Au Manoir Hemmington, les voix s'élevaient. C'était peut être la première fois de toute sa vie que Matt entendait sa propre voix se répercutait dans les dédales de la maison familiale, et ça ne lui faisait pas peur. Pas aujourd'hui. Il n'avait rien d'affoler, et si son coeur battait comme jamais, c'était sans doute parce qu'au plus profond de lui, il savait déjà la réponse à sa question. Il monta les marches cinq par cinq, glissant sur la dernière mais ne fit pas cas et ne grogna même pas, tâchant de faire au plus vite. Là, Aodh sortit d'une pièce sombre et avisa le jeune héritier, haussant un sourcil comme il avait l'habitude de le faire quand il voyait quelque chose qui ne lui plaisait pas ou que très peu. Et ce qu'il n'appréciait pas, c'était de voir quelqu'un courir sur le magnifique marbre blanc des escaliers avec des chaussures sales et de l'entendre criait à tout va. Et à cela, Matt ne répondit rien. « Votre père n'acce-- » « Je me fous de ce que vous dîtes. » Et c'était la première fois que Matt élevait le ton sur Aodh qui avait été un peu tout dans sa vie jusqu'à maintenant. Mais le ton utilisé n'était pas juste élevé, était aussi froid que sec. Un ordre, un vrai. Et étrangement, Aodh eut un sourire en hochant la tête et se décalant de la porte. Il fallait bien que l'héritier Hemmington se fasse un caractère un jour, qu'il prenne position et qu'il n'est pas peur. Matt n'attendit rien et ouvrit la porte, trouvant son père lisant le journal, assis dans son éternel fauteuil. Son putain de fauteuil. Matt se redresse, et referma la porte, plus calme mais peut être plus furieux aussi. « Tu fais trop de bruit, Matthieu. Veille à rester silencieux, veux-tu. » Matt fit claquer sa langue sur son palet, se retenant de l'étrangler et se détendit. Étrangement. Il n'avait pas le droit à l'erreur. Pas devant son père en tout cas. « ...Père. J'aurais une question. » Le vieux Hemmington hausse un sourcil, mais resta le nez planté dans son journal. « Une question importante, j'espère. » « Plutôt, oui. » Matt se racla la gorge, un peu nerveux malgré tout. Son père était plus grand que lui, plus fort aussi, et il le crèverait à la moindre erreur. Matt ferma lentement les yeux, plus vraiment confiant. « ...Luke a été emmené à Azkaban. Sait-on pourquoi? » « Pour déviance sexuelle. » Le vieux Hemmington cessa de tourner les pages, arquant un sourcil alors qu'il baissait son journal et le pliait sur ses genoux. Son regard anthracite, presque noir, se fixa sur son fils sans ciller. « Tu ne savais pas? » Matt laissa un moment s'échapper. Un infime petit moment durant lequel il serra les dents pour ne pas hurler. Il le savait. Il le savait que tôt ou tard, ça finirait comme ça. « Non. » Duncan Hemmington eut un petit sourire en coin, presque fier sur le moment mais surtout moqueur, moqueur à souhait comme il doutait fortement que son fils ne l'ait pas su. Ils avaient tous les deux ce caractère unique, qui avait tant déplu à la société et tant plu à leurs épouses. Domina Hemmington, la soeur de Duncan mais également sa femme et la mère de Matthieu Hemmington, en avait elle-même partager les quelques traits : l'intelligence inexpliquée, le goût du silence et des livres. Le regard avisé qui sait tout, aussi. Duncan pencha doucement la tête sur le côté, haussant un sourcil fin. « Que cherches-tu à faire, Matthieu? » Le jeune homme resta figé sur place, sa langue passant sur son palet, nerveux. Il tiqua : « Allez à Azkaban. » Silence. « En tant que geôlier. » Duncan arqua un sourcil, alors que Matt fronçait clairement les sourcils, d'une façon tant inhabituelle qu'il ne savait pas si son père allait le croire ou en rire. Il siffla : « Je vais aller lui faire payer. Il a... il... Il a osé. Mon meilleur ami... avec... avec ces hommes... » La comédie. Une chose sans doute hérité de sa mère, aussi. Duncan le fixa un instant, un instant seulement, avant de rouvrir son journal, sans plus un mot. Il n'allait pas s'y opposer. Il n'allait pas non plus l'encourager. À vraie dire, il avait d'autres chats à fouetter, et ceux-là étaient du genre tenace. Son regard se posa sur la première page du journal, où on voyait la tête brune de la Directrice de Ealdwic.



