La vie à Minsk était simple. Elle s'écoulait lentement, au fil des saisons, bien installé dans sa petite routine. Il n'y avait jamais trop de désordre à Minsk et d'ailleurs quand on avait l'âge d'aller au lycée, on allait chahuter à Olympia et donc il n'y avait à peu près que pendant les vacances que la ville s'animait. Mais pour autant, tous les jeunes de Minsk ne prenaient pas leurs jambes à leur cou dès qu'ils en avaient l'âge légal. Par exemple Trent Caparzo. Bon Trent ne faisait pas non plus le meilleur exemple. N'ayant pas suivi le lycée jusqu'au bout, il avait préféré apprendre un métier plutôt que perdre son temps sur les bancs de l'école, et il s'était vite retrouver avec son propre garage. D'une parce que le mec d'avant le lui avait cédé et de deux parce qu'il était vraiment doué dans ce qu'il faisait.

Ce matin là, il avait déjà les mains dans le cambouis, un problème avec le carburateur d'une Benz qu'il s'était mis en tête de trafiquer pour ses besoins perso. Il avait vaguement entendu de Charly que Jesse s'était remise avec son copain et qu'il y avait eu un tas d'embrouilles mais pour une fois, Matthews avait préféré ne pas trop en parler. Preuve que ce devait être assez énorme comme truc. Mais bon, Charly et Trent avaient un plan, ils finiraient bien par avoir le fin mot de l'histoire. Dire qu'à la base les deux garçons ne pouvaient pas se saquer. Il y eut un bruit de l'autre côté de la voiture. D'ordinaire, les clients ne venaient pas si tôt. Trent sortit la tête de sous le capot et oh!

« Salut Trent. Je sais qu’tu t’attendais sûrement pas à me voir mais… J’me demandais si t’aurais pas du taff pour moi ? J’en ai vraiment besoin. »
« Wow... un taff? Mh ouais, je savais pas que tu t'intéressais à la mécanique. »

C'est vrai qu'à le regarder, le mec avait plutôt l'air d'un Charly O'Brian, genre le mec toujours propre sur lui, héros de ces dames. Le genre à bosser dans un bureau plus tard et à faire de la paperasse.

Trent avait tout sauf l'air d'un mec à aider les autres. A le voir comme ça planté devant Will les bras croisé, l'armoire à glace qu'était Caparzo avait plutôt l'air prête à lui démonter la gueule et à lui faire avaler le carburateur de sa Benz qu'autre chose. Mais en fait non.C 'était juste sa tête normale. D'ailleurs Trent n'avait pas cassé la gueule de tant de types que ça... bon... à la réflexion... mais est-ce vraiment si important que ça. La plupart l'avait mérité en plus. Mais là n'était pas la question.

« Tsé quoi t’a qu’à me prendre à l’essai gratos aujourd’hui. Si j’arrive à me démerder t’envisagera sérieusement à me donner du taff ? »

Intéressante proposition. Surtout qu'en plus si il avait le petit sous la main, il pourrait apprendre deux ou trois trucs intéressants (précisément ces trucs dont Jesse n'avait pas parlé). L'ennui c'était que:

" Humpf... tsé la mécanique ça s'invente pas. Faut vraiment être passionné pour apprendre sur le tas comme ça. Faut que t'aies le plaisir de sentir ronronner ta caisse quand tu mets le pied au plancher tu vois?", sans doute qu'il ne verrait pas du tout mais Trent ne se représentait pas du tout ce que ça pouvait faire d'être né sur une autre planète," Et puis en plus pour le coup j'ai rien à te faire faire mec...", comme il disait cela, il y eut un énorme bruit de ferraille, une rampe venait de se casser la gueule sous le poids d'un moteur, Trent grinça, " C'est dingue ça j'en étais sûr. Bon ben en fait j'ai un truc à te faire faire. J'ai un merde à réparer sur l'échappement d'un client dans vingt minutes donc j'aurais pas le temps de ranger tout ça. Disons qe si t'arrive à trouver un moyen de ranger tout ce bordel je réfléchirai à c'que j'peux faire pour toi 'kay?"

