En 2005 le luxueux appartement des Ustaz à Vienne a été assailli par des limaces anthropophages. Une dangereuse et mystérieuse incongruité dont toute la famille soupçonnait l’origine sans oser l’avouer ; mis à part Grand-mère Margaret qui, elle, scandait la vérité cachée à qui voulait l’entendre. « C’est encore une expérience de cette vieille bique d’Ida qui a mal tourné ! Coureuse de remparts ! Pie borgne ! Moule à gaufre ! Vipère, elle nous tuera tous avec ses satanées potions ! » La guerre des grands-mères étaient déclaré depuis bien longtemps. Grand-mère Ida avait-elle réellement engendré ces créatures ? Nul ne le saura jamais ; car même sous l’effet du plus puissant des véritasérums, il y avait peu de chance qu’elle crache le morceau. Les limaces mutantes passaient le plus clair du jour à se faire très discrètes et sortaient la nuit en quête d’humains endormis près à se faire lécher en long en large et en travers jusqu’à qu’il n’en reste que des os. C’est sous cet état que Berny, le majordome quitta les Ustaz. Il avait donc fallu prendre des mesures drastiques de sécurité et de discrétion, car les limaces anthropophages de vingt kilos dans l’immeeeense et riiiche appartement d’un Patriarche de Vienne, bah ça le fait pas ! Bien que Balto s’occupât d’en éviscérer une bonne dizaine chaque nuit, lesquelles on retrouvait baignant dans leur jus sur le tapi du petit salon au petit matin, Monsieur Ustaz décida de faire appel à quelqu’un. Certainement pas quelqu’un de Vienne en tout cas ! Pour quelles raisons Monsieur Ustaz décida de faire appel à Devalier ? Monsieur Ustaz faisait partie de ces gens haut placés qui avaient un réseau étendu et des listes de personnes à contacter en fonction de chaque problème. Il se trouvait qu’en matière de nuisibles le nom affecté à ce problème était Théodore Arthur Devalier. Et puis il habitait en Angleterre et ne faisait donc pas partie des « cercles viennois ». Monsieur Ustaz fit donc appel aux services de Devalier, usant de ses relations afin d’enjoindre le ministère britannique à lui céder son chef de la brigade de capture des créatures nuisibles pour quelques jours, et une chose est sûre, Théodore ne reçut jamais un aussi gros cachet pour une affaire de limaces baveuses de toute sa carrière ; bien évidemment la discrétion était incluse. Il fallut presque deux semaines à Devalier pour venir à bout de toutes ces sales bestioles. Deux semaines au cours desquelles il ne quitta que très rarement l’appartement des Ustaz. La nuit il chassait les limaces et une bonne partie du jour il dormait dans une partie de l’appartement qui lui avait été personnellement aménagée. Seulement voilà, l’impolitesse et les mauvaises manières du chasseur de limace n’allaient pas forcément de pair avec le… cadre. Grand-mère Ida passait son temps à enchainer médisance sur médisance à l’égard de Devalier. Elle avait même ouvertement exprimé le souhait qu’il se fasse bouffer par les limaces ! Grand-mère Margaret était tout aussi à cheval sur les bonnes manières mais se gardait bien de faire des réflexions ; se contentant de froncer des sourcils ou de demander poliment à Devalier de ne pas manger la tarte au citron qu’elle avait spécialement préparée pour lui avec les mains mais avec la petit fourchette prévue à cet effet. Et puis tant que Devalier acquiesçait vaguement à chaque fois qu’elle essayait de le convaincre que Grand-mère Ida était responsable de tous les maux du monde, il pouvait même l’insulter sauvagement pour lui dire de le laisser faire son taff tranquille, qu’elle eût fait mine de ne pas l’entendre. Balto le suivait partout, avec un petit regard suspicieux à l’encontre de l’homme qui annihilait un à un ses jouets nocturnes. Madame Ustaz était presque ravie et certainement soulagée de voir les carcasses de limaces mutantes s’amasser dans le petit salon. Monsieur Ustaz ne disait rien et faisait confiance. Quant à Lukas, le Chercheur de Sorts, qui avait, à quelques années près, le même âge que Devalier, il trouva en ce chasseur de nuisible un certain intérêt : il bousculait l’ordre établi, tout comme lui à bien des égards, et il n’avait que faire des règles et des usages, il ne les portait pas dans son cœur non plus. Qu’il l’ait voulu ou non, Devalier s’est trouvé projeter dans ce petit monde où les apparences sont grandes et trompeuses. Quoi qu’il en fût, après deux semaines d’intense labeur, la dernière limace anthropophage s’avoua vaincue et Devalier obtenu une certaine consécration au sein de la famille. Chaque année suivant cet évènement, et sur demande imminente de Madame Ustaz qui n’avait qu’une seule peur : le retour de ces maudites limaces, Devalier était convié à revenir à l’appartement. Dès lors on pouvait entendre : « C’est Devalier ! Il vient pour le check annuel des limaces ! » Sans être un « intime » de la famille, Devalier avait tout de même réussit à s’ériger en tant qu’institution familiale, ou quelque chose de la sorte. Et dire que des gens paieraient pour avoir accès au « cercle des Ustaz », lui n’avait eu qu’à s’occuper de leurs limaces… Les bons comptes font les bons amis. Depuis juin 2010, Lukas Ustaz travaille entre autre pour le ministère britannique. Il croise souvent Devalier et, dernièrement, ils ont même bu un verre ensemble. La mauvaise humeur du chasseur de nuisible le fait toujours autant rire.