La tête brune sortit de l'ombre, se détachant sans mal du jardin clair et blanc de Ealdwic. Les roses rouges et les roses blanches se mélangeaient là, dans un jardin autant floral que fait d'arbres hauts et puissants. Il haussa un sourcil en voyant deux filles rirent en le voyant passer. Elles s'imaginaient quoi, ces deux sottes? Que parce qu'il était tout seul il avait suivre sa vie, comme si de rien n'était? Toutes ces personnes le dégoûtaient, parce qu'elles étaient de ces personnes à ne pas bouger le petit doigt quand leur meilleur ami était enfermé à Azkaban. Le genre à le renier et à pleurer en silence, en se disant que ça irait mieux plus tard. Connerie. Il siffla entre ses lèvres, d'un air mauvais, et passa sous une arcade, ses pas silencieux sur les pavés froids et clairs de la magnifique bâtisse. Il fit claquer sa langue et accéléra un peu le pas. Ses yeux allaient partout autour de lui. Il ne fallait pas qu'il soit pas vu. Parce que ça serait la fin des deux côtés. Son dos d'occlumencie ferait le travail si jamais on le choppait, mais il n'était pas sûr de résister longtemps si jamais il tombait sur un expert de l'esprit. Il soupira, jetant un dernier regard aux alentours, et toqua à la porte trois fois. Le rendez-vous avait été prévu quelques heures auparavant, et c'est sous le onzième coup de l'église toute proche que Matthieu Hemmington entra dans le bureau de Una de Shalott. Un simple regard circulaire lui assura qu'ils étaient seuls. Il se décala de la porte et avança jusqu'au bureau sans s'y asseoir. Il avait toujours aimer les règles, mais il n'allait pas se battre pour ça. Pas se battre pour que son meilleur ami se retrouve derrière les barreaux sous prétexte qu'il aimait les hommes et les femmes. Sous prétexte qu'il l'aimait lui. Il n'y voyait là qu'une vengeance de la famille Black, et Black était au pouvoir. Il allait tout faire, vraiment tout, jusqu'à vendre son âme au diable si cela permettait à Luke de sortir de sa prison de pierre. Plus les jours passés, plus ce serait dangereux et dur pour lui. Il lui avait déjà expliqué les grandes lignes en lettre, qu'il était mangemort, qu'il était sang-pur également, et qu'il avait participé à quelques actions terroristes sans jamais précisés lesquelles. Il avait également dit « en savoir long » sur les actions, qu'il n'était qu'un pion mais un pion bien informé. Enfin, il avait stipulé vers la fin que Luke, son meilleur ami, était enfermé dans une prison pour pratiquement rien, et qu'il ne s'était pas battu pour ça, et ne se battrait plus pour cela. À choisir entre un monde de sang-de-bourbe avec Luke à une vie seul avec des sangs-purs, il n'y avait pas lieu d'hésiter.

Alors ce soir, il vendrait son âme. Entière.

Il releva la manche de sa chemise et montra la marque des ténèbres qui y était gravée par la main même de Yon Winchester. Son regard anthracite ne cilla pas. Il n'avait pas honte. Loin de là.

