L’absence de soleil avait toujours quelque chose de perturbant, malgré les nombreuses semaines qui s’étaient écoulées depuis sa disparition. Le visage tendu vers le ciel, Kaprice soupira. Il faisait froid pour un mois de Mai, et ceci était du à l’absence perpétuelle de l’astre du jour. Relevant le col de sa veste, elle se dit au moins pour la centième fois depuis qu’elle était arrivée qu’elle n’aurait pas du venir. Il faisait froid, ici, elle aurait mieux fait de rester terrée à l’intérieur du château, plutôt que de sortir. Sortir de sa pièce, de ses bouquins, de ses idées noires, il avait fallu y aller fort, et en plus pour attendre en extérieur … Il allait bientôt neiger, elle le sentait. Soupirant, elle se radossa à la statue de sorcière nourrissant des lapins devant laquelle Maelan lui avait donné rendez-vous. A Pré-Au-Lard ! il en avait des idées celui-là ! Il n’y avait que lui pour lui envoyer un hibou en plein milieu de la nuit, la veille, pour lui donner rendez-vous ici, comme ça. En même temps … ce n’était pas une si mauvaise idée que ça, quand on y repensait. Elle allait bientôt devenir folle, à s’enfermer et à élaborer un nombre incalculable de plans de vengeance, avant de les rejeter tous, de pester, de tempêter, d’insulter le vide de tous les noms d’oiseau que comptait la langue anglaise, avant de recommencer, encore et encore. Elle avait pâli, elle avait maigri, elle s’était mise à fumer, et d’ailleurs elle allait s’en allumer une pas plus tard que maintenant. La première taffe la calma instantanément, et elle ferma les yeux, respirant doucement, s’attendant presque à voir également de la fumée sortir de son nez.
Respirer. Rien que cela lui faisait un bien inimaginable. Les seules odeurs qu’elle avait emmagasiné ces derniers temps étaient majoritairement celles de sa bougie, des vieux bouquins, qui changeait de celle de ses bouquins de cours (oui, elle allait tout de même en cours, et s’évertuait à écouter et à assimiler le plus vite possible pour aller se consacrer à autre chose ensuite. Celle de la nourriture que lui faisaient les elfes de maison quand elle se pointait dans les cuisines à pas d’heure, complètement échevelée, et à deux doigts de l’hypoglycémie. L’odeur de renfermé, de vieux, des pierres froides, et limite suintantes d’humidité de la salle dans laquelle elle se terrait. Et l’odeur des clopes, évidemment. Une autre bouffée d’air frais. Elle n’avait pas vraiment envie de fumer, finalement. Respirer lui faisait infiniment plus de bien. Sortir. Il fallait qu’elle arrête de se terrer dans un coin sombre. Il n’y avait qu’elle qu’elle punissait en agissant de la sorte. Lui s’en foutait. Elle dépérissait toute seule dans son coin, et ne voyait plus personne. Alors qu’elle aurait du être dans les couloirs, avec son regard de panthère, à la clouer aux murs, à faire que ce soit lui qui n’ose plus sortir, qui n’ose plus se montrer, qu’il se sente misérable et arrête de faire son malin. Oui, mais elle avait eu peur des regards, après le Bal. Elle qui n’en avait strictement rien à foutre des rumeurs, ou de ce genre de chose n’avait absolument pas envie de les affronter, de s’y confronter. Parce que rien de ce qui n’avait pu circuler avant sur elle n’était en mesure de la blesser. Parce qu’avant, ça n’avait aucune importance. Mais là, ça concernait Heath. Ça concernait à peu près dix ans de sa vie à être complètement dingue d’un mec qui n’avait aucun respect pour elle, et qui l’avait enfin montré ostensiblement, au grand jour. Et être ainsi mis à l’amende parce ce garçon là, ça l’avait refroidie d’un coup. Oui mais non, elle ne pouvait pas se terrer. De quoi avait-elle honte ? Elle n’avait rien fait qui méritât que l’on la blâme, bien au contraire. C’était lui, l’enfoiré, l’abruti de première qui avait joué avec elle. Il avait gagné ? C’était ça qu’elle craignait, que les gens soient de son côté parce qu’il avait gagné ? Elle allait gagner. Elle ne savait pas encore comment, mais elle allait gagner. Il fallait juste qu’elle arrête de se prendre la tête et qu’elle recommence à faire ce qu’elle savait le mieux faire : rayonner, briller, se faire voir. Draguer. Magie noire. Et tout irait bien.
