Il était 3H00 lorsqu’un crie retentit dans un appartement miteux de la banlieue de Moscou. Miranda était née quelques minutes auparavant, mais ce n’était pas elle qui venait de pousser ce hurlement déchirant. C’était sa mère, encore en sueur d’avoir mis sa fille au monde. Quelle étrange expression que celle de ‘mettre au monde un enfant’… Oui, c’était bien cela, elle l’avait (re)mise au monde. En Russie, en 1950, la naissance d’un enfant pouvait être comparée à un lâché de perdrix lors de l’ouverture de la chasse. Sur la dizaine d’oiseaux qui s’envolaient, un seul parvenait à échapper aux balles et à fuir le plus loin possible. Car c’était cela la vie après tout, une fuite, plus ou moins longue, jusqu’à ce qu’une balle vous rattrape et y mette un terme, à cette fuite, et à la vie.
Miranda partait avec un sacré désavantage dans cette course effrénée qu’était la vie. Pour la simple et bonne raison que son propre père avait décidé de la balancer par la fenêtre trois minutes après sa naissance. Miranda pendait là, la tête en bas. Le sol se trouvait treize étages plus bas. Son père la tenait par le mollet. Il faisait tellement noir et si froid à l’extérieur que quiconque dans la rue lèverait les yeux vers l’appartement du treizième étage ne verrait qu’un homme en train de secouer ce qui semblait être un chiffon bleu. C’était à ça que ressemblait Miranda à ce moment-là. Son cœur battait pourtant, et elle ne pleurait pas, aussi étrange que cela puisse paraître. Ses yeux mi-clos fixaient le sol. La neige et le vent dansait autour de ce petit corps frêle. Ses bras suivaient la danse imposée par les rafales tel un pantin désarticulé. Mais elle ne pleurait pas, elle restait silencieuse.