Aelys leva les yeux. Elle portait sur son visage l'inquiétude mais également une étonnante confiance en elle. Pieds nus dans les mousses de Brocéliande, elle venait de quitter Hafgan. La situation était grave et si Brocéliande baignait dans la douce lumière des Dieux, faisant oublier un instant que le monde avait perdu son soleil, le coeur du monde celte n'était pas hors de portée des désastres que le poète avait traîné dans son sillage, hors de l'enfer.
Il y avait ici des créatures-démones qui rôdaient. Pas de ces démons supérieurs anthropomorphe, mais des bêtes des enfers. Des chevaux féroces qu'Epona n'aurait jamais enfantés, des oiseaux de malheur qui répandaient leurs mauvais augures à travers les frondaisons.
La douce blonde entendit un grognement sourd derrière elle. La peur la saisit un instant comme elle sentit un souffle puissant tout contre ses cheveux mais elle ferma les yeux, se laissant renifler.
Doucement elle se retourna et ne vit rien. Elle savait bien sur quel genre de créature elle était tomber.

Au sol les empruntes de pattes étaient profondes et les griffes très marquées. Un chien de l'enfer. Aelys ne bougea plus d'un moment puis elle leva doucement la main... un grondement menaçant répondit à son geste qu'elle suspendit. Puis la créature détala, à la poursuite d'autre chose, plus loin dans la forêt. Il lui sembla entendre un bruit de pas, lointain, pas ici en Brocéliande. Méfiante la douce celte ferma les yeux et le sol s'enfonça sous ses pieds. L'instant d'après elle se retrouvait les mains posées sur le rebord d'une fenêtre du manoir Windel. Elle avait parfaitement vu que le Ministre était là pourtant son regard alla en premier à la plante qui se trouvait à côté d'elle. Puis elle soupira.

- Que faisons nous maintenant?

Elle n'avait encore parlé ni à Vitali, et moins encore à Mr Windel de Brocéliande, ni de comment elle pouvait s'y rendre de n'importe où qu'elle se trouve ou presque. Mais il était temps d'aviser pour le reste en tout cas.

A en croire l'annonce de l'horloge du salon, il était 21 heures. On ne pouvait pas vraiment dire que la nuit était tombée étant donné son omniprésence, bien que le ciel planant au-dessus du Manoir apportait parfois un brin d'espoir de voir apparaître une légère luminosité. Le Manoir était paisible, l'heure du soûper était passée et seule les cuisines apportaient un soupçon de vie. Edward était seul dans l'immense bibliothèque du bâtiment, confortablement assis sur un fauteuil de velours, savourant un delicieux thé à la menthe en lisant les actualités de la Gazette. Il y avait quelques lignes encore sur Vitali, mais ce dernier faisait de moins en moins les unes des journaux sorciers. Edward n'avait pas eu de ses nouvelles depuis quelques temps, le jeune homme s'étant absenté, peut-être pour se faire oublier. Edward n'en savait strictement rien et s'en fichait quelque peu, du moment que le chef des aurors ne s'attirait plus d'ennuis. Seule Aelys demeurait à la résidence du Ministre de la justice. On lui avait offert une des nombreuses chambres de la maison où tout le confort était à son comble et où tout être humain normalement constitué ne pouvait manquer de rien. Malgré cet environnement plus qu'agréable, la jeune celte restait d'un mutisme désarmant. Edward avait beau épluché les minces dossiers la concernant au Ministère, il n'en apprenait que trop peu, preuve que l'autorité du Ministère n'avait aucune information solide pour justifier son arrestation d'ailleurs.

Il fallait qu'il lui parle car il devait savoir ce qu'elle comptait faire. Elle dormait dans ses draps soyeux, profitait d'une garde robe digne d'une princesse, et savourait des repas des plus élaborés. Au goût d'Edward, cela devenait un peu long et il n'allait pas jouer au protecteur de fugitif pendant des siècles. Il avait une vie tout de même ! Depuis qu'il avait recueilli Aelys et Vitali, il n'avait pas vu la couleur d'un opéra, ni d'une soirée mondaine et toutes ces choses si futiles aux yeux d'un grand nombre lui manquaient de plus en plus. Et puis, s'il fuyait le beau monde, on allait bientôt l'accuser de perdre sa fortune au point de ne pas être en mesure d'en profiter, et c'était hors de question. Sa réputation d'être l'une des plus grandes fortunes de l'Angleterre était solide, certes, mais sujette, comme toute réputation, à quelques rumeurs disgrâcieuses.