Et tout autour de Trent, même sans parler de la rampe qui venait de s'écrouler et qu'il faudrait de toute évidence viser et souder avant de la remettre en fonction, c'était un sacré foutoir. Le sol était plus ou moins jonché de boulons de toutes les tailles. Les clés éparpillées à droite à gauche. Des pièces de tunning même pas encore déballées qui prenaient une place monstre, sans parler des bombonnes de N2O qu'il gardait là pour la voiture qu'il était en train de retaper et dont on ne parlera pas plus pour ne pas entrer dans l'illégalité. Des choses à faire, à y regarder vite fait, il n'en manquerait pas.


A Londres, comme bien souvent il faisait gris. Mais c'était beaucoup mieux ça que l'espèce de nuit qu'ils s'étaient tapé pendant des mois à cause de la centrale russe ou d'elle-ne-savait-plus-trop-quelle-excuse-avait-sorti-le-premier-ministre. Un truc bidon dont Zv avait rigolé pendant dix bonnes minutes tellement c'était nase. Bref, Lison se retrouvait en chemin pour poser ses cv. Il lui avait fallu de la patience pour faire comprendre à Zv qu'elle avait besoin de bosser, de faire quelque chose de ses dix doigts, ce qu'il avait compris vite sans pourtant céder parce que ça signifiait qu'il ne pourrait pas la garder à l'oeil 24/24h.
Il devait être assez tard dans l'après midi et il ne lui restait que quelque cv à poser. Trois fois rien donc, elle serait bientôt à la maison, parfaitement en accord avec son timing et en gros avec l'heure qu'elle avait dit à Zv. Mais ça c'était sans compter sur un couple qui se jetaient des mots à la tête. Elle n'y prêta pas plus que ça attention et si elle ne s'était pas écartée, collant une voiture de luxe pour laisser passer un vélo, rien de tout ceci ne serait arrivé. Mais il fallut que le bon sens la pousse à s'écarter. Précisément à ce moment là, le couple, qui s'avérait être un couple de sorciers installés dans le Londres Moldu, balança une vieille bouteille de rhum bleu luminescent par la fenêtre, le vélo passa en n'évitant pas la flaque qui allait tremper Lison jusqu'aux os, la collait un peu plus à la voiture précisément quand l'étrange bouteille là touchait et là....


... il y eu un immense fracas dans le garage de Trent Caparzo. L'heure propriétaire sortit de sous la ford sur laquelle il travaillait pour voir ce que son apprenti d'un jour avait bien pu faire comme connerie - c'était sûr là il ne le gardait pas! pour se rendre compte qu'en fait c'était pire que tout ce qu'il avait imaginé et même pire que pire! Il s'essuya les mains dans son t-shirt, carrément perplexe:

" Alors là va falloir que tu m'explique comment tu l'as fait rentrer sans que je m'en rende compte et comment.... T'AS PU EMBOUTIR UN BEAUTE PAREEEEEEEEEEEEEILLE!!!!!!!!!!"

Ca avait pourtant bien commencé. Ce matin Will n'avait pas commis d'impair mais là!! Là !!! Emboutir une Lamborghini Gallardo, jantes noires mates dans la foutue Ford à l'échappement foireux.... sans compter qu'il aurait pu mourir écrasé dessous!!! Bon après pour la fille au t-shirt mouillé il ne dirait rien, quoique ce n'était pas son genre de fille mais... une fille à t-shirt mouillé ça s'engueule jamais hein...

" C'est moi qui ait fait ça?", demanda une Lison complètement choquée et pas du tout capable de proposer une explication rationnelle à tout ça.