Onze heure sonnèrent à la grande horloge. Una de Shalott adressa un regard préoccupé à la porte de son bureau. Ces dernières semaines n'avaient pas été de tout repos pour la doyenne de l'université et on lisait sur son visage une certaine fatigue. L'enterrement de Rufus n'avait été que le début d'une longue série d'épreuves toutes plus pénibles les unes que les autres. S'il y avait bien une personne qu'elle n'aurait pas cru devoir enterrer de si tôt c'était bien son ami de toujours, si rapidement remplacé par un jeune premier d'une noble famille de sang pur qui n'avait pas la moindre prédisposition à gouverner. Aidev Blake avait mené une compagne éclair particulièrement efficace. Il avait promis le changement et effectivement, le moins que l'on pouvait dire c'était qu'aujourd'hui, le temps du noble Rufus Scylence n'était plus qu'un lointain souvenir. Depuis Una avait vu la forteresse qu'était Ealdwic, encerclée par un mur honteux, des hordes de persécutés venaient demander asile, quand il pouvait seulement venir jusque là. Elle avait en une semaine adopté la moitié de ses élèves mais ça n'avait pas suffit à tous les sauver. Certains, trop fiers -et pouvait-on seulement leur en vouloir - avait préféré se passer d'elle et l'erreur les avait tout droit menés à Azkaban.
Personne n'était épargné et la grande majorité des élèves semblaient suivre le cours paisible de leur vie, il y en avait certains pour qui fermer les yeux s'était révélé tout simplement impossible. Ceux-là, elle les redirigeait généralement vers quelqu'un de sa connaissance...

Trois coups frappés à la porte. Una fit signe au jeune Hemmington d'entrer. Elle avait lu sa lettre avec la plus grande attention. Non pas que les révélations du jeune ne l'ait réellement surprise, ni non plus qu'elle approuvait la ligne de conduite que le jeune homme avait tenu jusque là. Mais Una de Shalott ne laissait pas oublier qu'elle était avant tout une femme de justice. Ferme, dure parfois, mais toujours juste. Elle croyait en toutes ces valeurs que le gouvernement Blake mettait tant d'application à piétiner.

Les yeux bleu outremer de la doyenne se posèrent sur la marque des ténèbres sur le bras de l'étudiant. Elle ne laissa rien filtrer de ce qu'elle pouvait bien en penser. On n'avait pas de mal à savoir ce qu'elle pouvait bien penser des mangemorts. Pourtant elle recevait Matt, c'était donc qu'elle devait avoir une idée en tête.

« Assieds-toi Matt, tu n'es pas devant un tribunal. »

Une chaise se recula pour le jeune homme, puis Una reprit.

« Bien. J'écoute. »

C'était de ces "j'écoute" dont on sait qu'ils demandent tout de A à Z et avant tout, franchise et transparence. Ses yeux ne cillaient pas. Ils scrutaient et sondaient ouvertement. Ce n'était pas à elle de demander. Ni non plus à elle de montrer qu'elle pouvait être digne de confiance.

« Assieds-toi Matt, tu n'es pas devant un tribunal. »

Il ne répondit pas, parce que ça ne lui semblait pas important de relever le fait qu’il avait une marque des ténèbres sur le bras et qu’il pouvait, dans un futur proche, se retrouvait en effet devant un tribunal. Il se posa sur la chaise cependant, docile aux ordres comme on l’avait éduqué ainsi, et reposa ses yeux anthracites sur la directrice de Ealdwic. Il n’avait pas peur du gouvernement, pas plus qu’il n’avait peur de la mort ou de la prison. Il n’avait pas non plus peur d’être insulté de traître, parce qu’au final, leur fin à tous serait une tombe, et qu’il ne pouvait concevoir une vie à subir les regards des autres. Si ça ne leur plaisait pas, ils n’avaient qu’à détourner le regard. Après tout il ne demandait rien de spéciale qu’un peu de temps avec Luke Midnight. Ses yeux restèrent fixes.

« Bien. J'écoute. »

Il l’avisa un instant, puis se racla la gorge.

« Je suis né à Leenane, en Irlande. Dans ma région, il y avait quatre manoirs, dont deux proches du miens. La famille Backdown et la famille Midnight. Nous étions trois enfants du même âge. Nous nous sommes juré que notre amitié dépasserait les murs et que si l’un de nous chutait, les deux autres devraient lui tendre la main. » Il eut un sourire pincé. « Je ne me suis pas battu pour voir qu’un sang-pur se retrouve derrière des barreaux sous prétexte qu’il couche avec d’autres garçons. Pas quand on voit qu’une sang-mêlé fait partit de nos rangs. J’ai peu réfléchi, c’est bien vrai, mais j’en ai conclu qu’entre deux choix, celui de se battre ou de fermer les yeux, fermer les yeux me seraient insupportables. Il y a de cela quelques jours… »

Il prit une pause, ses yeux cillèrent. Tout raconter, ou garder certaines choses pour lui. Il pinça les lèvres – personne d’autres ne pourraient de toute façon l’aider, et les gens du ‘bien’ avait ça qu’ils ne trahissaient pas les promesses.

