffla un nuage de fumée qui s'envola dans un soupir, puis vint approuver enfin d'un signe de tête. « D'accord, je m'y rendrais. Si tu peux me garder Lucas et Jack, le temps de l'entrevue. » Un fin sourire apparut sur les lèvres de Shawn qui vint donner une tape puissante sur l'épaule de son aîné. Non seulement son frère acceptait enfin l'interview demandé par la Gazette, mais il pouvait de surcroit passer du temps avec ses neveux. « Et tu connais le nom du journaliste qui te mangera à sa sauce ? » « La question est : quel journaliste vont-ils m'envoyer pour que ce ne soit pas moi qui le mange. » Un bref rire s'échappa des lèvres de Shawn qui secoua alors la tête avant de fixer un point invisible au sol : Tyler ne changera jamais.


Rendez-vous dans le hall d'un grand hôtel londonien. Sans doute qu'y organiser une entrevue, au milieu d'une clientèle fourmillant ici et là, était une pseudo sécurité de plus pour le journaliste. Se confronter à celui qu'on pensait être un tueur en série n'avait rien de très rassurant, pas plus que le fait d'être en tête à tête avec un sorcier qui avait cru bon de jouer les macchabées pendant de longues années pour poursuivre une quête obscure. Ce fut non sans plisser son nez de mépris face à toute cette populace richissime que Tyler passa la porte tenue par une employé au dos raidi ; son parfum épicé précédant ses pas lestes, son costume sombre rehaussant l'élégance de son maintien puissant, son regard pénétrant englobant les lieux comme si tout ici lui appartenait. Puis il la vit, pourvue de sa serviette de journaliste, l'air à la fois sérieux et appréhensif. Le sombre jeune homme fronça les sourcils comme il sentit une colère froide s'emparer de lui : bien sûr qu'ils avaient envoyé son ancienne femme, quelle autre personne était plus à même de diriger cette délicate mission qu'une entrevue avec Jack l'éventreur ? Peut-être attendaient-ils des détails croustillants de sa vie, de ceux qui demeurent superflus mais qui font vendre la paperasse. S'approchant de Lola d'un agacement retenu, comprenant bien que cette dernière n'était certes pas là de gaieté de coeur, Tyler passa brièvement une langue vive sur ses lèvres sèches avant de murmurer avec exaspération. « C'est une blague ? » Question rhétorique, bien sûr. Car il était bien loin de trouver la situation hilarante.

Rendez-vous fixé dans un grand hôtel londonien. Lola était prête à l'heure précise comme toujours, cintrée dans un élégant tailleur sur mesure que Talia lui avait dessiné. Elle n'était pas une grande adepte du style BCBG mais le moins qu'on pouvait dire c'était qu'il lui allait comme un gant. Sa serviette sous le bras, tout en elle laisser paraître assurance et force de caractère. Ce n'était pas un petit dictateur pseudo repenti qui allait l'effrayer et bien au contraire, connaissant le mordant de la plume de Lola Almadovar, on pouvait même s'attendre à ce que ce soit elle qui le mange tout cru. Elle n'avait pas été étonnée qu'on lui confie ce dossier à elle puisqu'après tout elle était la plus compétente en politique étrangère. Elle connaissait d'ailleurs son sujet à fond, cela allait sans dire.

Le groom lui ouvrit la porte, avisant sa carte de presse non sans une oeillade intéressée pour le reste de sa personne. Oeillade qui ne lui attira malheureusement qu'un regard noir qui le rappelait à l'ordre. Elle ne venait pas pour se faire compter fleurette mais pour travailler. L'homme s'éclaircit la voit et fit venir la réceptionniste qui annonçait déjà à Lola d'une voix chantante que son rendez-vous était déjà là. Elles discutèrent brièvement des modalités de règlement et de la chambre que Lola avait réservée et fait aménager à sa demande. Il était assez peu probable qu'une journaliste de son envergure reçoive un dictateur sur le moelleux d'un lit. Elle n'était pas du tout le genre à titrer ses chroniques: "confidences sur l'oreiller".

« N'ayez aucune inquiétude, nous avons suivi vos directives à la lettre. Un service de chambre est mis à votre disposition si vous avez besoin de quoique ce soit. Je vous laisse à votre rendez-vous. »
« Je vous r... c'est une blague? »
« C'est une blague ? », doubla la voix de Tyler Carlson qui se tenait là, attendant visiblement lui aussi un... rendez-vous.

Amusant de voir à quel point ils pouvaient se ressembler dans leur réaction même après tout ce temps. Lola fusilla la réceptionniste du regard. Chacun dans leur expression terrible, ils faisaient un couple particulièrement bien assorti mais la réceptionniste n'aurait pas osé le faire remarquer.

« J'espère que c'est une erreur... »
« Je... je vais vérifier ça tout de suite ma... madame. », elle partit se réfugier derrière le registre du comptoir qui stipulait bien M. Tyler Carlson et Madame Lola Almadovar... Carlson.
« Almadovar-Carlson? », si c'était une blague elle était de particulièrement mauvais goût.
« Vous voulez que je joigne la Gazette? », demanda la minuscule voix de la réceptionniste.
« Je vais les tuer... ça ira, enfin... », elle adressa un regard à Tyler, dans l'attente qu'il confirme ou infirme qu'il faisait toujours l'interview.