« c’est certainement pas moi »

Genre c'était elle peut-être?! Lison retourna de gros yeux au garçon qui avait dit ça avant de jeter un coup d'oeil autour d'elle à l'étendue des dégâts. Il allait y en avait pour bonbon et le pire c'était qu'elle n'était pas sûr de n'y être pour rien. Enfin c'était bête, elle n'y était pour rien, sûr et certaine mais n'empêche que... non mais c'était pas elle. Ce qui acheva de la convaincre ce fut le regard que l'armoire à glace posa sur elle:

« Hey oh me regarde pas comme ça. J'y suis pour rien moi, c'est même pas ma voiture!», fit-elle avec un accent qui à eux aller leur paraître so british.

Pour sa part elle avait déjà remarqué l'accent américain léger du mec-qui-ne-voulait-surtout-pas-être-accusé mais elle ne s'en était pas formalisée outre mesure. Après tout, il y avait de tout à Londres. De tout sauf... humpf... elle ne reconnaissait pas vraiment le décor là. En plus il faisait hyper chaud, gris mais hyper chaud, du moins c'est ce qu'elle remarqua en passant la tête de l'autre côté du mur où elle put lire Caparzo's en grosses lettres rouges un peu écaillées. Ca ne lui disait vraiment rien. Elle se pencha discrètement pour voir à l'intérieur de la voiture, histoire de s'assurer qu'il n'y avait pas en plus un macchabée dans l'histoire. Rien à signaler à part beaucoup de taule froissée et une facture carglass hallucinante. Rappelons que ce n'était toujours pas de sa faute à elle.

« Au risque de passer pour une folle... mh... c'est quoi cet endroit? Parce que si c'est Londres ça à drôlement changé? On est bien le 26 août 2010 mh? » question pratique.
« Tu connais un bonbon qui s’appelle Poudlard ? », répondit le mec flippé, du moins si l'on pouvait dire que c'était une réponse à la question de Lison qui tilta directement:
« Hein ?! »
« Gné? Poudlard? T'es fan de Harry Potter? C'est dingue ça, mon frère sera content de savoir qu'il y en a d'autres des comme lui. D'ailleurs j'ai le bouquin dans mon sac attend... », elle fouilla une seconde dans son sac en bandoulière avant d'en extirper un livre à la couverture rouge où était écrit en gros POUDLARD EXPRESS sur le devant d'un train, « Là. Enfin bref. Comment on fait pour tout ce bordel? J'm'appelle Lison au passage. »
« Trent. J'allais y venir à ce bordel. C'est au moins la caisse de ton mec ça? Le pauvre il va être en deuil là... »
« Euh non. Je sais pas à qui elle est... »
« Tu veux dire que tu l'as piquée?!!!! T'as piqué une gallano pour aller l'emboutir dans... une ford ....!!!!!!!!!!!!!!! »
« Wow wow wow, on s'calme. J'ai rien piqué du tout. Et c'est pas moi qui ait foutu ce bordel. Je marchais dans la rue A LONDRES et je me suis retrouvée ici moi c'est tout. »
« Mais genre! Comme par magie p't'être? »
« Ouais comme par ma... »
« ...comme par ma... »

Les deux cessèrent immédiatement de se bouffer le nez pour se tourner vers le coupable idéal: WILLIAM!

« On est en Amérique.»
« Ouais genre...», commenta-t-elle avec un petit rire incrédule.
« Minsk dans l'état de Washington même.», précisa Trent avec un air notoirement blasé.

Il était persuadé que la fille jouait la comédie et qu'elle avait effectivement conduit la gallano pour venir l'emboutir dans la Ford. Il savait très bien que la magie existait mais quand même de là gober n'importe quoi... le portable de Lison vibra dans la poche de son jean. Un texto.

« Voulez-vous passer sur le réseau VERIZON US...», lut-elle à mi-voix.« Alors c'est pas des conneries? Je suis vraiment aux usa? Mais j'ai même pas de papiers comment je fais pour rentrer chez moi?!»

Le stress! Elle se retourna vers les deux mecs, puis sa deuxième pensée fut pour Zv qui allait la tuer. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre. Il allait la tuer. Elle était déjà en retard. Et en plus!!! ELLE ETAIT DANS UN AUTRE PAYS!!! Pire carrément sur un autre continent.