« Il y a de cela quelques jours, la mort de Rufus Scylence a été joué au théâtre. Rufus Scylence ainsi que Lilith Grey ont été kidnappé la veille du premier septembre par deux équipes mises en place par Yon Winchester. Les équipes consistaient en : Temperance Hatcher, Sylar Haxley Grey, Lester et Cassandre Grey, Joleene O’Sullivan, Luke Midnight et moi-même, et quelques autres dont j'ai oublié le nom. Un coup monté a permis ainsi de remplacer les têtes des deux institutions. Cassandre Grey a pris la place de sa sœur grâce à une potion de polynectar. Quant à Rufus Scylence, Yon Winchester a jugé plus utile de monter sa mort et d’organiser des élections truquées. Aidev Blake n’a gagné qu’au bon vouloir des medias, en plaçant à la fois Bancroft et Blake, dont on sait que Bancroft n’est autre qu’un pantin. »

Il hocha la tête, pour lui, car cela lui semblait relativement fidèle, sans trop de dramatisations.

« J’ai envoyé une lettre auprès du Ministère demandant ma mutation au poste de Geôlier à Azkaban. Il me sera donné puisque je suis mangemort. Là-bas, j’aurais accès à la fois aux clés de la prison, mais e garderais également, et activement, mon poste de membre des mangemorts. En tant qu’occlumens, je peux me permettre d’engranger certaines informations et de les distribuer. Je ne peux pas tout faire, mais je ne peux décemment pas abandonner mon meilleur ami à une prison dirigée par Edward Clash. »

Il tiqua, un sourire nerveux au coin des lèvres, comme si la colère était montée d’un coup sec et qu’il lui fallait la réguler.

« Cela n’est pas imaginable… Enfin, j’imagine que vous trouvez ça gonflé qu’un mangemort vienne demander de l’aide à l’Ordre, après tout, je pourrais être un espion ! Ou pire, une sorte de mouchard, mais… »

Il laissa un instant passé, cherchant ses mots, comme il avait rarement l’habitude de le faire, lui qui calculer tout sur tout.

« Je pourrais vous dire que je suis quelqu’un de loyal et d’honnête, mais puisque je propose ici de trahir mon propre gouvernement, ça serait bien ridicule de ma part… Pour tout gage de ma loyauté, disons que Luke Midnight et moi ne sommes pas justes de bons amis. Et qu’en tant que tel, je ne peux pas le laisser là bas. Quant à ma loyauté... Je ne suis redevable qu'à ceux qui me donne, et en général, je paie mes dettes jusqu'aux derniers cents. A cela prêt que je ne dois rien aux mangemorts, et qu'une vie, ça vaut si cher que ça serait long à rembourser. »

Il resta de marbre. Avouer son homosexualité, c’était encore se faire horreur à soi-même, mais il n’y avait pas de raison plus forte, plus évidente et plus motivante pour un être humain que le sentiment amoureux bafoué ou interdit. Si pour sauver Luke il fallait retourner la terre, alors il le ferait. Avec ou sans leur aide.

Una écouta sans interrompre le petit argumentaire du jeune homme. Si elle pensait, et elle pensait beaucoup, rien ne la trahissait. On l'aurait crue statue de marbre devant les confessions plus que troublantes de ce mangemort en voie de repentir. Elle ne tiqua même pas devant la confession la plus intime de ce petit laïus, comme si cela ne faisait aucune différence dans sa manière de regarder ce qui n'était à ses yeux qu'un gamin. Ou alors comme si elle l'avait déjà su. Elle ne s'exprimerait pas sur ce sujet.

« J'entends bien ce que tu viens de me dire Matt. Mais ce n'est pas à moi qu'il revient de juger si l'on peut t'accorder crédit ou non.… »

Elle s'éclaircit la voix avant de poursuivre.