La première surprise passée, Tyler laissa s'échapper un bref soupir agacé. Ce n'était non pas le fait qu'il se trouve nez à nez avec Lola qui provoquait en lui une telle exaspération, mais le vice du supérieur de cette dernière : conscient qu'elle était l'ancienne Mme Carlson, son patron pensait sans doute que l'ancien mangemort s'y livrerait plus facilement, avec plus de liberté et moins de méfiance. N'écoutant que d'une oreille les piaillements insupportables de la réceptionniste, il ne daigna pas même la regarder, laissant son regard impatient parcourir les lieux. Et le jeune homme de se retourner que sous l'impulsion de la voix étonnée, mais acerbe, de Lola qui s'offusqua d'un : « Almadovar-Carlson? » piqué. Tyler leva son regard au plafond, esquissa une moue irritée, et se tourna vers les deux femmes dans une oeillade brute. « Vous voulez que je joigne la Gazette? » Pour qu'il attende encore ici des heures durant, qu'on ne daigne lui envoyer un journaliste sans doute moins impliqué dans sa vie privée ? Le jeune homme se tut néanmoins : bien qu'irrité et envieux de ne pas laisser la réceptionniste sans châtiment de ses 'crimes' odieux, il se doutait bien que Lola n'allait pas rester sans voix face à ces quelques affronts. Il se dérida néanmoins en un bref rire amusé lorsque cette dernière osa une menace sanglante, mais reprit un regard neutre dès lors qu'il croisa ses pupilles de braise. « Non. Ca m'ira. » Quelques mots concis pour tant de pensées tissées sous le fil de toute cette mascarade, mais Tyler qui ne se trouvait déjà guère ici dans un grand enthousiasme, préférait en finir au plus vite. Et par ailleurs, ce n'était pas tant un mal que la journaliste à proprement parler ne soit Lola : paradoxalement, s'ils avaient vécu des moments intimes ensemble, il la savait capable d'être l'investigatrice la plus neutre de toute la boîte. Se tournant vers la réceptionniste qui frémit alors sous ses prunelles pénétrantes, il l'intima de son seul regard à leur remettre le pass magnétique. La jeune femme s'empressa, souffla de soulagement lorsqu'elle vit l'étrange couple commencer à tourner les talons, et se raidit de nouveau en apercevant l'ombre de Tyler se retourner vers elle. « Apportez votre champagne le plus cher à notre chambre. » « Bien monsieur. » fit-elle timidement, alors que le sombre jeune homme reprit sa marche non sans lancer un complice et souriant « C'est bien ta boîte qui paie, non ? » à Lola.

Tous deux dans l'ascenseur aux reflets bruns et dorés, le silence s'était déjà plus pesant. La proximité forcée peut-être, ou bien l'appréhension dissimulée de l'interrogatoire à venir. Glissant ses mains derrière son dos, ses rétines pénétrantes se faisant un instant absentes, Tyler daigna tout de même entrouvrir les lèvres : « Est-ce qu'une heure te suffira, ou préfères-tu en avoir toute la nuit ? » Léger sourire mutin et séducteur, une voix qui se fait plus onctueuse et enivrante ; c'est l'envie de charmer qui refait surface. Pour le meilleur ou pour le pire.

« Apportez votre champagne le plus cher à notre chambre. »

Lola leva un sourcil. Du Champagne? C'était tout lui ça. Et la réceptionniste de se précipiter, bien obéissante, elle lui aurait baisé les pieds si il avait le serait qu'avancé la chaussures.

« Tsss gusana... », se moqua Lola qui méprisait ce genre de comportement.
« C'est bien ta boîte qui paie, non ? »

Elle répondit sans même s'en rendre compte sur le même registre, retrouvant sans le vouloir cette complicité qui leur était naturelle.

« Un magnum. Et dans des verres en cristal tant que vous y êtes. », compléta-t-elle. « Je regretterai presque de n'avoir pas réservé la suite présidentielle. », siffla-t-elle plus pour elle même cette fois.

Ils se dirigèrent vers l'ascenseur, où le silence retomba sur leurs épaules. Pesant. Elle n'en revenait pas de se trouver là avec lui et regrettait presque le pourri avec qui elle aurait dit passer l'après midi. Ce qui la dérangeait le plus, ce n'était pas tant la présence de Tyler, mais plutôt le fait qu'elle soit loin de lui être désagréable. Le sort s'acharnait à lui montrer à quel point son bonheur dépendait de lui et c'était exaspérant. Pas parce qu'elle était trop fière pour accepter l'idée d'aimer aussi fort, mais parce qu'elle était trop fière pour se rappeler à quel point il était facile pour lui de partir, de tromper et de revenir comme une fleur sans même avoir à se justifier.

« Est-ce qu'une heure te suffira, ou préfères-tu en avoir toute la nuit ? »

Un sourire complice, bien loin de la mine offusquée qu'une autre aurait pu avoir, passa sur ses lèvres. Elle glissa par habitude sa main dans ses longs cheveux avant de répondre:

« Il fut un temps où en une heure on n'aurait eu le temps de rien faire... », elle s'adosse au fond de l'ascenseur, pensive puis finalement...« Une heure me suffira. Il n'est pas question que je leur livre ma vie privée en pâture. D'autant moins que j'avais refusé de faire cette interview. Mais qu'à cela ne tienne. Ils ne vont pas être déçu du voyage... », conclut-elle, un pli terrible sur les lèvres.

Un de ces sourires qui promettaient à la partie d'en face de se faire mettre au tapis en un rien de temps. Elle poussa la porte d'une chambre aménagée en salon cosy. Le champagne les attendait déjà.

« Bien. », elle s'installa dans l'un des fauteuils, plus détendue que si ça avait été quelqu'un d'autre après tout, « Je suppose que tu n'avais pas accepté cette interview pour rien... qu'on se mette tout de suite d'accord sur ce qu'on veut. »

Dans le contexte la phrase pouvait paraître ambigüe mais elle restait strictement professionnelle.

