Ca n'était jamais par hasard qu'on se retrouvait sur la plateforme d'astronomie. Mana n'avait ni envies suicidaires, ni envies de se faire voir le grand frisson. Elle voulait simplement: un brin de calme. Chez elle à la Nouvelle-Orléans, il y avait toujours du bruit. Du bruit et quel bruit! Un mélange de jazz, de blues, de cris de femmes pleines d'enfants. C'était un bruit insupportable, incessant et à la fois merveilleusement attachant. L'Angleterre c'était... tout l'envers de ce qu'elle connaissait. Grise et froide. Elle faisait beaucoup de bruit elle aussi, mais c'était un bruit grisant et inamical à ses oreilles. La jeune obeah était donc venue se réfugier sur le toit du monde à l'entre deux-cours. Échapper cinq minutes au brouhaha des autres élèves, à ceux et surtout celles qui étaient toujours sur son dos à vouloir toujours l'aider alors qu'elle n'en avait pas tellement besoin.
Ses longs cheveux noirs ébènes retombant en boucles étirées sur ses épaules, elle supportait bien un bon manteau malgré le redoux de ces dernières semaines. Il ne fallait pas croire, une petite afro-américaine habituée au soleil généreux du golfe du Mexique, ça s'acclimatait difficilement en Écosse. Elle ne s'était pourtant jamais plainte, mais il n'était pas rare de lui voir porter des petits gants même si on était au mois de Juin. D'ailleurs avec tout ce qui s'était passé, l'enfer et les démons, pour un mois de juin il faisait tout de même rudement froid.

Elle avait à côté d'elle le livre de Métamorphose ouvert au chapitre juridique, la partie qui lui était la plus rébarbative. Aussi, après quelques paragraphes ennuyeux comme la pluie, Mana avait fini par sortir sa baguette, faisant fleurir autour d'elle quelques orchidées, parce qu'elles étaient ses fleurs préférées. Histoire de ne pas dire qu'elle ne révisait pas, elle jouait de ces fleurs, leur faisant prendre diverses formes, des couleurs plus improbables les unes que les autres... et comme elle se croyait seule, machinalement elle chantonnait tout bas une chanson de chez elle... une chanson d'Ella Fitzgerald...

« Tu as une très jolie voix Mana. Je ne savais pas que tu avais des talents de chanteuse. »

Mana fit un bond sur place, rompant la magie du moment. Elle s'était tellement abandonné à sa chanson et à ses orchidées, qu'elle n'avait pas entendu Klaus arriver. Décidément, il devait y avoir un esprit attaché à ce que la pauvre américaine rate toutes ses entrées avec Klaus et on avait là encore un exemple du genre.

« Tu m'as fait peur... on ne devrait pas se mettre dans des lieux publics et oublier qu'on est pas tout seul. », fit-elle sur le ton de la plaisanterie, elle prit la fleur que lui tendait Klaus, un joli coquelicot rouge éclatant, et le remercia d'un sourire.

Derrière elle ses orchidées s'épanouirent un peu plus, offrant à la vue leur plus belles couleurs. Bien sûr, si on le demandait à Mana elle dirait que c'était tout à fait par hasard et non parce que sous ses couleurs à elle, elle rougissait sans doute sans que ça ne se voit. Elle n'était pas vraiment le genre fleur bleue, sensible à la Kassy Salvadore mais Klaus lui plaisait et la combinaison "compliment", "surprise", "fleur" et "regard intense" ... il ne fallait pas trop lui en demander.

« Tu sais en venant de la Nouvelle-Orléans et avec ma couleur de peau ça aurait été la honte de ne pas savoir chanter ou au moins jouer d'un instrument... », elle le regarda s'appuyer contre la rembarde, espérant que son regard à lui allait la quitter pour se fixer ailleurs, comme ça aurait très bien pu arriver avec n'importe qui d'autre « Je chante souvent quand je suis toute seule. Je sais pas c'est comme... une espèce de manie. Tu en as toi... des manies de ce genre? »

Ce qu'il y avait d'ennuyeux avec Klaus c'était que quand il vous regardait, vous n'aviez aucun autre choix que de le regarder mais en même temps, du moins c'était le cas de Mana, il y avait surtout l'envie grandissante d'aller se cacher dans un trou de doxy. Le pire c'était qu'elle savait pertinemment qu'il n'y avait rien de particulier dans ce regard, sinon ce qu'il y aurait eu pour n'importe quelle autre amie. Dans son dos, les orchidées faisaient un amas luxuriant et inhabituellement rubescent.

