Le Mexique avait mis une prime sur la tête de Lola Almadovar. Il y avait quelques années déjà qu'elle était interdite de séjour sous peine de mort mais la nouvelle de cette mise à jour de son statu l'avait malgré tout fait sourire. Même interdite de séjour ses articles arrivaient toujours à destination. C'était une des rares choses qui parvenait encore à tirer de francs sourires à la jolie mexicaine. Si elle portait encore et toujours sur elle cette odeur sucrée de sable chaud, si sa peau criait à qui voulait l'entendre son amour au soleil que les aztèques avaient autrefois vénéré, son coeur était devenu froid et il battait sa coulpe en silence, répétant la même oraison silencieuse à un amour qu'elle avait perdu pour toujours et qu'elle ne pouvait de toute manière plus appeler mon amour. Elle s'était endurcie pour ne pas sombrer dans la mélancolie. Elle n'aurait pas pu se le permettre de toute manière car elle avait deux enfants à veiller et à faire grandir à l'ombre d'une absence qui tenait tout d'un trou noir dans leur petite vie qui aurait pu (aurait dû?) être sans soucis.

Mais Lola ne s'était jamais plainte. Elle avait continué de sourire par principe, et parce que baisser les bras n'était pas une option possible, ni même envisageable. Elle s'était attiré quelques ennuis comme toujours mais elle s'en était sortie et ce jour-là, elle était venue jusqu'en Angleterre voir de ses yeux ce qui s'y passait. Elle ne doutait pas que Yon ait pensé à tout, et qu'il avait même déjà le moyen d'écraser toute forme de rébellion mais ça, ça n'allait pas l'empêcher de venir grossir les rangs de l'Ordre du Phoenix s'il le fallait. Mais pour l'heure elle était surtout là pour garder un oeil sur son petit frère.

Lola poussa la porte du chaudron baveur. Un sourire attendrit passa sur ses lèvres en se rappelant la première fois qu'elle avait revu Tyler. C'était ici. Entre un Miguel et un Diego ostensiblement contre lui. Ca avait été le début de quelque chose. Sans s'en rendre compte, plutôt par habitude d'ailleurs, Lola balaya la salle du regard puis ses yeux s'arrêtèrent sur une jeune fille qui la regardait. Son coeur se serra et elle resta là à l'observer longuement, presque interdite.

La colère n'avait plus lieu d'être. Elle était morte sur les lèvres de Yon Winchester, le jour où, oiseau de mauvais augure, il avait apporté la nouvelle de la mort de Tyler. Lola serra les dents un instant, sans réelle animosité. Etait-ce là tout ce qu'il lui restait de cet homme qui avait occupé toute la place dans sa vie et qui l'avait dévorée de l'intérieur jusqu'à ce qu'il ne reste d'elle plus qu'un brasier avide de le serrer à son tour? Deux petits garçons pleins de questions et de bagarres et une fille aux allures de nymphe, presque irréelle derrière ses yeux qui se réfugiaient dans les lignes d'un livre de cours... une enfant, ou presque aux yeux de Lola. Une enfant dont elle ne savait presque rien, sinon qu'à un moment leur chemin c'était croisé pour le pire et qu'elle en avait souffert bien plus qu'elle n'avait voulu le montrer. Elle était fière Lola. La fierté des Almadovar dans le sang, elle se faisait un rempart de ses yeux noirs, une lance de sa langue qui roulait encore les r quand elle était en colère.

Elle détourna le regard pour se diriger vers le comptoir où elle commanda un café bien noir, sans sucre. Et comme elle allait y tremper les lèvres, ses doigts jouant nerveusement sur la céramique blanche, une idée faisait son chemin aussi sûrement que la peste dans les champs miséreux du moyen-âge. Alors elle se leva, son café à la main et se dirigea vers Ashka Mephistos:

« Est-ce que... »

Elle n'était pas Tyler pourtant. Elle n'avait rien de lui aux yeux de Lola, mais peut-être que c'était la seule personne au monde qui pouvait comprendre ce que c'était que d'avoir perdu Tyler Carlson. Elle ne comptait pas vraiment lui parler de ça. Elle ne savait pas trop en fait mais... Il y avait peut-être chez Ashka quelque chose qu'il n'y avait pas chez Lola et qui lui faisait penser, à ce moment là, que s'il ne l'avait pas épousée elle, mais plutôt cette étudiante à l'air si posé, les choses n'en seraient pas arrivées là... peut-être. Peut-être pas.