Le moment de complicité ne dura qu'un bref instant ; cela aurait été naïf et illusoire de le voir s'étendre sur de longues minutes. La distance polie s'érigea très vite entre les deux protagonistes de cette nouvelle histoire dont ils ignoraient l'issue, car bientôt Lola en vint à cette interview qu'on lui avait fourré dans les jambes sans qu'elle n'en demande rien. Tyler, taciturne quant aux revendications légitimes de la belle hispanique et à ses éventuelles menaces, se contenta d'acquiescer d'un imperceptible hochement de tête. Il demeurait d'accord avec la belle, mais au final ce n'était pas son problème. Du moins, ce ne l'était plus. Il leur fallait à présent apprendre à composer séparément, et à ne pas intervenir dans la vie de l'autre. Pour le moment, tout se passait plus ou moins bien à la surface : mais s'investir mutuellement dans les problèmes personnels, en viendrait bientôt à s'évoquer les nouveaux amants. Que se passerait-il lorsque Tyler se serait trouvé nouvelle demoiselle à son bras, et Lola nouveau gentleman à chérir ? Mieux valait éviter non seulement la question, mais encore plus les pensées, qui pouvaient attiser la jalousie. En l'instant, ils se contentait de vivre au présent, investissant alors la sublime chambre ainsi payée aux frais de la maison. Le jeune homme laissa son aura sombre pénétrer les lieux, posant son regard fauve sur le moindre détail, le moindre bibelot, la moindre faille persistante dans cette chambre suintant le faste et le luxe. Enfin, l'examen rigoureusement passé, il se tourna vers une Lola déjà assise, et croisant les jambes avec une grâce et aisance. « Bien. » Tyler déjà, se dirigeait vers la petite table préposée au champagne, ôta la bouteille fraîche de son lit de métal, et fit sauter le bouchon dans un 'plop' sourd et d'une main assurée. La boisson dorée coula à flot dans les magnifiques verres de cristal, quand d'une posture assurée voire arrogante, il en servit deux coupes. Toujours taciturne mais attentif aux dires de Lola, Tyler en tendit une à la belle non sans un bref regard échangé, s'empara de la sienne et imposa une distance nécessaire. Lui tournant alors le dos, il porta le verre à ses lèvres, tout en lui prêtant une oreille intéressée. « Je suppose que tu n'avais pas accepté cette interview pour rien... qu'on se mette tout de suite d'accord sur ce qu'on veut. » « Je ne suis pas venu pour moi, je suis venu pour mon frère. » Et Tyler de se retourner d'un aplomb charmeur et sûr, dardant Lola d'un regard sérieux. « Il est inquiet. » continua-t-il dans un froncement de sourcils, avant de se diriger vers le fauteuil faisant face à son ancienne amante.

Tyler y prit place avec aisance, posa son verre sur la table basse, et s'élança dans un monologue piqué de cynisme, de sérieux, et de légèreté arrogante. « Voilà donc ce que je veux : évoquer bien sûr mon retour pour ne plus avoir à me farcir à longueur de temps les commères qui ne jurent que par les potins, parler à la surface de ces trois années d'errance que j'ai passé tout en accentuant sur le mot 'confidentiel' que je pourrais te confier... Cela insinue que je ne te donnerais aucune information supplémentaire si je le refuse, et que toute question ambiguë pour tenter de me piéger est à bannir. Tu peux si tu le souhaites parler de ma 'terrible' enfance - dires ironiques bien sûr - si tu veux combler les trous, puisque parait-il, le pseudo drame se vend assez bien dans les journaux. Après les histoires de coeur et de tromperie, j'entends. » Une légère pause après son discours soufflé d'une voix suave et d'un timbre égrainé, alors qu'il tirait une cigarette d'un paquet enfoui dans sa poche, l'allumant sans préavis une fois logée au coin des lèvres. Dans un nuage de fumée grisâtre, le dandy sombre reprit avec délectation. « … et blablabla. Ensuite. » Et c'est alors qu'il reposa son regard ferme sur Lola, comme exigeant la suite avec minutie. « Je veux qu'on évoque le fait qu'il n'est pas question de m'assimiler à un quelconque éventreur. » Ou comment imposer à Lola de dépeindre sa pseudo innocence. Tyler arqua les sourcils, dans l'attente des réponses à ses conditions.

Lola suivait son ex-mari du regard avec cet air naturellement à l'aise et sûr d'elle qu'elle avait quand elle s'attelait à un article. Il n'était pas dans ses habitudes de prendre en compte les désidératas des un et des autres puisqu'elle était rarement amenée à pratiquer un journalisme de cancan, style qu'elle détestait par dessus tout, même pour ses lectures.

« Je vois. », conclut-elle comme pour marquer qu'elle avait pris note de ce qu'il venait de dire,« … je ne vais pas te mentir, ta crédibilité ne va tenir qu'à ce que j'arriverai à faire de notre entrevue et encore, mon nom te discrédite d'entrée. Si on arrive à accrocher quelqu'un d'autre que la ménagère de moins de 50 ans, l'adolescente en mal d'amour et l'auror moyen on aura de la chance. J'aurais bien signé l'article sous un autre pseudo mais ça ne passera pas à la direction. En gros c'est foutu. Ce qu'ils veulent savoir de toi c'est exactement tout ce que moi je ne veux pas savoir, traduction: que fait Tyler Carlson de sa nouvelle vie, a-t-il de nouvelles fréquentations, a-t-il.... », elle s'éclaircit la voix, résistant fortement à la tentation d'écarter ce point-là, « …trouvé la femme idéale?... L'info a filtré malgré mes efforts et il semblerait qu'à part moi tout le monde veuille savoir qui est la nouvelle future madame Tyler Carlson. »

Elle détourna le regard, agacée rien qu'à l'idée d'avoir à aborder ce sujet. Elle se débrouillerait pour ne pas avoir à le faire. Rien que l'idée qu'une autre femme, et Dieu savait qu'il ne l'avait pas trompée qu'une fois depuis qu'ils se connaissaient, puisse le serrer dans ses bras, s'endormir sur son épaule, se réveiller près de lui... elle enrageait intérieurement et cette façon qu'elle avait de faire tourner son alliance autour de son annulaire le trahissait. Comme si quelque part, c'était encore un petit peu sa place à elle, dans ses bras. C'était aussi typiquement le genre de pensée qui ne l'aidait pas à être objective ni à ne pas repenser au pourquoi du comment ils en étaient arrivés là. En guise de piqûre de rappel. Quelque chose comme ça.