« D'autres que toi aspirent également à atteindre Azkaban mais je ne pense pas qu'ils aient nécessairement l'étoffe ni les moyens de se faire engager geôlier… une en particulier. Je m'en remettrais à elle pour juger de ta bonne foi. Elle t'introduira à l'Ordre du Phoenix si toute fois tu parviens à la convaincre et surtout, à passer outre la qualité du sang sans mentir. Une naissance ce n'est rien à la valeur vraie d'un homme... ou d'une femme d'ailleurs. Ce qui nous est donné il ne faut pas le renier mais il faut toujours garder à l'esprit que plus que ce qui nous est acquis, c'est ce que l'on a conquis qui fait notre étoffe vraie. »

Une pause à nouveau.

« Tu peux parler librement, accepter ou refuser mes conditions. »

Son regard se posa à nouveau contre les prunelles du gamin, impassible. Elle n'imposait rien.

Il regarda la doyenne d’Ealdwic et eut un instant de silence, pour mieux réfléchir. Il baissa les yeux, puis les releva. Seul, il n’y arriverait pas. Mais entourés de sangs impurs, était-ce bien mieux ? Sans doute. D’un sens, le sang lui importait tellement peu… Il ferma les yeux et inspira profondément.

« De temps en temps, on est amené à faire des choses contraires à ses principes… »

Il repensa à la suite de la phrase, un instant. Si en temps normal, dans ce genre d’histoire, le cœur et la raison devaient lutter l’une contre l’autre et le cœur devait emporter, ici, il n’était pas même question de bataille entre eux. Le cœur et la raison étaient d’accord sur un point : il fallait tout faire pour récupérer Luke Midnight. Tout. Il eut un petit sourire, amusé, reprenant :

« En fait, il faut oublier qu’on en a. »

Il laissa un nouvel instant de silence, cette fois-ci un peu plus court, pendant lequel son esprit organisait déjà la suite des événements, mais nettoyait également cette mémoire infaillible qui avait été construite de toute pièce dans son enfance par l’éthique des sang-purs et qu’entretenait encore aujourd’hui Matt à travers son attitude. Un instant seulement, puis tout s’effaça, et il s reprit, tout aussi calme qu’avant :

« Il me faudra un petit temps pour oublier ce que pendant dix-sept ans on m’a enseigné, mais j'en suis tout à fait capable. Et je passerais devant votre… juge, ou ce qui y ressemble, si cela est une des conditions que vous imposez. »

Il hocha la tête, extrêmement calme, comme à l’habitude. Un calme flagrant qui ne cacher rien. Ni prudence, ni inquiétude, ni rien. Il était calme, serein. Paisible comme rarement avant. A la vérité, il n'avait pas peur.

La doyenne de l'université écouta encore une fois sans couper le jeune homme. Elle ne le forçait en rien à poursuivre dans une voie qui ne lui convenait pas et à ce propos, elle avait été claire là dessus, le choix ne serait pas le sien, ce serait celui de l'ordre ainsi qu'il avait toujours été le cas. Il ne devait pas s'attendre à être accueilli sans méfiance mais s'il y mettait du sien, et elle ne doutait pas qu'il le ferait, alors les choses fonctionneraient.

« C'est la seule, mais je n'impose rien. Sortons, rien ne sert de perdre plus de temps en bavardages n'est-ce pas? » , et comme elle disait ceci, la porte de son bureau s’entrebâillait, laissant entendre de lointaines rumeurs de couloirs.

Una de Shalott sortit de son bureau dans un flottement de lin léger. Sur ses épaules une ombre noire passa, se réfugiant quelque part derrière ses cheveux, à la base de sa nuque. Ce petit rien furtivement aperçu, c'était un précieux noir, dragonnet particulièrement rare qui lui tenait compagnie depuis, semblait-il, une éternité. Mais rares étaient ceux qui en connaissaient l'existence.
Un regard par dessus son épaule, et elle prenait à gauche deux fois en direction de la cour d'honneur...