« Oh non j’vous jure c’est pas moi ! De suite on parle de magie alors c’est FORCEMENT MA faute ?!? C’est dégueulasse ! »
« Ben ça peut pas être nous en tout cas. T'as dit que t'avais pas de papier? On est pas dans la merde là, si jamais tu te fais choper tu vas avoir droit à Ellis Island direct' en plus avec le 09/11... »
« Je sais. Et j'ai pas de passeport biométrique de toute façon, j'ai aucun moyen de rentrer non plus, parce que c'est pas avec quarante livres... putain merde je peux même pas faire le change... »
« ...en dollars ouais. Surtout qu'il faudrait t'amener à Seattle pour choper un avion, t'en as pour en gros 900$ sans compter que t'es pas sûre d'avoir un vol tout de suite. »

Visiblement entre moldus on se comprenait très bien. Le problème majeur de Lison étant qu'elle n'avait pas de visa pour les usa (pourquoi en aurait-elle eu un) et qu'il était hors de question d'aller à aucun aéroport sans visa. Autant se coller une barbe postiche et faire croire à un nouvelle attentat d'Al-Qaida devant les mecs du portique de sécurité. Fin bref... de la pure folie.

« Mais attend tu connais la magie toi ? »
« Ouais, un ami d'un ami enfin bref... »
« Pareil que moi. »
« Puis au final on s’en fiche de savoir comment t’es arrivé non ? L’important c’est de savoir comment tu va repartir ! »
« Ouais ben parti comme c'est parti... »
« Non mais attendez, faut que je passe un coup de fil... », elle ne voyait pas trop ce que Zv pourrait faire de plus mais... dans le doute... et puis elle avait besoin de l'entendre gueuler, ça lui ferait du bien vue la situation de crise dans laquelle elle se trouvait.

Lison sortit devant le garage pendant que Trent essayait d'évaluer les dégâts matériels. Inutile de dire que sa minuscule assurance allait pas prendre ce genre de conneries en compte.

« Bon je te fais un topo viteuf'... on va pousser la Gallano avant que la batterie soit complètement déchargée. Je vais essayer de la démarrer avec les fils. Si ça marche pas je mettrais les pinces, toi tu pousses et fait gaffe au sursaut du moteur. Ensuite on a jusqu'à demain matin huit heure pour réparer les conneries de ta copine la rosbif sur la ford de M. Hodge et de préférence en essayant de pas se faire remarquer. »

Ca allait être l'occasion ou jamais de voir si le copain de Jesse était aussi motivé qu'il l'avait dit. Dehors on entendait la voix de Lison qui s'expliquait avec Zv:

« Mais c'est pas de ma faute, je conduisais même pas Zv et ... et voilà. »
« ... y a deux choses que je déteste dans ce monde. Premièrement : les américains. Secondo : les filles qui disparaissent. »
« Ben tu m'excuseras mais je suis même incapable de te dire comment je suis arrivée là, et en plus j'ai même pas de passeport, j'ai de la chance de pas être en garde à vue surtout que les amerloques sont paranos depuis le 11 septembre ... je fais quoi là? »
« Je sais pas. Mais j'sais que tu vas rentrer. » , s'énervait la voix au téléphone. On sentait à quel point l'autre interlocuteur avait envie de discuter.A l'autre bout du fil Lison leva les yeux au ciel:
« ... génial. Bon je te rappelle qd j'ai trouvé une solution. »

Silence.

« T'es où? »
« Dans une ville paumée qui s'appelle Minsk, exactement dans un garage du nom de Caparzo. Regarde sur Google, mon mot de passe c'est beautiful freak sans majuscule sans espace. Normalement mon ordi est juste en veille, tout est déjà ouvert. »

Il y eut un long long silence. Lison n'était pas persuadée qu'il trouverait ce qu'elle lui disait sur son ordi, pour la bonne et simple raison que Zv n'était pas né à l'époque du tout informatique mais bon, elle lui avait déjà montré deux trois fois ce qu'elle foutait sur son ordi.