Pire encore, imaginer une autre jouer les mères de substitution auprès de ses fils... et ce serait elle qu'on surnommerait Jack l'Eventreur dans peu de temps.

« … et une dernière chose. », reprit-elle, toujours aussi apparemment calme, « Ne me mets pas en position de devoir mentir, tu sais à quel point j'ai horreur de ça. Alors quand on parlera de Jack l'Eventreur, ne me dit rien qui m'oblige à le faire.. »

Bien sûr qu'elle mentirait si il lui avouait de but en blanc qu'il était effectivement Jack l'Eventreur, ce dont entre nous elle ne doutait pas vraiment. Elle avait toujours été plutôt lucide en ce qui concernait son ex-mari. Autrefois elle l'aurait peut-être jeté en pâture à la justice, parce que justement elle ne concevait pas de mentir, mais aujourd'hui ils avaient deux petits garçons qui n'auraient pas supporté ni compris qu'on leur enlève encore leur père. Regard entendu. Elle posa son calepin sur ses genoux et sa plume à papote s'agitait déjà avec impatience.

« La plupart des regards son braqué sur toi depuis ton retour et même avant tu as toujours donné l'image d'un gentleman qui savait aussi bien s'entourer de mystère, que séduire et attirer sur lui toutes les lumières. Qu'est-ce qui se cache derrière Tyler Carlson? Est-ce qu'il y a une seule personne au monde qui puisse se vanter de te connaître vraiment? »

Ce n'était pas une question que Lola aurait vraiment posée. C'était celle à laquelle une flopée de gens auraient voulu une réponse. Elle, l'avait déjà mais il ne lui appartenait pas de répondre à la place de son ex-mari. L'exercice lui paraissait déjà pesant et ridicule mais soit, puisqu'il fallait s'y plier.
Ses beaux yeux noirs le détaillaient comme si par leur seul regard ils avaient pu le contenir lui, Tyler Carlson, tout entier, comme autrefois elle l'avait serré contre son coeur, contre son corps avec ce feu et cette tendresse qui n'appartenait qu'à elle. Un autre n'aurait sans doute pas pu soutenir un tel regard quoiqu'il fut en réalité dépourvu du moindre sous entendu.

Ainsi exposèrent-ils leurs attendus et imposèrent leurs conditions. Tyler, prenant ses aises dans un fauteuil luxueux, sa cigarette tournant tantôt entre ses doigts fins, tantôt posée nonchalamment entre ses lèvres blêmes, le regard pénétrant, la mine pâle mais l'aura puissante voire foudroyante. Et Lola, aussi professionnelle qu'elle le pouvait, femme des temps modernes dont la moue assurée n'était plus celui de l'ancienne épouse, mais bien de la journaliste. Ils avaient toujours su composer différemment lorsqu'il fallait investir un champ de bataille, et savaient comment se voir sans se reconnaître vraiment lorsqu'il le fallait, lorsque c'était vital. C'était ainsi qu'ils étaient parvenus à faire la part des choses, lorsqu'il s'agissait de leurs différends. Lui mangemort, elle membre de l'Ordre. Et pourtant amants tendres et aimants dès lors qu'ils s'enfermaient dans leur cocon protecteur prénommé maison. « Ce qu'ils veulent savoir de toi c'est exactement tout ce que moi je ne veux pas savoir, traduction: que fait Tyler Carlson de sa nouvelle vie, a-t-il de nouvelles fréquentations, a-t-il…trouvé la femme idéale?... L'info a filtré malgré mes efforts et il semblerait qu'à part moi tout le monde veuille savoir qui est la nouvelle future madame Tyler Carlson. » Il put percevoir bien sûr les quelques trémolos plus ou moins contrôlés dans la voix de Lola, sans pour autant y trouver quelconque plaisir ou satisfaction. Bien sûr que Tyler en aurait retiré une jouissance sadique et aurait ainsi joué avec les nerfs de la belle à ce sujet, s'ils s'étaient mené une guerre sanglante. Mais la bataille dans laquelle ils s'étaient investis était diplomate, consciente, et entre adultes. Il n'était pas question de puérilité car deux enfants étaient en jeu : il était question de régler le problème avec tout le flegme dont ils pouvaient faire preuve. Pour la première fois de sa vie, Tyler agissait non seulement en adulte responsable, mais agissait pour autrui ; ses enfants. Serrant la mâchoire dans un élan de frustration légère, il cherchait quelques mots qui ne venaient pas : plus par pudeur des sentiments qu'autre chose. Fallait-il lui dire dès maintenant qu'il n'y avait personne et ainsi ils pouvaient faire fi de ce sujet stérile, ou bien aller droit au but et lui avouer aussitôt que ce genre de sujet l'agaçait au plus haut point. Tyler n'ignorait pas néanmoins que Lola était consciente de ce dernier fait. Hochant négativement la tête d'un geste imperceptible, il alla rétorquer quelque chose, quand la jeune femme le coupa pour s'avancer sur un autre terrain : Jack l'éventreur. Il acquiesça alors d'un bref signe de tête irrité, et enfin, l'interview pouvait commencer.