Et elle observa un moment cette femme, ce contraire d’elle-même… Soleil quand elle se faisait Lune, chaleur lorsqu’elle était synonyme des contrées de l’Hiver. Et plus elle la regardait, plus elle comprenait ce que Tyler avait put lui trouver : comment ne pas aimer un tel rayon de chaleur, un tel brasier vivant ? Plus encore, elle avait des allures de femmes quand elle, elle ne possédait que cet air imperturbable de poupée de porcelaine. Oui, elles étaient totalement différentes, autant de point de vue physique que caractériel sans doute… Ashka n’étant pas faite pour des sentiments négatifs, incapable de prouver sa colère, bien plus à même d’offrir la tendresse et la douceur. Sans doute se complétaient-elles au final, apportant à l’être qu’elles avaient aimé ce qui lui manquait, ce dont il avait besoin… Mais c’était le soleil qu’il avait choisit au final, qu’il avait toujours choisi en vérité, laissant la lune se briser contre les remparts de l’eau. Une décision qui l’avait brisée, qui lui avait fait mal, bien plus qu’elle ne le laissait paraître… En vérité, cette douleur n’avait pas lieu d’être montrée, elle n’en avait jamais eu le droit puisque leur histoire se devait d’être cachée des autres. Si elle avait pleuré, elle n’avait put le faire qu’intérieurement ou totalement seule, à l’abri du regard curieux des autres. Et Merlin savait combien de larmes elle avait put verser, de sa rupture jusqu’à la nouvelle de cette mort bien trop prématurée. Encore aujourd’hui, quand bien même trois années s’étaient écoulées, elle ne pouvait empêcher son cœur de saigner et de se morfondre. Comment même chercher à refaire sa vie lorsque le cœur ne le désire pas ? Il ne lui tardait que trop de rejoindre sa sépulture de glace, et de plonger pour l’éternité sous les eaux, comme le voulait cette coutume d’antan… mais ce n’était pas pour tout de suite, pas tant que cet organe battant continuerait sa course, pas tant qu’elle n’aurait pas réglé les détails qui la maintenaient encore dans cet état de semi-vie.

Et elle reporta son regard sur son livre, ignorant de nouveau le Soleil qui avait fait son apparition, ignorant les bruits qui l’entouraient, repoussant ce furieux malaise qui s’était installé bien malgré elles. La douce poupée voulait oublier, l’espace d’un instant que la sulfureuse avait fait son apparition pour se concentrer ailleurs, pour reprendre sa lecture, ses études… Tenter de retrouver une vie normale. Ce qui ne serait jamais. Peut-être, si elle n’avait pas répondu à la requête de cet homme à l’aura sombre… Non, elle ne regrettait rien… Sa vie était alors trop tranquille, il avait brisé sa routine pour qu’elle en connaisse une autre, pour qu’elle lui soit soumise quelque soit l’instant de la journée ou de la nuit. Elle y avait prit goût, d’une certaine manière… Et il ne lui avait pas été facile de replonger dans l’ennui de son propre monde. On lui avait proposé une alternative, par le biais de ce frère de sang, mais si différent de celui qu’elle avait choisi… Elle n’avait tout simplement pas pu. Inutile de ressasser le passé, cela ne lui ramènerait jamais ce qu’elle avait perdu au final.

« Est-ce que… » Cette voix de lui adresser la parole, de briser sa concentration, son calme et son repos. Levant les yeux, la poupée de glace fit face à celle du feu, avant de finalement ramener quelques livres et parchemins vers elle, pour faire de la place à la créature qui venait de la rejoindre. « Installez-vous. » lui souffla t’elle alors, d’un ton dépourvu de toute agressivité qui n’aurait été alors sienne, avant de refermer son livre. Il n’était plus utile de tenter de se reconcentrer dessus, elle ne parviendrait pas à retrouver ce calme perdu. Repoussant alors ses quelques mèches de fin d’été, Ashka reporta son regard unique, ces pupilles qui prouvaient son statut de pythie, sur la belle Lola, avant de souffler de nouveau quelques mots… « Je n’ai pas envie de vous affronter Lola. » Non, elle n’en avait pas même la force. Ce n’était pas un manque de courage, seulement de la fatigue, celle qui la pousserait certainement à ne pas se battre si elle venait à se faire attaquer. Si elle voulait lui faire payer son crime, l’Anglo-norvégienne ne lui demanderait que de faire vite, sans doute lui demanderait elle une dernière faveur tout au plus… De toute manière, la Mexicaine avait depuis longtemps gagné, il n’y avait plus de raison de se battre…

Là, devant la plus étrange des rencontres, Lola ne cillait pas. Elle brûlait de son feu naturel comme le soleil brûle au dessus de nos têtes sans jamais que sa lumière ne décline sauf quand, pour le malheur des hommes, l'ancre qui lui étranglait le coeur, ne l'oblige à sombrer dans le froid de la mer. Alors tout n'était plus que froideur et silence, jusqu'à un autre jour. Et c'était l'aube, puis le matin... un autre jour.
Elle était si différente Ashka, assise sagement derrière ce livre. Son opposé le plus naturel. Si elle était le feu terrible mais aussi chaleureux, fort , superbe et triomphant. Ashka avait le froid de l'eau, calme et tempéré, secrète, silencieuse. A ses premiers mots, Lola tiqua comme elle la vouvoyait. A elle il lui semblait qu'elles avaient partager, de bien mauvais gré, quelque chose de si intime, quelque chose qu'on ne devrait pas avoir à partager, que le vouvoiement en devenait surfait... obsolète. Mais pas méprisant pourtant.

