Jesse n'avait plus eu de nouvelles de William depuis l'ouragan qui s'était soulevé ce fameux jour où il devait lui présenter sa famille. Elle y avait repensé. Souvent. Plus que souvent. Est-ce que passé plus de trois semaines ça voulait dire qu'on avait rompu, tacitement?
Trent et Charly n'allaient pas lui dire que oui bien sûr, enfin... Trent était plutôt le genre brute de décoffrage mais même lui n'avait pas osé lui dire de but en blanc que c'était fini. C'était dire. Quelque part elle savait très bien ce que ça voulait dire et ça lui faisait plus mal qu'autre chose de se dire que ça ne marchait pas entre eux. Ce n'était pas qu'elle ne l'aimait pas. Ni que lui ne l'aimait pas quoiqu'on ne puisse jamais être sûr à 100%. Mais ça ne suffisait pas apparemment. Il fallait quelque chose de plus, pas pour lui mais pour elle. Parfois en fermant les yeux, elle se l'imaginait n'être qu'à elle, n'existait que pour elle. C'était purement égoïste mais tellement mieux que de devoir le partager entre dix milles mensonges et une ex aux cheveux roses insupportable. Tellement mieux...

Jesse sauta de son lit à pieds joints. Non effectivement ce qu'elle avait en vrai avec William, ça ne lui convenait pas. Elle avait deux choix possible comme le lui avait bien dit Charly: passer à autre chose, ou alors reprendre les choses en main. Et elle n'arrivait pas à trancher. Reprendre les choses en main, se remettre les deux pieds dedans avec une chance sur deux de retomber dans le même schéma. Mensonges et trahisons. Frustration. Insatisfaction. Connerie. Est-ce qu'elle allait vraiment prendre le risque? Et pourquoi? Est-ce que ça en valait la peine?
Son père lui posa un baiser sur le front avant de jeter son vieux blouson sur son épaule et de prendre ses clés en sortant. Une journée plus qu'ordinaire en somme. Jesse termina son petit déj', ensuite elle ferait la vaisselle et peut-être que si elle avait la motivation, elle recollerait la tasse qu'elle avait cassé la veille. Quelque part elle préférait réparer ce qu'elle avait déjà plutôt que d'acheter une nouvelle tasse. C'était peut-être aussi pour ça qu'elle n'arrivait pas à se décider. Parce que dans le fond, ce n'était peut-être pas parfait mais... mais...

Jesse ferma les yeux. Peut-être que ça ne la mènerait à rien tout ça. Mais au moins elle aurait essayé. Elle transplana dans l'idée d'apparaître quelque part chez le président. Ce à quoi elle n'avait pas pensé, même si c'était logique, c'était que n'entrait pas qui voulait. La première fois à y bien réfléchir, c'était William qui avait transplané, pas elle. Alors elle se retrouvait comme une conne à deux cent mètres de la baraque du président de la magie, incapable de franchir le bouclier transparent qui la séparait de son but. Elle baissa la tête, un sourire nerveux sur les lèvres. Blasée. Alors ce serait toujours comme ça entre eux? Arrivé si près d'être bien, il y aurait toujours un mur devant ou entre eux. Voilà. Alors c'était comme ça que l'histoire se finissait. Jesse soupira et tourna les talons. Un crac sonore et elle se retrouvait devant le portillon de chez elle.

Il y avait quelqu'un à la porte. Un silhouette qu'elle reconnaissait même de dos. Elle hésita et poussa le portillon. Les vieux gonds grincèrent, trahissant sa présence. Elle adressa un regard à William, une étrange expression sur le visage.

« Salut »
« Hey... », répondit-elle d'une voix mal assurée, sortant une main de sa poche dans un petit signe qui n'était ni amicale ni rien du tout.

C'était juste comme ça, pour ... parce qu'il n'y avait rien qu'elle aurait pu faire d'autre pour lever le voile d'embarras qui pesait sur leurs épaules. Trois semaines c'était long et ça n'allait certainement pas être facile de dire quoique ce soit après ça. La seule chose qui était sûre c'était qu'il n'était pas question de faire comme si de rien n'était.

« J’crois qu’il faut qu’on parle. »

Elle acquiesça, la main dans la poche pour sortir ses clés avant d'approcher. Elle n'allait pas le laisser dehors comme si ça avait été le facteur ou le premier inconnu qui passait. Pendant qu'elle franchissait la courte distance de William à la porte, il fallait qu'elle repèse encore une fois le pour et le contre. Est-ce qu'elle était toujours en colère? Oui. Définitivement. Est-ce qu'elle avait envie de discuter cette fois-ci? Là aussi c'était définitivement oui. Est-ce qu'elle ressentait encore quelque chose pour William?