La première question demeurait néanmoins déconcertante, mais le sombre sorcier n'en attendait guère plus de Lola. Il se redressa, posa son regard mutin mais absent sur un point invisible, souffla avec lenteur un nuage de fumée, et enfin esquissa un sourire affamé comme il reposa ses rétines fauves sur la belle hispanique. « Avant mon départ, j'aurais répondu un ferme 'oui' sans hésitation. Mais aujourd'hui tout est différent. Et honnêtement, personne ne peut prétendre connaître véritablement une personne, à moins de faire son introspection à sa place. Question suivante. » ajouta le jeune homme non sans arquer les sourcils d'une insolence rare : Tyler Carlson semblait déjà vouloir en finir au plus vite. En réalité, passer cette interview avec son ancienne amante avait quelque chose de presque... dénaturé.

La réponse de Tyler fut telle qu'elle l'attendait. Net, un brin cassante. Elle ne s'étala pas pour autant car elle ne regardait qu'à la fin de cette interview dont le principe même était grotesque. Lui posait à lui ces questions qu'elle adressait à des étrangers... non seulement c'était ridicule, intrusif mais en plus cela ne faisait que renforcer ce sentiment que tout s'étiolait entre eux. Alors quoi? Jeter la plume et lui dire que tout simplement elle l'aimait toujours autant mais qu'il avait brisé sa confiance? Non. Pas par fierté, pas seulement. Il y avait leurs enfants au milieu. Pas question qu'ils fassent les frais de leurs affrontements et d'ailleurs, remarquez comme Tyler aussi semblait changé sur ce point. Il se dominait admirablement bien, ne cédant pas à la tentation de la faire souffrir et, quoiqu'on en dise, elle doutait que ce fut uniquement parce qu'elle n'avait pas mérité un tel sort.

« Bon. Tu prends toujours la même chose au petit dej'? Ne pose pas de questions on va accélérer jusqu'à mes trois dernières questions... Donc déjeuner? Un truc qui te tient à coeur? Ton avis sur la politique actuelle? Ton avis sur Jack L'Eventreur - choisi bien tes mots et développe. »

Elle attendit qu'il réponde, sa plume grattant toujours aussi nerveusement à côté d'elle. Elle relisait d'un oeil, comme pour être sûre. Ses réponses elle les connaissait, plus ou moins au mot. Tout comme les expressions de son visage qu'elle ne regardait pas mais devinait avec certitude.

« Je te libère dans trois questions. » , annonça-t-elle en jetant un coup d'oeil à sa montre.

Elle savait pertinemment qu'une part d'elle-même, celle qui dominait toujours en sa présence, voudrait s'attarder, s'attacher à lui. L'autre, la raison, lui dictait de ne pas s'éterniser et à regarder Tyler, lui non plus ne semblait pas vouloir y passer la journée. Quels ex-époux se séparent pour passer plus de temps ensemble? Aucun. C'était bien là le problème.

La patience du jeune homme s'effritait au rythme des aiguilles de l'horloge murale. Sentant que les questions personnelles s'annonçaient de mauvais augure, ce tête à tête qu'ils s'imposaient, cette chambre aux murs oppressants qui les rappelaient à leur condition d'amants séparés, insufflaient une colère froide dans le sang jusque là calme du sorcier. Une table basse posée entre les deux fauteuils semblait être la barrière concrète, mais le fossé se creusait au rythme de leur joute verbale. Et cette colère qui embrasait Tyler d'une flamme enfiellée, contre Lola dont les sentiments pour lui n'étaient plus, contre ce journal qu'il maudissait aujourd'hui, contre Shawn aussi l'ayant convaincu de s'y rendre, même contre cette tapisserie immonde teintée d'un ocre imitant pathétiquement quelques dorures surfaites. Contre tout, et contre tout le monde, mais jamais contre lui-même ; cela ne lui effleura pas même l'esprit. « Bon. Tu prends toujours la même chose au petit dej'? Ne pose pas de questions on va accélérer jusqu'à mes trois dernières questions... Donc déjeuner? Un truc qui te tient à coeur? Ton avis sur la politique actuelle? Ton avis sur Jack L'Eventreur - choisi bien tes mots et développe. » Et il la toisa d'un oeil assassin, gardant sa rancoeur pour lui car elle demeurait bien plus personnelle qu'inhérente à cette entrevue, et pourtant il la sentait battre ses tempes d'une pulsion vive. Tyler se pencha, taciturne, pour écraser sa cigarette dans le cendrier posé près de son verre, puis se redressa non sans irradier d'une aura sombre. « Es-tu en train d'insinuer que je ne sais pas m'exprimer correctement ? » Bien sûr que les sentiments personnels devaient tôt ou tard prendre le dessus sur le reste sur ce semblant de professionnalisme dont ils devaient faire preuve. La rancoeur, la colère, l'incompréhension de Tyler vis à vis de leur couple ébréché, avaient des répercussions sur l'interview. Le jeune homme fut piqué là où il n'y avait pas d'attaque, quand bien même il tentait de garder son calme. Les derniers mots de Lola eurent tôt fait de le dissuader de monter d'un ton : cette mascarade prenait bientôt fin... Si toutefois Tyler ne décidait pas soudainement de se lever sans préavis et de quitter la chambre face à une question qui lui déplaisait. Le démon qui l'habitait le sommait de procéder ainsi. Inspirant une bouffée d'air, il tenta de décrisper sa mâchoire en vain, glissant ses yeux sombres ailleurs. Ailleurs, mais pas sur Lola. « Je n'ai rien qui me tient à coeur. » Et ses yeux fauves de croiser vivement ceux de celle qu'il ne voulait pourtant pas toiser, et qui n'ignorait pas que c'était un mensonge. Ce à quoi Carlson se contenta de parler non à la journaliste, mais à son ancienne amante, son ancienne épouse, son ancien tout. Elle seule pouvait comprendre. « Ne t'attends pas à ce que je divulgue mes faiblesses à mes détracteurs. » Jack et Lucas. Quand bien même il les avait laissés, il subsistait en Tyler cet instinct fougueux, tel un loup enragé prêt à mordre et déchiqueter les corps de ceux qui viendraient s'en prendre à eux. Alors Tyler tenta de se radoucir, passa à la deuxième question, essaya de développer. En vain. « Quant à la politique actuelle, j'approuve les décrets ministériels. De l'ordre, de la discipline et de la lucidité n'ont jamais fait de tort à personne. » Légère pause, et Tyler opta volontairement pour ne pas aller plus loin. Il s'agissait d'une interview, et non d'un roman à rédiger. « L'éventreur... N'est qu'un psychopathe qui hante les rues de Londres. Mais contrairement à son prédécesseur, il ne s'attaque pas aux prostituées. Il n'a pas un type de victime spécifique, et je doute pourtant qu'il frappe au hasard. Il se permet de jouer de la terreur environnante pour desservir sa cause. A savoir laquelle... Je ne suis pas expert en psychopathologie... » Une voix qui se fait plus calme et posée à mesure qu'il énonce suavement ses propos, un regard à la fois lointain et absent, le pouce jouant distraitement avec le majeur quand Tyler semble transporté par ses propres dires. Il est soudain calme et étrangement apaisé. Des images terribles, souvenir de sang et de cris, semblent s'approprier ses yeux bruns brillant furtivement de quelques flammes impétueuses. Regard qu'il pose vivement sur Lola, tel un prédateur aux aguets. Puis il sourit, d'un rictus à faire froid dans le dos, et l'invite à continuer.