« Je n’ai pas envie de vous affronter Lola. »
« Ai-je l'air si terrible que ça? Je ne suis pas venue me battre non plus. Pas aujourd'hui. Pour quoi aujourd'hui... »

Pour qui? Non il n'y avait pas lieu. Autrefois, cette frêle jeune fille avait été "l'autre femme", celle dont on veut la tête sur un plateau d'argent. Celle pour, ou à cause, de qui l'on voudrait détruire, torturer jusqu'à la mort, ce que l'on a de plus cher au monde. Bien sûr Lola n'avait pas la perversité de l'homme qu'elle avait épousé, pas la cruauté non plus. Quand elle parlait de tuer c'était presque toujours au figuré... presque.
Mais là sur son visage, il n'y avait que l'or bienveillant du soleil qu'elle avait ramené de sa terre natale jusque sous les cieux gris perle d'Angleterre. Elle s'assit, ses yeux sombres dégageant quelque chose de particulier. Tranquillisant c'était le mot. A l'ombre des yeux de Lola, on apprenait que le noir pouvait être sécurisant et doux... et si ça force de caractère s'exprimait à travers tous les traits de son visage, elle vous donnait plus envie de vous accrocher à cette femme, de l'avoir comme protecteur, que de la fuir.

« Je ne pensais pas vous revoir un jour. Je pensais ne pas le vouloir pour être honnête... mais en voyant assise là, je me dis que pour la seule chose que nous avons en commun, je voudrais vous connaître... à peine plus. Discuter simplement... de rien. », explique-t-elle en toute sincérité sans rien forcer, « Mais je concevrai tout à fait bien que vous ne partagiez pas cette envie... »

Son regard interroge, il cherche à comprendre et plus il cherche, plus son coeur se serre car il n'admet pas que l'on puisse aimer véritablement de créatures si différentes, et parce que, fort de ses échecs, tout naturellement s'il devait choisir l'assemblage idéal...
Pourtant non. Elle ne doute pas. La seule chose dont elle doute encore aujourd'hui, c'est de la raison de son divorce avec Tyler. Tout est loin. Tout semble si étrange sous la pleine lumière...

« Ai-je l'air si terrible que ça? Je ne suis pas venue me battre non plus. Pas aujourd'hui. Pour quoi aujourd'hui... » Non. Elle ne l’était pas vraiment en cet instant, mais n’y a t’il pas un adage qui dit qu’il vaut mieux se méfier de l’eau qui dort ? Certes, la Mexicaine n’était pas à comparer avec l’eau, plutôt le feu, capable d’éveiller une flamme violente de la plus petite des braises… La belle Ashka en revanche était à comparer avec l’élément contraire… Si calme d’apparence qu’il aurait été facile de se laisser aller en sa compagnie… Mais tant imprévisible au fond. Jusqu’à alors, nul ne l’avait jamais vu entrer dans une fureur qui aurait été dévastatrice, nul n’avait jamais affronté sa colère… Et sans doute fallait il espérer ne jamais avoir à le faire. Mais ce temps où la douce Amoureuse des Ondes se laisserait guider par la fureur était sans doute bien loin après tout, la belle ne voyant que par le calme et ces autres émotions bien plus positives que négatives. Et la concernée de hocher négativement la tête, avant de repousser ces quelques mèches de cheveux qu’elle a l’habitude de laisser à l’air libre. Sans doute n’a t’elle rien à craindre ce jourd’hui, pourtant, laisser la confiance s’emparer d’elle entièrement… n’allait pas arriver tout de suite. Après tout, elles étaient adversaires depuis le début, sans jamais avoir eu le temps de se connaître ni de comprendre l’autre. Qu’y avait-il à comprendre par ailleurs ? L’amour ne s’explique pas, il vient, s’installe et demeure jusqu’à trouver mieux ailleurs… Pour Ashka seulement, les choses étaient différentes : ce sentiment destructeur ne disparaitrait jamais. Il avait élu domicile dans son cœur, et à mesure que le temps s’écoulait, il prenait de plus en plus de place, s’insinuant dans ses veines, son esprit, de façon à ne plus jamais partir, qu’il demeure même si l’on tente de l’éradiquer… jusqu’à ce que la faucheuse vienne embrasser la pauvre proie qui n’a plus rien pour se défendre. Non, jamais son amour pour l’homme qui les avait possédé toutes deux ne la quitterait, il finirait par avoir raison d’elle à un moment ou à un autre… C’était même étonnant que cela ne soit pas encore le cas…