Les hautes baies vitrées en haut de l'escalier de marbre apportaient un décor peu réjouissant : l'obscurité. Il ne s'agissait même pas d'une nuit, ni d'une aube. C'était rien. Un ciel désesperement sombre et surtout mesquin, mesquin pour laisser croire à un éventuel rayon lumineux mais qui, au final, ne venait jamais. Le brouillard s'était levé et déjà on ne pouvait distinguer les bassins et arbres majestueux du parc du domaine. Edward ne tarda pas à rejoindre l'aile Est de la résidence, traversant le long couloir abritant de nombreuses chambres. Il prit le temps de frapper à la porte d'Aelys mais aucune réponse ne fut émise. Mais lui parler était devenu urgent, il ne pouvait donc attendre et se permit d'entrer. Une était ouverte, faisant danser au rythme du vent frais les rideaux transparents. Devant elle, les mains sur le rebord, se tenait Aelys qui semblait rêveuse. Son hôte vint à ses côtés, en silence, scrutant l'horizon où aucune forme n'était perceptible, puis dirigeant son regard sombre vers les nuages couleur encre qui revêtaient un aspect des plus menaçants. La jeune celte brisa le silence et demanda au Comte quelles pouvaient être leurs intentions. Elle y allait fort ! Ainsi, c'était à Edward de décider de l'avenir ? Et puis quoi ? Il l'avait aidé mais n'allait pas chaperonner pendant des mois !

" Un littéraire moldu a dit : " Le destin bat les cartes mais c'est nous qui les jouerons ". "

La voix grave, froide et envoûtante d'Edward répondit à Aelys. Son regard était toujours porté sur le ciel brûmeux, et un petit sourire se dessinait sur son visage. Il était paisible, malgré le fait que la question d'Aelys lui avait paru déplacée. Son teint redevint soudain beaucoup plus grave.

" J'ai bien peur, Aelys, que le destin vous ait joué quelques tours. Néanmoins, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ce que l'on peut faire dès à présent. Quand le destin décide de se jouer de nous, le mieux à faire est d'affronter ses mesquineries... personnellement. "

Le Comte insista sur ce dernier mot. Il voulait lui faire comprendre qu'elle devait se prendre en main, même s'il n'allait pas la lâcher dans la nature et qu'il était toujours à ses côtés pour l'instant.

" Je vous renvois dès lors la question : que comptez-vous faire ? "

" Un littéraire moldu a dit : " Le destin bat les cartes mais c'est nous qui les jouerons ". "

Aelys acquiesça sans un mot, réservant pour elle son jugement. Il lui était très difficile de comprendre les us de ces hommes et de ces femmes "modernes, qui s'enfermaient dans d'immenses maisons bardées d'or et de pierreries. Elle n'avait d'ailleurs jamais aimé tout ce faste mais par pur politesse, et parce qu'il lui était naturel d'accepter toujours ce qui était différent d'elle, elle avait accepté la chambre qu'Edward Windel lui avait offerte, elle avait dormi dans ce lit qui pour elle était inconfortable et avait résisté à la tentation d'aller s'allonger sur le sol. La seule entorse qu'elle avait faite, avait été de garder ses vêtements qu'elle avait par un secret bien à elle lavés chaque jour. Ses yeux d'eau se posèrent sur le ministre devinant que quelque chose le chiffonnait. Ce n'était pas difficile à deviner. Mais à ses yeux de celte, la notion d'hospitalité était très différente.

" J'ai bien peur, Aelys, que le destin vous ait joué quelques tours. Néanmoins, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ce que l'on peut faire dès à présent. Quand le destin décide de se jouer de nous, le mieux à faire est d'affronter ses mesquineries... personnellement. Je vous renvois dès lors la question : que comptez-vous faire ?"
- Je crois que nous nous comprenons bien mal Mr. Windel..., la celte se garda se soupirer mais elle poursuivit, Cela vous concerne tout autant que Vitali ou moi. La différence est justement qu'en ce qui me concerne je sais déjà ce que je ferais. Comme je l'ai dit à Vitali, chacun doit suivre son chemin mais aujourd'hui marcher seul ne sert à rien. Vous ne devez pas vous féliciter pas des quelques lueurs qui survolent votre manoir, tout comme je ne dois pas me sentir rassurée de voir que là d'où je viens, la lumière du soleil brille toujours.