Elle le voit osciller entre l'une et l'autre humeur. Tantôt au bord de la rupture, elle redoute qu'il s'emporte, parce que s'il ne tient pas, elle s'emportera elle aussi. Parce qu'en elle, tout feu tout flamme, la fournaise griffait les murs de sa cage de chair et de sang, prête à faire un carnage. Pas par haine mais par pure catharsis. Besoin de mêler cris et phrases assassines à celles de son ex-mari qui se tenait en face d'elle, comme dans la simulation d'une étreinte physique qu'ils ne pouvaient plus se donner. Par sa faute à elle? Peut-être. Pas seulement. Sans doute ne pouvait-elle pas dire qu'il n'était pas revenu vers elle, qu'il n'avait pas ouvert la porte. Mais après tout ce temps, après tout le reste? Etait-elle coupable d'avoir laisser s'insinuer ce froid qui les rendez fous? Oui et non, car enfin, là aussi... il fallait être deux.

« Es-tu en train d'insinuer que je ne sais pas m'exprimer correctement ? »

Et voilà qu'ils ne pouvaient plus rien se dire. Lola détourna le regard, clairement agacée mais elle ne souhaitait pas en remettre une couche. Mordillant l'ongle de son pouce pour ne rien dire, elle laissa passer un petit moment. Inutile de préciser que ça n'avait été là qu'une indication stratégique. L'instant d'avant, fasse à un même ennemi, ils retrouvaient leur complicité, mais là, seuls entre quatre murs, ils étouffaient, ils n'aspiraient qu'à se faire mal. Qu'à se blesser pour au moins s'être touché. Si ce n'était pas avec tendresse et amour alors que ce soit violent, terrible, mais bon sang: que ce soit!

« Je n'ai rien qui me tient à coeur. »
Mensonge.
« Ne t'attends pas à ce que je divulgue mes faiblesses à mes détracteurs. »
Tes faiblesses sont aussi les miennes. Nous avons là un intérêt commun...
« Quant à la politique actuelle, j'approuve les décrets ministériels. De l'ordre, de la discipline et de la lucidité n'ont jamais fait de tort à personne. »
On s'en serait douté. Mais elle ne dit toujours rien. Note scrupuleusement ses réponses en se disant qu'elle n'en tirera rien et qu'elle y passera la nuit, en tête à tête avec toute la froideur lapidaire de Tyler...

Oui. En fin de compte il ne la quittait jamais. C'était sans doute ça le plus terrible. Elle fronçait les sourcils sans vraiment le vouloir, signe d'une grande contrariété mais elle ne l'interrompait toujours pas. Quand il aborda enfin la question de l'Eventreur, elle reconnut cet air si particulier qui lui avait valu le surnom. Cet air qui lui allait comme un gant et qui rappelait sans doute, à quel point il pouvait être dangereux. Mais ça ne l'impressionnait pas. Ca ne l'avait jamais impressionnée elle, la petite latino qui n'avait jamais appris à baisser le regard ni à trembler devant un homme. Les seules fois où elle avait véritablement tremblé c'était entre ses bras, sous ses baisers, sous son charme, mais ça n'avait jamais été que par amour. Ou par folie dirait-on.

« L'ombre de l'Eventreur te pèse au quotidien? J'imagine que ce ne doit pas être le genre de réputation dont on se vante, surtout lorsqu'on est innocent... », inutile de dire qu'elle ne croyait toujours pas à son innocence. Mais à cet instant, seul l'envie de partir compter. S'échapper de ce huis clos insoutenable... l'enfer ce n'était pas les autres. C'était eux. C'était cette table entre eux qui ne se faisait que le représentant du mur invisible qui les séparait, « Dernière question, quel genre de châtiment estime-tu que ce genre d'homme mérite? »

Etait-ce une vraie question ou bien un sous entendu fleurissant de frustration et de reproches? Il fallait que ça se termine, vite. Maintenant. Tout de suite. Avant qu'ils ne s'entretuent. Elle prit sa réponse en note, et annonça qu'elle le libérait. Sur quoi, elle se leva et lui souhaita malgré tout un bon weekend. Suite à quoi elle quitta la chambre et transplana, volatile, dangereuse aussi... ce n'est qu'arrivée dans son appartement terriblement vide, qu'elle sentit la pression retomber pour céder la place à ce vague à l'âme qui lui était devenu si familier.