« De la basse ouais... j'ai appris avec mon grand père sur de vieux airs de blues. On avait une basse qui traînait à la maison alors le choix de l'instrument s'est vite imposé. »

La musique c'était l'âme de la Nouvelle-Orléans et par extension, celle de Mana. Ici tout était froid et sombre et dans les rues, pas de musique. Il faisait sans doute tout aussi noir chez elle mais d'ici, elle voyait déjà les lampions colorés qui éclairaient sans doute les rues, et le fumet du combo pour réchauffer les coeurs. C'était sûrement comme ça. Rien à voir avec ici donc.
Ils poursuivirent la conversation, Mana détournant le regard par instant pour ne pas avoir trop l'air de regarder Klaus. L'allemand lui plaisait, ça on s'en était rendu compte (enfin pas le principal intéressé mais bon...). Ils étaient bons amis, mais Mana était d'autant plus timide qu'elle n'avait jamais eu de copain. Chez elle, on n'aimait guère les petites vaudous dans son genre alors...
La conversation continuait et Klaus, comme toujours, ne dévoilait presque rien de lui, pas même ses petites manies. Il avait toujours cette façon d'imposer une distance de sécurité, qu'elle respectait, par principe mais parfois à contre coeur. Elle le laissa donc garder ses secrets.

« Tu t’entraines à la métamorphose je suppose ? Plutôt bien réussi les orchidées. »
« Merci. Ce sont mes fleurs préférées. Le sortilège en lui même n'est pas bien complexe mais la difficulté réside dans... la multiplicité. », expliqua la métisse. Elle était particulièrement douée en métamorphose alors pour elle, la révision avait quelque chose de plutôt agréable.« Et toi? Tu en es où des révisions? »

« Elles avancent doucement mais surement. Le niveau scolaire de Poudlard est légèrement plus bas que celui de Beauxbatons, cela me simplifie par conséquent un peu la tâche. En est-il de même pour Salem ? »
« Salem? Oh tu sais je ne suis peut-être pas la mieux placée pour te parler de Salem. », répondit-elle pensive.

Salem avait été une assez mauvaise expérience pour elle. Rejetée, mise à l'écart, Mana avait travailler dans son coin sans faire de vague, et pourtant elle n'avait pas réussi à passer entre les mailles bien longtemps. Du moins pas sans le vaudou. Il n'y avait eu que ça pour lui apporter un peu de tranquillité dans l'école américaine. La mentalité des élèves de Salem, Mana n'avait pas grand bien à en dire.
Vous auriez plus répliquer que ce n'était pas étonnant. Et que dans la famille Mayfair on faisait plus de phobiques scolaires et d'élèves en échec que dans la moyenne des familles WASP. Certes. C'était vrai que de tous les gamins de sa génération, Mana était la seule qui allait probablement terminer ses études et les pousser même jusqu'à l'Université. Sa propre soeur Trisha lui crachait presque dessus pour ça. Elle ne perdait jamais une occasion de dire que Mana n'était qu'une Mayfair blanche, tout le portrait de sa mère quand en fait, personne ne savait trop qui était la mère de Mana. Son père, Django n'aurait pas pu lui donner le bon exemple et d'ailleurs, au moment où elle parlait à Klaus, il faisait un énième séjour à la prison d'état de L.A pour tout ce qui c'était passé à Compton. D'ailleurs en parlant de Compton, Wes devait encore être jusqu'au cou dans ces histoires de gang, et pourtant c'était de loin le gamin le plus intelligent de la famille. Avec lui Sanaa, pas trop mauvaise à l'école mais le gang finirait par avoir sa peau à elle aussi, comme à Cantrell. Bref, à Salem tout ça se brassait et lui retombait sur la gueule.
Derrière elle, les orchidées s'était ornées de noirs et de brun rouge, il leur poussait des épines de roses et des ferronneries de mûriers sauvages. Magnifiques et vénéneuses les fleurs qui éclosaient sous les pensées de Mana. Elle s'en rendit compte, et dans un sourire gêné, fit disparaître les fantaisies de son imagination. Elle n'avait pas de quoi être mélancolique. Elle voyageait. Elle avait à côté d'elle le seul garçon qui lui faisait battre le coeur de cette façon si particulière. Le dernier prince charmant qu'elle aurait pu imaginer du fond de son bayou natal.

« Excuse-moi, je... pensais. Salem est une bonne école. Mais j'aurais bien du mal à comparer, les cours sont trop différents de ceux qu'on donne ici. Pour ce qui est des élèves et bien... ce sont des adolescents avec tout ce que ça implique de génial et de ... moins génial. Je suppose. »