« Mon père rentre pas avant ce soir tard, vas-y installe toi. », proposa-t-elle en lui indiquant le canapé. Elle donna un coup de baguette, servant par habitude deux verres de coca mais après cinq minutes d'un long silence, ses doigts pianotaient sur le verre sans qu'elle n'ait rien dit alors... « Je suis toujours fâchée pour... pour tout. », annonça-t-elle finalement. Pour tout ça voulait dire... tout. Pour le ministre. Pour Candice. Pour tout mais surtout pour les mensonges en fait. Les mensonges et les cachoteries. Finalement son regard croisa celui de William et s'y arrêta, malgré l'atmosphèreà couper au couteau, « Et toi? »

« Je suis perdu. J’ai conscience de ne pas avoir fait ce qu’il faut et je ne te demande pas de me pardonner. Je sais que je mérite que tu m’en veuille mais j’aimerai pourtant qu’tu essaie même si… Je m’en sens mal quand je suis auprès de toi. J’arrive pas à l’expliquer et j’aimerai vraiment que ça soit différent mais… quand j’te regarde et que j’vois une certaine tristesse dans tes yeux comme maintenant, j’me déteste parce que je sais que c’est à cause de moi. J’voudrais pouvoir me lever le matin sans me dire que j’suis une personne horrible parce que c’est comme ça que toi tu me vois. On se fait tellement du mal que je ne suis plus tout à fait certain qu’on est quelque chose à s’apporter tout les deux… »

Jesse acquiesça en silence. Elle avait la gorge nouée et semblait réfléchir. Elle avait écouté comme jamais avant, sérieuse mais surtout elle s'était appliquée à ne pas trop montrer ce qu'elle ressentait. Du moins elle avait fait de son mieux. Difficile de ne pas voir que ce moment n'était pas une partie de plaisir, et si au fond de son coeur elle souhaitait que ça se termine, vite, elle ne voulait pas bâcler les choses.

« ... alors c'est fini? »

La question fatidique. Elle n'avait pas le moins du monde envie de l'entendre dire oui. Mais elle l'avait écouté, et c'était ce qu'elle en concluait. Que pour lui c'était mieux ainsi. Elle ne pouvait pas soutenir une seconde de plus cette attitude calme et posée. Elle n'allait pas crier , mais il fallait qu'elle se laisse. Qu'elle soupire. Qu'elle passe une millième fois sa main dans ses cheveux en faisant les cent pas parce que... parce que.

Elle serre cette main qui la retient. Les yeux embués de larmes qu'elle retenait comme une chef. C'était ça, ce qu'elle voulait. Qu'il la retienne. Qu'ils se retiennent. Qu'ils se montrent qu'ils comptaient l'un pour l'autre. Le coeur qui bat dans sa main, c'est le sien. Elle n'entend pas laisser qui que ce soit le lui prendre. Parce que c'est ce qui se passera s'ils se laissent partir l'un l'autre. Ils s'oublieront, ils se remplaceront. Et rien que l'idée lui est insupportable. Elle l'écoute sans le regarder, peut-être parce qu'elle réfléchit en même temps...

« Mais je suis ici et… et...»

Une peste aurait dit "et quoi?" un peu sèchement. Une guimauve aurait dit " ne dis rien moi aussi je t'aime", une cruche n'aurait rien dit du tout. Peut-être que Jesse était un peu tout ça à la fois, à sa façon un peu rock, un peu peste, un grunge, un peu guimauve, cruche aussi, peut-être, pas trop quand même. Juste ce qu'il fait pour être somme toute, quelqu'un d'assez équilibré. Elle ne dit rien. Se contenta de relever les yeux sur lui. Il y eut un long moment de silence. Un long moment de rien. Puis, toujours sans rien dire, elle dégagea sa main de celle de William qui la retenait encore, posa le bout de ses doigts juste au dessus de la ceinture du jeune homme pour prendre appui. Se hisser sur la pointe des pieds pour être à hauteur de ses lèvres. Elle ne bouge plus d'un instant. Le regarde dans les yeux mais quand elle l'embrasse enfin c'est un baiser particulièrement fougueux, amoureux, dévorant qu'elle lui réclame. Qu'elle lui prend. Dans ce baiser, il y a toute la frustration qu'ils ont accumulés l'un l'autre à force d'histoires et d'embrouilles. Il y a toutes ses attentes aussi. Elle le repousse contre le mur sans que jamais leurs bouches ne se quittent.

Jesse ouvrit un oeil. Elle aurait reconnu le bruit entre mille. Celui de son père qui venait de rentrer et qui posait ses clés sur la table. Sur le coup, lovée contre l'épaule de William, elle était tellement bien, qu'elle ne percuta pas. Il lui fallut deux ou trois minutes de mise en route pour calculer. Oh merde! Son père était rentré!! Elle se redressa d'un bond dans le lit, tirant le drap sur elle.

- Will! Will réveille-toi!!!!

Elle le secouait comme un prunier, carrément en stress. Dans les escaliers , le pas pesant de Marshall Matthews se faisait entendre. Si jamais il faisait comme d'habitude, il rentrerait dans sa chambre sans frapper et ils seraient grillés jusqu'à la fin des temps. Voilà pourquoi Jesse était dans tout ses états.

Elle tendit la main pour attraper son pyjama et jeta un regard tout autour d'eux.

- Jesse? He ho?

Regard paniqué à William. William. Placard. William. Vite quelque chose, une idée, n'importe quoi mais il fallait que William disparaisse momentanément avant que son père ne franchisse la porte et que ce ne soit la catastrophe.