Et elle ne touchait plus sa tasse, ses yeux uniques glissant sur cette autre, détaillant chaque trait de son visage, jusqu’à ce regard sombre mais… tranquille. Nulle haine n’y était installée, seulement une certaine lassitude que la voyante pouvait comprendre. A quoi bon se battre lorsque ce pourquoi l’on a tout donné n’est plus ? Et l’étudiante d’esquisser finalement un semi sourire, assurant un gage de paix certainement. « Je ne pensais pas vous revoir un jour. Je pensais ne pas le vouloir pour être honnête… Mais en vous voyant assise là, je me dis que pour la seule chose que nous avons en commun, je voudrais vous connaître… à peine plus. Discuter simplement… de rien. » Et la surprise de s’installer sur son visage. Voilà bien la dernière chose à laquelle elle se serait attendue pour être honnête. Et elle se tait, incapable de répondre. « Mais je concevrai tout à fait bien que vous ne partagiez pas cette envie… » Un plissement de nez, tandis qu’elle réfléchit. La demande est… étrange. « Je ne m’attendais pas réellement à cela. Je pensais que vous vouliez me cracher toutes les insultes possibles à la figure, sans doute cela aurait il été justifié… mais vous m’étonnez. » Oui, elle s’était attendue à des insultes, à ce qu’elle cherche à comprendre comment elle avait put être l’autre… Mais aux yeux de la belle Ashka, l’autre… c’était la fille du soleil. Pourraient-elles seulement se comprendre sur ce point ? « Je ne peux pas vous refuser cette requête. Cela sera sans doute bénéfique pour toutes deux. »

Quoi d’autre ? Elles ne seraient sans doute jamais les meilleures amies du monde, ce point n’était pas tout à fait concevable. Pas alors qu’elles aimaient toutes deux ce même homme… Il allait de soi que l’héritière Mephistos ne pourrait pas non plus lui parler de sa relation, les gros traits sans doute… mais ce qu’il se cachait dessous ? La naissance de cette enfant qui ne compterait jamais dans le clan des Carlsons… Son existence se devait encore de demeurer cachée, autant que possible, jusqu’à ce qu’elle la récupère… Et là encore, mieux valait qu’elle garde le silence sur l’identité du père. Elle ne voulait plus blesser personne, elle n’aspirait qu’à trouver une vie tranquille et paisible… « Que désirez-vous savoir ? » Une manière ou une autre de commencer la conversation…

« Je ne m’attendais pas réellement à cela. Je pensais que vous vouliez me cracher toutes les insultes possibles à la figure, sans doute cela aurait il été justifié… mais vous m’étonnez. »

Lola eut un sourire, un brin amusé bien que ce dernier sentiment ne dominât pas sur le reste de ce qu'elle ressentait. Un mélange de doute et de curiosité effarouchée. Lola était de ces créatures radieuses qui se cachent dans les ténèbres de la forêt amazonienne mais se savent trahies par leurs plumages d'or. La Guerre et le Soleil, le sang versé, la mort et le paradis, autant de contradiction que Lola contenait en elle, dans son sang d'aztèque aux grains d'or. Son sang si précieux, si pur, qu'il ne tolérait l'intrusion d'aucun autre sinon de celui dont il descendait en ligne directe. Elle était un petit trésor que l'on pouvait convoiter à condition de n'avoir pas peur de l'affronter. Son patronus, un innocent petit colibri, le disait assez bien. Mais il fallait connaître les légendes Aztèques pour comprendre vraiment. Pour savoir que derrière ce petit bijou aux ailes battantes, se cachait une part d'un des Dieux les plus redoutables du panthéon aztèque.

« Je ne peux pas vous refuser cette requête. Cela sera sans doute bénéfique pour toutes deux. »
« C'est aussi mon avis. »
« Que désirez-vous savoir ? »
« Oh euh, eh bien je ne veux pas vous passez à l'interrogatoire. Je ne sais pas... parlez moi de ce que vous aimez, ou de ce dont vous parleriez à n'importe qui d'autre. Vous étudiez à Ealdwic? »

Simple supposition. Elle ne voulait pas parler de Tyler. Elle ne voulait pas savoir pour Tyler, ça lui aurait sans doute fait beaucoup trop de mal, si forte soit-elle, et d'ailleurs, elle estimait que dans une certaine mesure, ça ne la regardait pas. Et ça n'était pas à Ashka de lui parler de ça. Il n'y avait que la bouche de Tyler, chérit entre toutes et malgré tout, pour parler de ça à Lola. Mais cette bouche n'existait désormais plus que dans celles des petits Lucas et Jack.