« Plus fort! Plus vite! Montre qui est le maître ici!! Allez! »

La voix de la cheftaine dresseuse s'élevait haut et fort dans les lices, et l'énergie qu'elle dégageait était d'une rare efficacité. Eut-elle cinglé son équipe à coups de fouet que Huyana n'eut pas fait meilleur effet. Mais il y avait une chose contre laquelle elle ne pouvait pas lutter: leur fatigue. Elle, à cheval sur l'une des têtes de son hydre géante, semblait s'économiser quand elle demandait aux autres de se tuer à la tâche. Pourtant pour en arriver là, elle en avait sué bien d'avantage que les autres.

Rupert jeta son bâton d'argent en direction de l'Hydre de la cheftaine, sans vaiment y penser, plus parce qu'il était au comble de harassement qu'autre chose. Ca ne manqua pas, un immense fouet urticant plein de fureur siffla dans l'air en guise de représailles, mais Huyana veillait au grain, plus attentive que les autres. Ce fut un mur de glace qui para le coup, devant un Rupert blanc de peur. Huyana sauta dans l'arène. Elle portait une large lanière de cuir qui lui maintenait le peu de sein qu'elle avait, par dessus une étoffe bleu ciel qui lui ceinturer le thorax sans rien couvrir de ses épaules, ses bras ou son ventre. En guise de pantalon, un sarouel ample taillé dans une seule grande pièce rectangulaire et qui ne tenait que par les noeuds que la djinn d'eau avait nouée à ses extrémités. Une tenue pour le moins peu commune, du moins en Angleterre. Au soleil la jeune femme semblait encore plus pâle et le blond de ses cheveux disparaissait presque complètement pour laisser une impression étrange de diaphane et de lumière diffuse.

C'est à ce moment là que la doyenne arrivait, accompagnée d'un jeune homme que certains dans l'équipe reconnurent.

« Ne baisse plus jamais ta garde Rupert. Si je n'avais pas été là ça aurait pu te coûter très cher. Et c'est valable pour nous tous. » , intima la voix de la djinn qui venait à peine de remarquer les nouveaux arrivants,« Ce sera tout pour aujourd'hui. Rompez. »

Son oeil bleu antarctique se fixa sur les nouveaux venus et elle salua d'un signe de tête poli. Derrière elle, l'hydre sifflait et dominait dangereusement , et pourtant elle semblait sereine, sûre d'elle.

« Huyana, Matt Hemmington. » , fit la doyenne en guise d'introduction, on remarquait qu'elle ne citer pas le nom de famille d'Huyana, « Je pense que vous pourriez avoir des choses à vous dire. » , ajouta-t-elle, signifiant clairement son intention de se retirer.

Huyana acquiesça et la regarda s'éloigner avant de poser à nouveau ses grands yeux d'eau sur Matt Hemmington. Elle ne dit rien cependant, attendant de voir le dernier de ses dresseurs quitter les lices... elle se doutait que si la directrice avait été si circonspecte, c'est que cela pouvait avoir un lien avec l'ordre du phoenix.

« Alors c'est toi? » , demanda-t-elle, contrainte de ne pas trop en dire dans le bénéfice du doute. Si c'était bien le garçon dont on lui avait parlé, il se reconnaîtrait sans mal dans ce "alors c'est toi?".

Matt Hemmington suivit Una de Shalott sans un mot. Son regard était précis quoi que sombre. Il regardait les alentours, sans un mot, pas assuré mais pas méfiant non plus. Son don d’occlumencie lui facilitait la tâche quand il s’agissait de cacher ses secrets, et c’était exactement ce qu’il lui fallait sur le moment – cacher ses secrets. Il était en train de se précipiter dans la gueule du loup. Après ça, il ne serait plus jamais question de fait marche-arrière. Yon Winchester serait sans pitié pour lui, pas plus que les Blake, il le savait, mais il le ferait. Il en était capable, pour l’amour de Luke, mais surtout sa sécurité. Il rouvrit lentement les yeux, au détour d’un couloir pour finir sur les lices. Là une voix forte et autoritaire s’élevait. Il y prêta attention, son esprit observateur notait ce qu’il lui fallait comme information pour ne pas se faire doubler dans le futur. Il aurait vendu sa propre mère si ça avait été possible pour sauver le jeune héritier Midnight, et ça ne risquait pas de changer. Il posa ses yeux sur Una qui s’était arrêté, alors que les occupants des lices rompaient les rangs. Matt Hemmington ne disait rien, sa mâchoire carrée fermée parlait pour lui. Il était comme ça, sévère jusque dans la façon de se tenir sans sourciller.