« J'suis devant ce putain de garage dès ce soir. Bouge pas. », finit par répondre la voix au téléphone juste avant de raccrocher au nez de Lison.

Bon. C'était déjà ça. Elle retourna à l'intérieur du garage, avisant les deux garçons en train de fureter autour de la voiture de sport qui l'avait débarquer dans ce trou paumé.

« J'peux aider? »
« T'es une fille, alors à moins que tu saches me montrer où se trouve la batterie... »
« Là. », répondit-elle avec un sourire.« Où est-ce que tu ranges tes pinces?»

Trent eut un sourire. Finalement cette fille lui plaisait. Il adressa un regard à Will l'air de dire "trop cool une fille qui a pas peur de se salir les mains. C'était bon pour eux, d'autant que s'ils poussaient à deux ça irait beaucoup plus vite.

« Ca tu ferais mieux de demander à Will... », puisque c'était lui qui avait tout rangé.
« Au fait... ça craint pas d'aller tripoter cette bagnole alors que c'est en la touchant que je me suis retrouvée ici? », question subsidiaire... Trent fit un bond en arrière.

« Et en Anglais ça donne ? »

Trent et Lison échangèrent un regard.

« Que si elle se fait griller elle va en taule et nous on aura des problèmes. En gros... »

Autant dire que ça ne sentait pas bon du tout. Lison s'éclaircit la voix puis revint un peu détendu par son coup de fil. Elle savait que Zv n'était pas superman et que, quoiqu'il en dise il était quasiment impossible qu'il soit là dans deux ou trois heures... mais c'était déjà rassurant de savoir qu'elle n'était pas vraiment toute seule. C'était un drôle de lien qui l'attachait à Zv. Parfois elle se disait que c'était purement malsain, presque exclusif, d'autres fois, quand elle n'essayait pas d'analyser ça sous un angle raisonnable, elle se disait juste que ce n'était pas si désagréable. Mais bon ça, elle n'irait pas le dire à Zv qui passait 50% de son temps à se plaindre d'elle. D'ailleurs elle ne voyait pas pourquoi il la chaperonnait à ce point si c'était pour dire à la fin que ça le faisait chier.

Il ne restait plus qu'à attendre et à se coller à la mécanique. Lison n'était pas un as mais bon elle pouvait quand même aider. Trent la laissa avec Will le temps d'aller trouver ses pinces.

« Tu crois que la voiture elle-même pourrait être un portoloin? »
« Euh j'en sais rien, c'est quoi un portoloin? Enfin je me doute que c'est un truc qui t'emmène loin hein, d'où le nom -fin je suppose- mais j'y connais rien moi à ces trucs là. Il y a deux mois je croyais que ça n'existait que dans les livres. »
« Trouvées! »
« Dans ce cas là ça voudrais dire que la personne à qui tu l’a prit souhaitait te voir disparaitre. Des gens en ont contre ta vie ? Quelqu’un pourrait souhaiter te voir mourir rapidement ? T’a fait quelque chose de mal ? »

Lison réfléchit.

« Euh ouais mais non. Fin je suis passée là par hasard, je l'aurais même pas touchée cette voiture si il y avait pas eu ce vélo. Après je vois pas qui pourrait vouloir ma mort. Enfin si, Zv me fera la peau quand il arrivera mais... »
« Bon les pipelettes... c'est pas que mais on a pas vraiment la nuit... Lison tu te mets au volant. Le prend pas mal mais c'est pas avec tes petits bras de rien du tout que tu vas pouvoir pousser. »

Lison eut une petite moue amusée. Elle devait sûrement avoir plus de force qu'eux deux dans ses petits bras de rien du tout mais ça elle ne le dirait pas. Elle monta dans la voiture et laissa Trent démarrer avec les fils, puisqu'elle n'avait pas les clés. Ensuite elle passa la marche arrière et ils poussèrent comme ils le purent, juste assez pour désencastrer la gallano et se laisser une marge de manoeuvre pour pouvoir sortir la ford. Une fois que ce fut fait, elle sortit de la voiture, Trent retira les pinces se qui coupa du même coup le moteur. La première chose que fit Trent ne fut pas de s'occuper de la taule froissée de la Ford. Non. Il posa un genou à terre et se mit a retirer les plaques de la gallano. Lison eut un petit sourire chafouin.