« Onc' Shawn! Onc' Shaaaawn!! »

Le petit Jack courrait partout, une veste en cuir un peu élimée et surtout dix fois trop grande pour lui, flottant comme une cape sur ses petites épaules. L'enfant riait aux éclats visiblement très fier de lui. Il avait encore réussi à subtiliser la veste de Diego, que sa mère avant pourtant placée hors d'atteinte, dans la pile de linge propre. Mais un vrai héros ne pouvait pas sortir sans sa cape! Même pas pour aller chez son père...
Assis près de Shawn, attendant le retour de leur père, Lucas observait son petit frère avec un large sourire chafouin aux lèvres. L'enfant avait déjà une idée derrière la tête et bien entendu, Jack allait être son associé du mal pour mener à bien leur projet commun.

Comprenez bien, ces deux enfants là avaient toujours grandi entourés d'amour, dans de grandes familles très unis, quasiment inséparables. Ils ne leur avaient manqué que leur père mais maintenant qu'il était de retour, on essayait de leur faire croire qu'ils allaient continuer à faire la navette entre papa et maman comme ça longtemps. Ils ne le concevaient pas. Perspicaces, comme leurs parents, malgré leur jeune âge, ils avaient décidés que ça ne se passerait pas comme ça. Et ils allaient y travailler dur, à efforts joints et concentrés.

Stoïque, la jeune femme demeurait professionnelle face à un Tyler aux réponses sèches et tranchantes. Elle tentait de conserver une certaine neutralité sur son visage impassible, alors qu'en leur sein se débattaient les démons de leurs idéaux qui n'aspiraient qu'à s'affronter, prisonniers de leurs enveloppes corporelles. Tyler ne désira pas s'attarder sur les questions accrochant sa vie privée : c'était la porte ouverte à tous ses ennemis, leur tendre les poignets et leur demander d'une politesse forcée de l'amener à Azkaban. C'était aussi risquer les représailles sur ce qu'il pouvait avoir de plus cher : toute sa vie, Tyler avait poursuivi la quête de l'invulnérabilité. Enfermant ses sentiments, refusant l'empathie, passant outre l'attache aux autres personnes pour se concentrer sur ses idéaux. Puis ce qu'il avait construit s'était envolé tel un château de cartes ; cette porte blindée qu'il avait érigée n'était plus. Abolie par la chair de sa chair, son sang, sa faiblesse. Par ceux pour qui il pourrait commettre les crimes bouchers les plus ignobles si l'on venait à les attaquer. Alors il éclipsa ces quelques questions, et ne s'attarda que sur les opinions personnelles. Opinions qui ne semblèrent pas troubler Lola puisque cette dernière n'arqua pas même un sourcil. Impassible. Voilà où ils en étaient rendu ; dans une pseudo histoire défunte où l'indifférence régnait. Même au début de leur relation, lorsque tout les opposait mais qu'ils ne se connaissaient pas encore, cette placidité froide n'avait jamais eu lieu d'être. « L'ombre de l'Eventreur te pèse au quotidien? J'imagine que ce ne doit pas être le genre de réputation dont on se vante, surtout lorsqu'on est innocent... » Il tiqua, tenta de dévisager Lola à la recherche d'une quelconque moue la trahissant. A savoir s'il s'agissait d'une véritable question, de la journaliste neutre à l'intéressé, ou une provocation piquant son coeur. Le regard de Tyler vint se durcir, persuadé que la jeune femme lui lançait quelques attaques déguisées. Aussi sa voix déjà polaire se fit plus implacable encore, mauvaise mais posée. Ils ne se connaissaient plus. « M'as-tu déjà entendu me vanter ? » un sifflement agacé comme il se redresse, et estime que ces inepties doivent en finir au plus vite. « Je me fiche de ce que les gens disent, si la populace ne connaît pas la notion de présomption d'innocence, alors je les plains de se penser un tant soit peu intelligents alors qu'ils sont d'une crédulité écoeurante. » Voilà qui avait le mérite d'être clair, et qui annonçait les festivités hostiles ; fort heureusement l'entrevue touchait à sa fin, et la voix de Lola résonna une dernière fois. « Dernière question, quel genre de châtiment estime-tu que ce genre d'homme mérite? » Un bref rire jaune s'échappa des lèvres de Tyler, qui vint contenir sa rage une fois de plus. Les flammes dansantes dans l'alcôve de ses yeux bruns trahissaient pourtant cette colère noire qui fourmillait jusqu'à l'extrémité de ses doigts. Lola le provoquait, insinuant quelques reproches personnelles en son attitude, incapable de les lui dire en face. Alors il raidit sa mâchoire, conserva son timbre suave et posé, puis continua d'un flegme contrôlé : « S'il nous débarrasse des indésirables, alors il ne mérite que la reconnaissance. » Des paroles nettes et tranchantes, inutile d'aller plus loin. Lola se leva alors, feinta la politesse en lui souhaitant un bon week end et partit aussitôt. Laissant derrière elle un Tyler sceptique, entre l'agacement et la mauvaise foi. Qu'à cela ne tienne, quelques minutes plus tard la jeune femme de la réception vint toquer quelques coups réservés. Ce fut un Tyler souriant, le regard affamé, qui vint accueillir la jeune indiscrète.