Elle lui retourna un regard particulièrement sûr d'elle mais certainement pas arrogant. Aelys était tout sauf une arrogante.

Il était évident qu'Aelys avait une idée derrière la tête, et Edward comptait bien découvrir laquelle. A l'entendre, elle et Vitali étaient liés avec le Comte. Elle n'avait pas totalement tord. C'était la même chose pour tout le monde magique après tout. Tous étaient dans la même situation, tous se levaient le matin, du moins aux heures matinales annoncées par les aiguilles d'une horloge, et découvraient avec la même tristesse un environnement toujours aussi plongé dans les ténèbres. Le Manoir qui n'était pas l'endroit souffrant le plus de cette obscurité omniprésente n'était pas certain de garder cette chance car cette ombre planant dans les cieux s'étendaient à chaque heure, à chaque minute. Edward, qui avait conservé son air serein, se tourna vers Aelys et lui accorda un sourire des plus radieux, un petit côté amusé se lisant sur son visage.

" A vous suivre, il semble que vous ayez une idée, non ? Dans ce cas, je vous écoute. "

Edward restait tout de même assez méfiant et ne comptait pas s'embarquer dans la première aventure venue. Il avait déjà beaucoup à faire au Ministère, et se voiler la face, prétexter traquer Aelys et Vitali devenait de plus en plus compliqué car, bien évidemment, il n'y avait aucun résultat. On commencait d'ailleurs à lui repprocher de sous-estimer cette affaire et de ne pas donner le meilleur de lui-même pour retrouver les deux hors-la-loi. Il promettait mille fois que le problème serait reglé prochainement, bien qu'il n'en avait pas la moindre idée. Il choisissait alors la facilité : accuser ses aurors de ne pas chercher là où il le fallait. L'influence d'Edward était telle qu'on pouvait croire à tout ce qu'il disait, ce qui donnait aux aurors une bien mauvaise réputation ces derniers temps. Le ministre n'espérait qu'une chose : que cette histoire se termine, et vite !

Edward quitta le rebord de la fenêtre, quelques gouttes d'eau de pluie étant venu se déposer sur ses mains. Il se dirigeait vers un tableau accroché au mur bordeaux de la chambre à coucher. Une femme d'âge mûre était peinte, assise sur un fauteuil rose pâle. Des cheveux gris mais loin d'être négligés se déposaient avec grâce sur les épaules menues de la vieille femme. Elle était belle malgré les marques d'une vie largement entamée. Un regard mélancolique posé sur le tableau, Edward reprit la parole.

" Ma grand-mère me disait toujours de ne jamais tracer ma voie seul, et de toujours garder auprès de moi quelques personnes dignes d'être aidées afin de... comment disait-elle ? Ah oui... afin de chasser un égoïsme constament aux aguets. "

Le Comte fit volte-face et fixa Aelys du regard. Avec un air aussi froid et hautain, on aurait aisément pu croire qu'il allait accuser la celte de tous les malheurs de ce monde. Toutefois, le bel homme finit par sourire à nouveau.

" Je vous ai aidé une fois Aelys. Bien que je ne compte pas faire de cet acte le but de ma vie, je suis apte à vous aider à nouveau... dans la mesure du possible j'entends. "

Certes, Edward avait tout d'un parfait protecteur à cet instant. Sous ces traits agréables, l'esprit du Comte avait déjà tout plannifié au cas où la situation tournerait au vinaigre. Incorrigible calculateur qu'il était...

" Je vous ai aidé une fois Aelys. Bien que je ne compte pas faire de cet acte le but de ma vie, je suis apte à vous aider à nouveau... dans la mesure du possible j'entends. "

Aelys eut un sourire lumineux mais honnêtement amusé. Ce genre de sourires qui peuvent faire douter quand on ne connait pas. Ce genre de sourire qui on parfois poussé les étrangers à vouloir tuer leurs frères celtes. Pouvait-on être si franchement expressif, si dénué de fourberie qu'Aelys à ce moment là?

" Je crois que c'est plutôt moi qui vous viendrez en aide Monsieur. "

Elle marqua une pause le temps de juger de sa réaction mais elle le sentait ouvert, près à écouter. Elle n'avait pas pu le cerner aussi facilement que Vitali, mais elle jugeait à présent qu'il était tant d'agir plus que de jouer de prudence. Les cartes étaient posées devant eux, il n'appartenait qu'à eux de les jouer ou de quitter la table.