« Ben quoi? C'est la caisse de personne si j'ai bien compris. »
« J'ai rien dit. »
« Bon maintenant que c'est fait... Will on va retirer la carrosserie arrière j'vais t'montrer comment on refait une taule et après tu feras la peinture tu verras c'est simple. Lison... mh bah tu fais rien, tu fais c'que tu veux. »

Elle fit signe qu'elle avait compris. Pas besoin de se préoccuper d'elle, elle allait se mettre dans un coin et faire... sans doute rien ou quelque chose qui ne dérangerait pas. A commencer par sortir du garage pour aller essorer son t-shirt ni vu ni connu. Enfin son t-shirt était toujours trempé mais il la collerait un peu moins comme ça.

A l'intérieur Trent expliquait les rudiments de la carrosserie à Will avant de lui laisser essayer la ponceuse et la masse. A voir ce que ça donnerait...

Lison revint un peu après, le t-shirt tout froissé mais un peu moins collant et comme ça n'était vraiment pas son genre de se tourner les pouces, elle approcha pour donner un coup de main, Trent qui ne savait plus comment les occuper tous les deux donna la corvée de peinture à Will et à Lison (qui était une fille!) une corvée de nettoyage de pièces pleines de cambouis... Voilà tout le monde était occupé pour au moins deux heures, c'est à dire jusqu'à huit heure.

Trent bossait dur. C'était dans sa nature. Quand il s'attelait à quelque chose, il ne lâchait pas avant d'avoir fini. De temps en temps il jetait un regard à ses deux apprentis improvisés. Là où William marquait un bon point, c'était qu'il avait résisté à la tentation d'aller draguer la fille plutôt que travailler. Trent avait eu l'idée et d'ailleurs si la fille en question ne lui avait pas mis autant de travail sur les bras, il ne se serait pas gêné, qu'elle ait ou non un copain qui risquait de débarquer d'une minute à l'autre. Il était même assez spécialiste de ce genre de truc.

La ford était retaper, on n'y voyait que du feu. Trent s'essuya les mains dans son t-shirt en relevant le nez vers Lison, qui était en train de briquer la carrosserie. Il y avait pas à dire, cette fille n'était peut-être pas une Jennifer Lopez mais elle savait choisir les jeans qui l'avantageaient.

« Ton ami qui est censé venir te chercher, il devrait pas déjà être là ? »

Lison releva le nez pour jeter un coup d'oeil à l'heure, un brin inquiète. Si il y avait des tas de trucs qu'elle pouvait reprocher à Zv, mais certainement pas de ne pas être fiable. Quand il disait quelque chose, il s'y tenait toujours coûte que coûte.

« C'est vrai que... »

Mais au moment où elle disait ça, le ronflement d'un moteur se fit entendre. Trent fronça les sourcils et sortit pour voir, alerté par le ronronnement d'une voiture qu'il devinait d'avance être un petit bijou. N'oublions pas qu'il était passionné de tunning, au sens noble du terme. Il n'y avait pas à dire, Zv Neveritshme savait soigner ses entrées. Lison eut un sourire mais ce dernier se fana quand elle vit la mine du loup. Il était d'humeur massacrante, elle l'avait déjà su au téléphone mais là... comment dire... maintenant elle avait effectivement quelqu'un qui avait envie de lui tordre le coup. Malgré tout elle approcha, mais Trent ouvrit la bouche avant elle.