« Enfin, te voilà ! Alors ?  » La voix de Shawn résonna alors même qu'il venait de passer le seuil. Tyler s'avança d'un pas assuré, non sans esquiver le jeune Jack déambulant dans le vaste salon tout en déployant ses bras pour mieux brasser de l'air sans doute... Le regard brun du jeune père se posa sur l'enfant d'une moue amusée, tiqua quant à la veste qu'il avait sur le dos sans relever quoique ce soit pour autant, et ôta la sienne propre qu'il posa sur une chaise dans un soupir. « La journaliste en question, c'était Lola. » Le regard mordoré de Lucas écoutant attentivement la discussion, se braqua sur son père qui n'y fit pas attention. Ce dernier esquissa une brève moue agacée tandis que Shawn passa une main sur son front blême. « Tu parles d'une surprise... Comment ça s'est passé ? » « On a jugé bon de ne pas s'attarder sur ma vie sentimentale. En bref, tous les détails superflus qui font que ces papiers se vendent car leurs lecteurs ont une vie assez pathétique pour se substituer à une autre. » « Je vois... Et alors, tu vois quelqu'un ? » Un sourire taquin se dessina sur les lèvres de Shawn, bien vite effacé par le regard froid de Tyler qui le rappela à l'ordre. Derrière eux, les enfants semblaient suivre attentivement le débat ; par ailleurs le jeune Lucas ne tarda pas à sauter du canapé pour trottiner vers son père et le toiser de ses yeux profonds et sérieux. « 'Man, elle voit quelqu'un. » Ou comment jeter un malaise glaçant.

« Je vois... Et alors, tu vois quelqu'un ? »

Le petit Jack se figea sur place, fusillant son oncle du regard comme s'il venait de jeter la pire des insultes. La lourde veste en cuir de Diego retomba sur le sol, perdant de sa magie dans un froissement de cuir. Il fallait dire que l'idée que son père puisse aimait une autre personne que sa mère ne l'avait même pas effleuré. Il lui semblait tellement évident qu'aux yeux de son père il ne pouvait y avoir qu'une seule et unique femme au monde: sa mère. Normal puisqu'elle, elle l'aimait et qu'elle l'avait aimé même quand il n'était pas là. Même quand leur grand père maudissait le mari absent de sa fille. Et combien de fois les avaient-ils vu défendre leur père? Trop de fois. Pour Jack l'absence de réciprocité dans les sentiments n'étaient pas encore une notion intégrée. Elle n'était même pas présente au stade de l'idée. Il comprenait simplement que ses parents étaient fâchés, du moins surtout sa mère puisqu'il apprenait seulement à connaître son père.

Le cadet Carlson suivit son frère du regard sachant pertinemment ce qu'il allait dire puisqu'ils s'étaient mis d'accord à l'avance. C'était Lucas qui dirigeait les opérations, Jack ne ferait que suivre et agrémenter l'histoire de quelques commentaires utiles. Il n'était même pas obligé de mentir. Son aîné s'en chargerait.

« 'Man, elle voit quelqu'un. »
« Et même que papy il aimerait bien qu'elle se marie avec lui. Il arrête pas de le dire. Tout le temps. Et papy ce qu'il dit ça se réalise toujours pour de vrai. »

Ce qui n'était pas un mensonge. Il avait souvent entendu son grand père jeter des "si tu épousais Diego", ou encore "Diego au moins..." Un petit air contrarié s'installa sur l'adorable bouille du petit garçon, comme il regardait son père avec insistance lui aussi. Comme si quelque part il lui disait déjà qu'il ne voulait surtout pas que les choses se passent comme ça. Qu'il fallait qu'il soit son héros à lui et qu'il empêche tout ça.

La tension se faisait palpable sous le joug des aveux des jeunes garçons. L'un restait stoïque, son regard brun et impassible posé sur son père pourtant ténébreux. Lucas surprenait par sa ressemblance frappante d'avec Tyler : cette même manie de soutenir le regard, de se l'approprier, de fixer d'une intensité déstabilisante et profonde. Puis ce teint plus pâle que son jeune frère, ce réflexe de plisser le front lorsque la frustration se faisait sentir, cet automatisme incontrôlé de raidir la mâchoire avant toute irruption de colère. Et ce flegme, déjà soufflant pour son âge, accentué par ses yeux charbonneux et ses brefs sourires qui n'étaient pas tant enfantins... Jack vint se figer à ses côtés ; l'air plus mutin, l'oeil plus candide et la peau plus hâlée. Il avait hérité du teint de miel de sa mère autant que de son aura plus lumineuse, de ce fait l'enfant se mettait constamment en retrait de son aîné. Plus imposant, plus impressionnant également, oserait-on dire plus sombre. L'ancien mangemort les darda d'un regard d'abord décontenancé, ne s'attendant guère à ces aveux si impromptus. Puis la suspicion vint luire en ses prunelles brunes, vite balayée par des éclairs assassins. « Et même que papy il aimerait bien qu'elle se marie avec lui. Il arrête pas de le dire. Tout le temps. Et papy ce qu'il dit ça se réalise toujours pour de vrai. » Shawn se redressa, dardant d'un regard appréhensif son aîné, duquel il redoutait la réaction. En effet, Tyler vint s'assombrir soudainement, ses yeux incandescents brûlant d'une jalousie terrible et pourtant retenue, tel un fauve en cage. Furtivement, il toisa la veste de Diego avec dédain, venant vite à en conclure quelques rapprochements faciles, mais si logiques. Sa mâchoire carrée vint raidir ses traits bruts pourtant si raffinés, quand il se redressa sans jamais cesser de toiser le petit Jack. Un sourire alors, sournois et à la fois vicieusement complice, se dessina sur ses lèvres sanguines. Et sa voix suave s'éleva, légère comme un murmure, tranchante comme la lame d'un bourreau, incisive comme l'acide. « Pas dans mon monde. » Ainsi les jeux étaient faits : Lola recevrait bientôt les foudres pleines de reproche d'un Tyler qui pourtant n'avait pas son mot à dire... Mais les affres de la jalousie, trop puissants pour être surmontés, brûlaient en lui tel un feu scabreux. La guerre froide venaient de se muer en des offensives qui s'avéraient tourmentées.