" Il y aura beaucoup de décisions à prendre. Des choix à faire. Dehors c'est l'enfer mais ce n'est pas ce qui me préoccupe le plus. Je sais que les choses rentreront dans l'ordre parce que le monde d'en dessous ne peut que rester à l'En Dessous. Ce qui m'inquiète ce sont les hommes. Et quelque chose me dit que parce que Wolfgang Orlov a fait amende honorable les gens s'imaginent que les mangemorts ne sont déjà plus qu'un chapitre d'histoire. Mais c'est faux. Ils sont bien là. Ils auront un autre chef et nous ne seront pas prêts. C'est à ça que nous devons nous employer Vitali et moi. A rassembler les coeurs courageux et les bonnes volontés. Est-ce que vous en serez aussi, c'est à vous de me le dire... "

Elle doutait Aelys. A voir tout ce luxe, tout ce confort. Rien ne disait que se lancer là dedans c'était perdre tout ça, mais rien ne garantissait non plus que si Edward Windel franchissait le pas de la légalité, ses biens et son confort lui seraient laissés, intacts.

Aelys ne pressa pas le Ministre. Elle le regardait sans laisser transparaître quoique ce soit de ses attentes parce qu'elle voulait que le choix vienne de lui. Elle voulait que cette question soit réglée au plus vite pour pouvoir partir. Elle avait énormément de chose à faire de son côté et tout ce luxe ne la mettait pas à l'aise non plus. Elle était habituée à la forêt luxuriante pas aux feuilles d'or et au cristal de bohème. Sans doute que sans des circonstances exceptionnelles, rien n'aurait rapproché Edward et Aelys et d'ailleurs, elle doutait qu'un jour il puisse apprécier de dormir sur un lit de feuilles et de mousse à même la terre. Elle ne jugeait pas de toute façon. Ca n'avait pas vraiment d'importance, surtout pas à ce moment là.

" On ne peut plus compter sur un grand nombre de personnes en ces jours sombres, pas même sur notre propre autorité qui se montre plus qu'incapable qu'autre chose. Prions pour qu'un nombre suffisant de sorciers soit apte à protéger notre monde... J'ai toutefois bien peur que, même avec des centaines de personnes derrière nous, nous ne pourrons lutter indéfiniment contre le mal. Il est là, il l'a toujours été et, malheureusement, le sera à jamais. Mais peut-être pourrons nous apporter notre grain de sel. La situation ne peut être pire de toute façon. "
" Il est très difficile, Mr Windel, de juger de ce qu'est le Bien et ce qu'est le Mal. Tout ce que nous avons à faire c'est veiller à préserver une certaine forme d'équilibre même si, la perfection n'est pas de ce monde. "

Elle l'observait toujours. Suivant du regard les changements d'expression de l'homme avant qu'il n'émette une dernière requête.

" Toutefois, j'espère que vous ne comptez pas sur mon Manoir pour servir de quartier général ? Je m'apprête à mettre mon poste, non négligeable d'aileurs, en péril. J'aimerais que mon lieu de vie échappe aux caprices du Destin qui risquent de se dresser devant nous. "

Aelys rit de bon coeur. Elle aurait dû s'y attendre à celle là mais pourtant:

" Vous n'avez pas à vous en faire pour vos biens matériels. Quoiqu'il ne m'appartienne pas de comprendre la nature de votre attachement à toutes ses choses et à tout ce luxe, je comprends que c'est important pour vous. Et puis... il y a d'autres endroits sûr qui feront aussi parfaitement l'affaire. Pour l'heure je vais vous quitter Mr Windel, quand nous nous reverrons, nous auront sans doute beaucoup de choses à nous dire. "

Elle sourit et le remercia à nouveau pour son hospitalité puis sortit dans le jardin, quittant ses chaussures qu'elle n'avait mise que pour ne pas offenser son noble bienfaiteur et ferma la porte derrière elle. Aussi curieusement que cela puisse paraître, à l'instant où la porte se referma, Aelys n'était plus là. Elle avait encore énormément à faire. Il lui fallait retrouver Vitali, rassembler d'autres alliés. Ce ne serait pas simple. Sur le lit qui se trouvait dans la chambre qu'elle avait occupée, Edward Windel trouverait le message suivant:


Il n'était pas signé mais le ministre n'aurait pas besoin d'un nom pour savoir de qui il provenait.