« Alors c'est toi? » Cette phrase semblait toute droit sortie d’un film. Alors c’est toi ? C’est toi dont on a enlevé l’amant pour le foutre dans une prison entouré de taulards de merde ? Matt eut un fin sourire, un poil moqueur, un poil tiré. Il détestait cette idée, celle dans laquelle il s’enfermait un peu plus de voir Luke lui revenir en plusieurs morceaux, détruit par l’institution que l’on avait mis en place, justement pour réduire à néant les personnes comme lui, et rendre plus forts et plus sadiques le reste. « C’est moi, il paraît. »

Les yeux anthracites jugés les prunelles claires, avant de se relever et de regarder l’hydre. Il l’observa quelques secondes, quelques instants, la détailla, puis détourna le regard, les reposant sur cette enfant qui était plus âgée que lui à coup sûr, mais dégager quelque chose de plus jeune, de plus dynamique, et lui donnait ainsi un air plus jeune. Lui, à côté, ressemblait à la mort dans un costume de pièces noires bien taillées sur ses épaules larges, ultime charpente d’un corps de géant.

« Faut-il que je dise davantage que ça ? »

Question de routine. Il n’avait pas de temps à perdre. Son plan serait long à mettre en place, alors commencer à l’engrener au plus tôt serait une meilleur façon de vaincre l’échec. L’échec se résumerait, dans le cas de Matt Hemmington, par la mort à coup sûr. Alors l’échec n’était pas une solution franchement intéressante pour lui.

L'hydre siffla dans le dos d'Huyana comme chaque fois qu'elle se trouvait en présence d'un élément nouveau et inconnu. La djinn lui flatta la gueule d'une main sûre sans quitter des yeux le garçon que la doyenne lui avait amené. Ses yeux imprimaient quasiment chaque arrête de son visage anguleux, presque tactiles. Pour elle la froideur des autres n'avaient jamais été un obstacle. Après tout, si elle avait réussi à atteindre Zenshou, le plus improbable ami qui soit, elle pouvait soulever des montagnes, souffler dessus et les voir reculer d'un kilomètre ou deux. Ca ne lui posait pas de problème. En revanche, devant Matt Hemmington, le seul problème qu'il pouvait y avoir émanait d'elle. De la place qu'elle laissait au doute car elle savait que tout reposait sur son jugement.

Si elle se trompait sur lui, alors ils étaient tous morts et Zenshou croupirait dans les cellules d'Azkaban sans doute pour le reste de sa vie. Ce n'était pas une chose qu'elle était prête à accepter. Il lui fallait des certitudes. Or les certitudes ne s’acquièrent qu'avec le temps et du temps, c'était précisément ce dont ils manquaient.

« Faut-il que je dise davantage que ça ? »
« Je n'en sais rien. », répondit-elle tout aussi placide que lui, elle lui fit signe de le suivre sur le campus, à l'écart de tout, tout en continuant de parler, « Je suis quelqu'un de franc, si ça ne marche pas nous deux tu le sauras tout de suite. Ce qu'il me faudrait c'est du temps pour te connaître mais je n'ai pas le temps. J'ai un plan. Un objectif. Et pas de temps. »

Elle se campa devant lui, les bras croisés sur sa poitrine avec cet air déterminé que peu de gens ont jamais vraiment. Pour un peu on aurait voulu lui tracer les marques de la nation du feu sur les joues et la nommer général de quelque chose.

« Alors soit tu en es tout de suite, soit tu n'en seras jamais. C'est maintenant que j'ai besoin de savoir si je peux te faire confiance. »

Zenshou aurait dit que c'était de la folie. Que c'était n'importe quoi. Qu'elle ne pouvait pas décider comme ça sur un quasi coup de tête si oui ou non on pouvait faire confiance à ce mec. Elle savait tout ça, pertinemment. Mais elle y allait franco, comme si elle serait aller affronter le grand serpent. La tête haute. Une certaine forme de fureur guerrière dans le regard, celles des vainqueurs. Celle de ceux qui mourront plutôt que de se voir échouer.