De plus, tout le monde n’était déjà, de façon sûre, pas contre elle. Maelan ne l’aurait pas contactée autrement. Il n’était pas ce qu’elle pouvait qualifier de réel ami, mais en tous cas, ils étaient proches, dans leur façon bien à eux de l’être. La dernière fois que Kap’ l’avait vue, c’était au Bal, mais elle doutait franchement que lui l’ait remarquée. Elle avait protégé Avril de son crétin de frère. Elle ne savait pas si la jeune fille l’avait remarquée, et, pour tout dire, elle préférait passer inaperçue. Ce n’était pas son histoire, elle connaissait tous les Dashwood, certains plus que d’autres, elle connaissait Avril, l’appréciait et la respectait, mais elle ne voulait rien avoir à faire dans tout ça. Ce n’était pas son affaire, jouer son rôle dans l’ombre lui avait suffi. Avril et Maelan. Pas exactement une surprise, mais au moins, il était clair pour elle que si c’était effectivement du sérieux entre eux deux, son petit jeu avec Mael allait s’arrêter là. Ça aurait pu lui servir pour rendre Heath jaloux … enfin, non, en fait, il ne serait sans doute pas jaloux, il l’avait prouvé au Bal, mais le faire enrager du style « rien à foutre j’en ai un autre, et mieux », mais Kaprice appréciait bien trop Avril pour ça. Et, elle respectait Maelan. Leur jeu avait duré le temps qu’il avait duré, pour faire enrager le même Serpentard, ils en avaient bien profité tous les deux, et voilà, il fallait bien que ça s’arrête. Les meilleures choses ont une fin, ce n’est pas ce qui se dit ? Au final, c’était peut-être pour ça que Mael lui avait envoyé ce hibou et demandé à la voir : pour lui dire où il en était avec Avril et qu’ils arrêtaient de se voir. En fait, non, ce n’était pas tellement le genre de Mael. S’il ne voulait plus la voir, il ne se serait pas embarrassé de ce genre de choses, il aurait arrêté, point. Et elle ne pensait pas vraiment qu’ils allaient cesser de se voir juste parce qu’ils ne pouvaient plus jouer. Au contraire, ils s’entendaient plutôt bien maintenant, et ça avait une signification autre que « je vais te mettre dans mon lit ». Ah, tiens, d’ailleurs, nota Kaprice avec un léger sourire en rouvrant les yeux et en reprenant une taffe juste pour le plaisir, elle n’avait pas cédé. Et ça, c’était une victoire. Mael n’avait pas obtenu ça d’elle, et, de son point de vue, ça lui conférait un statut plutôt intéressant.
Bon, certes, mais il était en retard, le damoiseau. Et elle espérait fortement que ce ne soit pas pour lui faire payer justement de ne pas avoir répondu à son désir intense. Il fallait qu’il s’y fasse, il n’y avait que deux mecs qui pouvaient se vanter d’avoir eu ce privilège, l’un était un garçon tellement adorable qu’il ne s’en vanterait pas même si tout le monde s’en doutait vu le temps que Kap’ et lui étaient resté ensemble, et l’autre, l’autre et bien c’était différent. Oh, on pouvait considérer que Dorian et elle jouaient au même style de jeu, seulement voilà, ils ne le jouaient qu’entre eux, et c’était vraiment, vraiment passionné et physique. Il la rendait complètement dingue et c’était réciproque, alors pourquoi se gêner ? Il n’avait pas de tableau de chasse qu’il arborait fièrement. Pas de chance, mister Dashwood. Quoique ça aurait fait enrager son frangin, donc juste pour ça, ça aurait été intéressant. Mais le temps n’était plus vraiment aux regrets. Trop tard, oui, tout à fait. Mais peu importait. Une nouvelle taffe, et elle passa d’un escarpin à un autre, murmurant entre ses dents :
Bon, t’es bien mignon Dashwood, mais si tu pouvais bouger ton petit cul un peu plus rapidement …
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