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Il était 13H de l’après-midi. Lukas quittait l’Université après une matinée à sa vautrer dans l’ennui le plus total. En effet, il avait ‘
enseigné’. Lukas n’avait pas, et n’avait d’ailleurs jamais eu, une vocation pour l’enseignement. C’était un chercheur pur et dur. L’enseignement lui était tombé dessus comme ça, lorsqu'il était encore au Collège des magiciens de Vienne. Il y était devenu Liseur et à ce titre s'était vu attribué des groupes d'élèves à encadrer dans leurs travaux et recherches. Il n'y avait jamais vraiment pris goût, considérant cette activité comme une perte de temps. En outre, il était très peu enclin à partager son savoir. Et puis, la magie élémentaire l'ennuyait profondément. En revanche, il pouvait éprouver un intérêt certain pour un élève qui avait des dispositions intéressantes dans le domaine des enchantements et sortilèges. Néanmoins, il ne le montrera jamais ouvertement et se trouvera encore plus exigent avec ce dernier. La pédagogie? Il ne connaissait pas. Ce qui était assez étrange c'est que cela n'en faisait pas pour autant un mauvais professeur. Précisément car il connaissait son domaine d'enseignement par cœur et qu'il enseignait de la manière la plus efficace qui soit. Efficacité, c'était un adjectif dont il était souvent affublé – après celui de TILF (Teacher I’d Like to Fuck) bien sûr. Il ne s'arrêterait pas pour des élèves sujets à des difficultés, en revanche pour ceux capables de le suivre, ils seraient sûrs d'être amenés là où le programme scolaire voulait qu'ils soient. Et pour certains, bien au delà.
Le Magister en charge du cours intitulé '
De l’inefficacité du Fidelitas au fatalisme de l’Avada Kedavra' avançait d’un pas décidé vers les portes de l’Université, Balto, son compagnon à quatre pattes, sur ses talons. Il alluma une cigarette qui provoqua une fumée légèrement teintée de bleu et de violet et qui laissait une longue traînée derrière lui. Il eut à peine le temps de mettre un pied dehors qu’une lettre sortie de nulle part vola en sa direction et se pointa à quelques centimètres de son nez. Lukas reconnu le blason d’Ealdwic et fronça des sourcils. Sa journée était terminée, et il n’avait aucune intention d’ouvrir cette lettre. Il la contourna d’abord et tenta de reprendre son chemin mais elle revint immédiatement se placer devant lui. Balto jappa.
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Urgent, marmonna la lettre.
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J’ai fini ma journée, répondit Lukas en lui soufflant un nuage de fumée.
Cette dernière se mit à toussoter avant de se déplier devant les yeux du chercheur de sorts. Balto faisait des bonds à présent pour essayer d’attraper la missive avec ses dents. Lukas plaqua sa main gauche sur ses yeux puis sortit sa baguette de sa poche. Il comptait bien réduire cette lettre inopportune en cendres. Lorsqu’il écarta les doigts de sa main pour voir où viser, il distingua deux professeurs en face de lui qui le regardaient abasourdis par la situation. Lukas soupira et se résolut à attraper la lettre. Les deux professeurs passèrent leur chemin. Finalement il s’appuya contre la façade du bâtiment de la chambre des sortilèges et détailla le message. En fin de lecture, il maugréa quelque chose et siffla Balto avant de lui donner la lettre en pâture.
Cette dernière disait qu’un professeur était cloué au lit après avoir tenté d’ensorceler son pot de chambre et était dans l’incapacité de participer au jury de la sélection pour les échanges universitaires de l'année prochaine. Lukas avait donc été assigné par la Doyenne à le remplacer et à rejoindre une de ses collègues dans l’amphithéâtre A25. Puis la lettre donnait quelques indications sur la manière dont devait être organisée cette sélection. Enfin, elle se terminait en lettres manuscrites par :
‘Lukas, je suis sûre que vous saurez choisir les élèves les plus appropriés pour représenter notre université à l’étranger,
Una.’
Arrivé dans le couloir qui menait à l’amphithéâtre A25, Lukas fit un bond en arrière et manqua de trébucher sur Balto. L’endroit était bondé d’élève. Il n’aurait pas été étonnant que tous les élèves du département des sortilèges et enchantements soient présents. Le chercheur de sorts en manqua de laisser tomber sa cigarette qui vacillait dangereusement sur sa lèvre inférieure.
- On est là pour au moins deux jours Maître Lukas, pensa Balto.
- Vu le bordel dans ce pays, ça ne m’étonne pas que tous ces jeunes veulent aller étudier ailleurs. Lukas s’avança dans la foule qui fondit dans un silence au fur et à mesure de son avancement. La plupart des visages pâlirent: ils ne s’attendaient sûrement pas à ce qu’Ustaz fasse partie du jury. Lukas était même persuadé d’en avoir vu quelques un quitter la file d’attente, dépités. D’autres visages plus alertes et principalement féminins affichèrent des sourires aguicheurs ou ne manquèrent pas de se frotter contre le chercheur de sorts qui tentait de se frayer un chemin entre les centaines d’élèves. Arrivé à la porte de l’amphi, il se retourna et vit tous les yeux tournés vers lui dans une jolie palette allant de la déception au désespoir et en passant par une certaine colère. Avant de se glisser à l’intérieur de la salle, il jeta un œil à l’élève qui portait une étiquette numérotée ‘1’ sur sa robe de sorcier.
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On t’appellera, dit-il en écrasant sa cigarette au sol.
L’amphi était vide. Mise à part une femme assise au plus haut gradin, Lukas supposa qu’elle était la collègue mentionnée dans la lettre, avec laquelle il allait devoir auditionner les élèves. Balto alla renifler les coins et recoins de la pièce avant d’aller s’allonger sur l’estrade en contrebas. Lukas, lui, alla s’asseoir à quelques mètres de sa collègue après l’avoir salué d’un bref signe de tête.
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Lukas Ustaz. Je remplace le Professeur Jenkins qui a la tête dans son pot de chambre. Désolé du retard, je viens d’avoir le message.Lukas n’était pas un collègue des plus impliqués. Il allait aux réunions pédagogiques mais n’y participait pas. Il se pliait aux règles de l’Université même s’il jouait avec la plupart du temps. Si tant est pour son efficacité, il n’aurait pas une bonne réputation. Il avait néanmoins une personnalité relativement bipolaire. Il savait se tenir et pourtant, là, il allongea ses jambes sur le siège de devant et adopta une position on ne peut plus relaxée. Alors même s’il semblait être aux combles de l’ennui en ce moment, il ne serait pas étonnant de le voir porter un intérêt tout particulier à ces auditions.