« Je suis quelqu'un de franc, si ça ne marche pas nous deux tu le sauras tout de suite. Ce qu'il me faudrait c'est du temps pour te connaître mais je n'ai pas le temps. J'ai un plan. Un objectif. Et pas de temps. »

Il hocha la tête, parce que ça, il comprenait. Lui non plus n’avait pas de temps, ou tout du moins pas assez, et il ne comptait pas vraiment changer quoi que ce soit dans sa vie et dans sa vision des choses. Il était quelqu’un de logique, de très logique, et derrière son habituelle docilité, il allait de soit qu’il n’allait plus vraiment aider les mangemorts, quelque soit leur discours. Matt était rancunier. Et on avait enfermé Luke pour presque rien. Il aurait tous les êtres de la chaîne. Il les détruirait tous. Il n’avait qu’une parole.

« Alors soit tu en es tout de suite, soit tu n'en seras jamais. C'est maintenant que j'ai besoin de savoir si je peux te faire confiance. »

Il la regarda, et imperceptiblement, comme un frisson sur le visage, il eut un sourire, d’abord invisible, puis franc. Un sourire de vipère, en coin, pas effrayant, quoi que le visage du géant avait de quoi effrayer par instant. Il haussa un sourcil.

« Je ne serais pas venu si je n’en étais pas. » Il laissa couler un instant, infime, avant de reprendre : « J’ai un plan, et je suis un pion. Je suis pour l’instant intouchable. Après ça, je serais damné. » Il eut un sourire, plus sincère, plus doux peut être : « Mais le jeu en vaut la chandelle. Dis-moi une date, un moment, et je ferais. Tu peux me croire, ou non, ça, c'est ton choix. Je ne vais pas te dire que je ne suis pas quelqu'un de confiance. Sache juste que je n'ai qu'une parole, et que tout pendant que tu es correcte avec moi, je serais réglo. C’est aussi simple que ça, pour moi. »

Concis, toujours très clair. Les Mangemorts avaient perdu une pierre d’un grand monument, mais ne dit-on pas que tous géants possèdent des pieds en argile?

Elle le laissa parler observant tout autour d'eux. Elle le conduisait droit vers le lac de la forêt de Huelgoat et ce n'était pas pour rien. Un sourire franc. Elle attrapa ce petit signe de sincérité au vol, buvant ses paroles non pas en naïve mais bien en âme vigilante.
Huyana s'arrêta là, au milieu de nulle part. Surtout à un endroit où personne ne viendrait les chercher. Elle n'avait pas le temps de s'accorder un moment pour repenser à Zenshou qui faisait danser ses langues de feu sur l'eau pour célébrer le soleil. Ce n'était pas il y avait si longtemps.

« Mais le jeu en vaut la chandelle. Dis-moi une date, un moment, et je ferais. Tu peux me croire, ou non, ça, c'est ton choix. Je ne vais pas te dire que je ne suis pas quelqu'un de confiance. Sache juste que je n'ai qu'une parole, et que tout pendant que tu es correcte avec moi, je serais réglo. C’est aussi simple que ça, pour moi. »
« Ca me va. »

Elle détourna le regard vers le lac où l'eau semblait se hérisser par endroit pour former un étrange labyrinthe... cela ressemblait un peu à un plan. Un plan non détaillé d'Azkaban pour le peu qu'elle avait pu en tirer de ses longues conversations avec Eli qui y avait fait un petit séjour. On reconnaissait parfaitement bien l'accueil des prisonniers avec par endroit des pics qui simulait des gardes. le long couloir qui menait à l'infirmerie quatre niveau en dessous. Les douches. Une partie de l'administration. Mais le bâtiment était clairement incomplet car il n'y avait là que ce que Jenkins avait dans sa mémoire. A quatre endroits pourtant, on remarquait un étrange symbole qui tournait sur lui même. Une demie lune enceignant un ruisseau à trois vagues.

« Voilà mon plan à moi. Et il est encore très incomplet comme tu vois. »