« Chouette ta caisse...ta meuf m'avait pas dit que t'étais un amateur. » , commenta-t-il appréciateur et visiblement complètement indifférent à la tête de tueur du kosovar.
Lison s'éclaircit la voix:
« Mh Trent... » , un regard à Zv. Si elle n'avait pas eu autant de cran elle n'aurait même rien osé dire mais tout de même: « Merci... d'être venu. »

Transformation radicale. Elle avait l'air toujours aussi pleine d'assurance mais, à côté de Zv, il y avait comme un truc de... radicalement différent.

Les yeux de Zv allèrent sur chacun d'eux. Il le détestait tous, parce qu'à cette heure-ci, il aurait du être tranquillement allongé dans son canapé, à chercher le sommeil sans succès. Au lieu de ça, il se retrouvait devant cette assemblée de bras cassés, et il devait dire quoi? Leur parler encore? C'était immonde. Elle s'était retrouvée là toute une journée, entre deux hommes, et elle osait le regarder comme si c'était lui qui était de mauvaise humeur? Oh, oui, c'est vrai, il aurait pu demander à Derek de la lui ramener, mais ça se serait ébruiter et ça aurait couru de meute en meute avec stupéfaction. Qui pouvait bien supporter Zv Neveritshme? Le « jeune » lycan fixa Lison avant que la voix masculine de Trent ne coupe sa réflexion à comment il allait pouvoir être insupportable en rentrant.

« Chouette ta caisse...ta meuf m'avait pas dit que t'étais un amateur. »

Il haussa un sourcil, ses yeux noirs se posant sur ce fameux Trent. Sa... meuf. Meuf. Ce mot sonnait familier, mais tout étranger à la fois. Le sous-entendu était pourtant très clair, il pensait qu'il sortait avec ce fil de fer sur patte. Soit. Il se racla la gorge.

« Mh Trent... »
« ...Zv. »

Il le regarda un instant, comme pour le jauger, mais il n'avait rien de dangereux. Son instinct ne se mettait pas en route, pas devant lui en tout cas. Il reporta son regard sur Lison à nouveau, revenant toujours sur elle. Toujours.

« Merci... d'être venu. »

Il hocha la tête, parce que pour lui, c'était entendu. Il lui avait toujours dit, qu'il viendrait, où qu'elle soit, où qu'elle aile. Pas parce qu'il l'aimait, ou parce qu'elle comptait, mais parce que c'était son rôle à lui, son rôle à tenir, et qu'il le tenait à la perfection.

« On t’attendait. T’a fait bon voyage ? »

Les yeux noirs de l'albanais glissèrent de Lison au jeune homme qui lui parlait. Il arqua un sourcil, avec un air entre le dédain et la curiosité. Qu'est-ce qui pouvait pousser un si petit homme à lui parler? Il le regarda un instant, tendant la main vers Lison, comme un ordre silencieux. Comme si il était l'heure de rentrer, maintenant, à la maison. Parce qu'il était très clair qu'il n'était pas d'humeur à parler avec eux. Ce n'était pas un problème de communication. C'était juste qu'il transpirait la haine à plein nez.

« Je ne te connais pas, garçon. Tu n'avais pas besoin de m'attendre. »

« Mh Trent... », commence-t-elle dans l'idée de reprendre le garagiste...
« ...Zv. »
« Je suis pas sa "meuf"... », précise-t-elle d'un ton placide.

Comme si elle avait eu besoin de se réapproprier quelque chose. Un espace vital ou une zone de non-agression qui définissait au millimètre près sa propre liberté. En y réfléchissant avec Zv c'était une bonne part de cette liberté qu'elle avait cédé contre... autre chose. Quelque chose de pas clair, pas vraiment, mais quelques chose quand même. Si elle n'en voyait pas toujours les effets positifs - comme par exemple quand ils seraient tous les deux à la maison libres de débattre du pourquoi du comment ce n'était PAS de sa faute, de s'engueuler encore quoi - elle ressentait le besoin de poser cette limite aux autres: elle n'était pas sa "meuf", ni sa rien-du-tout d'ailleurs. Du point de vue de Zv ça revenait à dire qu'elle était son "obligation" ce qui, elle, la mettait en rogne. Elle ne voulait être ni la meuf ni l'obligation de personne. Et inversement. Il n'était ni son mec ni son obligation, elle restait juste parce que... parce que. Voilà. C'est tout.

