Il me semblerait un peu trop réducteur de vous parler de moi à l'encre de huit cents mots. Huit cents mots ce n'est rien, ce n'est en tout cas pas suffisant pour une vie. La mienne. Loin de moi l'idée de vous laisser croire une minute que je sois plus intéressante que vous quoique soyons honnête, je le suis sans doute. Et si j'en tire une gloire quelconque, c'est bien malgré moi.
Tout a commencé à cause d'un visage. Le mien aurais-je aimé dire. Mais c'est plutôt celui d'Erzébeth Bathory qui fut à l'origine de ma chute. Une femme dont je n'avais même pas entendu parler avant de rencontrer celui qui allait faire de moi ce que je suis aujourd'hui. Je ne vais pas m'épancher ici. Pas de pitié, pas de compassion je vous en prie. Ne m'insultez pas. Si je suis encore là aujourd'hui c'est que je n'ai pas besoin de ce genre de considération.
Ces terres désolées que vous redécouvrez aujourd'hui sous un ciel noir étoilé de créatures démoniaques, je le fréquente depuis longtemps. Je le connais. Je ne suis pas des vôtres mais je me battrais tout pareil, parce que c'est mon choix. Parce que vous n'aurez pas d'autres choix que de ne pas me refuser. Pourquoi je fais ça? J'ai mes raisons et elles n'appartiennent qu'à moi. Je vous l'avez bien dit, huit cents mots je ne les consacrerai pas à ça. D'où je viens, de thébaïde si j'ose dire. Où je vais, en thébaïde, loin de tout. Je n'aime pourtant pas la solitude plus qu'un autre mais il n'a jamais été mon genre de me plaindre. Ma condition je l'accepte autant que je l'abhorre autant que je voudrais la changer. Pourquoi ne pas vous rejoindre vous? Pourquoi ne pas me poser un instant sur votre épaule et m'arrêter le tant d'une vie? Vous ne seriez pas assez fort, pas assez droit pour me garder. Oh non pas que je chercherai à fuir loin de vous mais on vous envierait à mort l'oiseau que vous auriez attrapé. Et on vous tuerait. Non vous n'êtes pas assez fort pour me garder. Vous ne pourriez assumer cette vie là.
A quoi me reconnaitriez vous? Le rouge. Le santal surnaturel de mes iris. Ces cheveux rouges que je teins en noir parfois pour avoir la paix. Et surtout, ce
collier que je ne peux pas enlever. Vous ne pourriez même pas le soulever si le coeur vous en disait, il serait trop lourd. Il vous trancherez la gorge pour retourner à la terre. C'était celui d'Erzébeth Bathory et si la pierre est si rouge, si elle attire l'oeil des créatures, vampires, lycans, et même démons, c'est parce que c'est le sang des vierges et du sadisme qui l'a rendu si rouge. Vous ne me verrez jamais courber la nuque devant vous parce que la pierre pèse trop. Je la porte les épaules bien droites quoiqu'il ne passe guère un vingt ans sans que je n'essaye de m'en débarrasser. Ce "cadeau" je le tiens d'un dénommé Dante. Un nom que je n'aime pas entendre prononcer parce qu'il ne présage jamais rien de bon.
J'ai sur les lèvres les secrets d'alcôves que vous n'oseriez pas garder et dans le coeur un projet bien précis. Mais je ne suis pas encore assez forte pour le mener à bien. Oui je suis quelqu'un de réfléchi. Mon cerveau, un mécanisme à froid qui ordonne, calcule, évalue. Simplement pour ma survie. Je ne suis pas comme celui qui m'a faite. Ni sadique. Ni démente. J'ai la tête bien sûr les épaules et je suis lucide. Trop peut-être. Mais la patience est une arme entre mes mains. Je ne veux pas être comme ce vieux fou de Nospheratov qui rumine de sombres projets pour lui seul, se satisfaisant de savoir qu'il lui suffirait de claquer des doigts pour que le monde s'arrête. Si je voulais que le monde s'arrête, je lui montrerai ma vilaine figure avant de lui porter le coup de grâce. Je frapperai fort. Une seule fois. La bonne.
Il aurait été plus facile pour moi de changer de visage mais celui là me poursuit. Je ne peux l'effacer. Il paraîtrait qu'il est beau. Il paraîtrait que certains se seraient damner pour lui. Moi je n'y vois que mon visage. Pas même le fantôme de cette baronne sanglante que je ne connaîtrai jamais et qui pourtant même chaque minute de mon existence à la baguette d'un maître. Mais aujourd'hui je suis libre et je peux le dire haut et fort, j'emmerde les grands de ce monde de la nuit. Le Haut Conseil. Les Chasseurs de Vampires. Les loups qui me prennent pour ce que je ne suis pas. J'emmerde Dante plus profond que les autres et quand il sera mort je cracherai sur sa tombe parce que ce sera moi qui l'aurait creusée.