Et même s'il n'était venu que par obligation, elle lui en était, quelque part, reconnaissante. Suffisamment pour l'exprimer en mots et se contenter de ce petit signe entendu qui faisait que sur la planète de Zv le simple fait d'être venu ne tenait qu'à une logique froide, pragmatique, quand sur celle de Lison, ça devenait une attention ou quelque chose du genre. Elle rangerait ça plus tard dans l'ensemble de ce qui faisait de Zv, un homme pas si mauvais que ça à ses yeux. Ça leur ferait un sujet de désaccord en cas d'épuisement du stock de leurs disputes habituelles, lesquelles engageaient toujours ce genre de phrases: "tu parles trop", "mais je t'ai rien demandé", "t'es chiant(e)", "tu me saoules", "et ben si... t'as qu'à... moi je ...!", "vaut mieux entendre ça que d'être sourd", "déjà que ...", etc. voir simplement:

"- Zv?...
- Humpfr."

« On t’attendait. T’a fait bon voyage ? »

Lison fit un signe négatif de la tête. Mieux valait ne pas chercher ce vieux loup de Zv. C'était presque comme si William avait tendu la main par dessus la clôture d'un jardin annonçant " ATTENTION CHIEN MÉCHANT". Mais visiblement Lison était la seule à voir la signalétique imaginaire que Zv portait autour du cou. A sa grande surprise pourtant, ce dernier limita les dégâts dans sa réponse:

« Je ne te connais pas, garçon. Tu n'avais pas besoin de m'attendre. »
« Ahem. On va pas traîner de toute façon on a pas mal de route, enfin je suppose. » , on ne savait jamais avec Zv, il avait tout l'art et la manière de vous surprendre sur ce genre de truc. Elle eut un sourire plus amusé et salua les deux garçons, Trent lui refila une petite carte avec son numéro et l'adresse du garage dessus en précisant qu'elle serait toujours la bienvenue avec ou sans voiture de luxe pas très réglo...

Sur le retour ce fut Zv qui conduisit bien qu'elle ait proposé. Elle ne chercha pas à le contrarier d'avantage, d'ailleurs ils ne décrochèrent pas un mot jusqu'à l'aéroport où un ami de Zv les attendait mais les présentations furent lapidaires, les enregistrements avaient déjà commencés pour Londres. Ils embarquèrent tout de suite dans la première classe d'un avion de la american airline. Lison se posa à côté de Zv, sage comme une image bien qu'en soit elle n'avait strictement rien à se reprocher. Elle n'avait jamais pris l'avion et n'avait jamais mis non plus les pieds dans une première classe, ce qui laissait amplement de quoi satisfaire sa curiosité en silence. Un homme en costume italien qui avait embarqué à l'escale de New York, lui fit la conversation une partie du voyage. Sympathique. Puis Lison finit par s'endormir sur l'épaule de Zv, les doigts serrant une partie de sa chemise, sous sa veste. Tranquille. Plus proche qu'elle ne se serait permis si elle avait été réveillée.

« Avec le physique qu'elle a, elle devrait tenter une carrière de mannequin. Elle a vraiment du chien... » , commenta le business man après un petit moment. Puis, comme il se demandait si son vis-à-vis avait compris que c'était à lui qu'il s'adressait...« ... votre femme je veux dire. »


« ...space tu trouves pas? » , fit Trent en s'essuyant machinalement les mains dans son t-shirt. Puis après un petit moment... « Je t'offre une bière? Demain t'es pas obligé de venir à 8h vu tout ce qu'on a bossé aujourd'hui... »

Ou comment signifier implicitement que c'était bon, il allait le garder.